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L'ORDRE
DBS TRINITAIBB8
POUR LE RACHAT DES CAPTIFS
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L'ORDRE
DES
TRINITAIRES
POUR
LE RACHAT DES CAPTIFS
Paul DESLANSRES
Attaché à la Bibliothèque de l'Arsenul.
TOME PREMIER
EDOUARD PRIVAT
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14, Hue des A ris, 14.
PARIS
PLON, NOURRIT ET O*
8, Rue GaranCLcre, 8.
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AVANT-PROPOS
Au mois de février 1898, les religieux Trinitaires
Déchaussés, dernière branche subsistante d'un ordre
qui eul sa grandeur, ont célébré à Rome le septième
centenaire de leur fondation. Rien ne manqua à la
beauté de ces fêtes : imposantes cérémonies, assis-
tants nombreux, sermons éloquents; les Pères de ta
Merci, précédemment rivaux des Trinitaires, vinrent
célébrer la messe aux nombreux autels de la basi-
lique de Saint-Chrysogone. Le chapitre de Saint-
Pierre choisit cette excellente occasion pour mettre
fin à une très ancienne querelle. Tout était à la joie,
à l'espérance; pour trois jours, on eut cru que l'or-
dre de la Trinité, nouveau phénix, renaissait de ses
cendres.
Au mois de juin suivant, la vallée de Barcelon-
nette, en France, fut le théâtre d'une fête populaire,
qui dut une grande partie de son succès au pané-
gyrique provençal prononcé par un Prémontré, le
P. Xavier de Fourrières, en l'honneur du fondateur
a Dy Google
AVANT-PROPOS.
de l'ordre des Trinitaires, un enfant de cette vallée
de Barcel on nette, une des gloires de la Provence
entière, saint Jean de Malba.
Deux ans après, ce couvent trinilaire, le seul de
France, restitué à l'ordre quarante ans auparavant,
grâce au zèle du P. Calixte, n'était plus; une expul-
sion imprévue avait mis fin à l'existence si inoffen-
sive des Trinitaires dans la patrie de leur fondateur.
Ils trouvèrent une patrie adoplive et plus hospitalière
à Vienne, en Autriche, où l'ordre avait eu un cou-
vent deux siècles auparavant. — Des religieuses,
agrégées à l'ordre des Trinitaires, vinrent remplacer
ceux-ci à Faucon au mois de septembre 1900.
Plusieurs siècles de dévouement désintéressé et
d'héroïsme tranquille méritaient mieux qu'une
fin si rapide. J'espère, dans cette étude détaillée,
contribuer à faire connaître, selon l'expression de
Léon XIII, dans son bref du i4 juillet 1894, « une
congrégation qui avait si bien mérité de l'Eglise et
de la société ».
Est-ce à dire qu'il n'y ait point une seule ombre à
ce tableau? Nos religieux ne se laissèrent-ils jamais
emporter par la rancune plus qu'il n'aurait convenu ?
A première vue, plus d'un détail nous étonnera dans
l'histoire de tout ordre religieux; à la réflexion seule-
ment, nous devenons moins sévères et nous sentons
que nous cherchions chez nos héros une perfection
impossible. Les religieux ne sont pas de purs esprits,
comme les Nuées d'Aristophane qui pouvaient vivre
a Dy Google
AVANT-PROPOS. III
de la fumée des sacrifices. Certaines passions humai-
nes étant incompatibles avec l'état monastique, d'au-
tres, comme l'esprit processif, ont tendance à se
donner libre carrière. Pour les religieux qui sont
propriétaires ruraux, il y a nécessité absolue de se
faire payer leurs fermages : d'où des procès. Plus
leurs revenus leur sont nécessaires, moins les reli-
gieux aiment à voir s'établir à côté d'eux des rivaux
et des concurrents : d'où des factums. Il faut bien le
dire, ces procès, ces pamphlets, ces enquêtes, où sont
parfois révélés des faits étranges, sont la partie la
plus curieuse des archives des ordres religieux en
général ; alors ils sont vraiment peints par eux-
mêmes : à part ces témoignages, leur vie intérieure
nous échappe presque toujours. Le souci, légitime
d'ailleurs, d'accroître leurs ressources, conduisit
souvent les religieux à rechercher minutieusement
leurs titres anciens, à les réunir méthodiquement en
liasses et à en tirer des conclusions; en cela, ils ont
fait vraiment œuvre d'archivistes soigneux. Mais
presque partout, à Saint-Martial de Limoges, dont
notre confrère, M. Charles de Lasteyrie, nous a si
impartialement retracé l'histoire, comme à Saint-
Mathurin de Paris, on n'eut en vue que les docu-
ments utiles. Rarement le souci du document histo-
rique apparut. Nous sommes donc moins portés à
regretter ces polémiques révélatrices de bien des faits
qui, sans elles, nous seraient restés inconnus.
En considérant avec précision ces rivalités avec
aoy Google
AVANT-PROPOS.
l'évêque diocésain ou avec un autre ordre, nous
voyons bien vite que ces faits regrettables ne sont
l'œuvre exclusive ni des Trinitaires, ni des Pères de
la Merci, pour ne citer que ceux-ci, mais que chaque
ordre en porte sa responsabilité. Ces dissensions ne
sont d'ailleurs nullement spéciales à une époque ou
à une nation; elles sont de tous les temps et de tous
les pays. Les Trinitaires ne furent pas tous des
saints, mais quelques-uns le furent; cela suffit am-
plement à la gloire de leur ordre.
Au terme d'une série d'études de plusieurs an-
nées, ce m'est un agréable devoir de témoigner
au P. Xavier de l'Immaculée-Conception, un fils
de l'Alsace, supérieur du nouveau couvent trinitaire
de Vienne, en Autriche, ma vive reconnaissance
pour le grand secours qu'il m'a fourni. Non content
de me donner oralement de précieux renseigne-
ments, il a poussé la complaisance jusqu'à m'en-
voyer, tant de Rome que de Vienne, des livres impri-
més et des manuscrits précieux que seuls des Trini-
taires peuvent posséder. Le Général de l'ordre de la
Trinité, le P. Grégoire de Jésus et Marie, résidant à
Saint-Chrysogone, à Rome, a maintes fois aussi
daigné encourager ce travail.
Les archivistes départementaux de France, les
archivistes de l'Etat en Belgique, en Luxembourg,
en Lorraine, les bibliothécaires de Rome et de
Vienne, el les Trinitaires de San Carlino, à Rome,
a Dy Google
AVANT-PROPOS.
ont mis tous leurs trésors à ma disposition avec
autant de complaisance que de courtoisie, me don-
nant toutes les facilités de travail possible. Ne pou-
vant les nommer tous, je les prie de recevoir en bloc
l'expression de ma gratitude.
J'ai donné à ce travail le litre de L'Ordre français
des Trinïtaires , parce que je ne l'étudié qu'en
France; les provinces étrangères d'Espagne et d'Ita-
lie n'intervenant qu'en tant qu'elles ont eu des rela-
tions avec celles de France, ou qu'elles fournissent
des faits dont nous ne trouvons pas les analogues
chez les Trinilaires français.
a Dy Google
a o» Google
BIBLIOGRAPHIE
DE L'HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ORDRE'.
La Bibliographie de l'ordre des Trinitaires a été présentée
d'une façon très méthodique dans le Serapeam, t. XXXI
(1870), pp. 85, 92 el suivantes. L'ordre analogue de ta Merci
a eu ses sources établies de la même manière. Cette biblio-
graphie est aussi complète que pouvait la faire son auteur,
M. Gmelin, qui, selon son propre aveu, n'a pas poussé ses
recherches en France et en Italie; il s'est contenté de l'Alle-
magne. Au moins a-t-il eu la précaution d'indiquer dans
quelle bibliothèque allemande se trouvent les ouvrages cités,
précieux renseignements pour qui ne connaît que les biblio-
thèques de France. — Les pays germaniques n'ayant eu
que tardivement des couvents trinitaires, les sources indi-
quées par le bibliographe sont, pour la plupart, des livres
imprimés dans ces pays aux dix-septième et dix-huitième siè-
cles, par conséquent de peu d'importance pour l'étude des
Trinitaires de France, but exclusif de cet ouvrage.
1. La Bibliographie spéciale de la Rédemption de» captijs sera donnée
en lêle de cette partie de l'ouvrage.
a Dy Google
VIII BIBLIOGRAPHIE.
Gmelin n'a d'ailleurs point ignoré les ouvrages écrits en
français, qu'il a souvent empruntés au P. Lelong, et, même
en ce qui concerne les historiens trinitaires de notre pays, sa
bibliographie est assez étudiée pour qu'il me paraisse enlière-
menl inutile de donner une liste des ouvrages, au nombre de
plusieurs centaines, que j'ai du consulter. Je me bornerai,
dans ce chapitre, à signaler en détail les plus intéressants
d'entre eux.
Malgré toutes les précautions prises par le bibliographe, il
n'a point échappé à la tendance d'enfler un peu sa liste. Il n'a
cité certains noms d'historiens trinitaires que d'après d'autres
auteurs de cet ordre, sans avoir jamais vu leurs ouvrages.
Cela est toujours imprudent en bibliographie, spécialement
quand il s'agit des Trinitaires, qui ont parfois donné des
références fantaisistes à propos de faits qu'ils ne pouvaient
établir avec certitude. Voici, par exemple, un prétendu écri-
vain écossais, George Innés. Après avoir reproduit l'opinion
que l'on prête à cet auteur sur la taille gigantesque de
saint Jean de Matha, un bon juge en ces matières, le pape
Benoît XIV, ajoute : « Si tant est que ce George Innés ail
jamais existé, car mon ami, le procureur général de l'ordre de
la Merci, m'a dit qu'il n'existe nulle part de cet auteur ni ma-
nuscrit ni imprimé, quoiqu'on le cite parfois en spécifiant le
chapitre. » Ce cas est malheureusement loin d'être isolé dans
l'historiographie trinitaire. Un bon historien de cet ordre, le
P. Calvo, auteur du Resumen de /os privilégias, avoue qu'il
emprunte certains détails concernant le treizième siècle au
faussaire Lupian Zapala, tout en s'excusant de les rapporter;
de la contradiction peut, en effet, jaillir la vérité.
L'histoire de l'ordre est donc difficile à écrire, d'abord
parce que ses religieux l'ont rarement traitée, et que, quand
a Dy Google
BIBLIOGRAPHIE. IX
ils l'ont fait, ils ont reproduit des fables traditionnelles, aux-
quelles ils n'auraient pu renoncer sans avouer leur totale
ignorance. Il n'existe aucune grande Histoire des Trinitaires,
ni en français ni en une autre langue , analogue à celle
qu'ont publiée en 1691 leurs rivaux, les Pères de la Merci,
fondés aussi pour le rachat des captifs. Celte similitude de
bul a causé des confusions. Beaucoup d'historiens savent à
peine qu'il a existé et qu'il existe encore un ordre de la Tri-
nité, ou bien ils le confondent avec l'ordre fondé par saint
Pierre Nolasque. Ce dernier a eu l'honneur d'un panégyrique
prononcé à Paris par Bossuet, qui paraît ignorer l'antériorité
de saint Jean de Matha. Il faut donc, pour écrire l'histoire
des Trinitaires, recourir d'abord à leurs archives.
1, — Archives des Trinitaires.
Des le quinzième siècle, Gaguin, leur plus ancien chroni-
queur, avoue qu'il n'a rien trouvé sur certains grands-minis-
tres, ses prédécesseurs. Deux siècles après, Bonavcnture
Baron, Franciscain et annaliste des Trinitaires, écrit : Sancta
vetustas maluit praestare magna et conscire sibi quant scri-
bere. Un ministre de Lyon écrivait de même au P. Ignace
de Saint-Antoine : « Je prie le bon Dieu qu'il bénisse votre
travail touchant les chroniques de l'ordre; c'est une chose
épouvantable que de voir la négligence de nos anciens. »
Sur leur fondation même, les Trinitaires ont commis
d'étranges erreurs. M. Labande a relevé sur le manuscrit
200,2 de la Bibliothèque d'Avignon une mention attribuant la
fondation de l'ordre militaire à Honorius IV, pape de 1285
à 1 287, au lieu de la date réelle de 1 198. La grave confusion
s'explique un peu par ce fait qu'Honorius III, successeur
a Dy Google
X HIRLrOGRÀPHÏE.
d'Innocent III, donna de si grands privilèges a l'ordre qu'il
en fui regardé" comme un second fondateur. Le récit en vers
d'un manuscrit de la Bibliothèque Nationale attribue aussi à
un pape du nom d'Honorius la fondation des Trinilaires.
Un Rédempteur distingué, le P. Héron, écrivait en 1660,
dans le Miroir de la Charité, que son ordre avait été fondé
en France sous le règne de saint Louis. En réalité, l'ordre
existait depuis dix-sept ans lors de la naissance de ce roi,
mais il en fut l'insigne bienfaiteur.
Les Trinilaires n'avaient même pas la possibilité de bien
écrire l'histoire de leur ordre, tant ils manquaient de soin
pour la garde de leurs archives. Faute d'une pièce, plus d'un
procès fut perdu par eux à Faucon, à Vitry. Même pour la
confirmation de leurs indulgences, cependant si importante,
ils se trouvèrent parfois dans l'embarras. Le général de l'or-
dre, Pierre Mercier, recommandait en ce cas un expédient un
peu simpliste (vers 1670) : a Je vous ai déjà mandé que, si
l'on vous parle de nos indulgences, il faut toujours dire que
la confirmation en a été obtenue de Sa Sainteté et que l'on
en attend les bu/les. "
Les archives n'avaient de place fixe dans aucun couvent. A
Cerfroid, chef d'ordre, elles étaient dans un tiroir, et l'on en
remplit cinq sacs de papier, qui furent vendus en 1790. — A
Mcaux, Nicole Navarre, ministre de la Maison-Dieu, les gar-
dait dans sa chambre et avec si peu d'ordre que ses religieux
ne pouvaient retrouver les noms de leurs fermiers. — Le livre
des actes de Pontoise se trouvait, en 1737, dans la chambre
d'un religieux absent qui en avait emporté la clef. — Une
supplique à l'intendant de Provence dul être récrite avant
d'être envoyée, à cause de pièces retrouvées à l'împroviste. —
De ce désordre naît l'intérêt de ces archives, encore peu clas-
aoy Google
BIBLIOGRAPHIE.
sées dans les différents dépôts qui les conservent aujourd'hui.
Elles sont, d'ailleurs, Fort incomplètes. Il faut reconnaître
qu'un très grand nombre de couvents, parmi lesquels Cas-
tres, Toulouse, Montpellier, ont subi des dévastations par
suite des guerres de religion. Tous les ordres religieux ont
certes souffert de ces calamités et ont pu s'en relever; mais
pour un ordre pauvre et peu doué pour l'histoire, en France
du moins, de semblables catastrophes étaient particulièrement
funestes.
Ordre pratique entre tous les autres, les Trînitaires n'envi-
sagèrent leurs archives qu'au point de vue utilitaire. Quel
plaisir n'ont-ils pas à prendre leurs créanciers en défaut :
« Cette rente ne se paie plus, le chapitre de Notre-Dame l'a
laissé prescrire t » Cette mention est au dos d'une pièce con-
servée dans les Archives des Mathurins de Paris (c'est ainsi
qu'on appelait les Trînitaires dans cette ville). Les titres de
propriété sont, bien entendu, intacts; mais les pièces d'un
intérêt historique ne figurent malheureusement que par leur
analyse ou par un extrait.
La tentative d'un Tri ni ta ire du Midi, dont il sera souvent
question, le P. Ignace de Saint-Antoine, pour rassembler des
documents sur l'histoire de l'ordre, secoua un peu la torpeur
des hommes du Nord. Le couvent de Paris centralisa les
Archives, ou du moins, les Cartulaires et les copies de pièces
de quelques petites maisons du nord ou de l'ouest de la
France (Bar-sur-Seine, Cheiles, Dinan, Dinard, Pontarmé,
Taillebourg) ; ces documents forment deux cartons des Archi-
ves Nationales. On se demande d'ailleurs pourquoi les Mathu-
rins avaient fait prendre ces copies; ce n'était ni pour les
communiquer ni pour s'en servir. Ayant à fournir une notice
sur le couvent de Dinan, fondé en i36o, Us disent simple-
ciDvGoOgk
XII BIBLIOGRAPHIE.
ment qu'il date du quatorzième siècle, sans regarder te titre
de fondation qu'ils ont sous la main !
Plusieurs supérieurs ou ministres de couvent qui feuilletè-
rent leurs archives ne surent point en voir l'intérêt. Le minis-
tre de Silvelle (Seine-et-Marne) mit dans une liasse particu-
lière, comme pièces inutiles, les écritures d'un procès en resti-
tution du couvent, qui avait été donné en bail à un laïque
pendant quelques années. Le ministre de Troyes ayant confié
ses bulles a déchiffrer à un notaire, celui-ci renonça à les
transcrire « parce qu'elles n'avaient rien d'intéressant pour la
maison et qu'elles portaient ou sur des indulgences périmées
ou sur des droits qui nb pouvaient plus exister ».
Ce n'est qu'au dix-septième siècle, et dans le Midi, que l'on
eut des idées plus larges. Les Trinitaires Déchaussés, fondés
vers 1620 en France, décidèrent que tous les privilèges obte-
nus en cour de Rome par le procureur général de la congré-
gation seraient déposés en copie dans chacun de leurs cou-
vents et à leurs frais. Ils avaient un exemple chez leurs
voisins et rivaux, les Trinitaires de Marseille, qui avaient été
réformés en 1610. Leurs archives, conservées à la Préfecture
des Bouches-du-Rhône , forment un ensemble de cent vingt
liasses et registres. Il y en a autant pour les Trinitaires
d'Arles, dont l'histoire a été successivement écrite par les
PP. Guillaume Commandeur et François Porchier. L'histoire
de tous les couvents trinitaires du Midi peut s'y lire en
abrégé, grâce aux copies faites au début du dix-huitième siè-
cle par un provincial, le P. Paul Giraud, auteur d'un Journal
de la peste de Marseille ; ce Père mit des analyses au dos de
la plupart des pièces.
En quoi les Trinitaires de Marseille excellent le plus, c'est
à former des dossiers accablants, notamment contre les Reli-
ûdv Google
BIBLIOGRAPHIE.
gieux Déchaussés d'Aix qui ont quitté l'habit de l'ordre et ont
refusé de se soumettre à leur visite. On en vient .à regretter
que les Trinitaircs n'aient pas eu encore plus d'occasions de
mettre en lumière ce que contenaient les Archives. La polé-
mique était si bien un stimulant qu'il a fallu, pour leur faire
montrer les actes des chapitres généraux, que leurs privilèges
fussent battus en brèche par les provinces étrangères. Sans
cela, ces chapitres auraient été perdus pour nous.
Au premier rang des Cartulaires se trouve celui de Tou-
louse, composé, en 1692, par Grégoire Revnès, syndic et
organiste du couvent : c'est une histoire abrégée, où sont
intercalés les dispositifs des actes fondamentaux, et ou sont
discutés d'intéressants points de droit canonique. Elle a été
fort utilisée par les rédacteurs de la nouvelle Histoire de Lan-
guedoc.
Au nord de la France, on peut citer le grand Cartulaire
in-folio, en trois volumes (Archives Nationales, LL i545 à
i547)> du P. de Massac, général des Trinitaires de 1716 à
1748, excellent résumé de l'histoire des Mathurins de Paris,
qui gouvernaient en réalité tout l'ordre. Il n'a fait que conti-
nuer le Cartulaire rédigé à la lin du quinzième siècle par le
célèbre Gaguin. Massac avait eu la précaution de laisser des
feuillets blancs pour que son œuvre fût continuée : elle ne le
fut pas.
Plusieurs livres d'actes capitulaires existent pour les cou-
vents de Paris (depuis 1708 seulement), de Pontoise, de Mar-
seille, de Montpellier, depuis le début du dix-septième siècle.
L'Inventaire de Châlons-sur-Marne contient des analyses de
pièces d'un intérêt plus que local. Les Trinitaires de ce cou-
vent ont été très laborieux.
Aux Cartulaires doivent se joindre les Obitaaires. Le plus
a Dy Google
XIV BIBLIOGRAPHIE.
connu est celui des Mathurins de Paris, écrit par Gaguin à la
fin du quinzième siècle. Il en existe encore pour les couvents
d'Avignon, de Châlons, de Fontainebleau (conservé à Paris),
de Châteaubriant (conservé à Nantes). Ce dernier offre la
double particularité de provenir originairement d'un couvent
situé près de Chelles et d'avoir été surtout rédigé au seizième
siècle, au temps des guerres de religion.
Les registres de visite sont les documents les plus inté-
ressants pour connaître la situation réelle des couvents : le
visiteur, n'écrivant que pour lui, n'a rien à cacher. Il n'en
existe qu'a partir du seizième siècle; encore n'y a-t-il d'abord
que des copies éparses. Ils n'ont été tenus régulièrement que
dans le Midi, et seulement depuis le dix-septième siècle. Nous
avons cependant, pour le Nord, l'enquête du cardinal de La
Rochefoucauld, chargé en i635 de réformer l'ordre de la Tri-
nité; Il interrogea ou fit interroger les ministres et leurs reli-
gieux.
La Commission des Réguliers de 1767 provoqua une en-
quête analogue, qui aboutit à la suppression ou du moins à
la condamnation de plusieurs couvents trinitaires.
Mais il ne faut point nous borner à notre pays pour étu-
dier les Trinitaires. Les Archives de l'histoire de France
de MM. Langlois et Slein ne faisaient prévoir qu'une partie
des richesses que renferment les Archives du royaume, à
Bruxelles, maintenant plus accessibles depuis la publication
de nombreux répertoires de séries. Le plus important est celui
de la Caisse de Religion, qui hérita des biens des corpora-
tions supprimées. II ne faut point faire fi de ces documents
de la fin du dix-huitième siècle, qui parfois même se conti-
nuent pendant toute la période de la Révolution française.
Souvent il est question de pièces anciennes, dont la copie est
a Dy Google
BIBLIOGRAPHIE, XV
rapportée, à l'occasion de services religieux dûs par le cou-
vent supprimé, en vertu de sa charte de fondation. Les dos-
siers formés a ce sujet tant à Bruxelles qu'à Luxembourg sont
des plus instructifs.
Le fonds belge des Cartulaires a subi un important démem-
brement, au milieu de l'année 1900, par une décentralisation
an profit des provinces dont faisait partie le couvent. Ainsi,
le Gartulaire de Lois est passé de Bruxelles à Mons.
IL — Ouvrages imprimés composes par les Trinitaires.
La plus usuelle des sources de l'histoire trinitaire est la
Chronique des Ministres Généraux, publiée dans Gallia
Chrîstiana, au tome VIII (col. 1 734-1 756). Elle est l'œuvre
de trois auteurs successifs, Gaguin, Bourgeois et Massac.
Robert Gaguin, vingt-deuxième ministre général de l'ordre,
écrivit en 1492 son De mirabili hu/'us sacri ordinis institu-
tione, à la demande d'André de Sedano, minisire de Burgos
et provincial de Castille. Il y joignit une liste des ministres
généraux jusqu'à 1 4?3- On ne sait où en était conservé le
manuscrit. Jacques Bourgeois, provincial de Picardie, écrivit
une continuation dans le même esprit, s'étendant de ityZ à
1570. L'œuvre de Claude de Massac est d'un genre tout
différent.
Les deux premières parties, éditées pour la première fois
à Douai en i586, et ensuite dans le Gallia Ckristiana des
Frères Sainte-Marthe, se distinguent par une naïveté un peu
cherchée, qui va se rencontrer chez presque tous les histo-
riens trinitaires. Ainsi Gaguin raconte, sans le moindre
étonnement, que le quinzième supérieur de Tordre, Thierry
Valerand, mourut mystérieusement en Italie, et que trois
a Dy Google
XVI BIBLIOGRAPHIE.
ministres furent soupçonnés de s'être partagé son argent!
Comme son titre l'indique, celte Chronique est un Cata-
logue des ministres généraux, d'abord appelés grands-minis-
tres. Pour la plupart d'entre eux, nous n'en savons pas plus
que Gagum n'en a dît, et c'est peu. Il paraît d'ailleurs avoir
rédigé ses notices avec une grande rapidité. Ainsi, dans la
grande bulle du 18 juin 1209, au lieu de Porte Gallice (Porte
de France, à Marseille), il lit : Portugalliae et interprèle
« domus Portugalliae, id est Lusilaniae » . De même la maison
de Castro Novo n'est pas Newcastle en Grande-Bretagne,
mais Châteauneuf, près Martigues; Pons Reginae n'est pas
Puente la Reyna, en Navarre (cette ville n'était pas encore
fondée à celle époque), mais Le Bourget, près Paris.
Ce ne sont là que de petites taches, qui ne peuvent nous
faire oublier la reconnaissance due au plus ancien historien
des Trinitaires, qui fut aussi leur personnage le plus remar-
quable. Gaguin a raconté avec détails la grande crise que
traversa son ordre entre i£i5 et i4ai. Il a parlé de son
cursus honorum jusqu'à i^-ji en des termes qui ont parfois
passé inaperçus, même pour des historiens sérieux.
Jacques Bourgeois, continuateur de Gaguin, était né en r5a5.
A l'âge de vingt ans, il écrivit un grand poème sur la fonda-
tion de l'ordre. Étudiant en théologie à Paris en i55o, il
était présent aux travaux faits dans l'église des Mathurins,
au cours desquels fut exhumé le corps de Gaguin, mort en
iooi. Il demanda au général, Thibaut Musnier, la permis-
sion de prendre la léte de ce grand homme, et il l'emporta
avec lui pour la bibliothèque du couvent de Douai. Promu
par Charles-Quint ministre du petit couvent de Covorde. sur
la Lys, il brûla bien vite du désir d'en sortir, car ce séjour à
la campagne étail pour lui plein de dangers. En i568, pré-
ci oyGoogle
BIBLIOGRAPHIE.
sent à l'élection du grand-ministre, il s'opposa au vote par
scrutin secret prescrit par le concile de Trente. Bernard Do-
minici ayant été néanmoins élu, il se fit charger de la rédac-
tion d'uue Formule de rèformatton qui fut adoptée par les
chapitres généraux de 1573 et de 1576. Il y préconisa le vote
au scrutin secret, et il demanda en même temps la suppres-
sion du convent de Cororde, spirituel moyen de se faire don-
ner de l'avancement. Il le reçut enfin, en devenant ministre
de Douai et provincial de Picardie. Sa versatilité s'explique
par la situation de sa province, divisée entre la France et
l'Espagne. 11 traita à la fois en vers latins et en français, à
cinquante ans de distance, la vie de saint Jean de Matha. Un
passage de sa chronique nous fera juger de sa prétendue
candeur. A l'entendre, Nicolas Musnier aurait déplacé les Tri-
nitaires de la Maison-Dieu de Meaux à cause de leurs fré-
quentations trop suivies avec les religieuses. Les rédacteurs de
GalUa Ckristiana ont justement relevé que nos religieux
furent expulsés par arrêt du Parlement de Paris, plutôt pour
dilapidation et négligence que pour mœurs légères.
Enfin, Claude de Massac résuma la partie la plus ingrate
(1570-1716) de l'histoire des Trinitaires, caractérisée par des.
conflits avec les religieux du midi de la France et de l'étran-
ger, parfois soutenus par le pape. Venant à la fin de toutes
ces querelles et ayant, non sans peine, ramené la paix dans
son ordre, Massac nous donne de ces faits une version de
juste milieu. Il ne prend qu'avec restrictions le parti des Tri-
nitaires du Nord, qu'on appelait « les quatre Provinces » et
dont l'intransigeance était très grande. Mais il a donné libre
cours à ses rancunes en feignant d'ignorer le nom du fon-
dateur de la Congrégation Déchaussée, Jean-Baptiste de la
Conception, et en ne citant pas le cardinal de La Rochefou-
ûdv Google
XVIII BIBLIOGRAPHIE.
cauld , qui humilia en i638 le couvent des Malhurins de
Paris.
11 est regrettable qu'aucun Trinitaire ne se soit rencontré
pour continuer cette chronique dans le dix-huitième siècle, qui
se trouve ainsi dépourvu de sources narratives autant que le
dix-septième en déborde. Nous n'avons alors que les mentions
du Nécrologe des Mathurins.
Les autres ouvrages des Trinitaires de France ne sont, à
quelques exceptions près, que des Recueils d'indulgences à
l'usage des confrères de la Rédemption ; ces livrets utiles sont
tes seuls que la pauvreté de l'ordre lui permit de faire impri-
mer. Pour n'en citer que deux, les meilleurs sont L'institution
et la fondation de VOrdre par Barthélémy de Puille, publié
à Douai en i635, et La sainte Confrérie sous le Titre du
Rédempteur de Claude Ralle, dont la quatrième édition fut
donnée à Paris en i665.
Quant au plus notable historien des Trinitaires, le P. Pierre
Dan, îl ne nous intéresse ici que par la dernière partie de
l'Histoire de Barbarie, consacrée à son ordre, et par son
Trésor des merveilles de Fontainebleau, publié en 1660, et
011 sont mentionnés très souvent les religieux de la Trinité,
chapelains de ce château.
Il faut passer les Pyrénées et les Alpes pour trouver d'au-
tres ouvrages généraux.
C'est à Lisbonne que parut, en 1624, YEpitome geuera-
lium redemptionum captivorum du P. Bernardin de Saint-
Antoine. L'ouvrage tient même plus que ne promet son titre,
car le premier livre traite de l'institution de l'ordre des Trini-
taires et de sa règle, le second de la rédemption des captifs;
le troisième est un véritable bullaire, comprenant : i° tout
a Dy Google
BIBLIOGRAPHIE.
l'ordre; a° l'Espagne; 3" le Portugal jusqu'à 1620. Dans ce
classement, il a interverti quelques bulles, ce qui n'ôte cepen-
dant rien au très réel mérite de son ouvrage.
Désormais, nous entrons dans la légende. En 16H7 parut à
Ségovie la première partie de la Chronique générale de
l'Ordre de la Sainte-Trinité, en espagnol. L'auteur de cet
immense in-folio est le P. Pedro Lopez de Altuna. Il est le
porte-parole des Trinitaircs espagnols, hostiles à ceux de
France qui régissaient son ordre ; aussi a-t-il déparé son tra-
vail par des affirmations tendancieuses. Il a parlé longuement
d'un prétendu ordre militaire de la Trinité.
Il en est de même du Chronicon Ordinis S. Trinitatis de
Figueras Carpi, religieux de Valence, publié à Vérone en
i645. D'après YArbor chronologica, bibliographie des auteurs
trinitaires sous forme de dictionnaire, publiée à Rome en
1894, Figueras aurait exploré les archives trinitaires d'Es-
pagne, de France, d'Allemagne (?), d'Italie (?), de Grande-
Bretagne (?), et il aurait écrit, du 4 novembre i633 à septem-
bre i634, quatre volumes manuscrits, dont il tira la quintes-
sence. Il est plus probable qu'il ne consulta que son imagi-
nation et ses rancunes.
Ce livre prétend être un abrégé de l'histoire des Trinitaires
jusqu'à l'époque de l'auteur; il est ainsi divisé : Bibliographie
très étendue, — Histoire de l'ordre par généraux , à chacun
desquels est suspendue une grappe d'illustrations trinitaires,
— Traité du rachat des captifs, — Pièces justificatives : quel-
ques-unes étaient insérées dans le texte, dont elles ne se dis-
tinguaient pas suffisamment, — Eclaircissement sur l'ordre
de la Merci. L'ouvrage a 625 pages.
L'étendue seule de la période embrassée par Figueras eût
pu rendre sa chronique précieuse s'il avait eu de la critique
a Dy Google
XX BIBLIOGRAPHIE.
et de l'impartialité. C'est un Trinilaire Chaussé espagnol,
comme Lopez de Altuna, mécontent de voir son ordre gou-
verné par les provinces de France. Venu à Paris, il y a été
bien reçu; il n'en garde pas moins sa liberté d'appréciation;
il dédie son livre au ministre général Louis Petit, dont il juge
sévèrement la conduite (p. 278). Il a sur le cœur la condam-
nation contre ses ouvrages votée « d'avance » par le chapitre
général de i635. Quoique les Trinitaires Déchaussés soient
fondés depuis 1599, il paraît, lui aussi, ignorer complètement
leur existence.
Figueras s'est bien des fois contenté de copier la Chronique
des Ministres Généraux, de Gaguin, en y introduisant quel-
ques corrections tendancieuses, notamment l'histoire de
l'Ecossais Pierre de Aberdeen, qui aurait gouverné l'ordre
de 1347 à 1357. Il a déjà cette exagération que les Trinitaires
de nos jours avouent être la caractéristique de leurs devan-
ciers. Qu'est-ce que. ces cent quarante couvents trinitaires de
Palestine pour lesquels il ne peut citer qu'une bulle, adressée
aux Trinitaires hospitaliers, et que le Bullaire de 1692 n'a
même pas osé recueillir? Qu'est-ce que cette bulle de Gré-
goire XI ordonnant de tenir le chapitre une fois en deçà, une
fois au delà des Alpes, qui arrive si à propos pour condamner
les prétentions des Trinitaires de France? Ces faux sont un
acte de polémique indigne d'un historien sérieux.
Il faut cependant savoir gré à Figueras de n'avoir rien dit
de la naissance royale de saint Félix de Valois, le second fon-
dateur légendaire des Trinitaires, ni de Constance et de San-
che d'Aragon, qui seraient entrés au treizième siècle dans
l'ordre de la Trinité.
Entre 1666 et 1679 se sont déroulées les étapes de la canoni-
sation de saint Jean de Malha et de saint Félix de Valois.
a Dy Google
BIBLIOGRAPHIE.
L'ardeur des Trinitaires ne connaît plus d'obstacle. A la fin
du dix-septième siècle se produit le seul mouvement historique
sérieux de l'ordre de la Sainte-Trinité ; il se résume dans le
nom d'un Trînitaire provençal, Ignace de Saint-Antoine, dont
un Franciscain, Bonaventure Baron, a injustement confisqué
la gloire.
Le P. Calixte a écrit, dans la préface de sa Vie de saint
Félix de Valois : « Le P. Bonaventure Baron n'est que l'édi-
teur des Annales mises sous son nom ; le véritable auteur est
le P. Ignace de Saint-Antoine. » Il y a, en effet, entre l'im-
primé de Baron et les manuscrits du P. Ignace, conservés à
Marseille, des similitudes complètes1.
Bonaventure Baron, né à Cloyne en i6i5, était Irlandais
et neveu du célèbre chroniqueur Luc Wadding, qui parle de
lui à la page 84 de ses Scriptores ordînts Minorum. Il était
lecteur au collège franciscain de Saint-Isidore à Rome. Son
portrait figure en tête des Annales du premier siècle de l'ordre,
de la Trinité, publiées en latin à Borne (i684); il y a mis
partout sa griffe, il ne manque pas de dire : Noster sera-
phicus ordo S. Franctsci, il cite lui-même son propre nom,
par un véritable jeu de mots (à la p. 186); les censeurs de
l'ouvrage proclament que l'auteur des Annales est a Reue-
rendas admodam Pater Bonaventura Baro, ex illuttri fami-
lia infide Catholîea Constantin.
Le P- Ignace de Saint-Antoine était né en 1 635 à Se yne (Bas-
ses-Alpes). Ministre des Trinitaires Déchaussés de Saint-Denis
de Rome et procureur de cette Congrégation, il fit des recher-
i. Cf. Carlulairc d'Avingaoia, Baron, p. i5î; manuscrit de Marseille
n"> 1317, p- 376. — Trinitaires de Val/irdolid, Baron, p. an ; manuscrit
n° 1217, p. 43-44- — Trînitaire* d'Oxford, Baron, p. 287; manuscrit
n» iai5, f» 6 vo.
a Dy Google
XXII BIBLIOGRAPHIE.
ches très approfondies, notamment chez les Franciscains de
Saint-Isidore à Rome; certains livres, dont il copia des extraits,
se trouvaient dans leur bibliothèque ; il y rencontra Bonavcu-
ture Baron. Le vieux Franciscain, dont l'ordre avait plus de
ressources que celui des Trinitaires, tira parti des matériaux
réunis surtout par le jeune Trinitaire, et y mil son nom seul,
ce qui brouilla les deux collaborateurs. Baron ne nomme
nulle part le P. Ignace; ce dernier, parlant de l'ouvrage signé
par Baron, l'appelle : le tome I" des Annales de l'ordre.
Ces Annales sont dédiées à Louis XIV, peut-être converti à
l'opinion de la naissance royale de saint Félix de Valois. Pour
chaque année, l'auteur note les fondations de couvents, bulles
de pape, synchronismes, trop développés; certaines années ne
contiennent rien sur les Trinitaires, mais seulement des
« incidences ». Les notices sur l'histoire de chaque couvent,
à propos de sa fondation, prolongent les Annales bien au
delà du premier siècle de l'ordre et en détruisent l'économie.
Baron répète deux fois le même document, coupe arbitrai-
rement une pièce en deux, ignore la géographie de la France,
au point de croire que Compendium est le nom latin de Ver-
berîe (p. 225), se contredit fréquemment pour les dates de
fondation et fait mourir un de ses personnages en ia65 et en
1272. Il faudrait cependant choisir. Son style est hérissé de
mots grecs. Malgré ces graves défauts, nul n'est plus Trini-
taire que ce Franciscain; déjà un de ses confrères, Macedo,
avait écrit la Vie de saint Jean de Matha. Baron parait avoir
épousé toutes les rancunes de son collaborateur contre les
Trinitaires du Nord, mais aussi avoir gâché, par une publica-
tion prématurée et sans critique, la belle besogne qu'avait pré-
parée le P. Ignace de Saint-Antoine.
Celui-ci travailla jusqu'à la fin de sa longue vie. Ses nom-
ci oyGoogle
BIBLIOGRAPHIE- XXIII
breux correspondants le considèrent comme l'unique auteur
des Annales; certains regrettent que le prix trop élevé de
celle publication ne leur permette pas d'en faire la dépense
(lettre du i5 juin 1703). Au contraire, les ministres de Bas-
togne et de Vîanden demandent ce volume par l'intermédiaire
de leur confrère de Châlons.
Le reste ne fut pas publié, malgré tous les encouragements
platoniques que reçut le P. Ignace. A la fin du mois de novem-
bre 1700, il fit voir au procureur des Déchaussés d'Espagne,
lu P. Michel de Saint-Joseph, la « continuation des Annales » ;
celui-cil promit d'en écrire à Home, à son Père Général, pour
contribuer à leur impression1. Sans doute cette démarche
n'eut pas de succès, car, deux ans après, le fidèle P. André
Marin, ministre de Châlons, souhaite que le P. Ignace fasse
imprimer les autres tomes, « mais comme la dépense en est
fort grande, dit-il, vous ne sauriez y subvenir si vous n'êtes
assisté de l'ordre, ce qu'on devrait faire, puisque c'est un
ouvrage qui fera honneur à tout VOrdre. » (3 octo-
bre 1707).
Cette Continuatio Annalium, que le P. Lelong dit exister
en quatre volumes au couvent d'Aix, ne saurait être les ma-
nuscrits 1212, i2i3, 1216, 1217; l'ouvrage ne dut jamais être
rédigé. Nous savons seulement que le P. Ignace devait suivre
la méthode annalistique, et qu'il pensait, par exemple, mettre
l'histoire du couvent de Montmorency à 1601, date de sa
fondation. — Nous n'avons donc que les précieuses notes du
P. Ignace de Saint-Antoine, conservées, comme il a été- dit, à
la Bibliothèque de Marseille, qui est ainsi le vrai centre de
l'hisloriographie trinitaire. — Il n'en a lire que le Necrolo-
1. Bibliothèque de Marseille, manuscrit 1217, p. 569.
a Dy Google
BIBLIOGRAPHIE.
ffium Ulustrium Religiosorum ordinîs SS. Trtnt'tatis, publié
à Aix en 1707, où les religieux sont rangés d'après le jour de
leur mort. Ces biographies sont brèves, mais précises et im-
partiales, et permettent de contrôler les renseignements don-
nés par Massac sur le dix-septième siècle.
L'œuvre inédite du P. Ignace se compose d'Extraits de
divers historiens et de sa propre Correspondance. Il a
d'abord copié ou fait copier dans plus de cent vingt auteurs
ce qu'ils ont dit des Trinitaires. Beaucoup de ces auteurs sont
usuels, comme Du Boulay et le P. Dan; d'autres sont insi-
gnifiants. Somme toute, il est utile de voir réunies en quel-
ques pages des mentions éparses dans un grand nombre de
volumes aux exemplaires rares ou aux tables insuffisantes.
Beaucoup d'extraits sont en espagnol (manuscrit iai3), et
d'autres en italien (manuscrit iai4). Peu de couvents de
France, d'Espagne et d'Italie ont échappé à la vigilance du
P. Ignace; sur les villes mêmes où existaient ces couvents, il
a consulté les monographies les plus connues; il a même
relevé des détails curieux, souvent à côté du sujet, comme, à
propos de Messine, la prétendue lettre de la Vierge aux habi-
tants de cette ville.
Dans sa louable impartialité, le P. Ignace a fait des em-
prunts aux écrivains de l'ordre rival de la Merci, ce qui devient
une critique voilée de la négligence historique des Trinitaires.
Donc, quand il y eut des conflits entre ces deux ordres, le
savant érudit a exposé les arguments des deux parties.
Le plus beau titre de gloire du P. Ignace, c'est l'enquête
personnelle sur tous les couvents de son ordre. D'Aïx et de
Marseille, i! se fit renseigner par les ministres de France et de
l'étranger, auxquels il demanda notamment leurs titres de fon-
dation. Quel que fût leur embarras, tous envoyèrent quelque
a Dy Google
BIBLIOGRAPHIE. XXV
chose, sauf les Mathurins de Paris, peu commumcatifs comme
à leur ordinaire; d'ailleurs le P. Léonard de Sainte-Cathe-
rine de Sienne, Augustin Déchaussé, écrivait alors au jour le
jour l'histoire de ce couvent. Les réponses des correspon-
dants du P. Ignace de Saint-Antoine, échelonnées entre 1672
et 171 1, remplissent le manuscrit 1216 de la Bibliothèque de
Marseille, qui a 800 pages.
Le marquis de Galard-Terraube, envoyant l'acte de fonda-
tion du couvent trinîtaire par un de ses ancêtres, y joint
l'érection de sa terre en marquisat. — Le P. Gabriel Lefèvre1,
procureur général des esclaves dans la congrégation réformée,
envoie, en six pages, la liste des hommes illustres de l'ordre,
en s'accordant une page et demie pour lui-même. Enfin, par-
dessus tous, le P. André Marin envoya infatigablement tout
ce qui concernait les couvents de Champagne. Quelques cor-
respondants demandent en échange des reliques, des livres,
voire même des graines de pastèque, le moyen de bien dormir
ou d'avoir de beaux œillets. C'était flatter par son côté sen-
sible l'auteur du « Remède contre toute sorte de peste3 ».
Ces lettres permettent de rectifier le P. Ignace lui-même;
ainsi il donne quelque part la liste traditionnelle de dix cardi-
naux Trinitaires; un de ses correspondants lui ayant écrit
qu'il n'y en a qu'un, il l'admet. — II arrive à révoquer en
doute les œuvres attribuées à saint Jean de Matha, parce
qu'elles ne sont mentionnées par aucun auteur plus ancien que
l'Espagnol Altuna, fort sujet à caution, comme il a été dit.
Ne faudrait-il pas chercher dans cette évolution de l'esprit
1. Il avait été choisi par le chapitre des réformés de Cerfroid pour
recueillir tout ce qu'il trouverait sur l'histoire de l'ordre (Manuscrit 1216,
p. 208). On ne sait s'il s'acquitta de ce travail.
2. Bilil. de Marseille, manuscrit z65 (au déhut).
a Dy Google
XXVI BIBLIOGRAPHIE.
du P. Ignace la cause décisive de l'interruption de la publi-
cation des Annales après le premier siècle de l'ordre? L'érudit
Trinitaîre, d'abord persuadé de ia véracité de ses opinions, les
laissa exprimer par son collaborateur, puis, voyant qu'il s'était
trompé, il aima mieux se taire que brûler publiquement ce
qu'il avait adoré.
II. nous apparaît comme un érudit consciencieux, impartial,
curieux de science (il nous décrit, le 12 mai 1706, une éclipse
de soleil) et par-dessus tout épistolier infatigable, véritable
providence de tous ceux que l'histoire des Trinïtaires pour-
rait tenter.
Pendant que le P. Ignace travaillait en Provence, un autre
Déchaussé, Joseph a Je.su Maria, publiait à Madrid, en 1692,
un Bullaire de plus de 600 pages. Les textes sont soigneu-
sement collationnés et accompagnés de précieux éclaircis-
sements d'histoire ou de droit canonique. Par malheur, à
partir de la fondation des Déchaussés, le Bullaire devient spé-
cial à celte congrégation.
Passons sur l'extravagante Noticia de las très Jtorentlssi-
mas provinctas... Inglaterra, Escocia y Hibernia, publiée
en 1714» à Madrid, par Domingo Lopez. Figueras est encore
dépassé 1 Malgré ces impardonnables fantaisies, l'auteur est
digne de foi pour la seule période où il a vécu.
Le dix-huitième siècle finît par une œuvre trinitaire tout a
fait digne d'intérêt : Resamen de los prwileffios de la orden...
par le P. Silvestre Calvo, publiée à Pampelune en 1791. Si
l'auteur nous expose toutes les idées traditionnelles de l'ordre,
il laisse voir qu'il ne les partage pas aveuglément. Surtout, il
nous a donné l'analyse de la plupart des bulles adressées
à l'ordre eu général au cours des dix-septième et dix-hui-
tième siècles.
a Dy Google
BIBLIOGRAPHIE. XXVII
Il n'a été écril aucune histoire générale de l'ordre par d'au-
tres que les Trinitaires. Les chapitres du P. Hélyot (t. III,
pp. 3io-34o) sont bons, quoique l'auteur semble adopter la
prétention de nos religieux à se considérer comme soumis à
la règle de saint Augustin. L'abbé Migne, dans son Diction-
naire (t. III, col. 706-736), a ajouté au travail du P. Hélyot
quelques réflexions très vives sur la suppression de l'ordre.
De tous les historiens locaux, qui seront cités, s'il y a
lieu, à l'occasion de chaque couvent, il ne faut retenir ici que
Ibm Toussaint» Duplessis. L'historien de l'Eglise de Meaax
a été trompé parfois, « mais l'amour de la vérité l'emporta
toujours dans son cœur sur toute autre considération' u.
L'Hôtel-Dieu de Meaux et Cerfroid, chef-d'ordre des Trini-
taires, fournirent au savant Bénédictin de nombreuses occa-
sions de parler de nos religieux ; ses pièces justificatives ont
maintenant, pour nous, la valeur d'originaux.
1. Lettre un chanoine Thomé, Bibl. Nat., LK* 336.
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PREMIERE PARTIE
Discipline intérieure.
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a o, Google
CHAPITRE PREMIER.
Les sources de la vie de saint Jean de Matha.
Le peu que l'on sait avec certitude de la vie du fondateur
de l'ordre des Trinitaires tiendrait en quelques lignes. II est
donc possible de rappeler ce que Y Histoire de Languedoc
dit de son contemporain et émule saint Pierre Nolasque,
fondateur de l'ordre de la Merci : « On n'a aucune vie ori-
ginale de ce saint, et tout ce qu'on en rapporte n'est fondé
que sur le témoignage de divers historiens de cet ordre, les-
quels ont écrit dans des temps fort postérieurs. » De même,
notre saint Jean de Matha est mort en iai3, et le premier
historien qui ait raconté sa vie avec quelques détails, Gaguin,
a vécu prés de trois siècles plus tard. C'est en 1/(97 que fut
imprimée, dans le Compendium de Gestis Francorum, la
première mention détaillée de la fondation de l'ordre des
Trinitaires par Jean de Matha et par Félix, anachorètes du
pays de Valois. Ce qu'a écrit Gaguin devint le type sur lequel
brodèrent tous les historiens postérieurs. De quelques pages
à l'origine, la biographie s'enfla peu à peu, jusqu'à devenir un
fort volume, et il serait opportun de la ramener à une conte-
nance plus modeste.
Jacques Bourgeois, pour ne parler encore que des textes
imprimés, publia à Douai un abrégé français de la Vie de
a Dy Google
2 L ORDRE FRANÇAIS DES TRIBUTAIRES.
saint Jean de Malha, qui est remarquable par son étrange
naïveté et surtout par la dissemblance de cette histoire offi-
cielle avec le conte original qu'il écrivit pour lui-même et dont
il sera question plus tard. C'est Gaguin et Bourgeois qu'ont
suivis les Trinitaires du nord de la France, jusque dans l'édi-
tion de leurs Statuts publiés en 1719, et ceux qui ont écrit
à Paris, car chaque région de l'ordre, pour ainsi dire, eut
son histoire spéciale de saint Jean de Matha. Ainsi, le P. Cai-
gnet, prêtre de Fourvière, auteur de la Sainte confrérie sous
te titre dit Rédempteur, donne la prééminence au fondateur
provençal de l'ordre, comme il est d'ailleurs de toute justice
de la lui accorder. « Ce n'est pas étonnant, dit l'annaliste de
Meaux, Janvier, puisque Caignet est un auteur méridional I »
Ce dernier attribue le plus d'importance à Félix de Valois,
qui aurait eu le premier l'idée de la fondation de l'ordre
rédempteur. Malingre, dans ses Antiquités de Paris, a émis
aussi cette opinion. Quelque idée que l'on ait du rôle de saint
Félix de Valois, il n'en reste pas moins que le fait le plus
probable de son histoire est son séjour à Cerfroid, berceau
et centre de l'ordre. Ce seul souvenir fui cause de la très
grande influence qu'il exerça même après sa mort sur les
destinées trinitaires.
Au contraire, les auteurs de la version espagnole, dont il
y a lieu de s'occuper maintenant, ont donné la prééminence à
saint Jean de Matha, non sans des détails fantaisistes qui, à
juste raison, choquèrent les Trinitaires du Nord. Quoi qu'on
puisse penser de la négligence et de l'abstention de ceux-ci,
il faut au moins leur reconnaître le mérite de la franchise ;
ils ont avoué leur ignorance sur la vie de leur illustre fonda-
teur. II est utile d'appuyer sur la condamnation que les Fran-
çais ont prononcée de tout temps contre la version espagnole
aoy Google
LES SOURCES DE LA VIE DE SAINT JEAN DE MATHA. i
de l'histoire de saint Jean de Matha, a la place de laquelle
pourtant ils n'avaient rien à mettre. Après avoir détruit cette
version, qui est partout en vigueur aujourd'hui, j'essaierai,
avec le peu de documents inédits et les seuls textes certains
qui existent, de restituer une vie vraiment française du grand
Saint rédempteur.
La version espagnole tient en quatre noms : Gil Gonzalez
de Àvila, Espagnol, l'auteur responsable de tout le mal, tra-
duit en français par le P. Aioès, Trinitaire du midi de la
France, en i634; — François Macedo, Franciscain (1660); —
Bonaventure Baron, Franciscain (i6S4), imité par Andrada
{1691), Jésuite, et par Ignace Dilloud (1695), Trinilaïre Ré-
formé , c'est-à-dire d'une congrégation hostile aux Trini-
taires du nord de la France; — enfin le P. Calixle, qui a tout
résumé en 1875, non sans ajouter de son chef quelques
erreurs '. C'était un Trinitaire Déchaussé, par suite ennemi de
l'historiographie trinitaire française. On remarquera que les
deux derniers noms seuls de celle liste sont français d'ori-
gine. Je n'ai point compris dans cette énumération, à dessein,
la Vie de saint Jean de Matha, par l'abbé Prat, publiée en
i846, où il y a beaucoup plus de critique que dans les autres,
et une fort utile collection de pièces justificatives; la mé-
thode de t'abbé Prat est la seule à suivre.
D'ailleurs, pour simplifier, je n'ai parlé ici que de la Vie
de saint Jean de Matha ; mais les auteurs cités tout à l'heure
ont écrit aussi la Vie de saint Félix, compagnon de saint Jean,
sur lequel on est encore bien moins renseigné. Par suite,
les remarques relatives à la vie de saint Jean de Matha s'ap-
1. Dans son excellente traduction italienne du livre du P. Calixte, le
P. Xavier de l'Im maculée-Conception a corrigé bien des bévues de l'au-
teur original {Rome, i8g/().
a Dy Google
4 l'ordre FRANÇAIS DES TRIBUTAIRES.
pliquenl, avec bien plus de rigueur encore, à celle de saint
Félix.
Donc, en i63&, il arriva d'Espagne des nouvelles extraor-
dinaires, des cosas de Espafia pourrait-on dire, si le sujet
n'était pas très sérieux. Les Français étaient vraiment des
niais de n'avoir rien su dire sur le fondateur des Trinitaires;
ils allaient bien voir que du Midi venait la lumière. Saint Jean
de Matha n'était connu que par ses voyages de rédemption
et sa mort à Rome. Voici ses autres titres à la gloire : il avait
été ami d'Innocent III à la Faculté de théologie de Paris,
légat du pape, apôtre de Dalmatie où un concile se célébra en
119g. Si cela l'empêche d'aller au Maroc en 1199, eh bienl il
ira l'année suivante. Qu'importe? On ne sait rien de ce qu'il
fit dans les dix dernières années de sa vie; la tradition la
plus croyable le fait rester à Rome, dans son hôpital du mont
Célius. Pourquoi ne serait-il pas venu en Espagne (n'ou-
blions pas que c'est un Espagnol qui écrit)? nous avons
alors cette foule de donations espagnoles, dont sont émaillés
Lopez de Altuna, Figue-ras Carpi et Bonaventure Baron, C'est
ainsi que fut remplie, tant bien que mal et plutôt mal que
bien, la vie du fondateur. Les auteurs espagnols n'eurent
garde de s'arrêter en si beau chemin et donnèrent toute une
suite à l'histoire trinitaire espagnole, plus pour déplaire aux
Pères de la Merci, qui n'avaient été fondés qu'en 1228, et
pour vexer les Trinitaires de France que pour honorer vrai-
ment saint Jean de Matha.
Mais ne parlons que de la Vie traduite en français par le
P. François Aloès en i634- J'ai dît que cette date était capi-
tale dans l'historiographie trinitaire; en effet, dans le Nord, les
Trinitaires Réformés, hostiles aux quatre provinces ancien-
nes, entrèrent cette année même à Cerfroid. Depuis lors, on
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SAINT JEAN DE MATIIA, LE CERF ET |LA TRINITÉ.
(BlbUotliiq» nationale, BuUmpei : PortnlU Ûtê Suinta, séria Bd 13, fol. 13.)
a Dy Google
a o» Google
LES SOURCES DE LA VIE DE SAINT JEAN DE MATHA. .')
fit, dans les archives du couvent chef d'ordre, des décou-
vertes merveilleuses sur la naissance royale de saint Félix de
Valois, ce fait capital auquel Gaguin et Bourgeois auraient
cru, et cependant, tant ils étaient modestes pour leur ordre,
sans en parler, mais que Gil Gonzalez d'Avila, ordinairement
historiographe diligent et digne de foi, avait inventé contre
toute vraisemblance. Comme cette confirmation française du
texte espagnol arrivait à propos!
Que firent donc les Trinitaires de France? Ils n'essayèrent
pas d'établir la vraie histoire de saint Jean de Matha; ils
n'en croyaient pas pouvoir prouver plus que n'en avaient dit
Gaguîn et Bourgeois. Ils se bornèrent à repousser vivement
les faussetés espagnoles. Ils y étaient bien forcés, car, lors
des conflits qui se produisirent entre eux et les Pères de la
Merci, ces derniers ne manquèrent pas de les chicaner sur
certains totaux de captifs rachetés, quoique ces listes fussent
peu de chose en comparaison de celles qu'on imagine aujour-
d'hui. Aussi Louis Petit, général des Trinitaires, se crut-il
obligé de déclarer que ces renseignements venaient de l'Espa-
gnol Gil Gonzalez d'Avila et que sa nation était bien portée
à exagérer.
Le P. Aloès et Figueras reçurent un démenti plus officiel.
Le promoteur de l'ordre, vrai ministère public, au nom du
chapitre général de i635, requit Hin blâme sévère contre la
Vie traduite par le P. Aloès, la déclarant pleine de faussetés
el de mensonges. Se rangeant à cet avis, le chapitre générai
(où siégeaient cependant des Trinitaires Réformés) décida de
supprimer ce livre et fit défense à tous les religieux de la pro-
vince de Gaslille, notamment à Jean Figueras Carpi, de faire
imprimer de livre sans la permission du général. Cette défense
resta malheureusement lettre morte et, en face du silence des
a Dy Google
6 l'ordre français des tributaires.
Trinîlaires français, ceux de l'Espagne accumulèrent leurs
erreurs.
Au dix-huitième siècle d'ailleurs, Dom Toussaint du Pies-
sis, quoique ayant consulté les archives sophistiquées de Cer-
froid, ne croit pas à la naissance royale de saint Félix de Va-
lois, ni à la mission de saint Jean de Matha en Dalmatie. Ces
opinions furent toujours repoussées par la partie saine des
Trinitaires de France; il est facile de s'en assurer en ouvrant
l'édition des statuts, donnée en 1719, où il n'est fait mention
de Félix que comme d'un anachorète et de Jean que comme
administrateur de l'hôpital romain de Saint-Thomas au mont
Célius. C'est donc là le dernier état de la tradition française.
Il y a cependant, sur les fondateurs de l'ordre trinitaire,
quelques textes inédits restés inconnus aux Bollandîstes. Très
sagement, les rédacteurs des Acta Sanctorum ont remis à
l'époque où leur collection sera parvenue au 20 novembre,
date de la fête de saint Félix de Valois, ia solution des diffi-
cultés qui se rattachent aux deux saints. Ces textes sont au
nombre de trois :
i° Un court récit en prose;
2* Un récit d'environ cent vingt vers, tous deux anonymes
et conservés dans le manuscrit latin 9753 de la Bibliothèque
Nationale ;
3° Un poème latin développé, d'environ cinq cents vers,
inséré dans le manuscrit 7725 de la Bibliothèque de Bruxel-
les, et dont l'auteur est Jacques Bourgeois (i545).
Les deux premiers récits sont de la première moitié du
quinzième siècle et de ia main de copistes. Le récit en vers
porte un nom, mais le contexte nous donne à penser que
nous sommes en présence d'un pensum qui a pour auteur un
a Dy Google
i DE LA VIE DE SAINT JEAN DE HATHA. 7
religieux du couvent des Trinitaires de Châlons. Voici ¥e&-
plicit :
Ainsi dit fut prins à Chalon
Par frère Pierres Muguet
Frire de ceste maison
L'an XL1III mil CCCC
Par luy fut escrîpt et mis seans
Dieu lu v pardoïnt son mal fait (aie)
Qui de chacun congrioist te fait.
Comme c'est suivi d'un Pater, peccaui, etc., je crois qu'il
n'y faut attacher que l'importance qu'on donne à un devoir
d'écolier. 11 est bon de remarquer cependant que ce petit
poème latin est d'accord avec la tradition recueillie par Ga-
guin, une cinquantaine d'années plus tard, puisque ce chroni-
queur parait bien avoir écrit son récit en 1493.
Le petit texte en prose qui n'est pas signé a, au contraire,
une très grande importance, parce qu'il a directement inspiré
le poème développé de Jacques Bourgeois, avec lequel il se
rencontre sur un point important, la résistance du pape aux
premières instances des saints anachorètes. Le récit en prose
contient de curieux détails sur les études de saint Jean de
Matha, et il parait devoir être notre source préférée pour
l'histoire de celle vie. Malheureusement très bref, mais infini-
ment raisonnable, ce qui est un mérite bien rare pour une
Vie de Saint, il n'a point les gentillesses qu'y ajouta Jac-
ques Bourgeois, cet enfant terrible, naïf à vingt ans, naïf à
soixante-quinze.
On dira que suivre le récit inédit c'est contredire Gaguin
et que Jacques Bourgeois a lui-même, dans son imprimé
de 1597, désavoué les fantaisies de sa jeunesse. Il serait facile
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S T. ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
de relever toutes les erreurs de Gaguin , principalement pour
l'histoire du treizième siècle. Ii ne serait pas difficile, pour
Jacques Bourgeois, de signaler des contradictions entre le
langage de l'homme privé et celui du réformateur de son
ordre. Il a écrit pour lui tout un poème tellement bien caché
que je ne l'ai encore vu signalé nulle part : il ne pouvait
tout dire dans un livre destiné au public. Croyons-en donc
plutôt le manuscrit.
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La vie de saint Jean de Matha.
Nous ne connaissons avec précision ni la date de naissance
du saint ni le nom de ses parents. La date généralement
adoptée est it6o, le il\ juin, à cause de ta fête de saint Jean-
Baptiste; on trouve aussi la date de ri 54. Jacques Bourgeois
dit que Jean était vieux quand il arriva à Rome en i ig8.
Le pape l'appelle frater Joannes tout court. Les transac-
tions où il paraît avec certitude, son épitaplie à Rome portent
aussi frater Joannes. Des actes espagnols, cités par Baron,
portent Joannes de Matha ou de Mataplana, nom d'une
famille très connue en Catalogne. La première appellation a
donné en français Jean de Matha, qui est usuel. Les biogra-
phes français les plus anciens l'appellent Jean de la Malte. Ce
mot de « matte » fournit une élymologie, car il veut dire en
provençal « aspre montaigne et buisson, vrai présage de la
solitude qu'il devait suivre i» (Bourgeois). Le nom de Matha est
véritablement provençal, car il est porté par un chanoine
d'Embrun, Guillaume de Matha, qui parait dans un acte de
1327, signalé par l'Inventaire des archives des Hautes-Alpes
de M. l'abbé Guillaume.
Jean de Matha était certainement Provençal, le récit en
prose l'appelle Joannes Provincialis. Bourgeois peut dire qu'à
a Dy Google
10 L ORDRE FRANÇAIS DES TRIMTAJRES.
Paris Jean de Matha est un « étranger», car la Provence
appartenait alors à la maison d'Aragon. Si Albéric des Trois-
Fontaines appelle notre saint magister Joannes de Francia,
c'est à cause des études de théologie qu'il vint faire à Paris.
Il naquit, dit-on, à Faucon. Sur ce nom, tout le monde est
d'accord; seul Jacques Bourgeois le Tait naître par erreur à
Arles, sans doute parce qu'il y fonda un de ses premiers
couvents. En réalité, Faucon a pour lui plutôt l'absence d'une
tradition contraire que des preuves formelles. Mais où est
Faucon ?
Citons pour mémoire l'opinion du P. Sainz de Baranda
qui, à la page 453 de sa Clave de YEspana sagrada, a résumé
inexactement les idées de Florez sur ce point, en faisant naître
Jean de Matha à Faucon en Cerdagne; il ne présente d'ail-
leurs ce fait que comme une hypothèse.
En réalité, Faucon est en Provence. Mais est-ce le village
situé près de La Motte du Caire (Hautes-Alpes) ou le petit
bourg de la vallée de l'Ubaye (Basses-Alpes), non loin de la
petite ville de Barcelon nette, fondée en i23i ? Tout en hési-
tant entre les deux, Bouche, dans son Histoire de Provence
(t. II, p. 189), se déclare finalement pour le second, dont la
cause lui parait gagnée, surtout depuis l'établissement des
Trinitaires Déchaussés à Faucon de Barcelonnetle « pour que
la règle de saint Jean de Matha fut observée au lieu même où
son auteur avait pris naissance ». Ce sont les expressions
mêmes du duc de Savoie dans ses lettres patentes du 3 oc-
tobre 1661, favorables à la requête des religieux. La vallée
de l'Ubaye avait été envahie, en i388, par le duc de Savoie
Amédée VIII; après bien des vicissitudes, elle ne devait être
rendue à lu France qu'en 1713, nous donnant ainsi nos
limites naturelles de ce ci>té. Cela ne nous empêche pas de
aoy Google
'. DE SAINT JEAN DE MATH A.
revendiquer saint Jean de Matha comme un saint français,
puisqu'il plaça dans notre pays le chef-lieu de son ordre.
D'après la tradition, qu'il n'y a pas plus de raison de re-
jeter que d'adopter, les parents de Jean étaient Euphême (ou
Eugène), baron de Matha, et Marthe (ou Marte) de Fenouil! et,
celle-ci d'une famille marseillaise. Le jeune homme vint sans
doute bien souvent dans cette ville maritime; il put y appren-
dre les maux que les pirates sarrasins faisaient éprouver aux
chrétiens, il put y voir les esclaves musulmans que les chré-
tiens capturaient par réciprocité. Il entendit parler notam-
ment du grand sac de Toulon en 1162, qui devait être suivi
de celui de 1198. Dès son adolescence sans doute, Jean voua
sa vie à cette lâche extraordinaire du rachat ou, mieux
encore, de l'échange entre les captifs des deux rives méditer-
ranéennes, œuvre qui devait profiter à une ville aussi com-
merçante que Marseille.
Mais, pour accomplir une si grande tâche, il fallait deux
choses : appartenir à l'Église et acquérir la science qui com-
munique la foi. Paris devait donner l'un et l'autre au noble
jeune homme. L'Université de Paris commençait à devenir le
centre intellectuel de l'Europe, et la France était le pays des
croisades. Jean de Matha vint donc étudier la théologie à
Paris. Sur les études qu'il aurait faites à Aix, de même que
sur son séjour à la Sainte-Baume, on ne sait rien de po-
sitif.
On devine l'ardeur que le jeune homme apporta à ses étu-
des, au point, dit le récit en prose, de provoquer la risée de
ses camarades moins studieux, détail très vraisemblable. Le
nom de son maître est inconnu, de même que celui de ses
compagnons d'étude, au nombre desquels aurait été le futur
Innocent III. Reçu docteur en théologie, il professa quelque
a Dy Google
I 2 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
temps (sans doute il lut le Livre des sentences de Pierre Lom-
bard). Voilà pourquoi Albéric des Trois-Fontaines, parlant
de Joannes de Francia, l'appelle magister.
Lorsque Jean fut ordonné prêtre, une colonne de feu aurait
paru sur sa Lète. Sa première messe aurait été marquée par
un prodige non moins étonnant, appelé la première révéla-
tion de l'ordre : la vision d'un ange vêtu de blanc, portant sur
la poitrine une croix rouge et bleue, les mains croisées sur
deux captifs, l'un noir, l'autre blanc, comme pour les échan-
ger, « touchant symbole de la charité chrétienne, qui répartit
ses faveurs entre tous ceux qui souffrent, sans distinction de
race ni de religion '. »
Jean raconta sa vision, ou plutôt son pieux projet, à Mau-
rice de Sully et à l'abbé de Sainl-Victor, Robert, dont la
haute estime pour lui est attestée par la bulle de fondation
de l'ordre : ceux-ci l'engagèrent à partir pour Rome et à s'en
remettre à la décision du pape.
Par humilité et sans doute aussi par désir de mûrir davan-
tage un si grand dessein, il alla dans une solitude illustrée
cinq siècles auparavant par saint Fiacre, prince d'Ecosse;
puis il apprit que non loin de là, toujours dans le diocèse de
Meaux, vivait un pieux ermite, auquel la tradition donne le
nom de Félix. H faut bien que Jean soit venu exprès dans ce
pays, car la région de La Ferté-Milon n'était pas le chemin
direct pour aller de Paris à Rome. Ce Félix était vieux et
même aveugle, au dire de Jacques Bourgeois. Les deux ana-
chorètes vécurent tous deux dans la plus austère pénitence et
réunirent quelques compagnons dans le lieu de leur ermitage
appelé Cer/redum, en français Cerfroy s ; ce nom fut retraduit
i. Bonst-Mavkv, Rtvne des Deux-Mondes du i5 août i8cj6.
a. Commune de Monligny-l'Allier, cantou de Neuilly-Saint-Front (Aisne).
a Dy Google
(Blbllothtqua nmtlonnle. BiUmpei : PortnlU fles Suint
(igUizeciDv G00gle
a o» Google
LA VIE DE SAINT JEAN DE HATHA. l3
en latin Cerous Frigidat, sous l'influence d'une pieuse lé-
gende, ce qui a donné l'orthographe française moderne Cer-
froid .
On a écrit bien des subtilités sur ce nom de Cerfroid sans
parvenir à lui trouver une étymologie sortable. La Martinière,
dans son Dictionnaire géographique, dit qu'un cerf y serait
mort de froid ! Le P. Calixte y voit un hypallage (Cervus
frigidus = Ceruus refrigeratas), car, si le, cerf venait se bai-
gner, c'est qu'il n'avait pas froid ! Dans le poème de Jacques
Bourgeois, le cerf fait jaillir une source sous ses pieds ; dans
le livre de Macedo (1660), le cerf apporte sa nourriture à
saint Félix (c'est sans doute une confusion avec le corbeau
qui nourrissait saint Meinrad : ceruus a été mis pour corvus).
Un jour, les deux solitaires auraient vu leur cerf blanc
familier portant, sur sa tête, la même croix rouge et bleue que
Jean de Matha aurait vue sur la poitrine de l'Ange. Cette
apparition (qui est la seconde révélation de l'ordre) aurait
déterminé nos saints à presser leur voyage à Rome. Telle est
la tradition.
Plus près de la vérité doit être le récit du manuscrit de la
Bibliothèque nationale, supprimant ces trois années de" soli-
tude, étonnantes après tout de la part de cet homme d'action
que paraît être le fondateur des Trinitaires. Jean de Matha,
allant à Rome, passa par un endroit appelé Cerfroid, où
habitaient quatre ermites, qui lui demandèrent où il allait.
Apprenant son dessein, ils se déclarèrent prêts à entrer dans
le nouvel ordre dès qu'il serait confirmé. Leur chef devait
être ce Félix, ermite du pays de Valois (anachoreta Vale-
siensis), auquel ce nom a fait prêter une illustre origine.
S'il m'était permis d'aller plus loin, je dirais que ce pre-
mier passage à Cerfroid est tout à fait douteux et que ce fut
a Dy Google
l4 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIftES.
seulement après la donation de ce lieu illustré par une lé-
gende que l'on songea à en faire le séjour primitif de l'un
des fondateurs de l'ordre,
Jean de Matha (accompagné par Félix de Valois, selon la
tradition) arriva à Rome au début de 1 198. En fils respec-
tueux, il était passé à Faucon, où ses parents vivaient encore.
J'omets à dessein toute discussion inutile sur la date précise
de cette arrivée a Rome. Il me suffit d'indiquer brièvement
pourquoi ce ne peut être le 28 janvier 1198 que l'ordre fut
institué ; quoique cette tradition se rencontre dès le quinzième
siècle, elle n'en est pas moins erronée. A cette date, Inno-
cent III, qui venait d'être élu pape, n'était pas encore prêtre
et ne pouvait, par conséquent, célébrer la messe1. L'argu-
ment principal des ïrinitaires, pour justifier cette date, a été
qu'on célébrait toujours cette fêle dans l'ordre au 38 janvier,
ce qui est un cercle vicieux. Avouons tout simplement que
nous ignorons cette date précise : l'ordre des Trinitaires ne
perdra rien à être de quelques mois plus jeune.
Jean de Matha et Félix (que le cerf suivait toujours, rap-
porte le poème de Jacques Bourgeois) furent introduits auprès
du pape Innocent III, dont on connaît le zèle pour la croi-
sade. Le récit en prose nous apprend que le pape aurait reçu
très froidement nos saints et les aurait même traités de vision-
naires {pi'o stultis eos repataoit). Jacques Bourgeois enchérit
encore et dit que les lettres de Paris apportées par Jean
furent traitées de radotages. Nos ermites partirent donc tout
consternés; mais, averti par l'ange, le pape les fit chercher
pour les rappeler : ils étaient déjà à Florence. Ils consen-
tirent a revenir. Enfin un nouveau prodige, ce qu'on appelle
1 . On o voulu loul concilier en expliquant divina celebrare par assister
à In messe. Les Trinitaires ont repoussé celle interprétation avec vigueur.
a Dy Google
LA VIE DE SAINT JEAN DE KATHA. l5
la révélation de Latran, c'est-à-dire l'apparition de l'ange à
la croix bicolore pendant ta messe d'Innocent III, aurait
amené le pape à donner aux ermites le costume blanc de
l'ange. Si l'on se rappelle que l'élection d'Innocent III est du
8 janvier 1198, on comprendra sans peine qu'il Fallut plus de
vingt jours pour l'accomplissement de tous ces événements.
Mais le pape, peu partisan de la multiplication des ordres
religieux, renvoya Jean, après qu'il lui eut donné l'habit', à
l'évéque de Paris et à l'abbé de Saint-Victor, ses amis de lon-
gue date, pour recevoir d'eux la règle du nouvel institut. Ce
n'est jamais le pape qui compose la règle d'un ordre reli-
gieux : il ne fait que la confirmer. Innocent III, comme dit
Albérîc, ne fut que le coopéraleur de saint Jean de Matha.
D'accord avec le fondateur, Eudes de Sully et Absalon, abbé
de Saint-Victor, rédigèrent la règle , peut-être déjà ébauchée
avant le premier voyage de Jean à Rome. Celui-ci revint la
même année, cette fois tout seul, la soumettre au pape, qui
l'inséra dans sa grande bulle du 17 décembre 1198.
C'est véritablement ia date à laquelle l'ordre des Trinitaires
a commencé d'exister. Elle se lit, d'ailleurs, sur l'épitaphe de
saint Jean de Matha, à Home, restée incompréhensible pour
tous les Trinitaires jusqu'à la fin du dix-septième siècle. Elle
porte que l'ordre de la Trinité fui institué par le Frère Jean,
divinement inspiré « le i5 des calendes de janvier 1197 ». Les
Trinitaires n'en voulaient rien croire, puisqu'ils prétendaient
avoir été institués le 38 janvier, jour de l'octave de sainte
Agnès, qui aurait divisé ses biens en trois parties3. Le Bul-
laire de 1692 rectifie déjà la lecture de l'inscription. Le
1. Le 3 février 1198, selon la tradition triaitaîre.
1. C'était là un présage allégorique de l'article fondamental de la règle
a Dy Google
10 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRB9.
P. Anlonin de l'Assomption , qui m'a gracieusement fait
envoyer son Arbor Ghronologica, publié à Rome en 1894,
raconte (p. 168) qu'un Jésuite a rétabli la vraie date de la
fondation : AY[/»] Cal. Jan. anno M0 OLXXXX VI '/[/•>],
16 des calendes de janvier 1 198, c'est-à-dire 17 décembre r 1981,
date précise de la bulle. Si l'on observe qu'Innocent III fit
lui-même graver l'épitaphe, celte date ne paraîtra point dou-
teuse; elle permet même l'existence de la révélation deLatran,
à la date du 28 janvier ou à toute autre.
Moins de trois mois après la bulle, partirent les premiers
rédempteurs, avec une lettre du pape pour le souverain de
Maroc, le « miramolin », datée du 8 mars 1199. « Des hom-
mes divinement inspirés, dit le -pape, viennent racheter les
chrétiens captifs détenus dans votre empire, soit à prix d'ar-
gent, soit par échange avec ceux de votre pays que les chré-
tiens détiennent. » Qui ne voit que ces paroles ont servi de
thème à l'attitude de l'ange révélateur? Le pape ne nomme
pas ces premiers rédempteurs. Malgré la tradition trinitaire,
dont on verra tout à l'heure le peu de fondement, j'ai peine
à croire que Jean de Matha ait laissé même à ses plus chers
disciples la gloire du premier voyage de rédemption ou que le
pape lui ah imposé un tel sacrifice.
L'ordre naissant avait déjà reçu, en France, quelques dona-
tions et fait des recrues importantes à Paris. Innocent III lui
donna à Rome, sur le Mont Célius, le couvent de Saint-
Thomas de Formis, ainsi appelé à cause d'un ancien aque-
duc, où se voit encore la mosaïque exécutée par les frères
Cosmati au treizième siècle et représentant Noire-Seigneur
1. Même conclusion dans le manuscrit 83i3 de la Bibliothèque de
Bruxelles : Dubio topra la révélations dell'Ordt'ne delta S. Trinitâ
(p. 8g).
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LA VIE DE SAINT JEAN DE MATHA. 17
en Trinitaire, entre deux captifs, l'un noir, l'autre blanc. Cette
mosaïque a été reproduite dans le grand recueil de M. de
Rossi .
Cette fondation fut considérée comme les prémices du nou-
veau pontificat. « Et haec propter mortem Caetestini papae
et istius Innocenta consecrationem' », s'écrie un chroniqueur"
de Saint-Martin de Tours.
A part les bulles qui lui sont adressées et les transactions
d'Arles et de Marseille (nov.-déc. iao3) auxquelles Jean de
Matha est présent, nous ne savons rien de plus sur lui après
la fondation de son ordre. Bien des actes espagnols, cités par
Baron comme passés en sa présence, sont tout au moins in-
terpolés et ne peuvent faire foi. Depuis longtemps, les Trini-
taires se sont aperçus qu'ils ne savaient rien sur la vie de
saint Jean de Matha. Ils ont plus ou moins bien rempli l'in-
tervalle de quinze ans qui s'était écoulé entre les deux dates
certaines de la fondation de l'ordre et de la mort du fonda-
teur. S'il y avait quelque action qu'on put lui attribuer, c'était
la rédemption de captifs au Maroc en iiqq. Cependant, par
un sentiment d'orgueil mal entendu, les Trinitaires ont refusé
cette gloire à saint Jean de Matha, se contentant de l'envoyer
à Tunis en 1200. Pourquoi? C'est qu'au même moment ils le
députent en Dalmatie.
Il s'est tenu, en 1 199, un concile À Dioclia, à la demande du
roi Vulcan {melior moribus quant nomine, observe Macedo),
sous la présidence de deux envoyés du pape ainsi désignés :
Joannes capellanus et Simon subdtaconus. Ce Joannes capel-
lanus n'étant pas très connu, rien n'empêcha un auteur tri-
nitaire de prétendre que c'était saint Jean de Matha. Comme
1. Monumentu Germaniae Scriplore», t. XXV], p. (4-
a Dy Google
IO L ORDRE FRANÇAIS DES '«UNITAIRES.
on le voit, le procédé est simple. Il est à croire, d'ailleurs,
que ce légat du pape était Jean de Casemario, futur cardinal.
On n'a jamais vu que saint Jean de Matha ait été chapelain
du pape. Et ce Simon, sous-diacre, qui était-il? C'était un
religieux de notre ordre, disent les Trinitaîres, car on ne
'concevrait pas que le pape ail donné à saint Jean un compa-
gnon qui ne fut pas Trinitaire. Y a-t-il au moins, dans ce
concile, une justification de la présence du saint rédempteur?
Simplement un petit article qui défend de réduire les Latins
en servitude.
Laissant de coté les légendaires détails sur les rédemptions
opérées par saint Jean de Matha à Tunis et à Valence (leur
nombre et leur date sont ignorés), arrivons à sa mort, qui eut
lieu le 17 décembre iai3. Il fut enterré à Rome dans son
hôpital de Saint-Thomas de Formis, où il avait résidé les
dernières années de sa vie, le 21 décembre i2i3, comme le
constate la célèbre épitaphe qui, soit dit sans ironie, est la
pièce la plus authentique sur le fondateur des Trinitaires.
Comme nous le verrons dans la suite, saint Jean de Matha
fut bien plus célèbre après sa mort que pendant sa vie. S'il
ne chercha qu'à s'effacer lui-même et à accomplir simplement
une belle œuvre, on peut dire que ces deux buts furent supé-
rieurement remplis. L'obscurité oit îl se confina ne doit pas
nous rendre injustes pour sa mémoire.
S'il fut surtout célèbre après sa mort, il ne le devint ce-
pendant pas tout de suite. Honteux de voir que le culte de
leur fondateur s'était totalement perdu, les Trinitaires du
dix-septième siècle, par un pieux remords, imaginèrent une
bulle de canonisation du 4 octobre 1263, qui ne se serait
d'ailleurs pas retrouvée dans les Archives. Quelque négligents
qu'aient été les Trinitaires, une pareille perle serait inconce-
ûdv Google
LA VIE DE SAINT JEAN DE MATHA. I Ç|
vable de leur part. Cette bulle n'a jamais existé. On peut
même penser que lorsque, pour ta première fois, au milieu
du dix-septième siècle, il s'agit de la canonisation de saint
Jean de Matha, la cour de Rome ne se montra pas rigou-
reuse au point de vue des- preuves du culte immémorial. Ne
le soyons donc pas plus qu'elle et n'accordons pas moins d'es-
time è saint Jean de Matha parce qu'il n'a été canonisé que
quatre siècles et demi après sa mort.
aoy Google
CHAPITRE III.
La Règle Trinitaire et ses modifications.
Quand je dis la règle, il vaudrait peut-être mieux dire les
règles, car l'oeuvre de saint Jean de Matha ne subsista pas
longtemps dans son intégralité. Dès 1217, Honorius III y
introduisit des modifications. En 1263, elle fut h mitigée »
par Urbain IV et observée par l'ordre tout entier dans ce
nouvel état.
Avec le temps, les Trinitaires de France étaient quelque
peu dégénérés de l'observance stricte de la règle. En 1578,
une congrégation, fondée à Ponloise, revint à la minutieuse
pratique de la règle de 1 a63 et se déclara Réformée. Il con-
vient de remarquer dès à présent qu'il n'y a pas de différence
essentielle entre les Trinitaires de France, dits Grands Trini-
taires, et les Réformés.
En 1599, des religieux espagnols d'Andalousie, sous la di-
rection de Jean-Baptiste de la Conception, adoptèrent franche-
ment la règle primitive, en y ajoutant même l'austère habitude
de marcher pieds nus, ce qui les fit appeler Déchaussés. Ils se
répandirent dans le midi de la France, l'Italie, l'Autriche et
ta Pologne, au cours du dix-septième siècle.
L'ordre Trinitaire se trouva donc divisé en trois congréga-
tions, souvent ennemies, jusqu'au chapitre national de Paris,
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I Bibliothèque Mrarlne, mi. lies, toi. I.)
wuzedt* Google
a o» Google
LA RÈGLE TRINITÀIRE ET SES MODIFICATIONS. 21
en 1768, qui fondit les religieux de France en une seule,
qu'on appela Chanoines Réguliers de la Trinité ; les Réformés
et les Déchaussés de France n'existèrent plus isolément. Les
Chaussés d'Espagne et les Déchaussés des pays hors de France
continuèrent d'avoir un régime spécial.
Il y a donc cinq états de la règle :
i° Règle primitive de 1198, donnée par saint Jean de
Malha ;
20 Règle mitigée de 1263;
3* Règle observée par les Réformés de la Provence et de la
France du nord;
4" Règle des Trinitaires Déchaussés, qui est la première,
corrigée;
5° Règle des chanoines réguliers de France (1771).
La première et la seconde édition, seules intéressantes pour
l'instant, sont imprimées notamment dans Bernardin de Saint-
Antoine. Elles sont malaisées à comparer, la première étant
communément divisée en trente-cinq articles et la seconde en
dix chapitres. Une bonne analyse de la règle primitive a été
donnée an tome XIII des Auteurs sacrés de Dom Ccillier. Je
me borne ici à la reprendre (en supprimant les articles sans
intérêt).
1. L'ordre nouveau sera consacré à la Sainte-Trinité.
2. Le supérieur de chaque couvent s'appellera ministre.
3. Tous ses revenus seront divisés en trois parties égales ;
les deux tiers seront pour le couvent et pour l'exercice de
l'hospitalité, le dernier tiers pour le rachat des captifs. Celte
division s'opérera ainsi à moins que le bienfaiteur n'en dis-
pose autrement. Les églises seront simples (plani operis) et
dédiées à la Trinité.
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22 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
4- Il y aura trots clercs et trois laïques par couvent, plus le
ministre
6. Leurs vêtements seront en laine et blancs.
8. Il y aura un signe (une croix) sur leur chape.
9. Ils prendront peu de vin.
11. Us jeûneront, du i3 septembre à Pâques, les lundis,
mercredis, vendredis, samedis.
12. Ils ne pourront faire gras que le dimanche, de Pâques
à l'Avent, de Noël à la Septuagésime, ainsi que les jours de
Noël, de l'Epiphanie, de l'Ascension, de l'Assomption, de la
Chandeleur et de la Toussaint.
i3. Ils ne pourront jamais manger de poisson qu'en
voyage. Lorsqu'ils partiront pour la rédemption, ils ne pour-
ront loger qu'à leurs couvents, s'il en existe dans la ville où
ils descendent, et tout au plus boire de l'eau dans les maisons
honnêtes.
i5. Il y aura dans chaque couvent une infirmerie.
16. Les hôtes seront bien reçus, et cependant invités à se
contenter de l'ordinaire du couvent.
18. Les religieux observeront le silence.
20. Tous les dimanches, le ministre tiendra le chapitre
avec ses religieux.
ai. Le chapitre général aura lieu, tous les ans', à l'octave
de la Pentecôte.
a3. Le ministre de chaque couvent sera élu parmi les prê-
tres et par le suffrage de tous les frères.
a5. Une fois élu, il ne pourra être déposé que par le grand-
ministre et trois ou quatre ministres. Le grand-ministre ne
pourra être déposé que par quatre ou cinq ministres des
1 . La règle ne spécifie pas où le chapitre général devra se tenir.
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LA RÈGLE TRINITAIRE ET SES MODIFICATIONS. a3
plus religieux, choisis à cet effet par le chapitre général.
26. Le postulant, avant d'entrer dans l'ordre, devra faire
un an de noviciat à ses frais, sauf pour la nourriture.
27. Il ne pourra être reçu avant l'âge de vingt ans.
3i. Le malade sera confessé le jour de son entrée à l'hô-
pital.
33. Tous les soirs, au moins dans les hôpitaux, on priera
devant les pauvres pour l'Église romaine et pour toute la
chrétienté.
34- Les heures régulières seront dites selon les rites de
l'abbaye de Saint-Victor de Paris.
35. Les usages de Saint-Victor seront aussi suivis pour la -
barbe : les frères lais seuls la laisseront pousser.
J'ai tenu à analyser en détail cette règle, pour en faire voir
le défaut de composition, ainsi que les nombreuses lacunes,
dont quelques-unes ne seront même jamais comblées.
Cette règle, dit Petit-Rade) , est le seul titre de saint Jean
de Math» à figurer dans l'Histoire littéraire. On ne sait, en
effet, quelle fut la part de l'évêque de Paris dans la rédac-
tion ; celle de t'abbé de Saint-Victor peut se réduire aux deux
derniers articles. Le pape Innocent III ne fit probablement
aucune correction a ce texte.
Pourquoi l'ordre est-il placé sous le vocable de la Sainte-
Trinité ? On n'a jamais donné de ce nom une explication satis-
faisante. En latin , les religieux s'appellent fratres ordinis
Sanctae Trinilatîs, à quoi s'ajoute et captiuorum, ou mieux
et redemptionis captiuorum, en raison de leur but spécial. Les
historiens français les appellent souvent Pères de la Rédemp-
tion, ce qui peut s'appliquer aussi à leurs rivaux les Pères de
la Merci.
On trouve aussi les expressions de : fratres de Asinis,
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24 l'ordre FRANÇAIS DES tributaires'.
ordo Asinorum', à cause de leur moulure primitive, — en
français « frères aux ânes m. Le satirique Rulebeuf a dît à
leur sujet :
D'asne ont fait roncin (cheval).
Le pape voulut peut-être rappeler qu'en Orient cette mon-
ture est habituelle, ou bien se conformer à l'esprit d'humi-
lité dont est empreinte la règle primitive.
Le couvent de Paris étant dédié à saint Mathurin, ses reli-
gieux reçurent le nom de Mathurins, qui se communiqua à
tous les Trinitaires du Nord, surtout à ceux qui ne furent
jamais réformés. Le peuple les appela Mateliru*.
Le supérieur d'un couvent trinitaire s'appelle ministre.
Cette acception ne se trouve pas dans Du Gange. Nos reli-
gieux racontent que les rédacteurs de la règle, ne sachant
comment désigner le supérieur, auraient quitté ie travail en
laissant le mot en blanc3; à leur retour, le lendemain, ils
lurent sur le papier : minister vocabitur. Ce n'est point là une
explication. Ce terme fait songer à la suscription de certains
évêques (faits ecclesiae minister indignas), de certains curés
(comme celui de Fontenay-lès-Louvres en 1326) et d'abbés
(minister abbatie de SavigneÀo, 1236). Le ministre est, étymo-
logiquement, celui qui sert les autres; cet a humble nom »
indique le dévouement que le supérieur doit montrer à
l'égard de ses subordonnés. Le mot ministratus, en français
« ministre rie », désigne parfois un couvent trinitaire.
A l'exemple de notre ordre, les Frères Mineurs ont donné
1. D'AcHEnv, Spicilegium, I, 492.
2. C'est l'expression dont se sert Villon.
3. Mime légende dans Jacques de Voragine au sujet de Bèdc le Véné-
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LA RÈGLE TRINITAIRE ET SES MODIFICATIONS. a 5
le titre de ministre au général et au provincial, mais le supé-
rieur d'un couvent s'appelle gardien.
Les religieux devaient porter une chape, avec un signe dis-
tinctif : c'était une croix. L'archevêque d'Arles parle en iao3
des Trinitaires qui portent cracem s'en habitum domas. Sur sa
signification, aucun doute, la croix étant le symbole par excel-
lence de la rédemption. Mais sa couleur et sa forme primi-
tives sont toutes deux controversées, la première règle n'en
ayant rien dit.
La seconde règle seulement spécifie que la croix a le mon-
tant rouge et la traverse bleue. A-t-elle élé toujours ainsi ?
Jacques de Vitry, qui parle avec compétence des Trinitaires,
dit que la croix est noire et rouge. L'auteur du récit en vers
de la Bibliothèque Nationale la dépeint fauve et rouge. Il est
peu croyable cependant que la croix ait jamais été autrement
que ronge et bleue.
Nous sommes habitués à voir la croix pattée au frontispice
des ouvrages trinitaires, maïs les plus anciens Statuts ne par-
lent point de- sa forme. Ceux de i4ag ordonnent que l'extré-
mité de chaque bras aura trois pouces de largeur, le centre
n'en ayant que deux. Ailleurs, les proportions respectives
sont du double au simple.
Cette croix pattée est elle-même à huit pointes (1), comme
sur un livret d'indulgences publié à Rome en 1 588, — ou
arrondie comme une croix de Malte (II); c'est sa forme la
plus gracieuse et la. plus ordinaire. — Le sculpteur de la sta-
tue de saint Jean de Matha, au Panthéon, a fait une croix
hybride (III), - appelée .croix de Saint-Benoit à Saint-Benotl-
sur-Loire, qui se rapproche de la croix droite adoptée par les
Déchaussés espagnols (IV). C'était, de la part de ces derniers
religieux et des Réformés du midi de la France qui les ont
a Dy Google
26 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAtRES.
suivis, une simple et puérile manifestation d'indépendance.
Comme les prolestants du seizième siècle, ils la déguisaient
sous un prétendu retour à la simplicité antique. Le plus
curieux, c'est que, sur ia mosaïque de Saint-Thomas-de-For-
mis, comme le rapporte Ftgueras ', la croix pattée fut grattée
el remplacée par une croix droite. Dans un chapitre embar-
rassé qui contraste avec sa franchise ordinaire, Jean-Baptiste
de la Conception a essayé de justifier cette prétendue restitu-
tion archéologique. Selon la congrégation a laquelle appar-
+ T T T
i h m iv
tient l'historien, il applique aux fondaleurs de l'ordre la croix
de son idée. Ce qui est certain, c'est que le général des Tri-
nitaires, Louis Petit, au début du dix-septième siècle, fit son
possible pour faire quitter aux Réformés l'usage de la croix
droite.
L'habit des Trinitaires était blanc. Avec la croix d'étoffe
rouge et bleue, cela fit les trois couleurs symboliques de la
Trinité : le blanc, couleur parfaite, figurant le Père; le bleu,
le Fils, à cause des souffrances de la Passion, et le rouge, le
Saint-Esprit. Ces explications sont mises par Gaguin dans la
bouche du pape Innocent III, qui n'en peut mais. — Or, en
i56o, les Espagnols reçurent de Pie IV la permission d'avoir
des chapes brunes ou, pour mieux dire, de couleur buriel ou
i. Chronicon, p. 6o5.
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LA RÈGLE TRINITAIRE ET SES MODIFICATIONS. 27
fauve, ce qui détruirait ce symbolisme prétendu. Il leur fut
cependant défendu, le 8 février 1666, d'user de la chape noire
et du capuchon noir qui les rendaient trop semblables aux
Frères Prêcheurs1. Les Trinitaires de France protestèrent
vivement contre cette atteinte donnée à la couleur du costume
de l'ordre, car il est peu de choses auxquelles les Religieux
tiennent plus qu'à ces subtilités, dont les profanes ne saisis-
sent pas l'importance.
MODIFICATIONS DE LA RÈGLE EN I2I7.
Dès le o février 1217, le pape Honorius III fit cinq modifi-
cations à la règle primitive. Le grand Bullaire3 de 1692 est
seul à les avoir relevées.
i" Au lieu du consentement postérieur à la donation du
bienfaiteur pour la non-séparation du tiers des captifs, il est
dit que, de lui-même et tout de suite, le donateur pourra tout
donner pour les usages de la maison, par lui ou par un pro-
cureur, en interdisant de séparer le tiers.
2* Il ne devait y avoir primitivement que trois clercs, trois
laïques et le ministre, donc sept frères en tout par couvent.
Désormais les religieux, tant clercs que laïques, pourront être
aussi nombreux que le service de chaque maison le compor-
tera.
3° L'humble monture des ânes empêchait des gens de haute _
naissance d'entrer dans l'ordre des Trinitaires. La défense de
1. La ressemblance des Trinitaires de France avec les Frères Prêcheurs
était assez grande pour que ceux-ci, après l'assassinat de Henri III, n'aient
eu qu'a endosser le scapulaire des Trinitaires pour éviter In fureur des roya-
listes {Extrait rapporté par le P. Içnace de Saint-Antoine).
1. Bullaire, p. 10.
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a8 l'ordre français des trinitaires.
monter à cheval, hors le cas de nécessité urgente, est main-
tenue, mais ils peuvent acheter et louer des mules.
4° Le jeûne est adouci entre Pâques et la Toussaint. Les
malades et les voyageurs peuvent faire gras. Originairement,
ils ne pouvaient en cours de route acheter que du vin et du
poisson ; maintenant, si quelque chose leur est donné, ils peu-
vent tout accepter.
5° Le ministre, au lieu d'être un clerc apte à recevoir les
ordres, doit déjà avoir fait profession.
Quant aux suppressions de l'article du Dépôt cl de l'Exhor-
tation aux domestiques1, cela peut n'être qu'une inadvertance
du scribe de 1217, qui sera d'ailleurs répétée en 1263.
L'atténuation ne s'arrête point dés lors. Le i5 septem-
bre 1220, dans une bulle spéciale, Honorius 111 permit aux
Trinitaires de monter à mulet en cas de nécessité; Alexan-
dre IV, le 6 mars 1256, autorisa les ministres, en tournée de
visite ou en voyage de rédemption, à monter à cheval s'ils ne
trouvaient pas de mulet.
Ainsi plusieurs modifications importantes se trouvaient réa-
lisées dés avant la publication de la seconde régie, qui ne fait
guère que consacrer des dérogations apportées à la première.
Le 11 décembre 1262, Urbain IV chargea Renaud, évêque
de Paris, Robert, abbé de Saint-Victor, et Thibaut, abbé
de Sainte Geneviève (ce personnage apparaît pour la pre-
mière fois lors de la rédaction de la seconde règle), de reviser
avec attention la règle primitive. Les rédacteurs consacrèrent
les modifications acquises et ajoutèrent quelques articles, né-
cessaires à la clarté ou mieux en rapport avec le grand déve-
1. Ces articles sont si insignifiants que je n'en ai rien dit dans l'analyse
de la règle.
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LA SAINTE-TRINITÉ, pur Kibera.
(Jîi.bsc Un Frvle, i Uwlrld.)
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LA RÈGLE TRINITAIRE Et SES MODIFICATIONS. 29
Ioppement pris par l'ordre des Trinitaires par suite de la pro-
tection de saint Louis (mai ia63). Le pape Clément IV
confirma cette règle le 7 décembre 1267.
Les chevaux sont permis en tous temps à tous les Trini-
taires, pourvu qu'ils ne soient pas trop grands (dum non ■
nimis notabites existant). Plus généreux encore, les Statuts
de 1429 devaient en accorder deux à chaque religieux. Par
esprit de mortification, les Déchaussés espagnols reviendront
aux ânes en 1600.
Quand le donateur d'un hôpital1 l'exigera, comme l'avaient
fait Thibaut de Champagne à Troyes et le comte Henri à
Vianden (Luxembourg) , il n'y aura pas de prélèvement du
tiers des captifs.
Les Trinitaires attachés à la cour d'un évêque, d'un roi ou
d'un seigneur seront dispensés, lorsqu'ils arriveront dans
une ville où leur ordre a un couvent, de passer la nuit chez
leurs confrères, et pourront même n'être pas tenus à dire
leurs heures régulières.
La viande, même achetée (ils n'en pouvaient primitivement
manger que si on la leur donnait)," esl permise en voyage,
mais l'abstinence au réfectoire est maintenue.
D'aulres articles spécifient la couleur de la croix, les pou-
voirs du vicaire général, des correcteurs el définiteurs, du
visiteur provincial. Néanmoins, il n'est point dit qui élit le
grand-ministre.
Quand les religieux recevront une église dont le nom était
consacré (comme celui de saint Malhurin, à Paris), ils ne
changeront point ce vocable; les seules églises qu'ils bâtiront
eux-mêmes seront dédiées à la Trinité.
1. 11 n'était d'abord question de non- sépara lion que pour le don d'une rente.
a Dy Google
3u l'ordre français des tributaires.
Si une maison tombe eu ruines, on pourra momentanément
consacrer tous ses biens à sa réédification.
Enfin, le chapitre général, qui se tenait primitivement le
dimanche après la Pentecôte (dimanche de la Trinité), se tien-
dra désormais le quatrième dimanche après Pâques (dit de
Cantate), à la même date que celui de saint Victor. Cepen-
dant, la récitation de l'office a la manière viclorine est adoucie
parce que les religieux ne peuvent faire autant de pauses dans
le chant à cause de leur petit nombre. Telles sont les princi-
pales innovations de la règle modifiée1.
i. La barbe des Frères devra être semblable à celle des couvera Tem-
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CHAPITRE IV.
Statuts et constitutions des Trinitaires'.
Pour détaillée que fût la règle de ia63, elle était loin
d'avoir prévu toutes les difficultés qui pouvaient se présenter
dans le gouvernement d'un ordre religieux. Elle était même
à ce point insuffisante que les Trinitaires y ont, sans doute
de bonne foi, cru lire des articles qui ne s'y trouvent point
en réalité; ainsi, pour donner plus d'autorité à certaines de
leurs constitutions, notamment a celles qui étaient relatives au
chapitre provincial, ils prétendirent les avoir extraites de la
règle mitigée, où il n'est cependant pas question du chapitre
provincial. Il suffit de supposer qu'ils négligèrent de se repor-
ter à ce texte.
Souvent, les grands-ministres promulguèrent, dans un cha-
pitre général ou dans un chapitre provincial, des règlements
obligatoires, soit pour tous les religieux de l'ordre, soit pour
ceux d'une seule province. Ces Statuts sont aussi nombreux
et peu connus que la règle est brève et répandue; plus de la
moitié sont en effet inédits. En voici rénumération :
■° Statuts sans date, placés dans le manuscrit 9 7-53 de la
i. Ce chapitre est un simple relevé chronologique des Statuts les plus
importants qui ont régi l'ordre des Trinitaires. Il n'y faut donc point cher-
cher une analyse détaillée, qui viendra selon l'ordre des matières.
a Dy Google
32 l'ordre français des trinitaires.
Bibliothèque nationale à la suite de la règle mitigée1. Il y est
question de i'us<tge des chevaux, des Trinitaires aumôniers de
rois et de princes, des pèlerinages en Terre-Sainte, ce qui
ne peut se rapporter qu'au treizième siècle. Ils portent une
marque de raideur qui convient encore aux temps héroïques,
à « l'ancienne rigueur » de l'ordre, sans être cependant les
premiers de tous ; ils font en effet allusion à « d'antiques
coutumes », celles de saint Jean de Matha sans doute, sur
lesquelles il a été fait bien des conjectures, mais dont il ne
nous est rien parvenu. Comme aucune rubrique ne sépare ces
Statuts de la règle modifiée en t a63 par l'évéque de Paris, les
abbés de Saint-Victor et de Sainte-Geneviève, on ne se trom-
perait sans doute pas en les considérant comme des additions
à la règle dues aux correcteurs de celle-ci.
3° Statuts de i3iq, dressés en chapitre général, à Cep-
froid*, sous la présidence du grand-ministre Bertaud, omis
par Gaguin dans sa liste, et qui prend place par cette rédac-
tion parmi les supérieurs réformateurs de l'ordre des Trini-
nitaires. Beaucoup de pénalités sont édictées contré les mi-
nistres absents du chapitre général sans excuse valable, mais
déjà la sévérité décroît pour les autres délits.
3° Statuts de 1429, publiés en chapitre général à Cerfroid
par le grand-ministre Jean de Troyes. Leurs prescriptions sont
utiles pour l'époque, dit Gaguin, qui ne paraît pas en faire
grand cas; ils ont eu cependant les honneurs de l'impres-
sion en i586. Les articles les plus notables sont relatifs aux
apostats, aux conspirateurs et aux appels en cour de Rome.
Dans le courant du quinzième siècle, Jean de Burgos,
. Pièce q° 38.
. Même manuscrit, folio
aoy Google
STATUTS ET CONSTITUTIONS DES TH INI TA.» ES. 33
ministre de Séville, en fit faire une copie, avec beaucoup d'ad-
ditions, pour les provinces d'Espagne.
4" Statuts de Robert Gaguin (a5 août i477-3o août i497)
relatifs à l'Espagne ; mais comme le conjecture avec vrai-
semblance M. de Vaissière dans son ouvrage sur Gaguin,
certaines de ces prescriptions devaient concerner l'ordre tout
entier : elles furent en effet pratiquement appliquées, dans
la suite, à plus d'une province de l'ordre.
5° Statuts de 1576, dont le titre est un peu long : « For-
mata Heformationts ad prescrîptum régule... extrada ex
variis sacrorum conciliorum decretis et sanctorum Patrum. »
L'auteur, Jacques Bourgeois, a fait sous ce titre un commen-
taire précis de la règle mitigée ; on s'en était déjà écarté sur
plus d'un point, comme l'annalité du chapitre général; le ré-
formateur voudrait voir la règle intégralement observée selon
les prescriptions du Concile de Trente. On y remarque l'intro-
duction de l'usage du scrutin secret et une grande place
donnée à l'instruction des religieux. Une Université venait
en effet d'être fondée à Douai. C'est dans cette même ville
que la « Formule », acceptée par le chapitre général de 1676,
fut imprimée en i586, chez Simon Bogard, venu de Louvain
pour être libraire de l'Université. Les Statuts de Jean de
Troyes précèdent ceux de Jacques Bourgeois, auquel il faut
rapporter l'honneur de la rédaction, et non à Bernard de
Metz, ou Bernard Dominici, général de l'ordre, qui présida
simplement le chapitre.
On peut considérer ces Statuts comme ayant fait loi pen-
dant deux siècles pour le nord de la France, c'est-à-dire pour
les quatre provinces : Ile-de-France, Champagne, Picardie,
Normandie.
Les religieux de Provence qui se piquèrent de se réformer
a Dy Google
34 l'ordre FRANÇAIS des trikitaires.
au dix-septième siècle y introduisirent quelques aggravations,
également acceptées par les Réformés de l' Ile-de-France '.
Les religieux de Languedoc, qui formaient la sixième
province française, et avaient été agités par des velléités de
réforme, reçurent en 1660 une certaine autonomie du général
de l'ordre, Pierre Mercier.
6e En i65i , le chapitre général décida de réunir les
anciens Statuts. On peut s'étonner de ne rencontrer aucune
trace de constitutions imprimées en 1661 et en 1684, au dire
de Claude de Massac. Ce devaient être des Statuts épars au
milieu des comptes rendus des chapitres généraux. Le cha-
pitre de 1696 renouvela les prescriptions de celui de (65i.
Enfin, un arrêt du Conseil d'Etat, le Roi y étant, le a4 sep-
tembre 1711, provoqua la revision des Statuts des Trinitai-
res; comme ils ne furent point trouvés en règle, un nouvel
arrêt, le 3 mai 1713, ordonna la refonte des Statuts concer-
nant les provinces, anciennes, avec le concours de deux délé-
gués de chaque province. Cette fois, il fallut bien s'exécuter.
Claude de Massac, vicaire général, puis général de l'ordre,
consulta tous les supérieurs (18 juillet 1 7 1 2 ) et fit examiner
les nouveaux statuts dans les chapitres provinciaux de 1717
et de 1718 qu'il présida lui-même. De là provient l'édition
donnée en 17191, à Douai, comme celle de t586. C'est la
sixième modification de ces Statuts. La partie la plus cu-
rieuse de ce recueil est l'analyse de nombreuses décisions de
divers chapitres généraux, dont nous ne possédons point les
actes originaux.
7° Les Trinitaires de France ayant été, à l'époque de la
1. Bïbl. tint., H 17769, feuille intercalaire.
a. Coté Ld ** ig à la Bibliothèque nationale. La réception solennelle des
Statuts eut lieu le ao juin 1719.
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STATUTS ET CONSTITUTIONS DES TRINITAIRES. 35
Commission des Réguliers, déclarés chanoines réguliers, re-
çurent en ryyi de nouvelles Constitutions applicables à la
France entière, mais à la France seule.
En effet, les Trinitaires espagnols, quoique vivant sous le
même général que les français, n'observaient pas les mêmes
constitutions. Pour être complets, même dans cette énumé-
ration forcément brève, il faut citer, pour mémoire, le Re-
formatorîum provinciae Aragoniae (i563), dû à un ministre
de cette province, Michel Borrel ; les Constitutions revisées en
1601 à Saint-Mathurin par François Petit ', et surtout les
Constitutions dites d'Alexandre VII, faites en i65y, à Rome,
dans un chapitre général auquel les Trinitaires de France ne
se trouvèrent pas2. Après une longue résistance de la part
des quatre provinces, une faible partie de ces Constitutions
fut imposée à la France, principalement en ce qui concerne
le chapitre général, mais les Français parvinrent le plus sou-
vent à en éluder l'exécution.
Encore n'a-t-il été question jusqu'ici que des Trinitaires
Chaussés. Il y eut aussi des Trinitaires Déchaussés qui, à
partir du dix-septième siècle, revinrent à l'austérité de la
règle primitive. La Congrégation Déchaussée, tant de France
que d'Espagne, d'Italie et d'Autriche, vécut sous des consti-
tutions spéciales, dont la dernière édition a été donnée a
Rome en i85i. La Congrégation de France, supprimée en
1771, avait eu des Constitutions, restées manuscrites et con-
servées aux Archives nationales (LL i55a).
1. Bibliothèque Mazarine, manuscrit 1768.
1. Elles ont été rééditées à Madrid en 1731. Ce volume se trouve à la
bibliothèque du couvent de Cerfroid (Aisne).
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CHAPITRE V.
Le grand-ministre et ses subordonnés directs.
L'ordre des Trinitaires a pour chef un grand-ministre,
contrôlé par un chapitre général, qui se réunît tous les ans.
Le supérieur de l'ordre, remplacé au besoin par un vicaire
général, s'appelle officiellement major minister, parfois ma-
jor et greneralîs minister, et, par abréviation, generaUs mi-
nister. On dit aujourd'hui « ministre général ».
Cependant, on le voit parfois appelé maître. On peut sup-
poser une distraction de Joinville qui appelle le même person-
nage tour à tour menistreet maistre. Parfois aussi, on a mis
à dessein maître pour rappeler le grade universitaire qu'a-
vait notamment le « maitre des Mathurins », célèbre au début
du quinzième siècle. — On a dû encore faire des confusions
avec l'ordre rival de la Merci, dont le supérieur s'appelle
a maitre général ».
Le grand-ministre est élu à vie dans la réunion du chapitre
générai. Par un singulier oubli, la règle et les constitutions
ne disent rien des électeurs du grand-ministre, ni du cérémo-
nial de cette élection. Nous verrons plus loin qui avait le
droit d'assister à la réunion du chapitre général. Quant au
cérémonial de l'élection, un registre, dont des extraits sont
transcrits dans le manuscrit français 15697 ^e 'a Bibliothèque
nationale, fournit quelques renseignements.
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LE GRAND-MINISTRE ET 3E6 SUBORDONNÉS DIRECTS. 3j
Le chapitre général d'élection s'étant réuni, le custos ou
gardien, c'est-à-dire l'administrateur intérimaire, demande à
l'assemblée quel est le mode d'élection qui lui est le plus
agréable ; elle répond d'ordinaire que c'est la voie du Saint-
Esprit, l'inspiration. Alors un ministre, sans doute le plus
ancien, ayant baisé le crucifix, se lève et nomme celui à qui
il donne sa voix. Les autres, par acclamation, donnent leur
adhésion à ce choix, prennent l'élu sur leurs épaules et le
portent en procession à l'église. Un fait parait bien prouver
que primitivement ces élections étaient convenues à l'avance :
Guy Musnier, en i5o8, se nomma lui-même ' 1
Lorsque le concile de Trente eut établi le scrutin secret,
qui en 1570 avait soulevé des protestations, le grand-ministre
fui élu à la majorité absolue, parfois très considérable. Les
électeurs ayant voulu, en 1686, faire une grande manifesta-
tion de solidarité, l'élu eut cinquante-deux voix sur cinquante-
six votants. On ne saurait dire s'il y avait des déclarations de
candidature. L'élu était souvent presque désigné d'avance par
son prédécesseur, qui lui conférait la charge de vicaire gé-
néral.
Il n'y eut aucun général de Provence avant le dix-septième
siècle. Plusieurs étaient de Flandre, comme Alard, Thierry
Valerand, Gaguin. Deux portent le nom de leur maison de
profession : Jean de Troyes et Bernard de Metz1.
Quant au couvent dont ils étaient ministres avant d'être
élus, il faut citer Meaux pour Jean de La Marche et Nicolas
Musnier, Clermont pour Renaud de La Marche, Verberie
1. Pièce n«> 228.
2. Les personnages les plus émiûents de ('ordre, après les génért
comme Jacques Bourgeois, étaient de Flandre, ou, comme les Basire et
Michelin, de la province de Champagne. Très peu étaient de Normandie
aoy Google
38 l'ordre français des trinitaires.
pour Thomas Loquet, Étampes pour Claude de Massac,
Hondschoote pour Thierry Valerand, Chàlons pour Jean Thi-
baud, Fontainebleau pour Eustache Teissïer et Grégoire de
La Forge, Mortagne pour Jean de Troyes. Pierre Chandote
seul fut prieur de Cerfroid avant d'être élu grand-ministre. A
partir de Gaguin, à peu d'exceptions près, presque tous les
futurs généraux étaient d'abord ministres des Mathurins avant
d'être élus à la charge suprême de l'ordre.
Le futur général n'est désigné au choix des électeurs par
aucune recommandation du Saint-Siège, quoique l'ordre lui
sotl directement rattaché depuis i3oo. Plutôt que d'accepter
un élu du pape, l'ordre en appelle au Parlement en i4i5 et
en i546.
Aucune condition d'âge n'est imposée primitivement pour
l'éligibilité. Les premiers successeurs de saint Jean de Matha
étant morts à des intervalles très rapprochés, on peut pré-
sumer qu'ils étaient fort âgés à l'époque de leur élection.
Pour le quinzième siècle, nous connaissons les âges de quel-
ques grands-ministres nouveaux élus : Raoul Duvivier, en
i46o, était âgé de trente-sept ans; Gaguin, le fils adopttf de
l'ordre, ne fut élu qu'après avoir administré les couvents de
Grandpré, de Verberie, de Tours et de Paris' ; il avait alors
quarante ans. C'est cet âge minimum1 qu'imposa le pape
Alexandre VII dans des Constitutions faites à Rome en 1657
et que les Trinitaires n'acceptèrent pas, sauf pour ce point
qui était d'une pratique courante.
L'élu doit être déjà ministre d'un couvent. Il n'y a aucun
exemple d'un simple frère nommé grand-ministre. Les mînis-
1. Arbor chranologica, p. 179.
1. Les Déchausses l'ont fixé k quarante-quatre ans. (Régala primilioa,
Rome, i85i, p. 108.)
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LE GRAND-MINISTRE ET SES SUBORDONNÉS DIRECTS. 39
très des quatre provinces (Ile-de-France, Champagne, Picar-
die, Normandie) étant parvenus à s'attribuer le droit de
séance au chapitre et par suite l'éligibilité, le grand-ministre
fut toujours un Français. De nombreuses garanties en-
touraient donc son élection, et la réunion annuelle du
chapitre général permettait de contrôler sans cesse sa
gestion.
Élu à vie, le grand-ministre ne pouvait être déposé que par
trois ou quatre ministres {règle de 1 198) ou par trois ou qua-
tre frères des plus religieux (règle de 1263) : ce cas ne s'est
jamais présenté. Il lui était interdit de se démettre, dans la
crainte que sa résignation n'eût été obtenue par quelque
moyen frauduleux.
Aucune résidence n'était prescrite au grand-ministre. De ce
que Jean de Matha et son successeur moururent à Rome, il
ne faut pas conclure qu'ils y aient continuellement demeuré.
Les voyages de rédemption et la visite de l'ordre étant
effectués au treizième siècle par les grands-ministres eux-
mêmes, H leur arrivait très souvent de mourir hors de
France.
De la fin du treizième au milieu du quinzième siècle, le
grand-ministre résida à Cerfroid, chef-d'ordre consacré par
l'ermitage de Félix de Valois. Ii vint ensuite demeurer à Paris,
dont il garda la ministrerie, qu'il occupait presque toujours
avant d'être élu, comme il a été dit. C'étaient les seuls revenus
qu'il eût à sa disposition.
Bernard Dominici, plaidant, en 1570, contre François
Petit, ministre des Mathurins, a ainsi énuméré les devoirs
d'un général d'ordre :
i° Visitation;
20 Réformation;
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£o l'ordre français des TRIBUTAIRES.
3° Confirmation des bénéfices électifs* et collation des
bénéfices collati/s ;
4° Maintien des privilèges de tordre.
Il n'a pas cité le rachat des captifs parce que dans un ordre
si vaste les fonctions du général sont trop absorbantes, rien
qu'en France, pour lui permettre de se transporter dans
l'Afrique du Nord, en vue du long et périlleux voyage de ré-
demption. Mais c'est le général qui, en chapilre, ordonne la
rédemption et donne un passeport aux rédempteurs.
i° Quant à la visite, le droit du général de pénétrer dans
n'importe quel couvent de l'ordre reste entier et n'exclut pas
la visite ordinaire du provincial. Cette réception devînt, avec
le temps, fort solennelle. Un exemple en est la visite du
P. Grégoire de La Forge à Marseille, à son retour de Rome,
en i6g5, dont la relation, écrite par le P. Michel Trossier",
visiteur de la province, fut conservée dans les archives « pour
servir d'instruction en pareilles occasions m.
Athanase Coudoulet, lecteur en théologie, monte dans la
chaire du chapitre, à côté de l'Évangile, et adresse au général
une harangue en latin. Le ministre quitte le pluvial et l'étole,
se met à genoux devant le P. de La Forge et lui baise la main.
Le P. Gandolphe, assistant du ministre, chante un cantique
en son honneur ; on fait une décharge de trois douzaines de
bottes. Le général prend au couvent un repos bien gagné ; les
consuls de Marseille lui rendent visite en chaperon et lui font
le cadeau habituel de dix écus. Il reçoit encore le grand-vicaire
e voïl pas que le grand-mi nislre se donne la peine de confirmer
is particuliers. La confirmai ion apparaîtra pour le provincial.
2. Visite à Marseille de deux Ministres généraux de l'ordre de la
Sainte-Trinité, i85<). Bibl. nai., LK', 47n. Cf. Méry ct Glundon, Actes
de la commune de Marseille, lome V, p. 4t3.
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LE GRAND-MINISTRE ET SES SUBORDONNÉS DIRECTS. /( I
de la cathédrale, les supérieurs de tous les couvents de la ville
et les prieurs des Confréries de pénitents. Le lendemain, il
rend ces visites et en fait aux Trinitaîres Déchaussés. Deux
jours après, il repart pour Arles, où il devait recevoir un
semblable accueil. C'était là plutôt un voyage politique
qu'une tournée de visite. L'importance du couvent visité était
l'explication de cette magnifique, réception : ailleurs, c'était
plus simple.
Ordinairement, le grand-ministre prévient le ministre par-
ticulier ' du jour de son arrivée. Les religieux, revêtus du sur-
plis et de l'aube, ont préparé les lapis ; au son des cloches, le
grand-ministre descend de cheval; le ministre lui baise la
main, l'encense trois fois et lui fait un discours de félicita-
tions en tatîn.
Lorsque Nicolas Musnier arrive en i535 à Taillcbourg,
avec son secrétaire, l'accueil qu'il reçoit de son frère Thibaul,
ministre, et de ses deux moines est moins cérémonieux que
cordial*. Le premier jour, il visite les ornetnenls de l'église
et la sacristie, le second jour, les chambres des religieux;
dans l'une sont conservés les titres de propriété (il n'y en avait
guère à Taillebourg). Le grand-ministre inspecte soigneuse-
ment les comptes; il se préoccupe avec soin de faire payer les
dettes du minisire ou des religieux. Il rédige les actes de sa
visite d'après tout ce qu'il a remarqué de bon ou de mauvais,
sous forme d'articles, qui seront observés comme une ordon-
nance, il laisse une copie du procès-verbal et fait une exhorta-
tion aux religieux3. Telle est la coutume, mais il est clair
i. Les frais des vigiles étaient payés par la province visitée, au prorata
■les ressources île chaque couvent.
z. M. Torlst a publié cette pièce dans la /iront de Saintonge en nov. inoi.
3. Le procès-verbal relatif à Taillebourg, en i53i, est encore en latin. Au
a Dy Google
Ifl I: ORDRE FRANÇAIS DES TRIMTAIB.ES.
qu'elle subit des modifications. Le gTand-mînistre se bornait
à visiter le nord de la France, déléguant son vicaire géné-
ral dans les couvents où il ne pouvait se rendre. Quand l'or-
dre compta plusieurs branches, il dut prendre avec lui ou dé-
léguer, en cas qu'il fût absent, un religieux de la province
qu'il allait visiter1.
Il semble qu'il y avait des formalités particulières pour
la visite des provinces d'Espagne. Thibaut Musnier doit
demander un passeport à l'ambassadeur de Charles-Quint3
(10 avril t 548) ; les généraux du dix-septième siècle, pour
visiter ce même pays, prirent la précaution de se faire délé-
guer par le pape en qualité de visiteurs apostoliques, ce qui
ne leur évita pas tous les ennuis.
Le grand-ministre est. en correspondance particulière avec
les provinciaux et aussi avec les princes étrangers pour faire
proléger les couvents de l'ordre.
Il doit, en principe, ratifier tous les actes de vente ou
d'échange faits par un ministre, même les actes les plus sim-
ples. Au quinzième siècle cependant, ce soin était dévolu au
provincial. Seul, il permet aux religieux victimes d'un sinistre
de prêcher pour réparer leur église. II est présent lui-même
aux conventions les plus importantes ; ainsi Alard vient à
Marseille, en 1370, lors du renouvellement de la transaction
avec l'évêque et le chapitre. L'assentiment du grand-ministre
est toujours mentionné, quand bien même il n'est pas pré-
dix-septième siècle les visites sont rédigées en français; celles du couvent
de Faucon, qui appartenait aux Déchaussés d'Italie, sont en italien.
t. Le chapitre provincial réformé d'Arles donna i5 pistoles à Grégoire
de La Forge pour les cinq maisons déjà visitées. (Registre i3 des Triiii-
laires de Marseille, p. 7g.)
3. Il y a une copie du passeport dans les Archives des Trinitaires de Cha-
tons, 4fc liasse.
aoy Google
LE GRAND-MINISTRE ET SES SUBORDONNES DIRECTS. !\'S
sent à la signature de l'acte; c'est ce que l'on remarque
dans une convention entre les Trinitaires et le curé du Fay '
(Oise).
Le grand-ministre lève sur chacun des ministres une con-
tribution annuelle : « Item oportet, dit Giraud, ministre de
Marseille en i36o, tradere et soluere XXX solidos ad pro-
visionem majoris ministri. » Pour les premiers siècles, le
budget de l'ordre nous est fort peu connu. A part ce droit
annuel, qui était de 3 livres au dix-septième siècle, le gé-
néral n'avait point de traitement fixe; il ne possédait que
les revenus de Cerfroid et, plus tard, ceux des Mathurins de
Paris. Parfois, on donne au général les revenus d'un petit
couvent alors désert pour accroître ses ressources, qui ne
furent jamais bien considérables. C'est tellement vrai que,
toutes les fois qu'il y a un procès à soutenir ou un grand
voyage à faire dans l'intérêt de l'ordre, même pour une
dépense régulière comme l'entretien du procureur général en
cour de Rome *, à plus forte raison pour payer les dettes
d'un prédécesseur, le général doit imposer une cotisation sur
tous les couvents, tout au moins sur ceux de France qu'il régit
plus directement.
20 Le devoir de réformation indiqué par Bernard Domi-
nici fut transformé quelque peu par l'ambition des généraux
en une correction sur les ministres, souvent punis arbitraire-
ment. Il serait cependant injuste de ne pas rappeler que les
statuts mentionnés au chapitre iv ont été tous, sinon rédi-
gés, au moins promulgués par le général, et que deux d'entre
i. Dana nne pièce de 1226, on voit que si le grand-ministre est absent
les religieux promettent de Taire approuver par lui la transaction le plua
M possible.
I. Pièce no 277.
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l\k [/ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
eux, Jean de Troyes et Gaguin, prirent à leur exécution une
part personnelle.
Mais il ne se présentait que raremenl des cas de réforma-
tion proprement dits, et l'on a peut-être un peu abusé de ce
mot au dix-septième siècle pour prétendre arracher au géné-
ral Louis Petit, sinon sa démission, au moins son effacement
devant le cardinal de La Rochefoucauld, qu'un bref avait
chargé de la réforme de l'ordre. Il fut bien établi, en droit,
que le général seul avait le droit de réformer son ordre;
celui-ci le prouva, en publiant, seul, des statuts pour les
Mathurins de Paris. Pierre Mercier, l'un de ses successeurs,
edicta, mot a proprio, des statuts pour la province de Lan-
guedoc.
Quand le général n'est pas présent aux délibérations des
chapitres provinciaux, il peut au moins en fixer les sujets.
Le droit de correction sur les ministres était indispensable
au général, puisqu'ils étaient élus à vie. Seul, il peut les ab-
soudre, s'ils ont aliéné ou engagé les biens de la communauté;
il peut même les déposer sans prendre conseil de personne.
Jean Garuelle, ministre de Troyes, est privé de son bénéfice
par Pierre de Bourry, qui lui substitue son neveu Robert1.
Louis Petit suspend le ministre de La Marche jusqu'à ce qu'il
ail comparu devant lui pour répondre aux accusations du
promoteur (162a); il fallait que l'affaire fût particulièrement
grave. Ordinairement, le général délègue deux ministres pour
instruire un procès criminel contre un de leurs confrères; le
cas de Bernard Dominici, contraint d'ordonner une enquête
contre Jean Morel qu'il avait précédemment soutenu dans
1 . Cariulaire des Trinitaires de Troyes, p. 692 (Archives départemen-
tales de l'Aube).
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LE GRAND-MINISTRE ET SES SUBORDONNÉS DIRECTS. 45
une revendication contre François Petit, est assez singulier ' .
Le contrôle du général sur les ministres à vie était donc
nécessaire, mais le népotisme et les dissentiments causés par
la politique pouvaient conduire un général à abuser de ce
pouvoir. Ainsi Pierre Chandote, prieur de Cerfroid, élu géné-
ral en i4i6, casse l'élection du ministre des Mathurins, dé-
clarant qu'elle a été faite sans son consentement, et la consi-
dère comme à lui dévolue1. Cet acte est exorbitant, aussi bien
que celui de Louis Petit excluant de toute charge, d'avance,
au moyen de l'excommunication, les religieux qui lui déplai-
saient et qui auraient pu être élus ministres. Ce qui est licite
au général, c'est la nomination d'un administrateur provi-
soire quand le ministre est notoirement au-dessous de sa lâche 3.
3° Au sujet de l'élection du ministre, la règle dit positive-
ment qu'il doit être élu par tous les frères. II n'y a pas jus-
qu'au seizième siècle d'exemple de ministre choisi par le
grand-ministre, ce qui n'empêche pas le P. Pichault, général
trinitaire de la fin du dix-huitième siècle, de déclarer la col-
lation par le général immémoriale. Bernard Dominici récla-
mait avec raison la confirmation des bénéfices électifs, ce qui
était absolument de droit.
Au seizième siècle, la nomination du ministre par le général
apparaît en cas de fondation d'un couvent. En i535, Nicolas
Musnier, dotant une nouvelle maison trinitaire à Meaux, se
réserve le droit d'en choisir lui-même le ministre*. Il faut
interpréter de même l'acte du chapitre général de i56o, où
t. Ce pouvoir de prescrire une enquête est exercé, en cas d
içé néralat, par le vicaire général.
a. Archives nationales, registre LL, i545, p. i.
3. Voir la Monographie du couvent de Lena.
4- Archives nationales, S 41G7. — lien était de même pour D
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46 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINJTAIRES.
Thibaud Musnier rattache à sa propre autorité le couvent
nouveau de Naples '. Ce droit de nomination est exceptionnel
en stricte justice.
En 1 55o , c'est le provincial de Languedoc qui nomme
ministre de Montpellier Arnaud Raynal, présenté, c'est-à-dire
gradué en théologie, par suite de la résignation de Jean
Maur en chapitre provincial.
Lors du procès entre Jean Morel, se prétendant élu minis-
tre des Mathurins par les religieux, et François Petit, se
disant pourvu de cette charge par le roi , il n'est nullement
question du droit d'élection prétendu par le général.
Cependant, en i5q3, Bernard Dominici, choisissant comme
vicaire général en Normandie Jean Rihouey, lui donne le pou-
voir de collation sur les maisons de cette province. Evidem-
ment, le général de l'ordre pensait avoir ce pouvoir, puisqu'il
le délègue à son subordonné * : il avait donc changé d'avis
depuis 1570. On voit Guillaume Basire, seul profès de Châlons,
élu en 1611 ministre de ce couvent par François Petit3.
Beaucoup de couvents du nord de la France ayant été
abandonnés, le titre était conservé pour faire nombre en face
des provinces étrangères; mais le grand-ministre donnait a
des religieux qui lui plaisaient le titre et le revenu, sans obli-
gation de résidence4, parce qu'il n'y avait pas toujours de quoi
nourrir le bénéficiaire.
Dans les couvents qui avaient conservé leur droit d'élec-
1. Bibl. de Marseille, manuscrit I2i5, p.4&. — Saus doute, la mention :
domus de Icognc « exempta » dans la liste des couvents anglais a la même
signification.
a. Archives de Meta, H 3774.
3. Bibliothèque de Châlons, manuscrit 58, p. 114.
4- Lefebvre défend en 1753 son droit de collation contre Borin, curé de
Communay, qui s'est tait pourvoir d'un prieuré triniuire par une bulle du
vice-légat. (Bibl. nal-, F". a«3a6.)
a Dy Google
LE GRAND-MINISTRE ET SES SUBORDONNÉS DIRECTS. 4/
lion, le général nommait un commissaire pour y assister.
Cette pratique était mal vue par le Conseil de Brabant, hos-
tile a un général d'ordre français, qui pouvait ainsi acquérir
quelque influence au Pays-Bas.
Tout au moins les élections subsistaient-elles pendant la
vacance du généralat. En i685, François Leprestre, ministre
d'Hondschoote, démissionne entre les mains de Guillaume
Basîre, vicaire général; deux scrutateurs sont établis; les reli-
gieux votent au scrutin secret, et Jean-Baptiste Bultrel est élu
par six voix sur huit ' .
On peut alléguer que, dans la Picardie, voisine des Pays-
Bas espagnols, et dont quelques couvents étaient en terri-
toire étranger ou même ennemi, le général français n'avait
pu asseoir aussi solidement son autorité. Une tentative de
Grégoire de La Forge pour désigner d'office un de ses pro-
tégés, vers 1698, rencontra beaucoup de résistance.
De même, l'institution des Trinitaires Réformés, qui élu-
rent triennalement leur ministre, fut, dans beaucoup de cou-
vents, une barrière à l'ambition dominatrice du général.
Tous les résultats de cette ingérence du chef suprême de
l'ordre ne furent cependant pas mauvais. Dans la discipline
primitive, le ministre était perpétuel; il ne quittait son cou-
vent que pour se rendre au chapitre général; il ne connais-
sait rien des autres provinces de l'ordre. Au dix-septième
siècle, on changea tout cela; très fréquemment, François
Petit, Louis Petit et leurs successeurs envoyèrent des reli-
gieux du Nord dans le Midi et réciproquement, pour faire
sentir la solidarité qui unissait tous les couvents de France.
Ainsi, le P. Toéry fut successivement ministre de Fontaine-
1. Archives des Trinitaires de ChAlons, pièce
a Dy Google
48 l'ordre français des tributaires.
bleau et de Toulouse. Il De faut pas croire que ces déplace-
ments fussent une disgrâce. Guillaume Basire était infiniment
apprécié dans son couvent, quand il fut envoyé pour trois
ans à Morlagne1, où il n'alla que pour remplir un devoir
d'obéissance.
C'est ainsi que la confirmation des ministres devint de plus
en plus une vraie collation pour le général, qui fut le vrai
maître de son ordre en fait et en droit.
Le dernier devoir du général, te maintien des privilèges de
l'ordre, fut exercé au moyen du procureur général en cour de
Rome, dont il sera question plus lard.
Il partage avec l'évéque le pouvoir d'instituer les prieurs-
curés.
Il doit enfin, en cas d'absence ou de maladie, se constituer
un vicaire général.
VICAIRE GÉNÉRAL.
Celui-ci a le même pouvoir que le grand-ministre malade
ou absent. En cas de mort du général, il porte le nom de
cuslos ou gardien.
Pendant la croisade d'Egypte, où le grand-ministre Nicolas
figure avec saint Louis, Simon, ministre des Mathurins de
Paris, porte le titre de vice-ministre de l'ordre2. La termino-
logie n'était pas alors bien fixée. On peut constater, dans l'acte
où Simon accepte la donation de l'hôpital de Saint-Quentin en
1 257, que ce religieux éminent avait gardé le titre même après
!e retour du grand-ministre. Peut-être à cette date le siège
était-il devenu vacant?
1. Bibliothèque «le ChAlons, manuscrit 58. (A la fin : notice sur les
a, Sceaux des Archives nationales, n» fl8i3.
a dv Google
LE GRAND-MINISTRE ET SES SUBORDONNES DIRECTS. flu
La constitution d'an vicaire général était, pour le grand-
ministre, un moyen commode de désigner son successeur au
choix des électeurs. Raoul du Vivier et Gaguin commencèrent
par être les coadju leurs de leurs prédécesseurs. Sans doute,
Claude -Raile n'eut pas ce titre, mais il fut, pendant quarante
ans, secrétaire de son général, Louis Petit, ce qui fait que
Pierre Mercier dit, dans le discours d'usage qui précède toute
élection : Aon eligendus qaippe qui jam sit electus1. San
doute, Pierre Mercier nomma vicaire général Guillaume Ba-
aîre, ministre de Châlons, et, cependant, ne lui assura pas sa
succession". C'est que, les circonstances étant graves, Guil-
laume Basire déclara qu'il fallait remettre la direction de l'or-
dre à une main plus jeune.
Pierre Mercier s'étant rendu en Espagne, Nazare Anroux,
vicaire général, nomma un religieux à la ministrerie de Mor-
tagne. Un opposant à cette collation fut débouté par un arrêt
du Conseil, qui ordonna à tout religieux de reconnaître
comme son supérieur celui que le général aurait délégué pour
gouverner l'ordre en son absence3.
Les provinces étrangères et celles qui dépendaient moins
étroitement du général avaient aussi à leur tête des vicaires
généraux, dont l'action était plus étendue que celle du pro-
vincial. Thibaut Musnier nomme, par exemple, Jean Hurtado
de Mendoza, vicaire général en <.'-.: stîJIe, Andalousie et Na-
varre4. Ce litre pouvait n'être que temporaire5. Il n'en est
i. Oratio... Pétri Mercier , i5 décembre i652. (Bihl. de l'Arsenal,
jurisprudence, no 1492, în-:a.)
2. Archives de Metz, H 3773, no 6.
3. Ibid. H 3773, no 5.
h. Le 9 mai i548. (Archives des Trinitaires de Chatons, liasse 46.)
5. En 1765, la cour d'Espagne voulut avoir un vicaire général indépen-
dant du général pour les provinces d'Espagne. Le roi de France s'y opposa.
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5o L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
pas de même de la charge confirmée par Pierre Mercier,
en j655, à Jean Naurias, ministre d'Avignon, qui était celle
de vicaire général des provinces de Provence et de Langue-
doc1 : il était un vérilable vicaire général pour le Midi.
Fallait-il donc un renouvelle ment à chaque changement de
général ?
On voit que ce terme de vicaire général a eu chez les Tri-
nitaircs des acceptions un peu variées.
Le vicaire général pouvait demeurer en fonctions plusieurs
années, tandis que le custos était intérimaire. Anciennement,
. le chapitre général se réunissait tous les ans. Si le général
venait à mourir peu de temps après une réunion ordinaire
du chapitre général, il eut été incommode que l'ordre fut
privé de chef pendant près d'un an; alors on procédait à
l'élection d'un custos ou gardien. C'est par l'histoire seule
que l'existence du custos est connue, tes Statuts n'ayant pas
plus parlé du custos que du vicaire général.
Dom Toussaint du Plessis croit savoir1 que primitivement
le prieur de Cerfroid était custos de plein droit j et il ajoute
que, de son temps, on élit le custos comme le général. Nous
le verrons plus loin, il a fait une double erreur. Si le prieur
de Cerfroid fut custos primitivement, ce ne fut pas longtemps,
car, dès 1^74, Jean de La Marche, ministre de Meaux, est
revêtu de cette dignité.
Le grand-ministre étant mort, le visiteur provincial de
■ . Pièce nu 200.
■2. Histoire de l'église de Meaux, I
a Dy Google
LE GRAND-MINISTRE ET SES SUBORDONNES DIRECTS. DI
l'Ile-de-France en convoque les ministres pour l'élection du
custos. Etienne du Mesnîi aurait été élu castos, en i4i4, par
les quatre « correcteurs » du chapitre général. On était dans
une époque si troublée qu'on dérogea à la régie. Il ne pa-
raît pas y avoir de lieu fixé pour celte élection. Le P. Mis-
sier fut élu castos a Meaux (26 octobre i5oi); mais il est à
croire que l'élection se faisait de préférence à Paris, au moins
dans les derniers siècles de l'ordre, comme le porte, en i685,
la convocation adressée par le P. De Launay.
Le castos a ' pendant quelques mois tous les pouvoirs du
grand-ministre. Ainsi, le P. Missier confirme l'élection de
Guy Musnier comme ministre des Mathurins de Paris, mal-
gré la protestation de Guillaume Maliault".
Quand l'ordre, réuni en chapitre général, ne peut tomber
d'accord sur la désignation du grand-ministre, la durée des
fonctions du castos peut être prolongée d'une année. Cet
honneur fut fait pour la première fois à Guillaume Manouny,
prieur de Cerfroid (1068-1570). Je ne puis, en effet, croire
avec Gaguin que le célèbre Etienne du Mesnil-Fouchard fui
continué dans ses fonctions de castos, en 1/41Î), car, la seconde
année de la vacance du généralat, Roger Toleval figure, dans
un acte que Gaguin n'a pas connu, avec ce titre, qu'il porte
encore lors de l'élection du général.
Le custos préside le chapitre général où va être élu le
grand-ministre ; il est parfois élu lui-même à celle dignité,
comme Jean de La Marche en 1374, Gaguin en il\ji, Bernard
Dominici en 1570 et presque tous ses sucesseurs.
Le chapitre général de 170$ décida que, à la mort du
. Archives de Metz, H 37î3, 5.
. Archives nationales, LL i545, f° 1
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5a l'ordre français des trimtaires.
général, le provincial de France serait custos de plein droit.
Le premier exemple fut celui du P. Darde, qui était Agé de
quatre-vingts ans; pour le surveiller, on jugea à propos de
lui adjoindre quatre conseillers, pris parmi les ministres de
la province de France.
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CHAPITRE VI.
Le chapitre général.
Le plus haut tribunal de l'ordre, auquel on en appelle des
sentences du grand-ministre, n'a qu'une influence tempo-
raire, en raison de la courte durée de sa session qui. primi-
tivement annuelle, devient triennale, cetle périodicité «'affai-
blissant de plus en plus A mesure que le pouvoir du grand-
ministre se développe.
Une question fort agitée au dix-septième siècle fut celle-ci :
où se tenait à l'origine le chapitre général des Trinitaires?
Albérîc des T rois-Fontaines répond nettement : à Cerfroid.
Au contraire, Jacques de Vitry dit que le chef d'ordre
trinitaire est au couvent de Marseille, ce que le P. Xavier,
traducteur de la Vie de saint Jean de Mai ha en italien, inter-
prète en ce sens que, du vivant du fondateur, le chapitre
général se tenait à Marseille. Avec celle restriction, l'inter-
prétation de Jacques de Vitry serait admissible à la rigueur.
Il faut cependant donner raison à Albéric. Le premier
chapitre général dont nous ayons un acte est tenu à Cerfroid
en i23o; Roger, grand-ministre, y accepte la donation du
couvent de Saint-Mathurin de Paris. A Cerfroid se tient aussi
le chapitre de i23a; Nicolas, qui vient d'y être élu, accorde
à Marguerite de Rourgogne, fondatrice du couvent, une
a Dy Google
54 l'ordre français des tributaires.
« association spirituelle ' ». Des actes de laiS et ia5a prou-
vent que la tenue du chapitre à Cerfroid était absolument
régulière, puisque 60 sous de Provins, pour sa pitance, et un
muid de blé, pour son pain, lui sont conférés par de généreux
bienfaiteurs3. — Une bulle du 26 janvier 1256 prescrivit de
tenir annuellement et perpétuellement le chapitre générât à
Cerfroid. Les termes en furent altérés dans la suite, mais le
fait est certain, la bulle authentique ayant été publiée par
Baron3, qui essaie seulement (et bien à tor() de prouver
qu'avant cette bulle le chapitre se tenait ailleurs.
La guerre anglaise amena une dérogation en 1421 ; il y en
eut une aussi en i655, pour l'élection du général. C'est encore
à Paris que le chapitre national se tint en 1768, à propos de
l'adoption de nouvelles constitutions. Ce sont les seules
exceptions connues.
L'aimalité de la session, exigée par Thibaud V de Cham-
pagne comme condition de la délivrance d'une rente de
100 livres, fut interrompue dès le quatorzième siècle. En
effet, eu i36q, un procès des Trinitaîres de Cerfroid avec
l'évéque de Meaux autorise des doutes sur la tenue régulière
du chapitre général. En 1429, Jean de Troyes exprime le
souhait que, malgré le malheur des temps, un chapitre se
tienne l'an suivant à Cerfroid , et il prie les ministres d'y
apporter leurs comptes4. Au seizième siècle, en fait et bien-
tôt en droit, le chapitre général ne se tient plus que tous les
trois ans. Les troubles de ta guerre étrangère et de la guerre
1 . Voir la Monographie de Cerfroid.
2. Dans Toussaint du Plessts, pièces 36a et 399, copie Arcb. nal., L g4?
ei K i85, n° 190.
3. Pièce no 22g.
4- Statuts de Jean lie Troyes, édition df i586, p. 76.
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LE CHAPITRE GÉNÉRAL. 55
civile joints à ceux de l'ordre, empêchèrent la réunion du
chapitre entre i635 et i()5u; enfin, le chapitre général en
arriva à ne plus se réunir au dix-huitième siècle que pour
l'élection du général.
La date primitive de cette réunion est celle des octaves de
la Pentecôte (dimanche de la Trinité). A partir de ia63.
ce fui le quatrième dimanche après Pâques (dimanche de
Cantate), la même date que celle du chapitre général de Saint-
Victor'. Cette date s'observe encore actuellement chez les
Trinitaires Déchaussés de Rome; on n'y dérogea qu'excep-
tionnellement, notamment en i655 et en 1686, pour prévenir
les intrigues des provinces étrangères, qui, n'assistant pas au
chapitre français, voulaient qu'il se tint ailleurs.
Le droit d'assistance au chapitre général a donné lieu à
une controverse de près d'un siècle. La Règle n'en dit rien.
Elle ne spécifie pas de différence entre les chapitres généraux,
qu'il y ait ou non a élire un général. Quand elle parle de
l'élection du ministre par le conseil commun des frères, elle
ne peut évidemment avoir en vue que le ministre particulier.
II eût été absurde de faire élire le grand-ministre par le suf-
frage universel. Il est probable que théoriquement tous les
ministres avaient droit de séance au chapitre général. A la
suite de démêlés assez obscurs entre les grands-ministres et
les provinces étrangères dans le cours du treizième siècle,
l'usage s'introduisit de n'y convoquer que les ministres des
quatre provinces du nord de la France (Ile-de-France, Cham-
pagne, Picardie, Normandie), seules mentionnées dans les
plus anciens Statuts des Trinitaires. — Les provinces étran-
1. E. Vwtavlt, danst Positions des Thèses de l'Ecole des Charles, 1867-
1868, p. 65.
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56 L'ORDRE FRANÇAIS DES TR1NITAIRES.
gères tinrent leurs chapitres, chaque année, dans des cou-
vents désignés par les correcteurs ou définiteurs, qui diri-
geaient les délibérations. — Cette spécialisation avait une
raison de fait : Cerfroid élait trop éloigné du Midi, de
l'Espagne surtout, pour qu'on pût y faire venir annuelle-
ment les ministres non français. Ce qui était un fait parut
aux Trinilaires du Nord un droit, quoiqu'il ne fût écrit nulle
part; les « quatre provinces » prirent l'habitude de se réunir
seules en chapitre général et prétendirent représenter tout
le reste de l'ordre.
Contre la réclamation des étrangers au dix-septième siè-
cle, les Trinilaires du Nord formèrent un grand dossier qu'ils
eurent la naïveté de croire concluant.
La thèse de l'exclusion systématique des étrangers pour le
chapitre général est insoutenable. Suspects aussi sont les
nombreux chapitres généraux tenus hors de France ou dans
notre Midi, trop facilemment admis par Bonavcnture Baron,
qui se fait l'écho des prétentions des Trinilaires espagnols.
Suspecte la version de la bulle de 1 256, copiée dans un ma-
nuscrit de la Bibliothèque nationale, une des plus singulières
falsifications de cette époque du dix-septième siècle, si fertile
en faux de tout genre.
Dans le dossier, même interpolé, des Trinilaires du Nord,
nous avons de quoi les prendre en flagrant délit d'erreur.
C'est dans les extraits des chapitres généraux, auxquels la
cour de Rome ne voulut jamais ajouler foi, et dans lesquels
on peut avoir confiance, quoiqu'on n'ait jamais vu les actes
originaux, par suite de celle déplorable fatalité qui s'attache
aux litres primordiaux des Trinilaires. L'assistance d'étran-
gers aux chapitres français se prouve en droit et en fait.
Les Statuts de 1429, comme il a été di(, complétés par
a Dy Google
SERAI,. 57
Jean de Burgos, provincial de Castille, portent expressément
que, tous les cinq ans, l'Espagne enverra des députés au cha-
pitre général. C'était d'autant plus facile qu'il y avait conti-
nuellement a -Paris des religieux de provinces étrangères,
attirés par leurs éludes ou par les affaires de leurs provinces :
le Chartularium du 1*. Denifle mentionne parfois des Tri-
nitaires espagnols dans notre Université. Admettons comme
vraies les protestations des Trinitaires contre le droit des
provinces du Midi et de l'Espagne à se faire représenter
dans les chapitres de l'élection du général, on constate la
présence non accidentelle de religieux de Languedoc et d'Es-
pagne aux chapitres généraux de 147Ï et de i5o8 ', ainsi que
le droit de 'vote qui leur fut accordé pour cette fois.
Mais voici qui est plus grave et qui me parait anéantir
totalement la thèse française, c'est la lettre si intéressante
écrite par Thibaud Musnîer aux ministres de Valladolid et
de Séville, au mois de mai i548, et conservée dans les Archi-
ves de Chàlons-sur-Marns1. Le nouveau général dit qu'il avait
formellement convoqué les ministres d'Espagne à se rendre
au chapitre et qu'il regrette leur absence.
Sans empiéter sur les faits de l'histoire générale de l'ordre,
il faut signaler la solution de cette question de droit. Jus-
qu'à la fin du seizième siècle, les étrangers ne furent pas
très ardents à réclamer le droit de siéger au chapitre d'élec-
tion. 11 fallut la fondation des Déchaussés d'Espagne, qui eu-
rent bientôt un général à eux seuls, pour leur faire regretter
celte abstention. On comprend alors les instances des Chaus-
sés d'Espagne, des Réformés du midi comme du nord de la
1. Pièce 23o.
aoy Google
58 l'ordre français des TRIBUTAIRES.
France, qui fièrent partie ensemble afin d'être admis au cha-
pitre de Cerfroid. Le pouvoir royal y fit admettre les Réfor-
més de l'Ile-de-France. Ceux de Provence n'y furent appelés
qu'en 1693, les Espagnols en demeurant toujours exclus. La
France entière fut donc unie contre les prétentions des Espa-
gnols, soutenus par le pape avec réserve; plusieurs chapi-
tres se tinrent à Rome sans la participation de la France.
En 1703, l'Espagne et l'Italie purent se faire représenter au
chapitre général , toujours tenu à Cerfroid , mais les Trini-
taires de France rendirent cette victoire inutile en ne se réu-
nissant plus que pour l'élection du général. Ils gardèrent
jusqu'au bout la majorité; les Espagnols se découragèrent
et ne tirèrent aucun parti de leur succès. Telle fut l'évolu-
tion des assistants au chapitre général.
Le chapitre général est présidé par le grand-ministre et,
si la charge est vacante, par le custos. En cas de maladie, le
grand-ministre constitue des procureurs pour la durée du
chapitre : ceux-ci, au nombre de quatre en i33o, sont indé-
pendants des fonctionnaires du chapitre.
Un promoteur, élu par les « capitulants », remplit le rôle
de ministère public, sollicite les châtiments contre les minis-
tres négligents, accorde ou refuse le droit de session.
Le secrétaire du chapitre parait être élu à vie. Dans les
dernières années du seizième siècle, nous voyons un reli-
gieux, nommé Cosse, toujours pourvu de ce titre. Au début
du siècle suivant, Claude Ralle est à la fois secrétaire du
généra], Louis Petit, et secrétaire du chapitre général.
Les correcteurs ou définiteurs sont ainsi nommés parce
qu'ils doivent corriger le grand-ministre et définir les points
obscurs de la règle. Ils peuvent « constituer, destituer, modi-
fier, ajouter, retrancher, imposer à tous leur autorité et régie-
ci oyGoogle
LE CHAPITRE GÉNÉRAL. 5û
menter à perpétuité1 m. — « En eux, di( Du Cange (Diction-
naire, II, 777), réside toute la puissance du chapitre... pour
les décisions en matière de discipline, m
Les définiteurs (cette appellation prévalut bientôt) semblent
n'être que trois en raoj1; mais peut-être une des quatre pro-
vinces était-elle insuffisamment représentée i ce chapitre.
Ensuite ils sont toujours quatre. Contrairement à ce que l'on
pourrait penser, il n'y en avait pas toujours un par province.
Il y a en i3i 9 deux définiteurs de l'Ile-de-France, les minis-
tres de Fontainebleau et de Paris, et en i38o deux de la pro-
vince de Champagne, ceux de Châlons et de Troyes. Voici
deux listes régulières de ministres, comme toutes le furent
par la suite :
i33o, les ministres d'Elampes (France).
— de Douai (Picardie).
— de Lamarche (Champagne).
— de Morlagne (Normandie).
1 38o, les ministres de Mitry (France).
— d'Arras (Picardie).
— de Châlons (Champagne).
— de Rieux (Normandie).
L'admission des Trinitaires Réformés, en 1696, fit qu'il y
eut six définiteurs; l'accession des provinces étrangères au
début du dix-huitième siècle éleva leur nombre à neuf,- dont
cinq pour la France, un pour l'Italie, un pour le Portugal et
deux pour l'Espagne.
La réunion officielle est fixée au dimanche, mais le cha-
1. La P. B*lme, Cartulairede saint Dominique, l. 1, p. ifl3.
s. Don Toussaint du Plessis, oavr. cité, l. H, p. 439-
aoy Google
6û L'ORDRE FRANÇAIS DBS TRINITAIRE8.
pitre commence au moins deux jours avant. C'est pour le ven-
dredi que les statuts anonymes convoquent les provinces du
royaume de France et de ('Empire (sans doute la Flandre on
Germanie inférieure) pour traiter des affaires de l'ordre avec
le grand-ministre ou le vicaire général, de concert avec les
déiiniteurs de l'année précédente. Si quelque simple frère,
porteur d'une procuration ', vient au chapitre, il ne peut être
reçu à Cerfroid que le samedi. — Le chapitre durant plusieurs
jours3, des legs spéciaux avaient été faits pour parer à ces
dépenses qui eussent été trop onéreuses pour le couvent de
Cerfroid, situé dans un pays sans ressources. Comme par-
tout, on délibérait par provinces {itum est ad prooincias, dit
Bourgeois en 1&73).
Le chapitre général nomme et révoque les écoliers, choisît
également, par province, les ministres députés au rachat des
captifs, accorde aux bienfaiteurs de l'ordre « l'association
spirituelle » ou les prières. En 12ÎH, Simon, vicaire du
grand-ministre Nicolas, ayant appris la mort de Guillaume,
fils de la comtesse de Flandre, fait célébrer des messes en
chapitre général et ordonne à chaque prêtre de l'ordre d'en
dire deux à cette intention3. En ia56, le chapitre confère à
saint Louis l'association spirituelle*.
Il règle le spirituel (fêles de l'ordre) comme le temporel.
Si un couvent n'a plus assez de fonds pour nourrir ses reli-
i . Hors ce cas, un simple frère ne pcul élre reçu ru chapitre, nuque!
les ministres seuls oui te droit ainsi qui: le devoir strict d'assister. Les
Déchaussés frappent d'uue amende de 100 livres les ministres absents sans
motif légitime.
2. (I est interdit de le faire durer plus de quinze jours. {Constitutions
éditées à Madrid en 173 1, p. ïi5.)
3. Inventaire i/e lit Chamlire des comptes de Lille, i8ô5, p. folf.
i. Layettes du Trésor des Charte», III, ^58.
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LE CjlIAPITRE GÉNÉRAL.
(BIN. ïuriH, nu. t1S5, fol. 1U.)
a Dy Google
a o» Google
LE CHAPITRE GENERAL. 01
gieux, il en prescrit la réunion à un aulre couvent plus floris-
sant, c'est la redactio; des revenus du couvent supprimé, on
fait deux parts, l'une sert à acquitter les fondations, l'autre
est consacrée à des créations de bourses pour des écoliers de
l'ordre. — Le chapitre fait les confirmations générales des
biens des couvents, car chaque ministre y apporte ses inven-
taires. Si Thomas Loquet, en i353, souscrit seul ta confir-
mation des biens du couvent de Mitry ', ailleurs on voit les
correcteurs ou définiteurs procéder seuls à cette opération.
Le chapitre s'occupe de l'historiographie de l'ordre et
nomme au besoin un chronographe2 .
Le chapitre général accorde aussi des secours de toute
nature aux minisires dont le couvent a été éprouvé par
quelque catastrophe; ainsi, le 20 mai ^76, 5oo livres sont
allouées à Elie Mannourry pour rebâtir l'église de Gerfroid.
Le ministre de Châlons, dont l'église a été incendiée, reçut
la permission d'aliéner des biens jusqu'à concurrence de
5oo livres.
L'histoire financière du chapitre général est assez bien
connue depuis le dix-septième siècle. On voit qu'en i635
chaque ministre (sauf les officiers du chapitre) dut donner
4o sous pour les serviteurs.
Le voyage des députés de chaque province était à la charge
des couvents : c'était une raison pour ne pas trop multiplier
ces réunions. D'autres dépenses étaient imposées aux minis-
tres à l'occasion du chapitre. En 170$' et en 17491 le pape
ayant accordé une indulgence plénière pour le jour de l'ou-
verture du chapitre, chaque ministre fut taxé à 12 sous pour
1. Bibl. nat., Collection de Champagne i53, n« 43-
a. II y en a un exemple même en 1781
3. Bibl. ont., Ld «, no 7, p. 3a.
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6a l'ordre français des tributaires.
le port de la bulle et À r8 pour les exemplaires à faire affi-
cher ' dans les villes où l'ordre avait des couvents.
Les chapitres particulièrement intéressants furent ceux de
i635 et de i65r, lors de» grandes dissensions intestines de
l'ordre, et celui de 1696, où parurent, pour la première fois,
les provinces de Provence et de Languedoc.
Tous les actes importants du chapitre général étaient passés
en latin; les discours1 étaient prononcés dans cette langue.
Seulement, lorsqu'on voulut faire des politesses aux étran-
gers, on les laissa parler leur langue; il y eut, en 1704. des
discours italiens et espagnols3. Gaguin remarque qu'Etienne
du Mesnil parla français en i4i5, contre l'habitude. En 1781
encore, les discours et le compte rendu du chapitre furent
écrits en latin.
Dans divers actes solennels, comme ceux qui sont relatifs
au couvent du Bourgel (i33o, 1370, i38o), la date com-
prend aussi l'année du pontificat et, au bas de chaque acte,
figure le visa du notaire apostolique.
Dans le courant du quinzième siècle, les petits actes de
confirmation générale cessèrent d'être rédigés eu latin. Le
premier acte que j'aie rencontré en français (26 avril i483)
est relatif au temporel de La Villeneuve, près Chelles*. Le
latin persista plus longtemps dans les registres de visite :
1. Bibl. de Lyon, manuscrit 281, fonds Coste, a" i5.
2. L'honneur de prononcer le discours préliminaire à l'élection devait
être fort recherché, parce qu'il fournissait parfois h l'orateur l'oc
poser sa candidature. Gaguin pnrla si bien des devoirs du grand-n
qu'on jugea que personne n'élait plus digne que lui d'être élevé à celi
dignité. (1*. de Vajssièhk, De Robert i Gagitiai vita el operibnx... p. 6.)
3. Registre i3 des Trinitaires de Marseille, p. 88.
a Dy Google
LE CHAPITRE GÉNÉRAL. 63
en i53i, à Taillebourg, il était encore employé, comme nous
l'avons vu.
Il n'y avait pas seulement des personnages de l'ordre des
Trinilaires dans le chapitre général. Dès i4i5, un huissier
force Etienne du Mesnil à quitter la présidence; en i546,
un envoyé de la cour interdit toule élection. Au dix-sep-
lième siècle, des conseillers au Parlement de Paris furent
délégués par le roi comme assistants. On y trouva même,
en i635, des huissiers pour surveiller de près les Trinilaires
non Réformés. Le roi tenait à ce qu'on ne traitât point de
sujets contraires aux statuts, témoin une lettre du cardinal
de Fleury ■ aux Réformés en 1737. Cet usage persista, car,
dans le dernier chapitre général (1781), il y avait quatre
envoyés royaux 3 : l'intendant Berlier, Mignot et Martigny,
de l'Académie des sciences, et Le Monier, commissaire des
guerres.
On donnait aussi le nom de chapitre général aux réunions
d'ensemble de la congrégation réformée, établie à la fin du
seizième siècle. Lorsque la paix eut été raffermie entre cette
congrégation et le général, celui-ci vint parfois présider lui-
même ou tout au moins nomma un président, comme pour
les chapitres provinciaux ordinaires. La présence d'un délégué
du général n'excluait pas celle de l'évéque que le roi leur
donnait comme président dans des circonstances importantes.
1. Pièce 285.
1. Recueil sur la Rédemption lies Captifs. Bibl. de lu ville de Paris,
no 283ï4, in-4°.
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CHAPITRE VII.
Le provincial et le chapitre provincial.
Dès 1226, on voit un vicaire provincial assister à 1» dona-
tion de l'hôpital de Beaûcaire à son ordre par l'archevêque
d'Arles. En 1273, Vincent de Fontainet es! nommé, par le
grand-minislre Jean, provincial dans les diocèses d'Albi, de
Vienne et de Toulouse'. A l'autorisation de venle de l'hôpital
de Saint-Martin de Marseille, le 16 mars 1277, il est qualifié
de ministre provincial des Tri ni ta ires de Toulouse. Probable-
ment, la Provence el le Languedoc n'eurent parfois qu'un
seul et même provincial, mais ce n'est pas absolument sur.
En France, le provincial est à la nomination du général. Il
est, pour sa province, ce que le général est pour l'ordre
entier. II doit sans doute être confirmé par chaque nouveau
général. Il a autorité sur une douzaine de couvents; telle est
la moyenne en France (dans la province de Caslille il y avait
vingt-deux couvents).
II est le correspondant du général. C'est le provincial d'An-
gleterre que Gaçuin3 charge, en son nom, de recouvrer la
chapelle de la Sainte-Trinité d'Oxford, qui avait été aliénée.
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LE PROVINCIAL ET LE CHAPITRE PROVINCIAL. 65
Le provincial, institué en France par le grand-ministre, est
souvent le ministre du couvent le plus important de la pro-
vince1; ainsi le ministre de Troyes est fréquemment provin-
cial de Champagne. De même Simon de Camargo, en 1/481 ,
et Diego de Gayangos, en i5i8, sont à la fois provinciaux
de Castille et ministres de Burgos1. Mais l'Espagne a des
usages particuliers qui vont être détaillés.
Le provincial doit être nommé à l'unanimité par les minis-
tres de la province, faute de quoi le grand-ministre le choisit.
II est élu pour un temps, en Espagne, à dater de 1 477 , et
fait ainsi la première brèche à la perpétuité des fonctions.
Gaguin se plaignant, à cause de l'éloignement, de n'avoir que
tardivement connaissance de la mort des provinciaux, or-
donne la triennalité de ces fonctions. A la mort du ministre
provincial actuel de Castille et de Léon, le ministre conven-
tuel le plus proche ou, à son défaut, le plus ancien, recevra
la garde de la province, qu'il conservera jusqu'à ce que l'élu
des ministres ait été confirmé par le général. Le provincial, à
sa troisième année, fixera le lieu de la future élection, pré-
sidée par le plus proche ministre conventuel qui aura le titre
de cuslos, ensuite de président de la province (1477J.
Vingt ans plus tard, Gaguin permit que le provincial, réélu3
immédiatement, se passât de la confirmation du grand-
ministre, et que, non réélu, il confirmât son sucesseur « per
osculam pacis ». Le provincial meurt-il avant les trois ans,
c'est au plus ancien ministre que l'on jurera obéissance4.
1. Le sceau da provincial est celui du couvent dont il est ministre.
2. Alexandre VII interdit aux provinciaux d'Espagne de cumuler cet
office avec celui de ministre conventuel (Statuts, édition de 1 73 1 , p. 261).
3. D'après une bulle du 10 octobre i544, le provincial ne put être réélu
qu'au bout de six ans (Bullaïre de 1691, pp. 269-273).
4. P. de Vaissière, oiwr. cité, pp. 23 et 4q.
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66 l'ordre français des trinitaires.
La confirmation du général était encore exigée au milieu
du dix-septième siècle '.
La même règle existait pour la province de Portugal. Le
provincial récemment élu, décide le nonce en i585, sera
confirmé par son prédécesseur ou par le visiteur provincial,
(ici appelé commissaire général) ou par le président de la
province, et il devra, dans les deux mois, demander sa con-
firmation au ministre général1.
Le provincial devait être originaire de sa province; ainsi
en est-il décidé, le 4 mai 1 53 1 , pour le provincial d'Aragon;
toutefois, d'accord avec le ministre général, le chapitre pro-
vincial peut accepter un étranger3.
Le provincial était spécialement chargé de faire des enquê-
tes. Paschal, ministre d'Orival, vicaire général dans les Pays-
Bas, avec placet royal, est chargé d'aller constater les dégâts
causés dans le couvent de Lens4 (i5 novembre i64o). Eu
1718, Mathieu Duxio, provincial des Réformés, vient constater
la ruine de la clôture du couvent de Pontoise3.
Il ne parait pas y avoir de différences essentielles entre le
rôle du provincial et celui du visiteur ; au dix-septième siècle,
les Réformés parlent du visiteur provincial. Peut-être cepen-
dant le visiteur élail-il parfois un subordonné occasionnel du
provincial? Ainsi Simon de Roxas, confesseur de la reine
d'Espagne Elisabeth, ne pouvait quitter la cour pour faire ses
visites, qu'il devait accomplir personnellement, comme pro-
1, Vatican, ras. Ottolioni 1123, fu 97.
1. Bullairc, pp. 3[Ç-3ai.
S. Ibid., p. a5o. Chaque province espagnole en effet était ïndépeudaute
l'une de l'autre au point de vue de la visite.
4. Archives de l'Etal, à Mons. Liasse : Lens,
ô. Registre capîlulairc (Bibl. de Ponloise), f» l4.
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LE PROVINCIAL ET LE CHAPITRE PROVINCIAL. 67
vîncial; avec l'agrément de Louis Petit, il garda le titre et
délégua deux visiteurs à sa place '.
La visite habituelle de couvents déterminés paraît avoir été
confiée souvent à des ministres, toujours les mêmes. En
Angleterre, à Walknoll, près Newcastle, le ministre de Saint-
Robert de Knaresborough faisait sa visite annuellement le
jour de la Trinité'.
Quelque puissant que fut le provincial, il pouvait être sou-
mis à des visiteurs apostoliques. En i656. Jérôme Vêlez de
Matute, ministre de Valladolid, est choisi, comme visiteur
apostolique de Castille, par la Congrégation des Evéques et
Réguliers. Pendant le cours de sa visite, il reçut beaucoup
de plaintes contre le provincial, le P. Francisco de Arcos.
Avant interrogé un grand nombre de témoins, Jérôme Vêlez
dressa une liste de trente-quatre griefs, qu'il communiqua au
provincial; huit jours après, ce dernier fournit de longues et
fi ères réponses. Voici les principaux reproches qui lui étaient
adressés :
II n'était pas légitimement élu provincial, n'ayant pas été
confirmé par le général de l'ordre et ayant bénéficié de la
pression du nonce sur les électeurs.
II avait mal rempli son office, puisqu'il ne s'était mis en
route que six mois après son élection et avait laissé de côté
cinq couvents, et une autre fois, douze (il devait, en effet,
faire deux tournées pendant son trienne).
Dans la visite de Madrid, il était resté cinq mois pour y
faire élire ministre une de ses créatures, le P. Manzano3.
t. Gili.io Coreara, Hiiratto délia uiia..., pp. 63-64-
3. Dugdale Afonafticnm anglicannm, (. VIII, col. i55i.
3. Le P. Manzano est cité à la page i5g lie l'Arbnr Chronologica comme
définiteur de Castille el éditeur de sentences Urées dos ouvrages de Simon
de Roms.
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68 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
Il avait donné des postes de ministre, de prédicateu
général à sa fantaisie; il demeurait souvent hors du couvent,
ou, quand il s'y trouvait, il s'était dispensé des offices et du
réfectoire. Il avait même fait mourir un religieux par ses
mauvais procédés ; il avait soumis au Conseil du roi d'Espa-
gne des mémoires contre ses religieux et engagé sa province
dans des procès ruineux.
Ayant entendu sur tous les points la défense de l'accusé,
Jérôme Vêlez rend sa sentence (4 avril i656).
Le provincial est déposé et privé, pour sept ans, de voix
active et passive au chapitre provincial, auquel il ne pourra
assister que s'il y est appelé par les défini teurs '. Cette con-
damnation était si exagérée que le P. Francisco de Arcos
obtint sa réhabilitation; il figura en effet comme provincial
lors de la convocation d'un chapitre à Rome, où il fut d'ail-
leurs empêché par une épidémie de se rendre; une pénitence
fut sans doute trouvée suffisante.
Il y eut encore en Espagne, en 1662, un visiteur aposto-
lique, dont Pierre Mercier, général, dut subir les conditions
pour exercer son droit de visite.
En cas d'absence, le provincial était remplacé par un
commissaire général. Pierre Mercier donne ce dernier titre à
Antoine Dachier, ministre de Lens, tant que François de
Bélhencourl, provincial cl ministre de Douai, sera procureur
général en cour de Rome" (10 janvier 1672).
Le chapitre provincial est fort ma) connu avant le dix-
septième siècle. Il est à présumer cependant qu'il subit les
mêmes vicissitudes que le chapilre général. D'après la feuille
1. Bibl. du Vatican, ms. Oiioboui 1 n3, P>* 86-1
3. Arch. de l'Etat belge à Mans. Liasse ; Leos,
« 0» Google
LE PROVINCIAL ET LE CHAPITRE PROVINCIAL. 69
de dépenses du ministre de Marseille, en i36o, il se tenait
annuellement en Provence. Plus tard, il ne se tint plus que
tous les trois ans.
Dans le Midi, qui eut son régime à part au dix-septième
siècle, on y procédait parfois à l'élection des ministres con-
ventuels. Nous avons la série complète des chapitres provin-
ciaux qui se tinrent dans la Congrégation des Réformés de
Provence'. On peut voir par ces registres qu'il y avait, hors
le temps du chapitre, une réunion plus restreinte, appelée
assemblée des cinq Pères, composée sans doute du provincial
et des défi ni leurs, car le chapitre provincial avait ses défini-
leurs, comme le chapitre général.
On rencontre souvent à celte époque le dèjinitoire, qui se
composait du président du chapitre, du provincial élu, des
anciens provinciaux ou Pires de province et des quatre défi-
niteurs. Ce définitoire élit en 17001 les ministres particuliers
de Portugal.
Dans le Nord, nous avons quelques notions sur le chapitre
provincial de Champagne. Claude de Massac le présida lui-
même, à Troyes, en 1718. Le général nomme un président
en cas d'empêchement. La date est toujours (sauf rares excep-
tions) le quatrième dimanche après Pâques. Il est successi-
vement reculé de 1759 à 1762, pour cause de maladie du
général, le P. Lefebvre, qui tenait à le présider person-
nellement3. L'assiduité y était d'autant plus requise que les
ministres de chaque province étaient moins nombreux.
1. Areh. des Grands Trinitaires de Marseille, registre i3.
a. Analectajarit pontifcii, XIV, 186.
3. Arch. de Metz, H 'AyjZ, 5; H 377/1, 4- Quant au lieu où il se tenait, il
devait être fixé par le général de façon qu'on put s'y rendre de toute la pro-
vince avec le moins de frais possible (Statuts de ijiq, p. 54).
a Dy Google
70 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
Dans les Pays-Bas, au dix-huitième siècle, le conseil de
Brabant essaya de fonder une sort* de chapitre provincial
pour les seuls couvents restés sous la domination de l'Au-
triche. L'essai ne dura point assez pour donner des résultats
appréciables.
a Dy Google
CHAPITRE VIII.
Les ministres particuliers
Nous avons dit que le supérieur trinitaire s'appelait minis-
tre, et que le couvent prenait parfois le nom de ministrerie.
On voit aussi le terme de ministérîat : par exemple, la cha-
pelle de Saint-Jean de Grandpré est ainsi désignée dans un
pouillé du dix-huitième siècle1.
Le titre de prieur est donné à quelques supérieurs, notam-
ment à celui de Cerfroid. Dom Toussaints du Plessis, qui
avait d'abord cru que ce titre était réservé au chef d'ordre,
l'explique fort bien ensuite par la raison que, le grand-
ministre étant ipso facto ministre de Cerfroid, celui qui vient
après lui s'appelle prieur; des bulles sont en effet adressées,
au début du treizième siècle, majori ministro et aliis fratri-
bus Ceroi Frigidi. Le grand-ministre et le prieur de Cer-
froid sont deux personnages différents. Jean de Châtillon
parle, en i344, du ministre de Cerfroid : c'est du grand-
ministre Thomas Loquet, ami particulier de sa famille, qu'il
s'agît. Le prieur devint le premier à Cerfroid quand le général
n'y résida plus.
Parfois, les petits couvents n'avaient à leur tète qu'un
i. Varin. Archives administrative* de Reims, I, 1098 a.
a Dy Google
72 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINIT AIRES.
prieur, à Dinard, par exemple. A Dinan, au contraire, et à
Tours', le supérieur s'appelle prieur-ministre. Les prieurs-
curés étaient appelés ministres non conventuels.
Le ministre, primitivement élu par tous les frères, ne l'est
plus ensuite que par les seuls religieux. Bien vaine est la
controverse sur les textes des deux règles : « ille qui eligit
sacerdos sit », ou : « ille qui eligitur. » Après qu'il a été
dit : electio fiai pev commune consitium fratrum clericorum,
il est inutile de répéter que les laïques ne sont plus électeurs.
La correction eligit a cependant été faite dans un manuscrit
de la Bibliothèque Mazarine, annoté par Gaguin. Les Dé-
chaussés crurent nécessaire de provoquer la bulle du 10 octo-
bre i663 pour exclure formellement les Iniques du droit
électoral.
Le ministre pouvait être élu sans condition d'âge. Ce n'est
qu'au seizième siècle, en vertu des décisions du concile de
Trente, que l'âge de trente ans fut imposé, sauf pour les
gradués.
L'élection ne se faisait pas par les frères, quand le couvent
était dépendant. Le prieur de Dinard, à la nomination du
ministre des Mathurins de Paris, lui payait un droit de
provision.
Le ministre de Cordes devait être nommé, dans les six mois,
par le ministre de Toulouse.
Or, le 27 août i4o8, Durand d'Estève est nommé ministre
de l'hôpital de Cordes, et, le 12 novembre, il y est reçu
comme simple frère. Voici pourquoi. Le minisire de Toulouse
avait laissé passer un semestre sans faire connaître son choix
au provincial, Ignace Caudati, ministre d'Avignon. Celui-ci
1. Arcb. d'Indro-el-Loire. Inventaire, H 739.
)y Google
LES MINISTRES PARTICULIERS. "]3
jugea que le droit de nomination lui était dévolu et choisit,
le 5 octobre, Hugues de Mandagot. A cette date, il n'avait
pas encore reçu de lettres du ministre de Toulouse. Hugues
arriva à Cordes et trouva son rival installé depuis deux mois.
Devant le sénéchal de Toulouse, l'élu du ministre céda la
place à l'élu du provincial ; deux jours après, Hugues, mi-
nistre, nomma Durand d'Estève son procureur pour faire les
quêtes1.
Primitivement, le ministre était électif, mais nous avons
vu qu'à la fin du seizième siècle le général a accaparé peu à
peu le droit de nommer les ministres. Il y eut cependant des
couvents privilégiés :
i° Celui des Mathurins de Paris, qui eut une existence à
part et garda le pouvoir d'élire son ministre. On convoquait
à celte élection tous les profès, quand bien même ils étaient
ministres en d'autres couvents.
2° Les couvents dépendants d'un seigneur, comme ceux de
Rieux et de Terraube : le seigneur de Rieux votait avec les
frères pour l'élection du ministre, et celui de Terraube le
nommait, lui tout seul. Le P. Miraloup, provincial de Lan-
guedoc, ayant voulu se soustraire à cette sujétion, le marquis
de Galard-Terraube lui écrivit, en 1670, une lettre très ferme
pour maintenir son droit1.
3° Les couvents triniiaires de Provence et de Languedoc,
fort indépendants du général, les premiers surtout, lorsque
le Midi eut embrassé ia Réforme au début du dix-septième
siècle. Celte évolution coïncida avec l'établissement de la
triennalité, dont il sera question plus loin.
1 . Pièce 8g.
i. Pièce 31 S.
aoy Google
74 l'ordre français des trinitaires.
4° Les couvents situés aux Pays-Bas espagnols, dont le
régime était particulier. On voit, en r 55 1 , Charles-Quint
pourvoir Jacques Bourgeois de la maison de Convorde, en
vertu d'un induit général du pape1. D'autres couvents, comme
celui d'Orival, avaient gardé leur droit d'élection, auquel le
P. Grégoire de La Forge n'aurait pu faire obstacle sans le
concours que lui prêta la politique.
Primitivement, le minisire était élu à vie, comme le fait
bien voir l'article de la règle concernant sa déposition. Les
Statuts de 1 4^9 défendent à un ministre de résigner, s'il laisse
des dettes ; ne peut-il les acquitter, il sera mis en prison
jusqu'à complète restitution. Le ministre résignant ne pourra
être élu, de plusieurs années, ministre dans un autre couvent.
— Nous trouvons, nonobstant ces défenses, plusieurs cas de
résignation. En i548, Gaspard Ferrandin, ministre de Mar-
seille, démissionne en faveur de Raphaël Boyer, avec l'agré-
ment de la majeure partie de la communauté1. Mais, en
i55o, le ministre de Montpellier ayant déposé sa charge en
chapitre provincial, le provincial lui donne un successeur3.
— En 1705, Alhanase des Lions, ministre de Pontoise, se
retire, à cause des ennuis qu'il éprouve de la part de ses
religieux : l'assemblée des cinq Pères lui substitue Michel de
Pellevé4.
Le triennalat s'introduisit, au début du dix-septième siècle,
dans tous les couvents où était observée la Réforme (en
Espagne, cette coutume existait depuis un demi-siècle envi-
ron). C'est ainsi que, Cerfroid étant occupé en i634 par 'es
1. Pièce 1».
a. Pièce 120.
3. Arch. municipales de Montpellier, série GG Trinitaires.
4- RtgUtre capitutaire rit Pontoise, f* i5-ifi.
a Dy Google
LES MINISTRES PARTICULIERS. 75
Réformés, le prieur y devint triennal. Les écrivains de cette
congrégation cherchèrent en vain à prouver que la triennalité
était, au fond, une très ancienne coutume : c'était le même
raisonnement que pour ta forme de la croix.
Ces élections du Midi devaient être confirmées par le cha-
pitre provincial. Sous prétexte qu'en 1680 la convocation des
vocaux de Montpellier (on appelait vocaux les religieux qui
avaient trois ans de profession1) avait été trop tardive pour
que l 'ex-provincial pût venir donner son suffrage, le commis-
saire général du chapitre, Nicolas Campaigne, annula l'élec-
tion. Jean Cazeneuve, qui avait eu six voix contre une,
adressa au général une requête dont nous ignorons l'effet*.
Quand un courent avait négligé d'envoyer son ministre
au chapitre, on le faisait rétrograder au rang d'hospice,
c'est-à-dire qu'on lui enlevait pour trois ans le droit élec-
toral, et le chapitre provincial nommait le ministre.
Lorsque les Réformés acquéraient une maison ancienne,
c'est-à-dire non réformée, ils permettaient au ministre per-
pétuel de garder ce titre sa vie durant et de prendre le pas
sur le ministre triennal. Or cette triennalité, à laquelle se
plia le seigneur colla teur de Terraube, creusa un véritable
fossé entre les disciplines des Trinitaïres du Nord et du Midi.
On peut choisir comme ministre n'importe quel religieux de
l'ordre. Guillaume Watten, profès de Douai, fut prieur de
Convorde, puis ministre de Lens.
Le ministre ne peut être déposé que par le chapitre provin-
cial (depuis 1429)1 et à la majorité des voix, pour les motifs
suivants : ivresse fréquente et publique (ce grief apparaît au
. Ailleurs on exigeait cinq ans.
. Arch. départementales de l'Hérault, Trinitaîres (non coté).
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76 L'ORDRE FRANÇAIS DBS TR1NITAIRES.
dix-septième siècle), dilapidation, négligence. Il esl envoyé en
pénitence, en attendant la décision prise sur son sort; après
sa déposition, il peut revenir dans les huit, jours à sa maison
de profession '.
Il est étroitement soumis au grand-mmisire et A son vicaire
général, dont il doit exécuter sur-le-champ tous les ordres.
Même non conventuel, il doit rendre des comptes tous les
ans au chapitre général ; il doit payer le tiers des captifs à des
collecteurs spéciaux (Statuts de 1429). Une fois par an, il
doit visiter les chambres des religieux, sans préjudice de l'in-
spection quotidienne et extérieure. Il ne peut vendre les orne-
ments sacrés, même pour le rachat des captifs. Jean de Bliecqz,
ministre de Lens, fut blâmé pour avoir mis un calice en dépôt
afin de subvenir aux frais d'un procès. S'il aliène simplement
ou viagèrement une possession fondamentale de la maison,
cette aliénation sera annulée par le provincial. Le ministre ne
peut recevoir de novices que quand il a avec lui deux frères
profès; il ne peut conserver, dans son couvent, aucun reli-
gieux de sa famille (cette règle parait avoir été souvent éludée).
Il ne peut quitter son poste, même pour un pèlerinage à Rome
ou en Terre-Sainte3 sans une autorisation formelle.
Des pénalités étranges frappaient originairement le ministre
négligent : s'il retenait les moines déplacés, il recevait chaque
jour des coups (de discipline, sans doute); s'il ne confisquait
pas les armes prohibées, il devait manger trois jours à terre
el était privé de vin3!
1. Statuts, édition de i588, pp. 42, 58 cl 60.
a. C'est ainsi que le diacre Guillaume Wallen recul de Jacques Bourgeois,
provincial, une obédience pour aller, le 11 août 1&99, à Rome, au jubilé,
avec Pierre de Fresnes, pour recevoir les ordres (Archives de l'Eut, à
Hons).
3. Statuts anonymes, ard 38 el 19.
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LES MINISTRES PARTICULIERS. 77
Il conserve, par contre, son autorité sur tous les moines
profès de son couvent. Il a d'abord exclusivement les droits
de quête, il garda toujours les charges de visiteur et de ré-
dempteur. Il peut et doit assister au chapitre général, sous
peine de paver les amendes fixées par les Statuts (en i3iû,
reddition du sceau de la maison; en 1^29, amende de 60 sous
au provincial). Jugeant ces pénalités insuffisantes, Jacques
Bourgeois demanda, en i5j3, que l'absent sans excuse fût
excommunié jusqu'au chapitre suivant.
Parfois, le ministre porte deux litres : celui de Douai est
aussi prieur de Convorde; le ministre de Beauvoir-sur-Mer est
prieur de Saint-Thomas de la Garnache. Ces prieurés étaient de
simples annexes du couvent.
D'après les carlulaires , nous voyons que les ministres
pouvaient sortir de leurs couvents s'ils étaient élus supérieurs
dans un autre. De beaux cursus honorum sont ceux de
Gaguin, ministre de Grandpré, de Verberie, de Tours, puis de
Paris, enfin grand-ministre ; d'Auguste Rairribault, ministre de
Lens, puis de Douai, ensuite commissaire général de Picardie,
ce qui équivaut à provincial'. La permutation devait être
autorisée par le général. Pierre Mercier ne fit citer devant le
Grand-Conseil, en 1671, Michel de Laval et Pierre d'Autel,
qui avaient permuté les couvents de La Veuve et de Sylvelle,
que parce qu'il n'avait pas été consulté. En effet, les supé-
rieurs de Châlons-sur-Marne et de Notre-Dame de Limon ne
furent pas inquiétés pour s'être garanti, après permutation,
le paiement réciproque de leurs dettes; ils s'étaient mis d'ac-
cord, sans doute, avec le chef de l'ordre1. Cet acte de 1702
. Cartultttre de Lens (Archives de Mous), pastim.
. Pièce a5i.
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78 l'ordre français des trinitaires.
prouve que, dans un couvent pauvre, le ministre devait beau-
coup payer de sa personne.
Dans un petit couvent, le ministre porte lui-même le titre
de procureur (au Midi, le procureur prend le nom d'économe
ou de syndic). Dès qu'il a cinq frères profès, il doit se choisir
un prieur'.
Les Statuts ne fournissent rien d'original sur les officiers
du monastère, ce qui se comprend, vu le peu de population
des couvents trinitaires.
Le ministre doit tenir le chapitre particulier le dimanche;
il n'est point de petit bail où ne soit mentionné l'assentiment
des religieux capitulants ou de la plus saine partie du cou-
vent. Certains actes importants, comme celui des religieux de
Pontoise cherchant, en 1610, à s'unir avec les Déchaussés,
exigent la présence d'un notaire. Il y a un secrétaire du cha-
pitre dans les grands couvents.
Hors du chapitre, le ministre traite des affaires du cou-
vent avec les religiosiores fratres, appelés au dix-septième
siècle assistants, discrets (parfois conseillers, comme chez les
Trinitaires Déchaussés de Faucon1). Dès 1661, à Marseille,
deux discrets signent les comptes avec le ministre et le vicaire.
Un minisire, ayant contracté une dette sans l'inscrire sur le
livre, fut désavoué. Les constitutions de 1771 prescrirent
d'élire annuellement les discrets au scrutin secret. Ils étaient
rééligibles.
1. Bibl. MflKarine, nw miser il 1767, f* 5.
2. Archives déporte mentales des Busses-Alpes, registre H i5.
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CHAPITRE IX.
Les habitants du couvent.
Nombre. — Nous avons vu que le nombre des religieux,
fixé primitivement à sept, fut ensuite arbitraire. De grands
bienfaiteurs voulaient, en effet, dépasser les bornes trop
étroites que la règle primitive fixait à leurs libéralités.
D'autres restèrent cependant en deçà. Jean de Doulieu, fon-
dateur du couvent d'Estaircs (ou Convorde), ne renia que
quatre religieux, et sa femme un. Peut-être prévoyait-il que,
trois siècles plus tard , l'un de ses descendants s'estimerait
heureux de voir résider un religieux avec te ministre !
Saint Louis observa une semblable prudence, dans sa fon-
dation de Fontainebleau (1259), en limitant le nombre des
frères à sept (sans parler de deux qu'il garda avec lui), et se
réserva de mettre plus de religieux dans ce couvent si le re-
venu croissait.
Plus confiant, Thibaut V de Champagne donna à Cerfroid
des revenus pour vingt religieux de chœur. Ce couvent chef-
d'ordre se maintint à ce haut niveau jusque dans le dix-hui-
tième siècle ' .
Ce chiffre de vingt fut souvent dépassé par les Matburîns
de Paris qui pouvaient être trente-quatre au milieu du qua-
, . Archives de l'Aisne, Inventaire B 3772, H r/|33.
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80 L'ORDRE FRANÇAIS DBS TRINÏTAIRES.
turzième siècle, sans préjudice de leurs liâtes accidentels.
Une autre fondation qui réussit est celle de Rieux, en Bre-
tagne, où Jean de Rieux établit cinq frères, et sa femme deux,
sans compter deux membres perpétuels de la famille de Ca-
doudal, se réservant le droit de saisir une partie du revenu
si le nombre des moines était inférieur à sept ; fâcheuse hypo-
thèse qui ne se réalisa pas1.
Nos religieux, devenus modestes au dix-huitième siècle, re-
connaissaient que la latitude de se multiplier n'élait pas une
obligation. Dès le principe, d'ailleurs, les hôpitaux eurent
moins de religieux que les couvents et ils atteignirent rarement
le chiffre fatidique de sept.
Des épidémies ou des guerres causèrent l'abandon complet
de certaines maisons. De bonne heure, le couvent du Fay
(Oise) ne consista plus qu'en une ferme, et ce fut un titre à la
collation du grand -ministre. Dans une grande ville comme
Marseille, le ministre trouva en i36o son couvent en ruines,
absolument vide, et ne put qu'avec peine y nourrir un clerc
avec lui. Les religieux d'Arles étaient si à l'aise dans leur cou-
vent que, moyennant 10 florins d'or, ils en pouvaient louer
une partie, de la Saint-Miche) i35o, à Pâques i36o, aux reli-
gieuses Clarisses, dont le couvent avait été démoli par les ha-
bitants, par crainte des déprédations d'Arnaud de Servolles1.
En vue de remédier à cette dépopulation, les Statuts de 1^29
ordonnent que tout ministre ait avec lui au moins un clerc
tonsuré; s'il n'en a pas, il devra s'en procurer un dans l'es-
pace d'un mois. Cela ne s'applique pas aux prieurs -curés,
dont ta solitude n'impliquerait pas la pauvreté de l'ordre.
1. Voir la Monographie de ce couvent.
2. Revue : Le Matée d'Arles, I, 167. Le bail fui cassé par Pierre de
Bourry, général.
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LES HABITANTS DU COUVENT. »I
Au dix-septième siècle, les Trinitaires Réformés ne veulent
pas admettre dans leurs couvents plus de douze religieux,
sans compter le ministre1. Il est vrai que, d'après un bref
d'Urbain VIII (la Congrégation des Évêques et Réguliers le
fit strictement observer1), un nouveau couvent ne pouvait être
fondé que si la nourriture de douze moines y était assurée.
Cette jeune congrégation resta fidèle à ce programme et compta
dix religieux au moins par couvent.
Dans le Nord, au contraire, la situation élait irrémédiable.
Le P. Ignace, capucin, nous a transmis un proverbe popu-
laire d'Arras : « Chez les Trinitaires, c'est le mystère de la
Trinité, un en trois personnes et les trois ne font qu'un,
savoir le père ministre, frère Guillaume et « sa mequenne i>,
c'est-à-dire sa servante3. »
Nationalité. — Rarement on spécifie de quel pays seront
les moines qui habiteront un nouveau couvent. En général,
le personnel se recrute dans la région même. Il est stipulé, en
1637, dans l'acte de fondation du couvent de La Cadière, que
les enfants du Heu y seront reçus de préférence.
Parfois, des couvents d'Italie furent fondés pour des na-
tions spéciales. Eu i56o, Gonzalvc de Carvajal obtient du
grand-ministre Thibaut Musnier la permission de ne recevoir,
dans le couvent qu'il fonda à Naples, aucun habitant de ce
royaume ni' de la Sicile, mais seulement les religieux d'Ara-
gon (le couvent en conserva le nom de Trinità de Spagnuoli),
comme s'ils y étaient envoyés par le chapitre général. Avec
1. Edition des Statuts de i58G, p. 3 (feuille intercalaire de l'exemplaire
de la Bibliothèque nationale, H 17769).
a. Analecta jarii ponlijicii, t. XIV, p. 187.
3. Mémoire* du diocèse d'Arras (manuscrit), t. VII, p. 433.
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8a l'ordre français des trinitairks.
le temps, ce couvent recul aussi des religieux italiens1, et, le
i3 juin i663, le cardinal Ginetti, prolecteur de l'ordre, édicta
les règlements suivants :
J. Le couvent de Naples sera soumis au provincial d'Italie;
II. Tous les religieux qu'enverra le général y seront reçus;
III. Les Espagnols seront réputés de la province d'Italie;
IV. Le ministre sera tantôt italien, tantôt espagnol;
V. Le provincial nommera un vicaire, qui sera espagnol
lorsque le ministre sera italien, et vice versa;
VI. lin gradué espagnol, arrivant au couvent de Naples,
devra remplir les conditions exigées pour ce grade en Italie3.
A part cette unique exception, on ne pouvait recevoir dans
les couvents que des religieux de la même province, puisque
leurs constitutions différaient entre elles. Au dix-septième
siècle, il fut défendu aux Trinitaires Déchaussés de passer
chez les Chaussés3; l'ordre des Chartreux seul était considéré
comme plus rude. Tant en France qu'en Espagne, le général
ne pouvait recevoir les évadés de la province de Portugal 4.
Ces restrictions ne s'appliquent pas aux dispenses de « na-
turalité » fréquemment accordées aux novices, comme à
Benoit Magnaudi s, natif du comté de Nice, venant pour habiter
en France6 (_ j633_).
Stabilité. — On appelle ainsi le séjour perpétuel du reli-
i. Bibliothèque île Marseille, manuscrit 121 5, f« #>.
a. Voir celte analyse dans la Table de Gucrra.
3. Pour raison de santé, il fut permis à Forluuato a Rosa, Trinitairc Dé-
chaussé de Turin, de passer cheî les Réformés (Registre de» profession» de
Muni/tel lier, bref du 22 décembre 171^).
4. Bullsirc, p. 3o6 (i« aoùl ifyZ}.
5. Bulletin des BmiefAlpt*, t. II, p. a4o.
6. Aux Pays-Bas autrichiens, par contre, un Français ne pouvait être que
difficilement n
a Dy Google
LES HABITANTS DU COUVENT. 83
gîeux dans le même couvent. Saint Jean de Matha ne posa
pas la question des maisons de profession. Dans la règle mo-
difiée, tout religieux peut être déplacé par les définiteurs et le
provincial, les frais étant à la charge de la maison d'où il
part, pour trois raisons seulement1 : soulagement des maisons,
fondations nouvelles, scandale devant des séculiers. Ces reli-
gieux de la dernière catégorie sont appelés diffiniti (parce
qu'ils sont renvoyés par les diffinitores) ; leur ancien mi-
nistre leur doit une pension annuelle de 3o sous1, fixée à 60
en 1429; si le paiement régulier cesse, les exilés peuvent
revenir.
La stabilité devait, d'ailleurs, être comprise dans un sens
large, puisque, comme nous l'avons vu, bien des religieux
étaient élus ministres hors de leur maison de profession, tant
au Nord qu'au Midi.
Un couvent pouvait honorer l'un de ses enfants venus du
dehors par l'affiliation*; c'est l'honneur qui fut conféré, le
i4 avril 1780, à François Roux, ministre de Marseille, « dont
le zèle à annoncer la parole de Dieu lui attirait les plus grands
et les mieux mérités applaudissements ».
Les Réformés se plaignirent beaucoup de la façon abusive
dont le général, Louis Petit, entendait ta stabilité des mem-
bres de la congrégation. De même qu'il voulait appliquer à
ses adversaires les peines portées contre les conspirateurs, de
même il enlevait arbitrairement à leurs couvents les religieux
qu'il pensait devoir être élus aux charges en vue; parfois, il
allait jusqu'à les excommunier.
1. Sans compter les cas de maladie infeclieu.se, où le religieux recevait
bien entendu la permission de quitter son couveni (pièce ÏO7, nlaiivc A
Paulin Bonnet, profes de Limoux).
a. Statuts anonymes, art. 'Ai.
3. Trimloires de Marseille, registre 9, p. io/(.
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84 L ORDRE FRANÇAIS DES TRIMTAIHES.
C'était là un abus, car cette peine ne devait être portée que
contre les apostats, dont le nombre était si grand qu'en i5ao
Nicolas Musnier manda au ministre de Marseille de les con-
traindre à rentrer dans leurs couvents. Le- fugitif n'était pas
passible de l'excommunication s'il avait gardé l'habit de
l'ordre1. Jean de May, profès de Cerfroid, qui avait quitté
l'ordre par légèreté, encourut ainsi des censures dont le car-
dinal des Quatre-Couronnés, Antoine, le fit relever, à condi-
tion qu'il rentrerait dans son couvent1.
Propriété. — Les Trinitaires rejettent seulement la pro-
priété dissimulée : ils ne sont pas mendiants, « Celui chez
qui sera trouvé après sa mort quelque objet dissimulé, lit-on
dans les Statuts anonymes, sera tramé aux champs par les
pieds et enseveli avec les chiens hors du cimetière. »
Un novice de Toulouse « légua » de quoi parachever le
dortoir. Un religieux pouvait, étant au couvent, soutenir des
procès à l'occasion de ses anciens biens. Il y en eut un exem-
ple chez les Malhurms de Paris, en i3a3. Bien plus, celui qui,
étant moine, reçoit une donation individuelle, peut la con-
server après le prélèvement du tiers des captifs, à condition
de donner une clef de sa caisse et de rendre un compte annuel
au ministre. Le prieur des Mathurins, Robert Bailleul, avec
l'autorisation de son ministre, consacra 3o florins d'or à la
réparation du dortoir 3.
Le 29 avril 1752, le chapitre provincial de Meaux* décida
que les moines qui feraient, sans permission, un emprunt ou
1. Statuts, édition de 1719, p. 5o.
2. Pièce 116.
3. Recueit général de* Obitaaires, l. I, p. 692.
4. Registre des visites des Trinitaires de Poaloise.
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LES HABITANTS DU COUVENT. 85
un achat dépassant 10 livres seraient privés de voix active et
passive pour cinq ans et manderaient à genoux au réfectoire,
le mercredi et le vendredi.
Le supérieur devait donner à ses religieux l'argent de poche
nécessaire, une pislole par an à Marseille, outre la chaussure
et le savon. L'économe étant ordinairement sans ressources,
il fut décidé, le 16 mai 1661, que le sacristain mettrait chaque
semaine, pour subvenir à cet argent de poche, 3 livres de l'ar-
gent des messes dans le coffre aux trois clefs, gardées par le
minisire, le vicaire et le premier discret '.
Prohibitions. — Le religieux Trinitaire ne peut avoir ni
faucons ni chiens, ni cheval de luxe ni palefroi, s'il n'est
chapelain ou aumônier d'un prince ou d'un prélat, ni couteau,
ni poignard, ni bourse.
Sont privés, trois ans durant, de voix active et passive ceux
qui portent « horologia portativa, gallice des montres » et...
des chemises1. Les prescriptions relatives au costume furent
très fréquentes au dix-huitième siècle; une enquête de celte
époque reprochait aux Mathurins d'être poudrés et frisés
comme de petits-maîtres.
Les jeux étaient prohibés de même. Les dés, les échecs,
« et autres jeux déshonnêtes » sont interdits sous peine de
quarante jours d'abstinence. Le joueur obstiné devra jeûner
trois jours par semaine au pain et à l'eau, sans voix au cha-
pitre pendant un an, réduit au rang de novice sans aucune
dispense ( 1 3 r 9) . Les conspirateurs mêmes sont traités avec plus
d'indulgence.
Les statuts de i4^9 ne punissent que ceux qui jouent de
1. Trinitairea de Marseille, registre 6, f» 44'
3. Ibid., registre i3, f° 3g.'
aoy Google
86 l'ordre français des trinitaires.
l'argent avec les séculiers '. Les jeux de paume et de dés sout
autorisés deux fois par semaine au plus, jamais le dimanche ;
les séances de deux ou trois heures ne sont pas interdites d'une
façon générale.
En 1 700, Grégoire de La Forge prohibe les cartes à jouer
(ludus pictorum foliorum '). On ne sait rien au sujet de l'usage
du tabac; en 1782, il y eut au couvent de Faucon une saisie
de prétendue contrebande chez un religieux, le P. Caire, qui
prouva sa bonne foi.
Seuls, les enfants légitimes peuvent aspirer à devenir Tri-
nîlaires. La profession solennelle d'un enfant naturel pourra
cependant et devra être autorisée par le grand-ministre et le
chapitre général3. Les postulants doivent avoir certaines apti-
tudes physiques, sans doute en vue des fatigues du voyage de
rédemption : le ministre doit respecter ces prescriptions, à
peine de déposition et ensuite de suspension.
Les profès d'un autre ordre, qui en étaient parfois le rebut,
ne pouvaient être reçus1; le ministre qui aurait négligé de
s'informer des antécédents d'un postulant était passible de
l'excommunication. Cette règle était quelque peu tombée en
désuétude, lorsqu'au dix-septième siècle les ennemis de Ray-
mond de Pallas déclarèrent qu'il n'aurait pas dû être élu
1. Edition de 1Ô86, pp. i!\, 35.
a. Bibliothèque de Marseille, manuscrit i2i3, p. 4t>
i. L'irrégularité n'existe pas pour l'ordination, mais elle subsiste pour
l'obtention d'une charge. Les Analecta juris pontijicii rapportent que le
pape donna, le 19 décembre 1B45, une dispense à un capucin pour lui per-
mettre d'être élu gardien.
4. Cf. Collection Doat, LXX1I1, f> 433. Antoine Morell, général de la
Merci, rend aux Prêcheurs de Toulouse deux de leurs religieux qui s'étaient
fait admettre par surprise dans l'ordre de la Merci (4 septembre i4&4)-
ûdv Google
LES HABITANTS DIT COUVENT. 87
vicaire général de la Réforme, ayant été Capucin. Il exhiba
une dispense pontificale parfaitement en règle.
Saint Jean de Matha, en fixant l'âge de la profession â
vingt ans, voulait assurer le recrutement solide d'un ordre
fort actif. Gaguin abaissa pourtant cette limite à quinze ans
pour l'Espagne, dans ses Statuts de 1^97 '- Comme les Dé-
chaussés étaient revenus à la règle primitive, le pape Paul V
déclara, le i4 août i6i5, que les professions faites avant la
vingtième année étaient valides1.
Depuis l'adoption de la règle modifiée, le novice ne fut plus
in habita suo, mais in habita fratrum. Il ne fut, d'ailleurs,
jamais nécessaire au futur Trinitaire d'apporter une garde-
robe aussi extraordinaire que celle dont devait être muni
l'aspirant au couvent de Gellone3.
L'année entière doit être accomplie au même couvent. Si
Gaspard Lalance, envoyé de Melz à Paris, est renvoyé à
Metz, c'est que l'air de Paris ne convient pas à sa santé *.
Cerfroid était peut-être le noviciat principal pour la France
du Nord, comme le prétend le P. Calixle5. D'ailleurs, l'Hôtel-
Dieu de Meaux, d'après l'enquête de i5i8, avait des novices
qui étaient fort turbulents; il en était de même du couvent
des Mat burins. Mais Cerfroid restait le noviciat le plus solen-
nel, car c'est au chef d'ordre que François Bouchet, vicaire
général, adressa, pour leur profession, les deux ermites qui
fondèrent les Trinitaires Réformés.
Jacques Bourgeois demanda, en 1 5 7 ,'î , que le novice fut
1. P. de Vaissière, ouvrage cité, p. 5o.
2. Bulfaire do 1692, p. 393.
3. BiW. oat., manuscrit lalîn 13770, p. 175.
4. Archives de Lorraine, a MeLz, liasse H 3779.
5. Vie de xaint Félix de Valait, pp. 897-398.
a Dy Google
88 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAJRES.
envoyé dans un séminaire, si le1 couvent ne lui offrait pas une
retraite assez studieuse. Le même réformateur jugeait bon
que, si les parents ne pouvaient fournir la pension du novice,
le couvent la payât1. Cette pension annuelle, qui était de
i5o livres au couvent de Gisors (au dix-septième siècle), était
réglée par des contrats passés entre les parents et les reli-
gieux1.
Les conditions de ces réceptions ne furent point sans don-
ner lieu a quelques scandales, à Toulouse notamment : plu-
sieurs religieux, entrés malgré eux, demandèrent à rétracter
leurs vœux, ou bien attendirent la fin de leur vie pour
annuler une donation qu'ils n'ont pas cessé de regretter.
En i655, le frère Pomarède, menacé de voir sa profession
contrariée, avait dû fonder cinq obits au prix de ia livres
10 sols chacun, les hypothéquant d'ailleurs « sur des biens
qui n'étaient que des prétentions litigieuses soutenues par ses
sœurs ». II déclare devant notaire, en 1691, qu'il se soucie
peu de ces obits et annule sa donation.
Le chirurgien Guilhem Racher, battu et volé, eut tout juste
assez de force pour venir confier au notaire Sicard les mau-
vais procédés dont les Trinitaires avaient usé à son égard 3.
Voici quelques chiffres de pensions données aux religieux :
à Pontoise : 1,000 francs à Séraphin Cousin, tant pour ses
habits que pour sa nourriture (1703); 3,ooo à Couet, plus la
pension du temps des exercices, du noviciat, l'habit de novice
et de profession (1713); a,5oo à Charles Taillepied (1714).
Chez les Mathurins de Paris, d'Argenvilliers apporte 2,000 li-
vres, — Porlier, 4i°o°> — Baudin, 5,ooo, — Bardouchel,
I. Formata reformai ionix, déjà citée.
3. Archives de l'Eure, Inventaire, H 119a (iC85).
3. Ces pièces soat tirées des Archives des notaires de Toulouse.
a Dy Google
LES HABITANTS DU COUVENT. OQ
r,5oo, — Jean du Val, 4>000î p'us r5° (ivres de pension
viagère et •}& de surplus quand il sera prêtre.
Un contrat détaillé, passé entre les Trimtaires de Lens et
le père du novice Albert de Thiennes, stipule que le père
devra faire les frais du festin de profession.
Si les parents étaient récalcitrants, les religieux se pour-
voyaient en justice. Un novice de Pantoise s'étant évadé, le
procès pendant au bailliage en seconde instance fut « pacifié m
moyennant i5o livres en trois paiements'.
Une autre particularité se remarque dans ce registre capitu-
laire de Pontoise : chez les Réformés le novice change parfois
de prénom. Charles Taillepied devient le frère Augustin*.
Les Déchaussés furent encore plus rigoureux ; non seule-
ment le profès perdait son nom « du siècle », mais jl ajoutait
à son prénom (parfois changé) une appellation liturgique :
Antoine Laugîer devint le P. Ignace de Saint-Antoine. Cette
addition, chez les Trinitaires portugais, ne parait pas impli-
quer l'entrée dans une congrégation Déchaussée.
FRÈRES LAIS.
Nous sommes fort peu renseignés sur ce dernier groupe
d'habitants du couvent, appelés aussi convers et « donnés ».
Avec le titre de religieux novice, Richard Barbotte, mathurin
de Paris de la première moitié du dix-septième siècle, resta
convers, toute sa vie, aux termes d'un contrat conclu entre
ses parents et le général.
1. Registre capitulaire de Pontoise, f°s 3, 20, 24 v°, 44. Au fo 39 se
trouve ud contrat de tontine, dont les ministre et religieux créanciers
devaient percevoir les arrérages et accroissements pendant onze années
(8 février i7i4).
2. tbid, (*> 35.
a Dy Google
90 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITATRES.
L'histoire des hôpitaux nous montrera l'utilité des donnés.
Étymologiquement , des personnes des deux sexes se donnent
aux religieux, avec tous leurs biens, pour vivre dans un
couvent pendant le reste de leur vie. M. Dupuis, dans son
excellente monographie de Pontarmé', parle de Marguerite la
Liëde, qui s'était « adonnée » à l' H ù tel-Dieu de ce village, et
pour laquelle Gaguîn fait évoquer un procès au Châtelet. Un
manuscrit d'Arles cite la « profession » de Sibilia de Nigro,
qui reçoit, sur sa demande, l'habit de l'ordre en jurant de
ne jamais le quitter1. Ces données sont désignées par cette
expression de soror ordinis qui a fait croire à l'existence
fort ancienne de religieuses de l'ordre. Les donnée, qui chez
les Trinitaires Déchaussés récoltaient les aumônes, portaient
l'habit sans capuchon et émettaient les trois vœux, durent,
après leur abolition, être reçus au nombre des laïques ou
convers3 (39 octobre i634).
Un jardinier des Trinitaires de Pon toise demanda l'habit
des frères convers. Ceux-ci sont astreints à une probation
de trois ans et admis à faire leur couipe au chapitre; leur
costume est plus court de deux doigts que celui des reli-
gieux.
Les laïques prêtaient le serment de ne jamais passer à l'état
clérical. Alexandre VII confirma cette prohibition le i3 jan-
vier i663. Leur habit était de couleur rousse; on décida,
en 1719, de leur rendre l'habit blanc. Le 10 mars 1786, la
Congrégation des Êvêques et Réguliers décréta4 que les laïques
passant à l'état de religieux de chœur ne pourront avoir voix
1. Oavr- eiti, pp. 3a et 77.
3. Pièce 8a.
3. Trente el unième bulle d'Urbain VIII contenue dans le Bullaire.
4- Calto, Retamtn de lus privilégiât, p. 585.
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LES HABITANTS DU COUVENT. gl
active ou passive qu'à la condition d'être spécialement habilités
à cet effet.
On peut rendre bon témoignage des traitements des Trini-
taires envers leurs domestiques. Millîn a rappelé, après bien
d'autres, l'épitaphe du « léal Mathurin qui céans porta pain et
vin ». Les Trinitaires de Toulouse décidèrent, en 1767, de
a recevoir » Jacques Besian, qui était à leur service depuis
près de dix-huit ans, et de lui assurer par an 48 livres de ves-
tiaire ' .
HÔTES ACCIDENTELS.
A côté des habitants permanents du couvent, il y avait des
hôtes temporaires de toutes conditions.
Les guerres de religion du Midi amenèrent chez les Trini-
taires de Mirepoix, en 1576, un pauvre ermite de la Roque*
d'Olmes1; par une curieuse coïncidence, à cette même époque,
dans le nord de la France, un fait analogue était la cause
de l'établissement des Trinitaires Réformés. Les Trinitaires
de Toulouse logèrent l'évêque de Pamiers, Bertrand de Parron,
qui leur fit, en 1679, un legs consistant dans ta remise d'une
dette3.
Le couvent de Caillouet, près Chaumonl-en-Vexin, eut en
Charles de Mouchy, seigneur de Caveron, un hôte distingué,
qui donna 85o livres par an pour être soigné, avec son domes-
tique (6 février 1669). Il était confrère de l'ordre et fonda une
procession du scapulaîre de la confrérie afin de développer la
dévotion du peuple.
Plus encombrant était François Sevin, « infirme de corps
1. Trinitaires de Toulouse, registre no 84, p. 33.
a. Pièce i3o.
3. Pièce i48.
a Dy Google
g2 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
et d'esprit, » fils de Thierry Sevin, seigneur de Miramion,
que les mêmes religieux de Caillouet s'engagèrent à loger,
chauffer, faire panser, médicamenter, traiter doucement et
humainement, moyennant 4,5oo livres (27 octobre i685)'.
Grégoire de La Forge, général, fit transporter chez lui,
aux Mathurins, un de ses parents, qui y mourut*.
Une enquête de 17^7 nous montre que le ministre de Bas-
togne (Luxembourg) avait des pensionnaires pour la table.
Les Trinitaires de Metz sont choisis par le président de la
Salle pour loger jusqu'à la tin de ses études un jeune homme
auquel il s'intéresse3.
On n'oserait compter comme hôtes les clients du cabaret
qu'un sacristain du couvent des Mathurins installait dans une
salle; mais, dans tous les autres cas, les religieux firent bien
d'accueillir des hôtes susceptibles d'accroitre leurs modestes
1. Archives départementales de l'Oise, Trinitaires lie Caillouet, liasse
Caillouet.
a. Menliou dans le Née ro loge des Mathurins, au début.
3. Pièce 343.
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CHAPITRE X.
Conditions de fondation des couvents.
Tout établissement nouveau étant une concurrence pour les
couvents antérieurs, l'évêque, protecteur des religieux, inter-
vient pour fixer des conditions aux nouveaux arrivants : l'in-
demnité aux premiers occupants est juste en soi, l'excès seul
des exigences est blâmable.
Pas de couvent sans église ou tout au moins sans chapelle ;
la nouvelle paroisse pourra offrir quelques avantages à un
certain nombre de paroissiens de l'ancienne église, qui court
le risque d'être désertée. L'évéque laisse construire l'église
des religieux; plusieurs donations, telles que celles d'Arles et
de Marseille en i2o3, de Limoux en 1234', montrent que la
construction est non seulement prévue, mais même commen-
cée. Seulement, il sera défendu aux Trinilaires d'attirer, par
trop d'avantages, lès paroissiens primitifs : il sera de plus
imposé des bornes aux libéralités des fidèles.
Ces conditions de fondation, quelque nombreuses et variées
qu'elles paraissent être, se retrouvent toujours en gros, en
quelque pays que ce soit et de quelque époque qu'il s'agisse.
Elles sont analogues à Douai en ia56, à Alfaro en Ara-
i. Pièce» a el »o.
a Dy Google
g4 l'ordre français des trinitaires.
gon1 (1660), el en i^43 à Marseille*. Elles sont tellement de
l'essence de tout nouvel établissement religieux que les Tri-
nîtaires qui les subissent, lors de leur fondation, les imposent
eux-mêmes aux religieux plus récemment fondés.
Ces conditions peuvent être classées sous un certain nombre
de rubriques, qui embrasseront ainsi la plupart des cas.
Juridiction. — L'évêque garde son droit de visite; il
impose au ministre la venue, aux synodes épîscopaux. A
Digne même, l'évêque Antoine Guiramand, dans sa convention
avec Antoine Creissas, religieux de Montpellier (i/tgS), se
réserve le droit de choisir le ministre en cas de vacance et
perçoit deux écus d'or comme droit de provision3.
Cimetière. — Les Trtnîtaires ne pourront primitivement
en avoir un que pour les Frères, ainsi que pour les malades
qui mourront dans leur hôpital (Douai, Marseille, Toulouse,
Arles). Quant à leurs hâtes et à leurs locataires, il seront
réputés paroissiens de l'église cathédrale ou paroissiale.
A Estaires, les Trinitaîres ne pourront enterrer leurs hôtes
qu'en laissant au patron de la cure ta moitié des oblations.
A Châlons, les personnes étrangères ne pourront être enseve-
lies au couvent des Trinïtaires, même si elles y ont choisi
leur sépulture. Ces conditions ne furent pas immuables,
comme nous le verrons.
Oblations. — L'évêque et son chapitre en retiennent la
moitié (Arles, Marseille, Chalons), quelquefois deux tiers
(Arras) ou même la totalité (Limoux), sauf celles de la fête du
patron de l'église, qui appartiennent entièrement aux Frères.
1. Mulliiire, pp. 548-553.
a. Iconographie des sceau.r îles Bonches-du-RMne, p. 321.
3. Gassendi, Xotitia ecctesie Diniensis, p. 116.
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CONDITIONS DE FONDATION DES COUVENTS. 0,5
Le chapilre de Toulouse ne retient rien des oblatïons mor-
tuaires des religieux ni des morts de l'hôpital. A Douai, le
chapitre de Saint-Pierre ne demande qu'un tiers des obla-
tïons quotidiennes.
Messe. — Les Trinitaires de Chatons ne la diront qu'après
que la messe paroissiale aura été célébrée, et encore devront-
ils la dire portes closes et à voix basse. Par contre, le chapitre
de Saint-Etienne de Toulouse leur impose deux messes par
an, une du Saint-Esprit le vendredi de Quasimodo, une des
Morts le mercredi des Cendres.
Legs. — A Arras et à Douai, le chapitre relient un quart
. des legs faits aux religieux. A Estaires, l'abbé de Cho-
ques, patron de la cure, n'élève de prétentions que sur les
biens meubles.
Redevances. — Les Trinitaires d'Arles devront donner au
chapitre un marc d'argent par an (réduit plus tard à un
demi ' et équivalent au dix-huitième siècle à 2 livres 8 sous) * ;
ceux de Toulouse, 2 florins d'or (réduits, le 28 janvier i536,
A 3 livres 5 sous). A Arras et à Digne, nos religieux de-
vront payer la dîme de tous leurs biens ; à Estaires, un droit
annuel de i3 sous seulement.
Cloches. — Il n'en est question qu'à Arras ; les Trinitaires
n'y pourront avoir que deux cloches, avec un homme pour
les sonner.
Agrandissements. — Le couvent d'Arras ne pourra se dé-
velopper sans la permission du chapitre; celui de Douai
devra avoir l 'autorisation de l'éclievinage. A Toulouse, le cou-
Bibl. na%., nouv, aeq. lat. 1367, p. iji.
fctibl- d'Arles, manuscrit de l'abbé Bonncnianl, n
a Dy Google
go L ORDRE FRANÇAIS DES TRIBUTAIRES.
vent qui n'aura que trois portes ne pourra s'étendre de plus
d'un arpent dans la paroisse Saint-Etienne.
Le serment d'observer la transaction est parfois imposé aux
religieux. Saint-Jean de Matha le prêta lui-même à Arles, au
mois d'octobre i ao3, pour lui et ses successeurs. A Toulouse,
chaque ministre devait le prêter, ainsi que, à Arras, chaque
religieux, lors de sa profession.
Telles sont les conditions primitives. Les services rendus
par les Trînitaîres et la protection de saint Louis amenèrent
une notable détente.
L'évêque de Marseille, Raymond de Nimes, trouva un biais
ingénieux pour sauvegarder les principes. Comme d'autres
transactions avaient été conclues depuis celle de i2o3, et
qu'on ne savait à laquelle il fallait se conformer, il approuve
la transaction de iao3 et par là nous la conserve, car l'origi-
nal en est perdu, et décide que toutes les oblations appar-
tiendront, moyennant un droit annuel de 5o sous, au minis-
tre et aux Frères1,
Ces conditions de fondation n'étaient donc pas une mar-
que d'animosité particulière. Les mêmes Dominicains qui, en
1667, s'opposaient à l'établissement des Trînitaîres Déchaussés
à Faucon, leur font un prêt de 1200 livres en 1761 *. Les évé-
ques, sévères pour nos religieux au moment de leur entrée,
leur prodiguèrent ensuite les mandements en faveur de l'œu-
vre du rachat des captifs.
1. Sources : Arles, copie de Mortreuil, manuscrit cité. — Arra», le
P. Ignace, Mémoires rfu diocète d'Arras, t. VII, p. !\$$. — Douai, ibid.,
t. V, p. 36a. — Eslairet, premier carton des Trinitaires au* Archives du
Nord. — Limoax, Coltection Doal, t. XCVII. — Marseille, nombreuses
copies à Paris et à Marseille. — Toulouse, registre 86 aux Archives dépar-
tementales, p. :
a. Pièce 3o6.
a Dy Google
CONDITIONS DE FONDATION DES COUVENTS. 97
La paix était mieux assurée lorsqu'un laïque ménageait un
accord honorable pour les deux parties. Raoul Àrondel indem-
nise le curé de Brou (Seine-et-Marne) de aorte que celui-ci
permettra que les corps de ses paroissiens soient apportés
dans l'église trinitaire de « l'Honneur-Dieu » ; mais les reli-
gieux sont tenus, en leur âme et conscience, d'appeler le curé
pour lui remettre les oblations auxquelles il a droit. La ba-
lance fut ainsi tenue égale entre les deux églises, ce que mon-
tre un seigneur de Pomponne se faisant enterrer à l'église de
l'Honneur-Dieu, mais donnant au curé de Brou une somme
égale à celle qu'il lègue au ministre des Trinitaires '.
Les seigneurs confèrent surtout aux Trinitaires, de l'as-
sentiment de l'ordinaire, des cures dont la collation leur
appartient : tel Henri de Bar fondant les Trinitaires à La-
marche en 1338. Deux clauses se rencontrent uniformément
dans ces donations : limitation des nouvelles acquisitions et
précautions contre le départ éventuel des bénéficiaires.
L'autorisation du seigneur est indispensable pour toute nou-
velle acquisition, gratuite ou onéreuse. En Hainaut, au dix-
septième siècle comme au treizième, les donations ont tou-
jours pour témoins les hommes de fiefs ou féodaux, ce qui
donne plus de solennité1. C'est par une faveur spéciale qu'en
1 294 Guy de Dampierre, comte de Flandre, permet aux Tri-
nitaires d'Hondschoote de garder les possessions acquises
« sans le congiet de sa chère mère et sans son assent3 ».
Les limitations sont imposées, soit dans le temps, soit dans
l'espace. Henri, comte de Vianden en Luxembourg, permet
aux Trinitaires de faire librement, pendant cinq ans, toutes les
1. Pièce 84.
a. Cartulaire de Lens, passim.
3. Archives communales d'Hondschoote, reg. GG 70.
a Dy Google
98 l'ordre français des tributaires.
acquisitions possibles'. — Thibaut V de Champagne autorise
les Trinitaires de Troyes à acquérir en franchise dans ses fiefs
et arrière-fiefs jusqu'à soixante livrées de terre, à condition
de ne point acquérir dans chaque fief plus de la moitié de
celui-ci*. Sagement, les religieux ne dépassèrent jamais cette
limite et ne furent sujets à aucun droit d'amortissement.
Dans ces terres acquises par les religieux, les seigneurs, à
l'exemple du roi, gardaient leur droit de justice 3. Soixante
ans après la fondation de Cerfroid, Guillaume de Montigny,
chevalier, possédait encore ce droit dans l'enclos du monas-
tère4.
Souvent, le seigneur exige un droit de suzeraineté : à Ter-
raube, c'est la nomination du ministre; à Mirepoix, c'est une
voix ; à Rieux, deux voix dans cette élection et une paire de
gants blancs5. A Taillebourg, le seigneur perçoit une « pelote »
et la course de la pelote, qu'il commue en quatre boisseaux
d'avoine, puis trois seulement, le 26 juin 1682.
Comme condition originale, il faut signaler, à Rome, la
part que retient le seigneur sur les trouvailles archéologiques
qui pourraient être faites dans le terrain sur lequel il a gardé
un cens. Pour ce qui se peut diviser, (es religieux auront un
tiers et le seigneur les deux autres, mais quand il s'agira de
marbres et de statues, les religieux seront contraints de ven-
dre leur tiers au seigneur6.
1. Mibaixh, Opéra Diplomatie», t. IV, p. 55$.
2. Archives nationales, S 4a^7i û" '3.
3. Pendant la durée de la foire concédée aux Trinitaires (le Taillebourg,
les officiers du seigneur avaient haute, moyenne et liasse justice (Gaston
Tort *t, Répertoire des litres dit comté de Taillebourg, p. .136).
4 Don Toussxisrs du Plessis, pièces de ti5S.
!>. Archives nationales, S 42<H)* : petit cahier relatif i
ft. Archives do Seine-et-Oisc, Malhurins de l'onloise, ï">"
a Dy Google
CONDITIONS DE FONDATION DES COUVENTS. • 99
En échange de ces donations, les seigneurs imposent des
messes. Henri de Bar demande une messe' tous les jours;
Philippe de Nanteuil une messe anniversaire, à la fois dans le
chapitre général et dans toutes les maisons de l'ordre'. Le
seigneur de Rieux indique avec précision qu'il veut être
enterré sous les marches de l'autel, « de façon que, quand le
prêtre officiera, il soit placé au-dessus du milieu de mon
ventre1 ». Le seigneur de Coupvray, Louis de Guéméné,
stipule que les religieux viendront dire ta messe au châ-
teau -.
Mais, plus encore que les chapitres, les seigneurs subor-
donnent leurs donations au séjour des religieux au point pré-
cis où ils ont été établis (notamment donation de l'hôpital de
Montmorencv par le duc Henri au mois d'aoïU 1601). Jean le
Blas, écolâtre de Saint-Amé de Douai, a formulé la plus se-,
vère des exigences ( 1 256) ; il ne se contente pas de dire que les
biens des Trinitaires, si ceux-ci quittent Douai, reviendront
à l'hôpital de Saint-Samson de cette ville, mais spécifie dans
son testament du i4 décembre ia83 que les Trinitaires n'au-
ront rien de ce qu'il leur lègue, s'ils ne vont demeurer à la
porte d'Esquerchin*.
Ces conditions ainsi fixées, les relations étaient bonnes
entre les seigneurs et les religieux : plus ils avaient pris de
part à leur fondation, plus ils s'intéressaient aux Trinitaires;
beaucoup d'entre eux même, comme des Montmorency5, des
1. Archives nationales, L Û47.
ï. fbid., S4s«9*-
3. Dow Toussajhts, pièce 633.
$. Société d'agriculture, lu •Un-lettres... de Douai, s* série, tome XIV,
p. 3s©.
5. Inventaire de Cerfroid en i634, aux Archives de l'Aisne, H i43i,
b» 1 19. Pour tes autres, voir ies Monographies des couvents.
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rOQ L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
Rîeux, des Gatard-Terraube, se faisaient ensevelir dans l'église
de nos religieux.
Il n'a été question jusqu'à présent que du droit primitif,
pourrait-on dire. Or, dans le courant du dix-septième siècle,
se manifestèrent des préoccupations nouvelles en matière de
fondations, causées par les exigences des communautés d'habi-
tants. Ce n'est pas qu'elles eussent jamais perdu toute
influence. Ainsi la commune d'Arles limitait très sévèrement
en iaag les acquisitions ecclésiastiques, sauf celles de l'arche-
vêché et du chapitre, et s'y réservait toute justice; elle prohi-
bait même les legs et donations entre vifs de toute terre en
vigne située à Arles ou dans son « tellement » à une maison
ecclésiastique '. Nous avons vu qu'à Douai les Trinitaires
ne pouvaient faire aucune acquisition sans la permission de
l'échevinage. Cette sujétion, parfois gênante quand il s'agis-
sait d'affaires demandant une prompte solution, comportait
cependant quelques avantages : si les Trinitaires venaient à
être expropriés pour une cause d'utilité publique, comme la
construction de fortifications, ils pouvaient prétendre à de
fortes indemnités.
Les magistrats municipaux, tant du Nord que du Midi, en
arrivèrent à donner ou à refuser l'autorisation de fonder un
nouveau couvent. Vraiment soucieux des intérêts de leur ville,
les consuls hésitent à admettre de nouveaux religieux qui
pourraient être à charge à la population. Le pape Urbain VHI
lui-même n'avait-il pas interdit la fondation des couvents qui
n'auraient pas, dès le début, les revenus suffisants pour nour-
rir douze religieux? L'archevêque de Rouen n'admet les Tri-
nitaires qu'à condition qu'ils ne quêtent point. Il était pro-
i. Bibliol/iêf/ae d'Arlct, manuBcril 1 5g, p. 3a3.
a Dy Google
CONDITIONS DE FONDATION DES COUVENTS. IOI
cédé, au dix-septième siècle, à une véritable enquête d'utilité
publique, à une sorte de référendum auprès des couvents
existants. Le non-accomplissement de ces formalités pouvait
causer de sérieux inconvénients; le recteur de Sainte-Marie
du Pin, à Barcelone, n'hésita point, en une semblable occa-
sion, & démolir le maître-autel des Trinitaires; ceux-ci, s'étant
plaints au pape, furent dispensés de cette formalité pour
l'avenir'. Mais le pape n'avait rien à prescrire aux commu-
nautés d'habitants.
Les Trinitaires, établis depuis i64ô à Sainl-Quinis, furent
d'abord repoussés à Brignoles, en 1661, par l'assemblée mu-
nicipale, à la majorité de trente-deux voix contre dix-huit. Ils
furent néanmoins admis l'année suivante, après avoir promis
de ne point faire de quêtes.
Dans la Provence, diverses obligations leur furent imposées
quant à la prédication et aux offices. Ainsi les Trinitaires
de La Cadière devaient attendre les consuls pour dire la
messe conventuelle, le jour de la Trinité; or ceux-ci, étant
arrivés alors que l'office était presque fini, portèrent plainte
au Parlement d'Aix, qui les débouta (>5 novembre 1769)3.
Les religieux devaient demeurer en nombre suffisant pour soi-
gner les malheureux atteints de la peste.
. Analyse dans la table de Guerra, IV, i65.
■. L'abm Giraud, Monographie de La Cadiire, p. 55.
a Dy Google
CHAPITRE XI.
L'histoire générale des couvents trinitaires.
L'histoire des couvents trinitaires est surtout celle de leur
mine graduelle. Nous pouvons croire sur parole les religieux
dans les lamentables exposés de leur pauvreté faits, à diverses
époques, dans d'innombrables requêtes pour des dispenses
d'impôts. Thibaut de Champagne trouve les religieux de Cer-
froid exiles et tenues1. Thibaut de Nanteuil dit, en i25a,
qu'au couvent des Mathurins de Paris réside une grande mul-
titude d'étudiants in magna penaria temporaltum'.
Nombreux sont les couvents dévastés par des incendies ou
des guerres; nos religieux eurent plus que leur part dans la
« désolation » des églises de France. Un ordre pauvre est plus
durement frappé qu'un autre, parce qu'il a moins de moyens
de se relever. Le couvent trinitaire de Saint-Gilles, dévasté en
t56a, disparut à tel point que l'on ignore aussi bien l'époque
de sa fondation que les circonstances de sa disparition. L'in-
cendie de Toulouse, en i5n, causa un grand trouble aux
Trinitaires : « Ils furent obligés de mendier pour vivre, rap-
porte Grégoire Revues, parce que la plus grande partie de
leurs débiteurs refusaient de payer leurs rentes, sachant la
. Voir la monographie détaillée.
. Donation d'une rente sur la ville de Crépy.
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l'histoire générale des couvents tributaires. io3
perte que les religieux avaient faite de leurs [titres1. » Le
a8 mai i534, le sénéchal de Toulouse permit que les Trini-
taires fissent signer par un notaire tous les actes qu'ils pour-
raient retrouver au sujet de ces créances.
Les guerres de religion, tant du Nord que du Midi, ruinè-
rent un grand nombre de couvents. Pendant dix ans , à
cause des incursions des hérétiques, Jacques Bourgeois ne put
prendre possession de son couvent de Convorde et c'est une
des raisons qu'il allègue pour en demander la suppression.
Les dévastations commises par les huguenots dans les couvents
trinîtaires de Montpellier et de Castres sont attestées par les
suppliques de ces religieux. Pendant cinquante ans, le minis-
tre de Montpellier ne put entrer dans celte ville et séjourna à
la campagne3. Les habitants de Castres furent condamnés,
par arrêt du Parlement de Toulouse, à rebâtir le couvent tri-
nitaire qu'ils avaient détruit cinquante ans auparavant'.
Sans avoir subi tant de cataslrophes, les couvents de Cham-
pagne n'étaient pas en meilleur état, témoin la saisie du
■revenu temporel de celui de Châlons-sur- Marne, faite à la
requête du procureur du roi, faute d'un nombre suffisant de
religieux pour célébrer le service divin, réparer et entretenir
les bâtiments de celte maison, ruinée et démolie au passage
de l'armée de l'empereur Charles-Quint4. Mainlevée en fut
accordée le i4 octobre i5$6. Mais la situation s'améliora si
peu que le P. Fadois, ministre en 1690, ne pouvait faire sub-
sister ce couvent que par les libéralités particulières de sa
mère.
1. Pièce z4«-
2. Archives de l'Hérault, liasse non cotée.
3. Archives du Parlement de Toulouse (table), B 25g.
4. Trinilaires de ChSIons, inventaire de 1742-1744, p. 1
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Io4 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES,
Certains couvents avaient été entièrement abandonnés :
La Perrine, près de Saint-Là, était gouvernée (depuis r4<)6)
par des prieurs commendataires ; l'ordre de la Trinité réclama
que la possession lui en fût rendue, et le dernier prieur, Pierre
Cotel, fut condamné à rendre les titres et le prieuré au tri-
nitaire Jean Maillet1 (i588).
Si nous passons en Flandre, nous trouvons des dispenses
d'impôt accordées, le i3 septembre i6o5, pour 18 ou 20 flo-
rins dus par les religieux d'Orivat. Les religieux de Lens
furent éprouvés au temps des guerres dont les Pays-Bas fu-
rent le théâtre sous Louis XIV. Antoine Dachier nous a
laissé un journal des perles de son couvent. Pendant six ans
(1679-1677), il fut impossible de labourer. Les archives
avaient été déposées à l'abbaye de Cambron, qui fut pillée
tant par les Espagnols, alliés des Hollandais, que par les
Français1.
A cette époque, les couvents de la généralité de Paris, énu-
mérés dans les Mémoires dressés pour l'instruction du duc de
Bourgogne*, sont moins pauvres qu'on aurait pu le croire.
Mais ils étaient à la merci d'un accident. Un orage, le
20 août 1703, causa 5,ooo livres de dégâts dans l'église Saint-
Jacques de La Veuve, où il y eut deux pieds d'eau; il était
difficile de la réparer, car les ouvriers étaient fort rares et le
prix des matériaux était doublé*.
La modicité des récoltes de 1760 met en fâcheuse posture les
Trinitaires de Toulouse, qui, pour les nécessités urgentes,
doivent emprunter 1,000 livres5 (i4 mars 1761).
1. De Gkhvh.i.k, Etude» sur lu département de la Manche, passiin.
î. Cartulaire de Lcns. Pièce 236.
3. Publiés par M. de Boislisle, pp. 37, 38, 5o, 5», 70, 73, 85, 181, 3it.
4- Liasse 53* des Trinitaires de Châlons.
5. Trinitaires de Toulouse, registre 84, p. a5.
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L'HISTOIRE GENERALE DES COUVENTS TRINITAIRES. I05
Le couvent de Pontoise est, en 1768, assiégé par une foule
de créanciers, ne pouvant plus tenir contre leurs poursuites et
se trouvant hors d'état de satisfaire aux dettes de la maison,
attendu que les revenus sont tous saisis depuis trois ans à la
requête de bouchers , boulangers , épiciers , marchands de
vin, de bois, cordonniers, serruriers, maçons et autres, qui
sont affamés d'argent. Le 27 février 1768, l'assemblée des cinq
Pères accorde un emprunt de 12,000 livres. Indépendamment
des dettes (u,o48 I.), le déficit annuel était de 854 livres1.
A la veille de la Révolution bien des couvents ne pou-
vaient plus subsister, et la Commission des Réguliers fit bien
de porter une main hardie dans cet édifice vermoulu ; mais
déjà il était trop tard.
Ce n'est pas tout d'avoir constaté la pauvreté des Trini-
taîres, il faut en voir les raisons. Ils peuvent alléguer que
leur ordre ne fut jamais très nombreux, mais leur négligence
est la grande coupable et ils furent privés de certains privilèges
par leur faute. L'exemption de la dîme ayant été contestée en
1709 par les Bénédictins de Vitry-le-François, les Trinitaires
ne trouvèrent aucun titre à leur opposer1 et perdirent leur
procès.
Ils avaient pourtant de nombreux émoluments, tels les étaux
de boucherie des Mathurins de Paris; comme ces étaux
n'étaient plus assez productifs, les religieux s'en dessaisirent,
vers 1710, déclarant imperturbablement qu'ils ne se souve-
naient pas d'en avoir jamais joui.
A Arras, ils avaient reçu, en ia5a, une table de change
{tabula nummularia). L'échevinage bâtit la Maison-Rouge sur
1. Gartulaire de Pontoise, fl» 54 et 68 vo. — Le rédacteur attribue ce
malheur à la mauvaise administration de son prédécesseur,
a. Archives de Mêla, H 3774, n° 1-
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io6 l'ordre français des trinitaires.
la Pelite-Place, en 1437, el Philippe le Bon accorda aux reli-
gieux un espace de 10 pieds carrés pour les indemniser de
cette table1.
A Lîmoux, ils exerçaient de véritables droits seigneuriaux.
Le syndic des religieux était autorisé « à levar sur chacun des
habitants extra maros qui cuiront du pain pour la vente aux
fours publics , 1 2 onces tin quart de pâte, poids de marc de
Montpellier, par setier de blé, à la charge par eux d'entretenir
les mandataires nécessaires pour le service des fours1 ».
A Lérinnes, le ministre avait une cour de justice, ainsi
qu'à Tourinnes, qui en dépendait3.
Les revenus ordinaires des Trinitaires, en ville, consistaient
dans des maisons qu'ils louaient; à la campagne, ils avaient
des fermes très importantes. Ceux de Toulouse avaient à
Vénerque une métairie qu'ils firent déclarer franche, malgré
les consuls. Ceux-ci, y ayant envoyé loger des gens de guerre,
furent condamnés par la Cour des aides de Montpellier à
rembourser 20 livres aux Trinitaires *. Cette « metterie noble
de labourage de deux paires de bœufs » servait à loger les
religieux convalescents. De même, le château des Damoi-
seaux, à Bièvre, était pour les Mathurins un lieu de prome-
nade, où leur général, Grégoire de La Forge, les conduisait
souvent, sans qu'ils se crussent tenus envers lui à la moindre
reconnaissance5.
Par contre, les Trinitaires de Lens avaient une maison de
refuge à Mons; seulement, le ministre Guillaume Watten
1. D'Hékj<:oi.ht, Les raes d'Arras, l. II, p. ïiji.
a. Inventaire da Parlement de Toulouse, B 397.
3. Bibliothèque de Bruxelles, fonds Goethals, n
4. Trinitaires de Toulouse, registre 80, pp. 67 et 76.
5. Bibl. Sainte-Geneviève, manuscrit 5io (au début).
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l'histoire générale des couvents tributaires. 107
l'avait mal choisie, « n'y ayant ni fenêtre, ni grenier, ni
écurie ' », et on dut ta revendre, à perte probablement.
La perception de leurs rentes fut leur grande et légitime
préoccupation. Leurs archives ne contiennent que des sen-
tences contre les mauvais payeurs, les expulsions des emphy-
téotes et bien peu de pièces historiques. D'ailleurs, les Ma-
thurins de Paris, pour se faire payer d'une rente de 60 livres
par les habitants de Crépy-en- Valois, firent preuve de la plus
grande persévérance; pendant plus d'un siècle et demi, ce
couvent mérita tout spécialement la réputation d'un couvent
pratique*.
Les quêtes amenèrent d'âpres conflits entre les Trinitairea
et les Pères de la Merci. Ces questions d'argent étaient, d'ail-
leurs, les pierres d'achoppement des relations entre ordres
religieux.
Ils évitaient adroitement bien des dépenses extraordinaires.
Par exemple, en i636, on avait fait choix du couvent mili-
taire d'Arras pour loger les soldats espagnols blessés au
siège de cette ville. Ils firent tant qu'ils amenèrent l'archiduc
Léopold d'Autriche à prendre plutôt le palais épiscopal3.
Quant à payer moins, les Trinitaires ne s'en faisaient pas
faute. Ils prétendaient n'être soumis à aucun impôt local.
Sommés par le magistrat d'Hondschoote de payer les impôts
pour les terres qu'ils occupaient, ils passent la frontière et
en appellent au bailliage d'Ypres, qui relient la cause et con-
damne le magistrat, d'où requête au Conseil privé (ai janvier
1. Pièce a36.
1. Les Mathurius de Paris, ayant reçu de Jean de Ruel la terre de
Bièvre, où Charles V se retint la justice, trouvèrent moyen de se l'attri-
buer et de se la faire même confirmer par Charles VI 1
3. Pièce 179.
a Dy Google
108 l'ordre français des trinitaires.
1702). Cette sentence d'Ypres est jugée « attentatoire à l'au-
torité du Grand Conseil », et les Trinitaires « fatiguent en
vain ta communauté par de continuels procès »; leur con-
duite est « d'autant plus préjudiciable au public qu'il doit
supporter tout le fardeau des tailles, pendant que les reli-
gieux s'en exemptent par des voyes si peu convenables à leur
caractère, alors que les religieux des Flandres les payent
sans résistance ' ». Ces sévères considérants n'empêchèrent
pas de nouvelles contestations sur la réparation des chemins
voisins de leurs propriétés.
Malgré leurs précautions, ils ne présentèrent pas en temps
leurs baux, à Marseille, et furent, par faveur spéciale et se-
crète, condamnés à une amende de 100 livres, la moitié de
l'amende ordinaire1.
Quelque grande que fût leur pauvreté, les couvents trini-
taires surent cependant s'entr'aider. En i6o4, François Petit,
avec permission du chapitre général, donne à Guillaume
Watien, prieur d'Estaïres, 5o livres à prendre sur la minis-
trerie de Lens 3. Au dix-huitième siècle, les Mathurins de
Paris avaient beaucoup de rentes sur les couvents de Cler-
mont et de Mortagne, aimant mieux emprunter à leurs
confrères qu'à des étrangers 4.
Dans les circonstances critiques, les différents couvents
savaient se cotiser. On vit tous les Réformés faire, à plusieurs
reprises, des dépenses importantes et longtemps vaines pour
obtenir la réunion à leur province du couvent d'Avignon5.
1. Archives communales d' Ho ad se honte, registre AA 1, p. 3/(0.
1. Pièce 263.
3. Carlulairede Lens, année rfk>4.
4- Archives nationales, LL i545, paitim.
5. Une autre liasse de Marseille bous montre un effort analogue pour
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L'HISTOIRE GÉNÉRALE DES COUVENTS TRINITAIRES. IOÛ
L'Hotei-Dieu de Lisieux ayant été incendié le 23" décembre
1770, les religieux de Paris, Fontainebleau, Mortagne don-
nèrent 5^o livres pour aider à sa reconstruction. Loyer,
ministre de Meaux, transmit la somme aux sinistrés1. La
solidarité seule pouvait les préserver de la ruine complète.
Les petits couvents de la campagne ne purent se sauver
que par la dépendance d'un plus puissant couvent, là où ils
purent éviter d'être réunis. .
Cette dépendance était souvent la conséquence de l'aide
prêtée par l'ancien couvent au nouveau, qui n'était plus que
sa succursale. La maison de La Veuve, fondée en ia34,
dépendait du couvent de Châlons ; telle était aussi la condi-
tion du couvent de Péronne relativement à celui, plus ancien,
de Templeux.
La tutelle s'exerçait même sur des couvents lointains.
Ainsi, le couvent de Saint-Farori de Meaux céda aux Trini-
taires le prieuré de Saint-Vincent de Rouvray1, près Forges-
les-Eaux. Le ministre de Meaux le donne à ferme à quel-
que religieux pour dix ou vingt ans, moyennant certaines
redevances.
Le couvent qui eut plus de dépendances est celui des
Malhurins de Paris. C'est à Robert Boulanger, ministre,
qu'est cédé en i3a4 le prieuré de Dinardj c'est au couvent
des. Mathurins que se transporte le grand-ministre pour
signer le contrat de cession. Cette dépendance se mani-
festait par le paiement annuel de 35 sous au ministre de
Paris, le jour du chapitre général 3,
le couvent de Lyon qui, n'ayant pu prospérer, fut cédé à la province de
France â condition qu'elle en payerait les dettes.
1. Archives nationales, S £278, "ù 4-
i. Son Cartulaire est conservé aux Archives nationales, LL i553-i554>
3. Archives nationales, registre S 4*84, P- laï-
a Dy Google
110 I, ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
Le prieuré de Dinard était un « membre immédiatement
dépendant du couvent de Paris ». Parfois, le ministre pré-
sente à l'évêque de Saint-Malo le prieur-curé, parfois, au
contraire, l'official s'adresse au ministre, en lui recommandant
un sujet « tout à fait digne d'obtenir ce bénéfice ». Apparem-
ment, la collation était alternative.
Lorsqu'il n'y avait cependant plus de rémission possible et
qu'il était vain d'espérer que le couvent arriverait jamais à
acquitter ses fondations, l'une des deux solutions suivantes'
s'imposait : la réunion (reductio) ou le bail.
Jacques Bourgeois nous a fait connaître à la fois le principe
et l'application de la reductio. Dans l'édition qu'il a donnée
des Statuts de i^aç) {pp- 80, 81), il dit que les biens pouvant
rester au couvent supprimé sont partagés en deux fractions,
consacrées, la première à l'entretien du prêtre qui acquitte les
fondations, la seconde à des bourses d'écoliers nommés par
les quatre provinces. La maison du Bourget, d'abord baillée
à un cardinal, ayant été réunie au couvent de Paris (i33o),
quatre écoliers furent mis en pension chez les Mathurins1.
C'était une chose excellente que de faire progresser les éludes
par suite de la diminution du nombre des maisons de l'ordre.
Seulement Jacques Bourgeois, qui demanda et obtint la
suppression du couvent de Convorde ou Estaires dont il était
minisire, n'avait pas prévu que le seigneur fondateur 3 pour-
rait réclamer l'exécution des conditions auquelles étaient atta-
chés ses bienfaits. Le procès qui suivit |amena plus de frais
que n'en eût coûté la conservation du couvent.
1 . Je ne reviens pus ici sur les couvrnls dépendants d'un seigneur, comme1
ceux de Mirepoix, Ricux et Tcrraube.
1. Archives nationales, dans S 4^53 * .
3. Thomas Pilleur, seigneur de Ma gny-lc- Hongre, fil aussi des ennui»
■u ministre de Silvclle. (Arch. nal., cahier dans S 4267.)
aoy Google
l'histoire générale DES COUVENTS TRINITAIRES. 1 1 1
Au dix-septième siècle, beaucoup de petits couvents n'eu-
rent plus de ministre résident. Celui de Pontarmé ' demeure
parfois à Verberie, parfois à Paris. En i653, un fermier est
chargé de faire dire les messes aux frais du ministre, de veiller
aux menues réparations, de prendre soin des ornements reli-
gieux; U était tenu de recevoir à ses frais le ministre, si
d'aventure il venait, et d'héberger les religieux de l'ordre.
Claude Ralle, pendant trente-huit ans secrétaire de Louis
Petit et procureur général des captifs, porte le litre de mi-
nistre du Fav. Les bénéfices à la collation du grand-ministre
lui servaient à récompenser ses amis, sinon à les enrichir.
Aussi, en i65a, quelques religieux Malhurins, mécontents de
leur supérieur, se plaignirent-ils au parlement de la non-
résidence comme contraire aux statuts de l'ordre. L'arrêt
du 5 mars donna raison à Louis Petit contre ces religieux
« tUscoles ». En 1696, un chapitre général décida de rappeler
à sa maison de profession tout ministre sans religieux.
Une bonne excuse pour la non-résidence était l'insécurité
du pays. Notre-Dame de Limon, près Vienne (Isère), étant
dans un lieu bas et marécageux, les ministres résidèrent à
Saïnt-Syinphorien d'Ozon. Plusieurs prieurs ayant été assas-
sinés à Franchard, dans la forêt de Fontainebleau, les reli-
gieux quittèrent en 171a ce lieu funeste.
Ce couvent royal de Fontainebleau fournit un bon exemple
des vicissitudes de nos religieux. En 1029, François 1er reprit
« de ses bien amés le ministre et religieux de Fontainebleau »
tout leur couvent pour en faire la cour du Cheval-Blanc. Le
nouvel espace qui leur fut alloué était bien, modeste en com-
paraison ; « mais, pour être un peu étroit, dit le P. Dan, qui
!_ E. Depuis, Pontarmé, pp. 55 et 56.
a Dy Google
113 L ORDRE FRANÇAIS DES TRIBUTAIRES.
en fut supérieur, ce couvent n'était pas sans charmes, embelli
qu'il était par les agréments d'une bibliothèque naissante. »
Nous voici ramenés aux parvae congregationes d'Albéric
des Trois-Fontaines, qui vit le berceau de l'ordre; le plus
illustre historien trinitaire reconnut, au dix-septième siècle,
que ses religieux ne pouvaient subsister qu'en se souvenant
de leur simplicité primitive.
a Dy Google
CHAPITRE XII.
Les hôpitaux trinitaires.
La règle prescrivait de consacrer un tiers des revenus à
l'entretien des religieux, un tiers au rachat des captifs, un
tiers à l'hospitalité. Il y eut, dès le début, beaucoup de mai-
sons qui non seulement eurent des hôpitaux, mais même ne
furent que des hôpitaux. Les fréquentes mentions de la mai-
ton et hôpital de Metz ne suffiraient certes pas à nous prou-
ver qu'il y avait là un hôpital, mais à Eslaîres et à Douai, où
l'on n'en a point signalé, nous en avons la certitude, grâce à
des actes de fondation très précis. Le 1 f\ décembre ia83, Jehan
Le Blas lègue à Y hôpital trinitaire de Douai ' ses coussins et
oreillers, ses couvertures, sa vaisselle d'argent, ses écuelles,
ses plateaux. Ainsi, quand on rencontre le nom de Maison-
Dieu appliqué à des couvents trinitaires comme à Pontarmé,
au Bourgel2, on peut être sur qu'il y a eu là un hôpital. Les
historiens de Paris s'étaient assez étonnés de l'inscription
placée sur le couvent des Mathurins, en vue de solliciter les
aumônes pour cet « hôpital ». Félibien et Lobineau avaient
i. Abbé Dakcoisse, Etablissements religieux de Doua i : Tri oit a ire
pièce n° i0.
a. Le Grand, Registre (tes visites de Vivéqut (en i35i), p. \a!\. Je sais
cette occasion de rappeler les excellents articles que M. Le Grand a cons
créa aux Maisons-Dieu du Moyen-Age.
« o» Google
Il4 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAlRES.
mentionné (t. II, p. 744) un legs d'Isabeau de Bavière en
faveur de l'hôpital de Saint-Malhurtn, sans en tirer de consé-
quences. Gaguin a écrit au dos d'un acte : « C'est la maison
où est de présent l'hôpital »; il était bien placé pour le savoir.
Les actes originaux concernant cet hôpital des Mathurins ont
malheureusement disparu, mais deux analyses, recueillies par
Claude de Massac dans le Cartulaîre qu'il fit rédiger, nous
donnent quelques renseignements sur cette pieuse fondation,
qui n'a disparu qu'au début du dix-septième siècle.
Les hôpitaux de l'ordre recevaient d'autres hôtes que des
malades. On en peut juger par la mention de ces vauriens
qui volaient les draps de l'hôpital de Taillebourg'.
Les Trinitaircs, jamais, n'administraient seuls un hôpital.
La plupart du temps, ils se servaient de donnés, et partout où
il y a des donnés, il y a un hôpital. A Paris, c'étaient un mari
et sa femme qui le desservaient en 1492 et en i533, avec
le titre d'hospitaliers.
Le fait pourrait aider à résoudre la question des Sœurs de
l'ordre, souvent prises pour des religieuses, qui, comme à
Meaux1, partagent avec les Frères3 l'administration de l'hôpi-
tal. Lorsque les Triiùtaires partent de Meaux, en i520, les
Sœurs restent, ce qui semble bien prouver qu'elles ne sont
pas du même ordre que les religieux. Bien que les historiens
trinitaires aient rapporté nu treizième siècle la fondation des
religieuses de l'ordre, il ne faut pas la faire remonter au
delà du dix-septième, où nous en voyons apparaître tant en
France qu'en Espagne. Alors viennent les Mathurines de
1 . Acle de visite cité.
a. Chronique des êuiquet de Afenti.r, par M*' Allou, p, l3i,
3. Un acle unique de Pontarmé mentionne les Frèrea el Sœurg de la
Maison-Dieu. (Dupuis, p. n5.)
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LES HÔPITAUX TRINITAIRES. ri5
Reuilly, qui étaient des Sœurs enseignantes : quant aux reli-
gieuses de Valence, cette communauté hospitalière avait pris
l'habit de l'ordre el son vocable à ta fin du dix-septième siè-
cle, sans lui être aucunement rattachée.
Une « bonne fille » de l'hôpital Saint-Nicolas de Metz
promet, le a4 juin i643, d'amender" ses mœurs, suivant les
règles el statuts des Sœurs et associées de l'ordre. La note
mise au bas de cet acte : « Ce vœu, qui n'est que particulier,
oblige pourtant », prouve bien qu'il ne s'agit pas de reli-
gieuses ' .
On voit de vraies religieuses à Avignon, mais ce sont des
Sœurs de Saint-Joseph, qui n'y sont venues qu'à la fin du
dix-septième siècle*.
Dans le Midi, les Trinitaîres paraissent partager le soin de
leurs hôpitaux avec des recteurs laïques. A Cordes (Tarn),
deux prudhommes, nommés pour un an, sont chargés de les
contrôler, de par l'acte de fondation du mois de novem-
bre 1287. Pierre de Béziers, damoiseau, parait être donné
comme seul associé aux religieux, le 14 décembre 12953.
Bernard Rascas, fondateur de l'hôpital d'Avignon, institue
deux recteurs laïques à côté des Trinitaîres qu'il fonde en
i353. La réunion si curieuse des Pères de la Merci et des
Trinitaîres en i48i par Julien de La Rovère, vice-légat, doit
être simplement interprétée comme une mesure destinée à
assurer une meilleure surveillance.
L'histoire de la plupart de ces hôpitaux est fort triste,
1. Trinitaîres de ChAlons, /jfif liasse.
2. Pour tout ce qui concerne Avignon, je dois remercier M. Joseph De
Love, archiviste des Basses-Pyrénées, <|ui a mis gracieusement i't ma dis-
position ses noies si étendues sur les établissements hospitaliers d'Avignon.
3. Pièces 46 et 5o.
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1X6 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITA1RES.
d'abord à cause de ta pauvreté d'un ordre qui pouvait diffi-
cilement faire prospérer des établissements si dispendieux,
ensuite à cause de sa faiblesse, qui l'expose à de nombreuses
avanies. L'Hàtel-Dieu de Saint-Quentin, donné en 1257,
n'existe plus un demi-siècle après ; Châlons, où les Trini-
taires auraient eu un hôpital dès iaa,r), n'en a plus dès avant
i364 '• Même secourus par un puissant seigneur comme Geof-
froy le Meingre, frère de Boucicaut, les Trinitaires hospita-
liers d'Arles doivent attacher à leur service Marot du Puy,
clerc, et le constituer procureur pour la moitié des revenus
donnés par ce seigneur1. Le ministre Guillaume de Flaygnac
avait d'ailleurs été pourvu de celte charge par Boucicaut
lui-même (i3 janvier i4io)3. Il était donc vrai que la dépen-
dance étroite pouvait seule assurer la vie de ces établisse-
ments.
■ Encore les Trinitaires pouvaient-ils s'estimer heureux quand
leur hôpital mourait, pour ainsi dire, de mort naturelle; car
ils étaient parfois dépossédés, a la suite de longs procès dé-
sastreux, comme à Compiègne4, ou d'une enquête désagréable
comme à Meaux.
L'Hôlel-Dieu de Meaux, aujourd'hui un des plus riches de
France, possède, dans ses belles Archives, le registre (coté
E 1) de l'enquête faite par les commissaires du roi en i5io
sur l'administration des Trinitaires. M. Coyecque en a publié
quelques pages piquantes dans ses Documents sur CHdtel-
Dieu de Paris (tome Ier, pp. 3a7-33i).
Les griefs allégués contre les Trinitaires de Meaux étaient
1. Archives nationales, X, 1 à *', f» 372.
2. Bibliothèque d'Arles, nis. i5g, pp. 634-638.
3. Ibid., insi. 160, pp. 5-g.
4- Voir la notice spéciale sur cet hrtpilal.
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LES HÔPITAUX TRINITAIRES. 117
de deux sortes : mauvaises mœurs el dilapidations. Le chro-
niqueur Jacques Bourgeois avoue que la compagnie des reli-
gieuses était fort dangereuse pour les moines, mais H présente
l'abandon de l'hôpital comme un acte volontaire du général
de l'ordre'! L'accusation d'immoralité était exagérée, tout se
réduisant à l'intrigue d'un religieux avec une Sœur. D'ailleurs,
après le départ des Trinitaires , la conduite des religieuses
donna lieu à plus d'un blâme.
Mais la dilapidation était trop évidente. Le ministre Nicole
Navarre, d'une révoltante parcimonie, avait diminué toutes
les rations de moitié. Aussi les pauvres devaient-ils avoir
recours à des moyens héroïques pour trouver à manger.
Quand les commissaires se présentèrent dans l'hôpital, « lieu
remugle et dangereux », treize malades seulement sur cin_
quante-quatre étaient présents, les autres « s'étant allés men-
dier par les rues et les églises, de façon que, quand ils ren-
traient, on les devait coucher pour leurs grandes faiblesses et
débilités ».
Pour les vêtements, le ministre n'était pas plus généreux :
« Les malades s'habillent tant des aumônes de pauvres gens
que des dépouilles de ceux qui trépassent audit hôtel. »
Si les Sœurs protestaient contre ces abus, les religieux
leur adressaient de grossières injures. Sœur Jeanne Couvreusc
étant venue demander du bois, le ministre lui répondît que
les religieuses « détruisaient la maison et qu'il y avait trop de
pauvres ». Comme elle insistait, « luy-mesme la mit es prisons
du dit Hoslel Dieu du côté des religieux, où iceuls peuvent
. * II est vray, dît Claude Rochard, dans ses Antiquités de .Veatue
rites (t. I, p. 3ii), que c'est une chose très dangereuse et périlleuse
a des hommes d'être sans cesse parmi des filles el à des filles parmi des
a Dy Google
tl8 L ORDRE FRANÇAIS DES 1
aller et parler par la fenêtre aux prisonniers et prisonnières
qui y sont ».
Venait-on chercher les religieux pour le plus essentiel de
leurs devoirs, recommandé expressément par leur règle, celui
de la confession, pour lequel les ordres mendiants avaient
livré des batailles aux évêques, ils ne se dérangeaient pas :
une pauvre femme mourut sans confession et les religieuses,
pour éviter le renouvellement de ce malheur, devaient avoir
recours à des prêtres séculiers malades à l'hôpital !
Le i3 mai 1619, Nicole Navarre, reconnu responsable de
cette mauvaise administration ,' fut destitué. En vertu de la
transaction du 9 février i5ao, acceptée par Nicolas Musnîer,
général de Tordre, les Trinitaires sortirent de l'hôpital, mais
gardèrent la cure de Saint-Remy', qui y avait été réunie en
1-106. Les religieuses furent déliées de leur obéissance envers
le ministre et instruites par des religieuses de l'Hôtel-Dîeu de
Paris, qui firent la navette entre les deux maisons9. Les bour-
geois solvables et honorables, établis dès i5i8 pour rendre
les comptes aux gens du roi , à l'évêque et au bailli , furent
autorisés à annuler les baux faits par les Trinitaires3, qui
constituaient souvent de vraies aliénations.
li y avait, à cette époque, l'annonce d'une révolution dans
l'administration des hôpitaux. Les dilapidations des religieux
auraient beaucoup contribué aux progrès du protestantisme.
L'évêque intervient, comme protecteur des hôpitaux, mais,
convaincu lui-même d'avoir exercé une surveillance trop peu
rigoureuse, il est bientôt débordé, et les comptables des hôpi-
taux sont désormais des laïques, « deux en chaque lieu, élus
[. Don Toussaint», pièce 5gi.
2. Coyeco.ce, t. II, p. 379.
3. Archives hospitalières, B 146, i/,IS; Ë i5a.
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LES HÔPITAUX TRIMTAIRES. IKJ
el commis, de trois en trois ans, par personnes ecclésiastiques
et laïques a' et versant un cautionnement de 720 livres tour-
nois au plus (avril i56i).
Pendant la seconde moitié du seizième siècle, les Triuitaircs
s'efforcent de sauver ce qui leur reste de leurs hôpitaux.
Entre autres déclarations qu'ils obtiennent des derniers Va-
lois, il faut citer celle du 10 mai 1569' où il est spécifié qu'ils
ne sont point compris dans l'édit relatif aux hôpitaux et mala-
dreries.
Le i4 janvier i584, le Parlement de Paris rend, en faveur
du ministre de Clermont (Oise), un arrêt « défendant aux
maire et gouverneur d'envoyer ni faire recevoir aucunes
personnes en l'hôpital de Clermont, ni d'entreprendre sur les
droits et administration d'icelui3 ».
Le début du dix-septième siècle marque une période de
renouveau dans l'histoire des hôpitaux, comme dans celle de
l'ordre entier. Les noms seuls des bienfaiteurs de la congré-
gation réformée, les Montmorency, les Condé, les Guéméné,
suffisent à prouver l'estime qu'il surent inspirer. A l'hôpital
de Montmorency, fondé le a3 août 1601, les pauvres ne
devaient pas coucher plus d'une nuit; ils en durent être
écartés, dans la suite, à cause de voies de fait auxquelles ils
s'étaient livrés; il ne resta que les malades, d'autant que
l'Hopilal-Général dut recevoir les mendiants des localités
situées à quatre lieues au plus de Paris4.
En i636, le prince de Condé fit une transaction avec
Charles de la Sainte-Trinité, religieux déchaussé, en vue de
1. Durand db Maillanb, Liberté» de l'EglUe gallican?, t. II, p. fia5.
a. Collection tU jaritprudeace, col. g5o.
3. Trinilaîres de Châlons, Inventaire, p. i53.
A. Trioïlaires de Montmorency, 2' carton (archives de Seine-ei-Oise).
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ISO L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
ta fondation d'un hôpital à Châteaubriant1. Les Réformés ne
devaient pas s'arrêter à ces succès, puisqu'ils obtinrent de
fonder à Rouen un hôpital pour les captifs en 1669.
A ce moment précis, l'ordre entier subissait un grave dés-
agrément. En 1663 avait été décidée la création des hôpitaux
généraux. Aussi, en 1671, les Trinilaires furent-ils déchar-
gés de leur hôpital d'Arles; il n'y eut plus dans celte ville
que celui du Saint-Esprit. Le 6 décembre 1673, nouvelle
avanie. Louis XIV ordonna de remettre à l'ordre de Saint-
Lazare les Hôtels-Dieu où l'hospitalité n'était pas « obser-
vée » selon les titres de leur fondation. Nos religieux se
trouvèrent en contravention. L'avocat Ragoulleau allégua,
pour la défense des Trinitaires, que leurs maisons n'étaient
pas dans le cas d'être réunies, car, à plusieurs reprises, le
roi l'avait déclaré expressément; s'ils avaient cessé de garder
l'hospitalité prescrite par la règle primitive, c'est que leurs
maisons n'étaient pas toutes des hôpitaux3. Leurs protesta-
tions paraissent d'abord avoir été vaines. En 169.3 cependant,
Louis XIV ordonna la désunion de ces hôpitaux d'avec l'ordre
de Saint-Lazare (i5 avril). Les Trinitaires de Caillouet rede-
mandèrent, en conséquence, la maladrerie de Chaumont en
Vexin, ses dépendances et ses titres3. Ils purent donc rester
jusqu'au bout religieux hospitaliers. Toutefois, ils ont eu
leur part de la remarque désobligeante de Carlier4, l'historien
du Valois , disant qu'a une grande partie des biens donnés
par la piété des fidèles fut détournée et assignée au soulage-
1. Trinitaires de Chiites iibriaril, archives de la Loire-Inférieure, H 4?4-
2. Moyen* généraux pour la définie de /'Ordre... contre les sieur» che-
oaiiersde Sainl-Latare, p, 3i. (Bibl. nat., Ld«, no a5.)
3. Archives de l'Oise, Trinilaires de Caillouet.
4. Histoire dn Valait, l. III, p. 192.
aoy Google
LES HÔPITAUX TR1N1TAIREB. 121
menl des religieux mêmes qui devaient soigner les indi-
gents ».
Leurs bonnes œuvres subsistaient encore dans te Midi; en
1768, à Cordes, les habitants ne voulurent jamais consentir
à la suppression de l'hôpital trinilaire1. Jusqu'à la dernière
heure de leur existence, ils gardèrent à Marseille un établis-
sement appelé l'hôpital Saint-Eutrope, dont on ne sait pas
la date de fondation. Les efforts du P. Giraud, le conscien-
cieux classeur des immenses archives des Trînitaires de Mar-
seille, pour l'attribuer à Saint-Jean-de-Matha9 demeurèrent
vains.
Au dix-septième siècle, cet hôpital de Saint-Eutrope a une
existence tout à fait à part. Il était administré par quatre
prieurs ou recteurs, deux étant élus chaque année pour deux
ans; chaque prieur sortant nommait son remplaçant au mois
d'avril, avant la Pète de saint Eutrope. 'Le ministre ratifiait
cette élection et entendait les comptes. Tous les ans, on fai-
sait l'inventaire. L'hospitalier et l'hospitalière pouvaient être
renvoyés par décision du ministre et des prieurs. Ceux-ci
devaient faire la quête une fois par semaine, mais l'hospita-
lière en fui chargée en 1677 et en 171:1; on lui en donnait la
moitié pour son entrelien.
Cet hôpital suffisait à contenir les hydropiques « de tout
âge, sexe, condition, paroisse » de la ville. Nul ne pouvait
y entrer sans le certificat d'un médecin, apothicaire ou chi-
rurgien, et sans l'ordre d'un des recteurs1. L'hôpital était
i. RotsiaitOL, Monographies communale! du Tarn, t. III, p. 88.
3. Bibliothèque de Marseille, ms. i^ii, p. i3a. Le P. Giraud oublie que
l'hdpi tel irinitaïre de Saiot-Martio fut vendu en 1 276. (Blancard, Sceaux des
Boachet-da-Rhône, p. a33.)
3. Trioitaires de Marseille, registre 22, f°>C, 17 vo, 93 y>.
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L ORDRE FRANÇAIS DES TRIMTAIRES.
rvé aux pauvres, niais il y avait des riches qui s'y faisaient
sporter par dévotion et y faisaient leur neuvaine, pendant
idle ils bénéficiaient des aumônes. Aussi était-il ordonné
hospitalière, lorsqu'il venait un malade distingué, d'en
'enir le ministre, qui lui rendait visite et l'engageait à faire
aumône pour la maison.
es Trinitaîres n'avaient d'ailleurs pas besoin de posséder
hôpital pour remplir leurs devoirs charitables. L'acte de
ialîon de La Cadière (Var) en 1637 stipule, nous l'avons
qu'ils seront tenus de demeurer en ce pays en temps de
e. Tout nous porte à croire qu'ils firent honneur à leur
île. A Saint-Remy, en i64o, le ministre de ce couvent
récent et trois religieux moururent de ce fléau. Mais
( surtout dans la fameuse peste de 1730-1721, qui ne se
1a pas seulement à Marseille, qu'ils firent courageusement
devoir. La liste ' des religieux morts de la contagion com-
id trente noms, dont dix de clercs ou convers. On peut
r entre autres, à Marseille, Michel Trossier, ancien provin-
, Ignace Roux, vicaire général et ministre; à Arles, Félix
ny et Chartes Reinaud, morts en servant la paroisse
it-Laurent; à Tarascon , Dominique Pépin et Ignace
tide, morts aux infirmeries; à Saint-Remy, le P. Maurice
;uier, qui avait servi six mois les pestiférés avec un
il zèle. La gloire de Belzunce est légitime, mais il ne faut
moins admirer ces obscurs religieux dont le nom est à
te connu et qui, en ces jours terribles, rachetèrent quel-
s défaillances3. Les Trinilaires déchaussés ne furent pas
rieurs à leurs confrères : « Un pauvre Frère s'est sacrifié
Trinilaires de Marseille, registre i3, f° il\\.
Méhï elGuiwpOH, Histoire des actes de In municipalité de Marseille,
I, p. cLvn [(24 septembre '720).]
a Dy Google
LES HÔPITAUX TRINITAIRES. I â3
au service à l'hôpital aux convalescents, et d'autres confessè-
rent les malades' ».
Nous verrons dans la dernière partie de ce travail que les
Trinitaires d'Aller, eux aussi, montrèrent un dévouement
perpétuel aux chrétiens atteints de la peste.
i. A Lens (Hiinaul) les Trinilaires n'étaient pas moins charitables. En
1670, Antoine Belgrade mourut après avoir été donner In bénédiction du
scspulaire aux moribonds de la peste.
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CHAPITRE XIII.
Les curea trinitaires.
Nos religieux se vantèrent, en 1766, de faire ce que les
autres ne faisaient pas, comme la rédemption des captifs, el
aussi de remplir, comme bien d'autres, des fonctions pasto-
rales. En effet, ils desservaient un grand nombre de cha-
pelles et de cures. Cette raison de fait nous permet de trouver
oiseuse la question qui fut discutée, au dix-huitième siècle,
avec un étrange acharnement : les Trinitaires ont-ils ie droit
de tenir des cures? Il leur aurait suffi de dénombrer celles
qu'ils desservaient ; au lieu de cela ils produisirent un acte
suppose de Guillaume d'Auvergne; cela ne réussit cependant
pas à compromettre leur cause. Claude Gallardon, chanoine
régulier, dans un factum conservé à la Bibliothèque Sainte-
Geneviève1, exhale une rage impuissante contre ces religieux
qui, non contents de se faire déclarer chanoines réguliers,
venaient encore menacer les cures desservies par leurs nou-
veaux confrères. Dès le principe, les Trinitaires avaient joui
sans conteste d'une certaine quantité de cures, plus nombreu-
ses dans le Nord que dans le Midi.
La plus ancienne qui leur ait été donnée est celle de Vier-
1. Manuscrit no 1967.
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LES CURES TRINITAIRES. Ia5
set, dont Wautier de Beauforl, le a5 mars 1208, cède aux
religieux de Saint-Nicolas de Sarte, près Huy (sur la Meuse),
le patronage, c'est-à-dire le droit-d'y présenter. Cela équivalait
à la possession, car l'ordre devait toujours être en mesure
de la faire desservir par un Trinitaire '.
Noua avons vu qu'Henri , comte de Bar, donna en 1 239 la
cure de Lamarche aux Trinitaires, qu'il présenta à l'évèque
de Toul. Un religieux qui la desservit eut une curieuse contes-
tation avec une dame Parise de Vosges, à laquelle il réclama
une demi-aumône à cause du décès de sa fille morte sans
avoir été mariée. C'était, paraît-il, une coutume de Lamarche,
el le doyen de Viltel donna raison au Trinitaire-curé.
Parfois le patronage était partagé. Les Trinitaires de Lérin-
nes ont la collation alternative de l'église de Tourinnes-les-
Ourdons avec les religieuses du Secours-Notre-Dame. Nous
rencontrons des exemples analogues en Normandie.
A la Perrine, ils partagent avec le chevalier Renaud Bour-
guignon et sa mère le patronage de la cure du Désert; mais
ils ont Yaltalagium, droit aux oblations de l'autel, qui est la
meilleure partie du revenu.
Les Trinitaires de Rouvray exerçaient, sur l'église de Saint-
Aignan, un patronage, conféré par un chevalier et confirmé
par Eudes Rigaud 1 ; le 1" juillet i334, aux assises de Rouen,
le procureur du ministre et celui du chevalier Pierre Desma-
rais renoncèrent à ce droit en faveur- du seigneur de Rou-
vray3.
Eudes Rigaud, dont il vient d'être question, avait remis en
1 . Archives particulières de M. le duc de Beaufort-Spoutin (communi-
cation de M. P. Caroû).
2. Historien» de la France, XXIII, 5o8 k el n. 2,
3. Ibid., XXIII, Mi c. d.
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120 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIKES.
12 5 y la cure de Rouvray, près Forges-Ies-Eaux, à Mathieu,
Trinitaire, présenté par le grand-ministre ; il l'autorisa à en
consacrer tous les revenus aux besoins de l'ordre, ne rete-
nant pour lui et l'archidiacre que io livres tournois par an.
La cure valait 6o livres ' et avait cent paroissiens.
Souvent les Trinitaires furent chapelains seigneuriaux et
même royaux. Le ministre de La Veuve, près Châlons, des-
servait le château de Juvigny3. Des Trinitaires chapelains
royaux sont ceux de Fontainebleau, que saint Louis établit
dans son château et auxquels fut donnée la cure d'Avon, en
i54g ; leur souvenir s'est conservé à tel point que, même après
toutes les vicissitudes du couvent, la chapelle du château porte
encore le nom de la Sainte-Trinité.
On peut ranger dan» ce groupe le prieur de Saint-Julien
de Cadoudal, près Rieux, et le minisire du couvent de Beau-
voir-sur-Mer, aussi prieur de Saint-Thomas de la Garnache,
Bon annexe. Plus les couvents étaient déserts, plus le religieux,
qui parfois l'habitait seul, en arrivait à remplir simplement les
fonctions curiales. Tel était ce Louis Gallot dont Jean d'Es-
tourmet vantait, à la fin du seizième siècle, les excellentes
prédications et qui était si regretté par les habitants d'E-s-
laires 3.
Par une rare fortune, la desserte d'une chapelle seigneu-
riale, à Vianden en Luxembourg, allait conduire les Trini-
taires à annexer huit cures à leur ordre ; la donation primitive
fut faite en ia^8 par le comte Henri.
Lorsque les religieux eurent reçu la desserte de la chapelle
castrale de Vianden, les habitants trouvèrent qu'elle était bien
i. Hiltorien* de France, XXIII, a$o h.
2. E. de Barthélémy, Ijiocrse ancien de Ckalon», II, 58.
3. Archives des Trinitaires de Douai, a« carton (non colë).
« o» Google
LES CURES TRINITAIRES. 137
haut et bien loin pour servir comme paroisse. L'église du
couvent devint donc paroisse à partir de 1 266. Mais les Tem-
pliers de Rolh, dont Vianden dépendait primitivement, avaient
vu de très mauvais ceil l'installation des Trinitaires et la colla-
tion de la cure que leur avait faite le comte. Ils ne craignirent
pas de lancer l'excommunication contre celui-ci et de solliciter
des lettres d'éviction contre le ministre ; mais le partage des
dîmes et une indemnité, payée par les Trinitaires, assoupirent
l'affaire. Nos religieux ne cessèrent pas d'acquérir des cures
autour de Vianden, tant d'ecclésiastiques, comme l'abbé
d'Echternach, que de laïques : telles sont, après Mettendorf et
Daleyden, qui datent de la donation primitive, Couston1,
Nosbaum, Fouhren, le Mont-Saint-Marc, et j'en oublie certai-
nement. On se demande comment ils avaient assez de reli-
gieux pour les desservir toutes. La prospérité du couvent de
Vianden était indéniable, puisqu'ils renonçaient au bénéfice de
l'avant-dernier article de la règle leur permettant de ne point
user du chant grégorien à cause de leur petit nombre.
C'est pour Vianden que nous avons été le mieux renseignés
sur les formalités de l'union des cures au couvent trinitaire.
Les différents seigneurs patrons envoient par écrit leur con-
sentement à l'ordinaire, en cette affaire, l'évéque de Liège, qui
prononce alors l'union solennelle au couvent. Parfois même,
une confirmation est demandée au pape.
Les Trinitaires ont aussi possédé des prébendes. Thibaut IV
de Champagne leur promit, le 22 avril 1260, la première qui
serait vacante au chapitre de Saint-Etienne de Troyes3. Le
ministre d'Etampes était chanoine de la collégiale. 1-e P. Hélyot
1 . Pièce g4-
2. D'Aabois de Jubaikvillk, Catalogue des actes. . . des comtes de Cliam-
ûdv Google
138 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
cite encore, comme appartenant à nos religieux, des prébendes
à Pïimiers, à Belleville près Maçon, à Mortagne, et deux à
Orthez. D'une transaction passée à Clermont (Oise) entre le
grand-ministre Renaud de la Marche et le chapitre de Cler-
mont, on peut conclure que le ministre de l'hôpital était, en
certaines circonstances, assimilé à un chanoine par le seul mit
de porter une châsse le jour d'une procession solennelle '.
La plupart des cures occupées par les Trinitaires leur vin-
rent par des hôpitaux auxquels elles étaient déjà annexées
avant leur venue. Ainsi, quand ils reçurent l'Hôtel-Dieu de
Meaux, en ia44, cet établissement possédait depuis 1206 la
cure de Saint-Remy*. La Maison-Dieu de Lisieux possédait
déjà avant 1225 les cures de Marolles, Courbesarte et Villers-
sur-Mer (celle-ci supprimée à la fin du dix-huitième siècle)3, et
les chapelles de Saint-Christophe et de Surville. Dans le Midi
même, la communauté et les consuls de Cordes leur conférè-
rent la cure de Notre-Dame, le 3t mai 1287, mais non la pro-
priété de l'église, comme le veut M. Rossignol. Une transac-
tion de 1594 porte que les Trinitaires feront venir l'archiprêtre
pour faire la levée du corps et toucher la quarte funéraire.
Les Trinitaires furent naturellement appelés à exercer les
fonctions paroissiales dans des bourgs insuffisamment des-
servis par le clergé séculier : à La Cadière, deux religieux
devaient être capables de prêcher et de confesser, seulement
ils ne pouvaient s'immiscer dans la desserte des chapelles
rurales : celte prescription avait pour but de les retenir plus
1. Voir la monographie du couvent.
a. L'administrateur de l'hôpital Jean-Rose, construit sur cette paroisse.
payait chaque année 4 livres tournois à la Maison-Dieu ( 1 366). {Gallia
Christiana, VIII, 1637).
3. Vasseuh, Les Afathtirin» de Liiieinr, et Bibl. de Marteilfe, manuscrit
r a 1 0, pp. 466-468 (Archives nationales, G* 670).
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LES CURES TRINITAIRES. I 29
étroite ment à la ville. Dans la même région, à Nolre-Dame-de-
Santé près La Verdière, au Muv, ils desservirent des chapelles
où avaient lieu des pèlerinages renommés.
Jamais le nombre des Trinitaires curés ne fut plus grand
qu'au dix-huitième siècle. Le chapitre de Saint- An tonin donna,
le 10 mars 174^, à Pierre Roux, ministre de Cordes, la cure
de Servanac, avec ses annexes Saint-Jean de Cazals et Sainte-
Eulalie, plus 3o livres de pension pour chacune1. Quelques
années après, nos religieux de Toulouse furent sur le point
de faire ériger la paroisse de Saint-Michel en annexe de leur
communauté, le 19 juin 177s1.
II faut encore compter parmi les cures une foule de chapel-
les, reçues parfois à titre assez onéreux pour qu'une modifica-
tion à ces conditions ait été demandée. Telles sont la chapelle
de Notre-Dame-du-Bois à Labrugière, conférée en 1619 aux
Trinitaires de Toulouse par Louis de Flochechouart , et celle
de Saint-Biaise à Chars, unie au couvent de Pontoise par
l'archevêque de Rouen. Les Réformés de cette ville avaient
reçu la chapelle de Saint-Jean-Baptiste à Nesles, à condition
de célébrer quatre messes par semaine; or la distance à par-
courir élaît de deux lieues ; il fallait parfois débourser 5o écus
par an pour l'entretien des cloches et du chœur de cette
éjçlise, sans parler de 45 à 60 livres de' décimes et autres
contributions. Innocent XIII ayant accordé a l'ordre une
réduction de fondations, le 10 septembre 1723, le visiteur pro-
vincial des Réformés estima qu'il n'y avait de fonds assurés
que pour une messe le jour de saint Jean l'Evangéliste ,
,_ Trinitaires de Toulouse, liasse 61. Le Parlement condamna le cha-
pitre de Saint-Anton in à payer cette pension, le 3 avril l'/iifi, plus 3o livres
en tout pour un clerc.
a. Trinitaires de Toulouse, registre 85, pp. 37-42.
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i3o l'ordre français des trimtaihes.
patron de la chapelle, et pour une messe des morts aux inten-
tions de M. de Nesles1.
L'on peut signaler, à titre de curiosité, la collation, par
l'évèque <l'Ag(te, d'une chapelle établie dans la maison de
Sainte-Marguerite de Loupian et de l'ermitage du Mont-Sainl-
Clair de Cette, à un Trinitaire de Montpellier1.
Bien peu de statuts concernent les curés, et il est peu
d'affaires intéressantes auxquelles ils soient mêlés. Il est dé-
cidé, en i G 1 3, que les curés uon annexés sont révocables
ad nutum; les annexés demeurent en leur état de curés tant
qu'ils ne donnent pas lieu à des plaintes. Ils étaient nommés
par le provincial3 et restaient soumis à leur ministre. Quand
la cure était très voisine du couvent, ils ne la quittaient pas
à vrai dire; ainsi le ministre de Lens, Alexis Masson, ayant
fait de grandes prodigalités, un Trinitaire de Lens, qui était
curé d'Erbaux, fut nommé vicaire du couvent4. Parfois, au
contraire, ils s'ingéraient abusivement dans les affaires de
leur maison de profession ; le curé d'Assenois ne venait à
Bastogne que pour y causer du désordre5.
En 1703, le Conseil d'Etat décrétait que les religieux pour-
vus de cures ne pourraient être révoqués que par le chapitre
général6.
Joseph II, supprimant en 1783 l'ordre des Trinitaires dans
les Pays-Bas, décida que les religieux curés resteraient eu
possession de leurs cures, mais seulement viagèrement et
seraient ensuite remplacés par des séculiers ordinaires. Nous
1. Registre capitulnire de Pontoisc, fol. 47 v°<
ï. Pièce 18O.
3. Archives île Mous ; en iOoô, Jean Thiéry noinnic le curé de Vierset.
4- Archives du Royaume à Bruxelles, Conseil prive, carton i^î2.
5. Ibid.
ti. Recueil des arrét$ de jurisprudence (de Brilluu) au mot Cure.
a ov Google
LES CURES TBlNITAlRES. l3l
verrons que ce fut là un débouché pour les Trinitaires après
leur suppression en France.
Sur leurs obligations relativement au chapitre des églises
cathédrales, rien ne se rencontre de spécial, sinon que le
curé de Sainl-Remv devait, chaque année, à un jour fixe,
sonner les cloches de la cathédrale Saint-Etienne de Meaux'.
i . Manuscrit de Claude Rochard, à la bibliothèque de Meaux.
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CHAPITRE XIV.
Les églises trinitaires.
Il est peu de points sur lesquels nous .soyons moins ren-
seignés que sur les églises trinitaires. Le seul article de la
règle qui les concerne prescrit qu'elles soient simples, ce qui
fut facilement observé par un ordre aussi pauvre. A part des
remarques contemporaines dans les chroniques de Gaguin et
de Bourgeois, il n'y a que de très rares actes faisant mention
de leur état primitif antérieurement au dix-septième siècle.
L'église de Cerfroid et celle des Mathurins de Paris, modèles
que l'on eût pu désirer étudier, sont aujourd'hui détruites;
ce que nous croyons savoir nous induit à penser qu'il n'y eut
jamais de style trinitaire.
Ces églises étaient bâties à peu de frais, à en juger par les
immenses dégâts que des catastrophes y causèrent, d'où de
fréquentes réparations. Presque toutes les églises dont nous
avons les comptes de construction datent du dix-septième
siècle. Vers i (i88 fut édifiée la nouvelle église des Trinitaires
de Châlons; la précédente avait un maître-autel de i638.
L'église d'Ëtampes fut reconstruite en 1756-1758. Celle de
Metz était ornée d'un nouveau maitre-aulel en 1789. Le
simple examen de ces dates (on pourrait les multiplier),
montre bien que, si ces églises subsistaient encore, nous ne
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( Blullothèqiw nationale. E-Umpe». ttd H, fui. 7T.)
«««Google
a o» Google
LES ÉGLISES TRINITÀIRES. I 33
partagerions pas la satisfaction de Claude de Massac, voyant
en 1720 l'église neuve du couvent de Metz.
En Provence, les Trinitaires, s'étant réformés, modifièrent
tout ce qu'avaient fait leurs prédécesseurs. A Arles, en 1612,
ils abattirent toute l'église, sauf le clocher.
Même pour cette époque, les détails consignés dans les
registres de visite ne sont guère relatifs qu'à des inventaires
du mobilier.
Les églises que l'on peut dater (en dehors de celle des
Mathurins de Paris) sont très rares. Celles de Metz et de
Vîanden sont dans ce cas. Pour la première, un acte conservé
aux Archives de Lorraine nous donne, non seulement l^acte
de consécration de l'église par Désiré Noël, le 12 avril i477>
mais la date d'une consécration antérieure, du -ïi février i3io-
i3ao, mentionnée dans les certificats de Reliques que conte-
naient les autels. On pourrait donc faire remonter l'achève-
ment de la première église trinitaire de Metz à i320.
Un document inédit , conservé au palais du gouvernement
de Luxembourg, permet de dater l'église de Vianden. Le
27 août 1498, Gaguin permit aux religieux de ce couvent de
quêter dans les diocèses de Trêves, Cologne et Liège, afin de
rebâtir leur église, récemment incendiée avec la majeure partie
de la ville1. La reconstruction ne marcha pas aussi vite que
l'auraient espéré les habitants, car ceux-ci conclurent, en sep-
tembre t5oi, un accord avee les religieux pour contribuer à
frais communs à la réparation de la toiture. La bourgeoisie
se chargea de la nef latérale qui regardait la rue, le couvent
se chargea du vaisseau principal1. Le chœur fut consacré
seulement en i635.
a Dy Google
i36 l'ordre français des trinitaires.
l'ordre. Mais, bien souvent, on donna aux religieux des
églises qui avaient d'autres patrons, comme celle de Saint-
André de Clermont, par exemple, et qu'il parut inutile de
débaptiser. Par suite, la seconde règle décida que, seules, les
églises bâties par les frères seraient dédiées à la Trinité.
Aucune église nouvelle ne fut consacrée par eux à leur fon-
dateur Jean de Matha , sinon celle de Faucon, sa patrie, et
celle de l'hôpital d'Espagne à Alger. Il est vrai qu'il ne fut
canonisé qu'au dix-septième siècle1.
L'article de la règle rappelé plus haut suffirait à montrer
l'injustice du grief que Louis Petit fait aux Trinitaires Réfor-
més de ce que leurs couvents s'appellent Saint-Michel de
Pontoise, Notre-Dame de Liesse, Saint-Jean-Baptisle de
Montmorency, aucun n'étant dédié à « l'adorable Trinité ».
Le général eût mieux fait de se rappeler que les Trinitaires
non réformés possédaient, entre autres couvents, Saint-Jac-
ques de Troyes, Saint-EIoi de Mortagne, Notre-Dame de
Limon, Sainte-Catherine de Beauvoir et qu'il résidait lui-
même au couvent de Saint-Math urin de Paris.
Le nom de Sainte-Trinité que portaient un certain nombre
d'églises de l'ordre a fait attribuer à tort à nos religieux des
hôpitaux comme celui de la Trinité, à Paris, et des églises
comme la Trinité de Verneuil (Eure) qu'ils n'ont jamais pos-
sédées. L'annaliste Baron a mentionné ce couvent de Ver-
neuil (i2o5) et je ne sais si cette erreur n'est pas intention-
nelle.
Dans des villes où les Trinitaires ont eu des couvents,
comme Troyes, il est donc des églises et des hôpitaux dédiés
i . En 1 7G3, l'armateur Meifrun donna a un bateau le nom de Saint-Jean-
de-.Valha. Celait un digue, hommage a tout l'ordre rédempteur. (Devoulx,
Revue africaine, l. XVI, p. 38i .)
a Dy Google
LES ÉGLISES TRINITAIRES. l3-j
à la Trinité qui ne leur ont jamais appartenu. Parfois, ces-
sant d'appartenir aux religieux, l'église perdait son vocable,
comme à Cliaions. Le 20 mai i685, Louis XIV avait ordonné
à l'intendant Miromesni! d'exproprier les Trinilaires pour
agrandir l'Hôpital-Général. Le a3 juillet, le ministre Guil-
laume Basire cède son église moyennant 40,000 livres; par
l'effet de cette vente, les acquéreurs « intituleront ladite église
désormais de Saint-Maur, sans pouvoir loucher par eux aux
sépultures des généraux, ministres et religieux de l'ordre qui
y sont inhumés' e.
Reliques. — Les reliques sont nécessaires dans tout autel.
Les premières que l'on chercherait dans les églises trinilaires
sont celles du fondateur et des saints de l'ordre. Le couvent
de Faucon, fondé en 1661 dans la patrie de saint Jean de
Matha, est le seul de France qui en eût. Le corps du saint
fut transporté à Madrid, comme on sait. Quant aux reliques
de saint Félix de Valois, le P. Calixle a eu la franchise
d'avouer qu'il n'en avait point retrouvé à Cerfroid.
Divers personnages de l'ordre furent honorés comme mar-
tyrs, notamment les PP. de Monroy, Aquila et Palacios, qui
moururent en captivité à Alger; le bienheureux Simon de
Roxas en fil rechercher avec soin des reliques pour leur faire
rendre, à Madrid, ie culte qui leur était du2.
Les reliques conservées dans les couvents trinitaires n'ont
aucun rapport avec l'ordre. Les autels consacrés à Metz sont
ornés de reliques de saint Laurent et de sainte Barbe. Le
couvent de Socuellamos reçut, en i64i, une partie des reli-
ques de saint Valentin, comme il ressort d'un acte passé à
1. Inventaire des Trinilaires de Cbâloos, p. 64.
1. Giuuo Cobdara, Ritraito delta cita... di Simone de Ro-rus.
a Dy Google
l38 1,'oRDRB FRANÇAIS DES TRINITAtRES.
Madrid devanl Lambert Tito, notaire apostolique1. I! y eut
une grave affaire de reliques volées à Sanlarem; le P. Aloè.s,
dès qu'il eut appris leur provenance frauduleuse, s'empressa
de les faire renvoyer en Portugal. Le couvent de La Cadière
se vit conférer par Charles Malachane1, procureur général
en cour de Rome, une relique de la vraie croix, qui ne pou-
vait être prêtée au dehors.
Quel que fiH le couvent qui en bénéficiait, la destinée com-
mune de ces reliques a été d'éprouver beaucoup de vicissitu-
des. Le cartulaire de Lens nous raconte ce qui advint de celles
de saint Antoine et de saint Hubert : par un malheureux
hasard, des visa obligatoires furent omis, et la « reconnais-
sance i) en exigea un temps très long. Ailleurs, leur authen-
ticité provoqua de vives contradictions , mars c'est là le sort
commun du plus grand nombre des reliques.
Souvenirs. — Quand même l'architecture des églises eut
été sans intérêt, il était au moins une circonstance qui leur
donnait une valeur propre, c'est le souvenir de leur fonda-
teur. La mémoire des seigneurs bienfaiteurs ne se perdit
jamais. Jean d'Estourmel, baron de Doulieu, rappelle que
onze de ses ancêtres ont leur tombeau dans l'église de Con-
vorde.
La chapelle castrale de Vianden, d'après la splendide publi-
cation de M. Arendt, conserve encore les monuments des
comtes de Spanheim, bienfaiteurs des Trinitaires.
D'utiles publications, faites il y a un demi-siècle, alors que
le souvenir de ces oeuvres d'art n'était point encore effacé,
et que quelques-unes subsistaient encore, donnent des détails
i. Bïbl. de Marseille, manuscrit izi5, f« yi.
a. L'abbé Gjhacd, Monographie de La CwrfiVrc.p. Si.
aoy Google
LES EGLISES TK INI TA IRES. 100
intéressants sur ces tombeaux. Ainsi, à Châleaubnant, on
voyait, en i863, « dans l'enclos du baluslre du mattre-autel,
un monument enfermé dans le mur, soutenant la figure d'un
homme au côté duquel est un bouclier chargé des armes
de Châleaubrianl, et en dessous du monument, il y avait
une cave ou charnier où repose le corps qui est représenté
par ladite figure' ». La mort légendaire de Sibylle, femme
de Geoffroy de Châteaubriant , était aussi figurée sur les
vitraux de cette église.
Chapelles particulières. — Nos religieux n'auraient jamais
pu faire les dépenses nécessaires pour construire une église
s'ils n'avaient été aidés par des particuliers qui mettaient cer-
taines conditions à leurs libéralités.
A Marseille, en 1.^78, le ministre Pierre Maire avait cédé à
Thomas Broulhard la première chapelle à main gauche en
entrant, « continue à celle de M. de Minuet, pour y faire
construire un tombeau où seraient ensevelis avec lui sa femme
et ses enfants, à l'exclusion de toute personne étrangère à sa
famille. Il fera faire à ses frais un autel où sera représenté
saint Thomas, apôtre, et fera blanchir la chapelle1 ».
Plus lard, Désirée « Brouarde » accuse le ministre d'avoir
violé ta sépulture de son frère en faisant démolir la chapelle.
Le ministre répond que, dans son état primitif, elle n'était
en réalité, qu'une grotte, où l'on pouvait à peine dire la
messe, et qu'il l'a mise de pair avec les autres chapelles de
l'église ; il autorise d'ailleurs la demoiselle Brouarde à faire
à ses frais les réparations qu'elle jugera utiles.
1. Cité dans GounÉ, Histoire de Chàteaabriant, p. î8a.
a. Grands Trinilaires de Marseille, refrislre i, f". 29,
a Dy Google
■ 40 L ORDRE FRANÇAIS DES TRIBUTAIRES.
Ornements. — Quand les religieux étaient réduits à leurs
seules ressources, ils faisaient le moins de dépenses possible.
Le rédacteur du Cartulaire de Lens, Antoine Dachier, blâme
son prédécesseur d'avoir « accommodé » cette église de nions-
trances, de ciboires, d'un aigle au milieu du chœur, avec une
profusion exagérée.
Chez ces mêmes religieux, le sépulcre fut imité de celui
d'Anchin.
Sans faire ici la monographie de l'église des Mathurins de
Paris, je veux relever un détail concernant une autre copie
d'oeuvre d'art. Un ministre de Lens, Guillaume Watten,
donne i5o florins pour les marbres de l'église qui était le
vrat centre de l'ordre ; de plus, une pierre représentant les
douze Apôtres, semblable à celle de Lens, et il ia fait trans-
porter jusqu'à destination, en reconnaissance des secours que
le chapitre général lui avait accordés autrefois pour ses étu-
des. Paris ne dédaignait donc pas d'emprunter non seule-
ment à la province, mais même à l'étranger', Lens étant en
Hainaut.
Pour le maltre-autel de marbre de l'église des Grands-Tri-
nitaires de Marseille, te Bureau de la Rédemption donne
1,600 livres sur les 3,5oo que demandait le sculpteur Monté-
dony, à condition de mettre en évidence sur cet autel l'écus-
son et les armes du Bureau3 (i5 novembre 1747).
La confrérie de Saint-Roch avait pris à sa charge les
12,000 livres de la reconstruction de l'église des Trini-
taires d'Arles, où étaient conservées les reliques de son
patron.
1 . Tous ces faits ont été. extraits de diverses pages du Cartulaire de
a. Trinitaires de Marseille, registre 8, p. 45.
aoy Google
PORTAIL DU COUVENT OE SAINT-THOMAS DE FURMIS A ROME,
AVEC LA. MOSAÏQUE.
a Dy Google
a o» Google
LES ÉGLISES TRINITAIRES. l4l
On ne saurait énumérer toules les confréries qui se tenaient
dans les églises trinitaires et qui fournissaient une partie appré-
ciable de leurs revenus : c'étaient à Marseille tes courtiers
royaux ou censaux' (1716-1720), les curatiers et tanneurs
transférés des Grands-Auguslins aux Trinitaires1, en i665; —
à Montpellier celles de Notre-Dame de Bethléem, ainsi que
des porteurs de chaises et portefaix. Mais la plupart de ces
confréries n'avaient qu'une existence accidentelle dans ces
églises, n'étant point en rapport avec les dévotions spéciale-
ment trinitaires.
Fêtes. — Les fêles de l'ordre fourniront l'explication des
principales œuvres d'art provenant des églises trinitaires.
Le calendrier des religieux renferme peu de solennités spé-
ciales. C'est fort tard que furent instituées les commémora-
lions de saint Jean de Matha et de saint Félix de Valois.
Depuis leur canonisation, la fêle de saint Jean de Matha
se célèbre le 8 février; celle de sainl Félix de Valois, le
ao novembre.
La principale fête de l'ordre est celle de sainte Agnès
seconde, c'est-à-dire de son octave, le 28 janvier, jour de
l'apparition traditionnelle de la sainte après son martyre,
auquel les Trinitaires rapportaient l'anniversaire de leur fon-
dation. Il a été question de cette prétention au chapitre II.
Toujours est-il que celte fêle éclipsa entièrement celle du
vocable de l'ordre, c'est-à-dire de la sainte Trinité. Bien que
le dimanche après la Pentecôte fût appelé, en 1198, dimanche
de la Trinité, celte solennité, croit-on, fut instituée seulement
1. Chambre de commerce, Inventaire, IIH 108.
1. Trinitaires de Marseille, noie au dos de la pièce 1$,
a Dy Google
l4'J L'ORDRE FRANÇAIS DES TR1.NITAIRES.
par le pape Jean XXII1. On se souvient que, dès ia63, le
chapitre général avait été avancé au quatrième dimanche
après Pâques., Le nom de la sainte Trinité fut conservé à la
plupart des confréries vouées à la rédemption des captifs. La
figure symbolique de la sainte Trinité était le sujet le plus
ordinaire des sceaux trinkaircs5.
Saint Augustin fut particulièrement honoré chez les Tri-
nilaires. Depuis le quatorzième siècle, des religieux tenant
des hôpitaux prétendirent se rattacher à cette règle, en dépit
de la regala propria3 de saint Jean de Matha. Une minia-
ture du manuscrit 1765 de la Bibliothèque Mazarine repré-
sente saint Augustin expliquant sa règle à deux Trinilaires.
Saint Rocli partagea cette haute faveur, à cause de la
conservation de ses reliques dans le couvent d'Arles. L'église
de Marseille lui était dédiée et l'on faisait des processions en
son honneur, tant dans le Nord que dans te Midi, contre la
peste4.
Mais la dévotion la plus ordinaire dans les deux derniers
siècles de l'histoire des Trinitaires se rapporta a Notre-Dame
du Bon-Remède. La sainte Vierge fut spécialement honorée
par l'ordre, qui, au dix-septième siècle, reçut un grand
nombre de chapelles qui lui étaient consacrées : Notre-Dame
de Liesse à Gisors, Notre-Dame de Santé à La Verdière. Des
légendes relatives à la protection de la Vierge sur saint Jean de
Matha, qui lui aurait été consacré dès son enfance et qu'elle
aurait miraculeusement aidé fors de deux rédemptions opérées
1. La fêle était parfois célébrée le dimanche avant l' Avant. (Guiouk,
Livre des SltttiitK dit collège de la Trinité de Lyon, pp. viu-ix.)
2. A Saint-Éloi de Mortagne, le sceau trinilaire était cependant inspiré
d'un trait de lu légende du saint.
3. Cette prétention sera examinée dans la deuxième partie.
4. Voir l'appendice I : Le» reliques de Saint-Roch.
a Dy Google
LES ÉGLISES TRIBUTAIRES. la,'i
» Tunis et à Valence, furent, inventées pour faire remonter
cette dévotion très haut. Nous avons un fait précis en 1071,
ïnice à une bulle' de Pie V. Il y avait depuis un certain
temps uue confrérie de Notre-Dame du Bon-Remède chez les
Trinitaires de Valence; or, sur les instances du marquis de
Moncada, Don Juan d'Autriche, à la bataille de Lépante, se
recommanda à Notre-Dame du Remède, lui et toute sa flotte.
Cela lut cause d'un conflit entre les Trinitaires et les Domi-
nicains. Ceux-ci arguèrent qu« Pie V, leur confrère, avait
célébré dans le couvent de la Minerve l'office du Rosaire le
jour de la bataille, et que, par conséquent, la victoire était
due au Rosaire et non à Noire-Dame du Remède. On se dis-
putait encore à ce sujet dans les Pays-Bas en i663. En dépit
des plaintes des Mercédaires, disant que Notre-Dame du Bon-
Remède était une concurrence déloyale À Notre-Dame de la
Merci, le pape tolère les confréries trinitaires érigées sous ce
vocable. Depuis 1077, il y avait un autel dédié à Notre-Dame
du Bon-Remède à Marseille ; une statue qui provient sans
doute de nos religieux est conservée à Sain t-Trophime d'Arles;
«1 1670 une table d'autel fut faite à Lens en son honneur'.
Si les Trinitaires, en général, étalent ainsi dévots à la
sainte Vierge, ceux de Toulouse l'étaient avec trop d'origi-
nalité; ils se virent défendre, le 8 mars 171a, une nouvelle
manière de réciter le rosaire : ils supprimaient le Pater jVoi-
ttr, et dans le Gloria Patri, ils introduisaient les invoca-
tions : uni Deo infinité maano, infinité beato, rerum omnium
finiultimo3.
1. Huile dans les liasses de Marseille. L'indulgence fut confirmée le 3 sep-
tembre [370.
1. Cartulairc de Leos, p. 2i5.
i. Bcioit XIV, De canonisations lanctorum, livre IV, t. [V, p. 70O.
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1 44 l'oRDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
Quelques dévotions locales, comme celle de saint Mathurin,
ne franchirent pas les limites du couvent de Paris. L'hôpital
trinitaire de Marseille était dédié à saint Eutrope, mais ce
saint était si peu connu qu'on ne savait même pas quel jour
il fallait célébrer sa fête, ce qui causait dans le peuple un
certain désarroi1.
Tableaux. — Si aucune église de l'ordre ne fut dédiée à
à saint Jean de Matha ou à saint Félix de Valois, les por-
traits de ces fondateurs tout au moins devaient s'y rencon-
trer. Ils sont mentionnés dans une commande de tableaux
faite, au dix-huitième siècle, pour le couvent de Mirepoix.
Aucun ne doit remonter bien haut, aucun n'a de valeur do-
cumentaire. Il suffit de se reporter aux Caractéristiques des
Saints et à l'Iconographie de la collection Migne pour avoir
la liste des gravures qui prétendent représenter ces fonda-
teurs. Saint Jean de Matha, était jeune, croit-on, et docteur
en théologie, d'où le bonnet qu'il porte; saint Félix de Valois,
selon une légende apocryphe, était de la famille royale de
France et avait été maintes fois consolé dans sa solitude par
un cerf, d'où la couronne et le cerf qui sont ses attributs1.
A Fontainebleau, sur le tabernacle de la chapelle de la Tri-
nité, Girardon a représenté une descente de croix et, sur les
côtés, saint Félix de Valois et saint Jean de Matha, à qui le
Seigneur ordonne d'établir l'ordre de la Rédemption des
Captifs3. A Faucon, un tableau représente les parents de
saint Jean de Matha4. De nos jours, a Paris, il a sa statue
i. Triniuires de Marseille, registre sa, p/issiin.
a. P. Cahiïk et Martin, Caractéristiques des Saints, 1. 1, p. 187, etc.
3. Abbc Gl-ilbeut, Description historique de Fontainebleau, t. I, p. 69.
4. Le P. Calixte, Vie de saint Jean de Matha, p. 3i.
a Dy Google
LES ÉGLISES TRIBUTAIRES. l/(5
au Panthéon, œuvre de Hiolle, et il figure aussi dans une
niche sur la façade de la Trinité.
Sur la porte du couvent de Saint-Thomas de Formis,
donné à saint Jean de Matha par Innocent III, une mosaïque
représente Notre-Seigneur entre deux captifs , l'un noir,
l'autre blanc, et portant sur la poitrine la croix de l'ordre.
Cette figuration appelle plusieurs remarques : au lieu de
Notre-Seigneur, les tableaux s'inspirent des auteurs trini-
laires ont souvent mis un ange, mais, les Pères de la
Merci' se prétendant fondés par [a sainte Vierge et consé-
quemmenl aussi supérieurs à l'ordre des Trinitaires que la
Vierge est supérieure à un antre, nos religieux ont pré-
tendu alors avoir été fondés par Dieu lui-même1. On a
peine à rapporter de pareilles subtilités. La croix sur
l'habit de Notre-Seigneur est plaie, mais Figueras a remar-
qué que les Déchaussés l'ont modifiée et que tout le mor-
ceau a été retouché pour autoriser la simplification de la
croix3.
Un tableau conservé à Saint-Trophime d'Arles repré-
sente l'apparition de l'ange à saint Jean de Matha. Il en est
de même à Saint-Jean de Troyes, dans la première chapelle
à gauche, autant qu'on peut le distinguer. En général, la
sainte Trinité y est figurée sous sa forme symbolique, le
Père ayant sur ses genoux la croix à laquelle le Fils est
attaché, et la colombe posée sur son épaule. Un tableau de
l'institution de l'ordre était conservé dans l'église des Corde-
liers de Romans4.
i . Le P. Auvry n
a. Ordo non a Sanciîs fabrïcalns sed a solo sumino Deo.
3. Voir aussi Calvo, Retumen de los privilégia*, h la fin.
4- Procession des caplifs ramenés en 1720, p. XL vin.
« 0» Google
t/(6 L ORDRE FRANÇAIS DES TRIBUTAIRES.
Dans le couvent des Ursulines de Dô!e (Jura), un tableau
offre cette originalité de représenter, en haut, l'apparition de
l'ange, et en bas, la rédemption des captifs. Ces tableaux fu-
rent très nombreux à partir du dix-septième siècle, quand il
se constitua une très grande quantité de confréries auxiliaires
des Trinitaires. On en voit plusieurs a Saint-Quentin de
Tournay, en Belgique (œuvre de Gaspard de Crayer), et dans
de petites églises de l'Eure comme Saint-Clair d'Arcey' et
la Lande-Patry où il n'y eut que des confréries et non
des couvents. L'un de ces tableaux, à Rouen (œuvre du
peintre Léger), a été étudié par M. de Beaurepaire dans le
Bulletin de. la commission des antiquités de la Seine-Infé-
rieure2. Il représente un sujet précis : un rachat des captifs
devant Mouley Ismaël, sultan de Maroc, dans la ville de
Méquinez. Le peintre n'eut qu'à s'inspirer des récits du
P. Busnol, trinilaire de Rouen. Le tableau était de très
grandes dimensions (4'"65 sur am(>6) et fut donné à l'église de
Saint-Léger du Bourg-Denis, à coté de Rouen, en attendant
que le musée de cette ville eût des salles assez hautes pour
le recevoir.
Ces tableaux, analogues, comme conception, aux gravures
de Y Histoire de Barbarie du P. Dan, sont d'un plan uni-
forme : au milieu, la mer où arrivent les barques portant les
rédempteurs; ceux-ci ont leurs costumes religieux et tiennent
à la main les sacs bien fermés contenant leur argent; des
esclaves se jettent à leurs pieds. Dans une salle voisine, on
les revoit comptant la rançon d'un captif devant les Turcs;
les pièces sont étalées sur la table. A l'opposé sont indi-
. Commune de Uernny (Eure), Ce tablenu (finit de i64t>, dit M. Veuclin.
i. Tome VIII, pp. 3.r.i à 303.
a Dy Google
LES EGLISES TB1NITAIRES. 1^7
((nés les différents supplices auxquels les esclaves sont
exposés; il n'y avait là qu'à illustrer le texte si précis du
P. Dan. Ces tableaux étaient un puissant moyen de pro-
pagande et peignaient au vif l'utilité de l'œuvre rédemp-
trice.
A côté du grand tableau de Rouen, celui de Viaiiden mé-
rite une mention à part : la description détaillée s'en trouve
dans V Histoire de Vianden et de ses comtes, par Neyen. Ce
tableau étant d'apparence vétusté, l'historien l'a téméraire-
ment rapporté « aux premiers temps » de l'ordre (on se rap-
pelle que ce couvent datait du milieu du treizième siècle). Le
rapporter même à la seconde construction de l'église, en i5oo,
eût été fort aventuré, car un des sujets représentés est le
martyre de Pierre de la Conception, qui eut lieu en 1667! Le
tableau est maintenant à la maison curiale' de Vianden.
Des églises trinitaires, furent parées de chaînes rappor-
tées par les rédempteurs, notamment celle de Troyes, qu
les dut au P. Michelin1, ministre de ce couvent, et celle des
Malhuritis de Paris.
Un curieux objet se rencontre à Saint-Eloi de Dunkerque3
et à Poperinghe en Flandre : c'est un captif enchaîné, en bois
sculpté, qui surmonte le tronc anciennement destiné à con-
tenir les aumônes du rachat des captifs.
Quand j'aurai dit que l'église de Gandelu conserve un
fiénilier et des stalles provenant de Cerfroid, et que la
chaire de la cathédrale de Meaux est revêtue de panneaux
1. L.4 Fontaine, Vianden et ses environs.
3. Pièce 3oo.
3. Dbhode, Notice sur l'église Sainl-Eloi de Dunkerque, mentionne
dans la chapelle de la Sainte-Trinité un tableau représentant deux enclavée
délivres par un Frère de le Croix (?), sans doute ud rédempteur.
a Dy Google
l48 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAlilES.
sculptés' représentant les saints fondateurs et provenant
du couvent de cette ville, rémunération des souvenirs
ecclésiastiques laissés par l'ordre sera aussi complète que
le permet la faible quantité des documents qui nous sont
parvenus.
i. Ils ont été étudies par M. l'abbé Jouy, qui m'a gracieusement commu-
niqué sa brochure.
a Dy Google
CHAPITRE XV.
i souvenirs locaux laissés par les Trinitaires.
Si leurs églises ne subsistent qu'exceptionnellement, du
moins il est un très grand nombre de couvents, tant de
France que de l'étranger, dont on peut facilement retrouver
quelques vestiges; là même où on ne le peut pas, des lieux-
dits fixent aisément leur situation précise.
Le chef d'ordre, Cerfroid, près Gandelti, sur un affluent de
l'Oorcq, nous est connu par plusieurs gravures des dix-sep-
tième et dix-huitième siècles1. Son emplacement est extrê-
mement bien délimité aujourd'hui. A part le pigeonnier, la
prison des religieux et les caves, tout n'est que ruines. La
salle du chapitre, dont les murs seuls sont debout, est assez
imposante ; l'on comprend que la tradition locale rapporte
qu'au siècle dernier on y pouvait voir réunies trois cents per-
sonnes. Quant à l'église, elle a été entièrement abattue. Le
P. Calixte voulut ériger une basilique au légendaire ermite
saint Félix de Valois, et bien qu'ayant déployé toutes les
ressources de l'histoire et de la littérature pour se procurer
les ressources nécessaires, il put à peine élever le portail.
i. Sincera exkibitio domax Ceroifrigidi, O. S. T., dans l'albur
Révélât ia.
a Dy Google
i5o l'ordre français des tributaires.
Dans l'enclos du couvent, subsiste encore la fontaine de la
Trinité, que le cerf aurait fait jaillir sous ses pieds; tout
près, le Champ des Ermites rappelle la première demeure
des anachorètes.
Le couvent de Paris a laissé moins de traces encore, à cause
des grands percements faits au quartier de la Sorbonne.
Il était exactement entre la rue Saint-Jacques, la rue des
Mathurïns (qui s'appelait au treizième siècle rue des Thermes,
et s'appelle maintenant rue du Sommerard, en dépit des pro-
testations du P. Calixte) et la rue du Foin, aujourd'hui
absorbée par le boulevard Saint-Germain. Un passage sou-
terain, au-dessous de l'actuelle rue de Cluny, le réunissait au
Palais des Thermes. De nombreux dessins, tant au déparle-
ment des Estampes de la Bibliothèque nationale qu'à la Biblio-
thèque de la ville de Paris, nous montrent ce qui en restait
vers i865, lors de l'élargissement de la rue Saint-Jacques.
Le couvent de Faucon (Basses-Alpes) existe encore, avec la
vieille église paroissiale, contenant le sarcophage qui a long-
temps passé pour le tombeau de saint Jean de Matha ou celui
de ses parents, parce que les initiales D. M. (Dis Mnnibut)
furent interprétées de Matha !!
Même hors de France, sans parler de Rome où les couvents
trinitaires se sont toujours conservés (ils ne rentrent pas
dans le cadre de ce chapitre), bien des églises rappellent
notre ordre. A Cîênes, l'église Saint-Benoît, que leur con-
struisit, en 15^2, un prince Doriu, existe encore à l'extrémité
occidentale de la ville. Il en est de même d'une église de la
Trinité à Coïmbre, en Portugal, datant du dix-septième siècle.
A Tunis, le couvent trini taire de Sainte-Croix, dont il reste
le cloître, bâti avec des pierres et des colonnes de l'antique
Caithage, appartient aujourd'hui aux Frères de la Doctrine
a Dy Google
LES SOUVENIRS LOCAUX LAISSÉS PAR LES TRINITAIRES. l5l
chrétienne; il est situé rue de la Casba'. A Alger, les
premiers rédacteurs de la Revue africaine, Devoulx et Ber-
brugger, ont facilement retrouvé l'emplacement des chapelles
situées dans les bagnes; l'hôpital Irhiitaire d'Espagne est
maintenant l'Ecole de médecine.
Exceptionnellement, l'église et le couvent de Sarzeau (Mor-
bihan) existent encore; on y remarque une jolie lucarne du
seizième siècle8.
Beaucoup de couvents se voyaient il y a une cinquan-
taine d'années : mais les villes ayant eu besoin d'élargir
leurs rues, on n'a point eu d'ordinaire l'idée de respecter un
monument qui n'était en général ni très solide ni très inté-
ressant. Leur cloître d'Arras, près de la rue d'Amiens, a élé
démoli par les Dames de la Doctrine chrétienne. A Arles,
tout au moins, M. [Gauthier Descottes consacra un souvenir
au cloître trinitaire dans la revue locale : le Musée3.
Quand les bâtiments étaient solides, on les sauva en les
consacrant à un but d'utilité pratique.
A Clermonl (Oise), l'ancien couvent des Trinitaires est
devenu la sous-préfecture; à Troyes, au faubourg Saint-
Jacques, une confiserie. A Baslogne (Luxembourg), à
Bourmont, a la Capelette près Marseille et à Mortagne, il est
aujourd'hui collège ou école. A Meatix, une maison du fau-
bourg Saint-Remy conserve quelques restes du couvent fondé
en i535 cl la promenade au bord de la Marne s'appelle encore
promenade des Trinitaires. Il y a peu d'années encore, à
i. Bulletin Irinitaire d'octobre 1900.
î. Je dois ce renseignement k l'obligeance de M. Enlart, bibliothécaire ù
l'Ecole des beaux-arts.
3. M. Emile Fassin, conseiller a lit Cour d'appel d'Aix, m'a gracieusement
envoyé cette notice.
a Dy Google
i5a l'ordre français des trinitaires.
Pontarmé, la Maison-Dieu rappelait le nom traditionnel du
couvent des Trinitaires. A la Perrîne, à Beauvoir-su r-Mer,
c'est une ferme, ainsi qu'A Préavin dans le bois de Nieppe.
Le reste archéologique le plus curieux des Trinitaires se
trouve à Marseille. Depuis la fin du dix-septième siècle, ces
religieux y possédaient deux couvents (sans parler de celui
qu'ils abandonnèrent eu ifja.'i, et sur l'emplacement duquel
est la gare maritime d'Arenc), l'un dans la vieille ville,
l'autre dans le quartier de Saint-Ferréol, rue de la Palud.
Le couvent ancien, situé rue des Jardins, conserve, à côté
d'une tour massive, peut-être antérieure à la venue des reli-
gieux, la chapelle soulerraine de Notre-Dame du Remède1.
Le Midi provençal est particulièrement riche en souvenirs
de l'ordre rédempteur, les déparlements des Bouches-du-
Rhône et du Var comptant une quinzaine de ces couvents,
des chapelles de pèlerinage dont les Trinitaires furent chargés
et dont la vogue ne fut point arrêtée par le départ de ces reli-
gieux; telles sont Saint-Pons de Figanières, Notre-Dame de
Grâce, au Muy {dont Achard parle dans son Dictionnaire de
la Provence), Notre-Dame de Santé, près La Verdière.
A Digne, sur la montagne du Plan-du-Bourg, on voit
encore la ferme qui fut leur demeure depuis i4g5 jusqu'à la
date où Jean Blanc, ministre industrieux, acquit une maison
dans un faubourg appelé Pied-de-la-ville a.
En Espagne, plusieurs églises, notamment à Madrid, rap-
pellent les couvents des religieuses de l'ordre, fondées au
début du dix-septième siècle. A Burgos, à Valence, les rues
qui longent l'Arlauzon et la Turia marquent clairement la
situation topographique des Trinitarias.
i. Elle m'a été indiquée par M. l'abbé Ollivier, vicaire général,
a. Pierre Gasshhdi, Notifia ecclesie ilinietisis, j). 1 17.
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LES SOUVENIRS LOCAUX LAISSÉS PAR LES TRINITAIRES. 1 53
Quand les couvents ont disparu, les noms de rue dans les
villes et les lieux-dits dans les campagnes rappellent les Tri-
nitaires et môme les biens qu'ils possédaient. Arras et Douai
ont leurs rues des Trinitaires, Toulouse une rue et une place
de la Trinité. A Metz, la nie des Trinitaires, continuant la rue
de la Sainte-Croix, prouve indubitablement la situation du
second couvent de ces religieux, et un vieux portail avec
un écusson rappelle peut-être « la Cour Dorée » qui leur fut
donnée. A Paris, la rue des Matliurins fait souvenir de la ferme
qu'avaient ces religieux , depuis le treizième siècle ; la rue
Vignon s'appelait précédemment rue de la Ferme-des-Malhu-
rîns.
Des villages ou des hameaux rappellent les Trinitaires par
leur nom même. Tels sont La Villeneuve-aux-Anes, près
de Chelles, et La Villetle-aux-Aulnes, près Milry, Le Fay-aux-
Anes ', près d'Amblainville (Oisej ; les noms originaires
étaient La Villeneuve et La Vil letle-aux- Anes, à cause du
surnom populaire que leur monture primitive avait fait donner
aux Trinitaires. Près de Pontoise, le hameau de l'Hermitage
conserve une propriété appelée « Les Mathurins » : c'est le
couvent de Saint-Michel, berceau de la congrégation réfor-
mée.
A Hondschoote, un faubourg situé au sud-ouest de cette
ville s'appelle encore la Trinité.
Les lieux-dits sont innombrables, dans les chartes; Pon-
larmé conserve le bois du Ministre; Cordes ("archives du
Tarn, GG 69) avait aussi et bosc del Ministre ; à Feuchy, près
d'Arras, il y a la maison de la Trinité {bail du 4 juin i4r8');
au nord-est de Troyes, la carte de Cassini marque un lieu
1. Renseignement communiqué pur M. Longnon.
a Dy Google
1 54 L'ORDRE FRANÇAIS DES TR1NITAIRES.
dît : les Matharins. Leur ancien couvent de Troyes est
signalé à Preize' par un moulin de la Trinité. Il y avait
aussi une porte de la Trinité à Châlons; à côté de Gisors,
M. Leprévost, auteur du Dictionnaire des communes de F Eure,
cite un lieu dit : les Mathurins. Aux environs de Paris ces
mentions abondent ; c'est l'ostel, granche et bergerie appelée
l'ostel de la Trinité, au Bourget (3o novembre r^o, A. N.,
S 4253») ; le clos des Mathurins au terroir de Clamait
(ait novembre i^oo, S 4a5i-»2); à Bagneux, le chemin des
Mathurins (12 juillet 170.1); une a maison manable » appelée
la ferme des Mathurins (S &a8i, f* 32) ; le moulin et la tour
des Mathurins à Gentilly; le clos des Mathurins, près de
leur château de Bièvre, etc.
Ces renseignements, somme toute, ne sont pas à dédaigner.
Si , presque en aucun endroit , ils ne nous permettent de
restituer le plan complet d'une église ou d'un couvent, ils
affirment néanmoins la situation exacte des maisons qu'occu-
paient en France les religieux Trinitaires et des possessions
rurales dont ils percevaient les revenus. Nous pouvons donc
juger, sinon de l'importance, du moins du grand nombre de
ces couvents.
1. T. Boutiot, Hiiloire de Troyes, 1. 1. p. ao3.
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DEUXIÈME PARTIE
Histoire générale de l'Ordre.
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CHAPITRE PREMIER.
Les Trlnitaires et le pape.
L'ordre de la Sainte-Trinité, institué à Rome par le pape
Innocent III, se distingue de la plupart des ordres religieux
fondes en France ou en Espagne, comme par exemple l'or-
dre de la Merci, auquel le pape Grégoire IX ne s'intéressa
que cinq à sept ans après sa fondation. Le souvenir de l'ori-
gine romaine des Trinilaires ne se perdit pas tout de suite,
et l'ordre naissant eut des rapports fréquents avec le chef de la
chrétienté.
C'est à Rome que mourut saint Jean de Matha, en décem-
bre iai3, après avoir soigné les malades pendant les der-
nières années de sa vie. Ses deux successeurs moururent
aussi à Rome, où leurs tombeaux furent retrouvés1 en i655,
lorsque les Espagnols enlevèrent le corps de saint Jean de
Matha pour le porter au couvent de Madrid.
Après 1222, od ne voit plus de général des Trinitaires rési-
der à Rome, mais un personnage se présente pour gérer les
intérêts qu'ils peuvent avoir à la cour pontificale., c'est le car-
dinal prolecteur. Le premier connu est Richard, cardinal
i. Benoît XIV, dans son livre De canonisatione sanctoram, parle de cette
d&ouverte.
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l58 L'ORDRE FRANÇAIS) DES TRIN1TAIRES.
diacre de Saint-Ange, auquel Urbain IV confia la réforme
de l'hôpital de Saint-Thomas de Formis (novembre 1261).
Un siècle plus lard, les réclamation» d'un cardinal pro-
tecteur, dont nous ne savons pas le nom, eurent assez de
poids pour relarder de quelques années la réunion de ce
même hôpital aux possessions du chapitre de Saint-Pierre, ce
qui eut lieu après le a4 février i3o5, date de la mort de
Poncellus Ursinus, commendataire de Saint-Thomas de For-
mis. La cour de Rome était irritée parce que les Trinitaires
de France suivaient le parti du pape d'Avignon. On ne
retrouve de cardinal prolecteur qu'en 1571, avec le cardi-
nal de Rambouillet et Jacques de Sabello. Il est fait mention
d'eux dans un discours remarquable prononcé en 107,"» par
François Bouchet', procureur général, tendant à obtenir la
restitution à Tordre du couvent de Saint-Thomas de Formis.
C'est au cardinal Prospcr de la Sainte-Croix, autre protec-
teur, qu'est dédié par Félix a Turre un des plus anciens
livrets d'indulgences de l'ordre.
Le cardinal Bandini, en correspondance assidue avec toutes
les branches de l'ordre, s'efforce de maintenir la paix entre
elles. En annonçant aux Réformés de Pontoise que l'évèque
de Paris est commis pour juger leurs différends avec le géné-
ral qui leur cause des désagréments, il souhaite que cepen-
dant ils s'entendent à l'amiable' sans recourir au moyen
extrême d'un procès. Bandini intervient personnellement
pour empêcher les Réformés de Marseille de molester les
Déchausses d'Aix. Voyant les Trinitaires de Rome habiter
en un endroit malsain, a A'. Stefano in Trulto, il les trans-
1. Publié dans Fiijaera», \iy. 575 à j8o.
a. Pièce 167.
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LES TRINITAIRES ET LE PAPE. î5o
porta via Fetice1 (aujourd'hui Sistîna) dans un quartier
plus salubre, à l'église de Sainte-Françoise-Romaine. C'est à
ce grand bienfaiteur qu'est dédié l'excellent ouvrage de Ber-
nardin de Saint-An loi ne. Ce n'est que justice. Il était doyen
du sacré collège quand il mourut, le i" août 162g3; il fut
enseveli à Saint-Sylvestre in Capite*.
Le cardinal de Maximis eut à donner son avis sur l'identité
du corps de saint Jean de Matlia. Au cardinal Ginetti échut
la délicate mission de convoquer les Trinitaires de France à
des chapitres généraux tenus à Rome, où ils ne se rendirent
jamais. Un de ses successeurs, Thomasio, ayant été canonisé
le Ier janvier 1761, les Trinitaires reçurent la permission de
dire son office4. Le cardinal protecteur est pour Rome ce
que sont dans les provinces de l'ordre les juges conserva-
teurs, que le pape permet aux religieux d'instituer eux-
mêmes5.
Un procureur général résidant eu cour de Rome apparaît
en i5366, à l'occasion d'un profès trinitaire apostat, mais
repentant, qui demandait à être relevé de l'excommunication.
Tantôt le grand ministre avait envoyé à Rome une délégation
spéciale pour faire confirmer les privilèges de l'ordre; tantôt,
comme Thierry Valerand, il s'y était rendu lui-même. A la
fin du seizième siècle, se rencontrent successivement deux
vicaires généraux résidant momentanément à Rome, Fran-
çois Bouchet et Félix a Turre.
1. 1620. Le contrai est curieux, parce qu'il y est fuit
lu alité de découvertes archéologiques.
1. Bibl. de Marseille, mu. ujS, f° 62 v°.
3. Celle église possède une dent de saint Jean de Malha.
4. Ana/ecla jririi pontifiait, t. XXVII, col. 22.
5. Bulle de Benoit XIII (27 septembre 17*4).
6. Archives de l' Aisne, H i43i.
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i6o l'ordre français des tributaires.
Au dix-septième siècle, chaque branche et chaque nation
de l'ordre a son procureur général en cour de Home. Les
Réformés, n'en ayant pas institué de spécial, envoient une
délégation particulière, lorsqu'il y a une affaire importante à
traiter. Au milieu du dix-septième siècle, le procureur général
des Chaussés d'Espagne était Jérôme Vêlez. En 1687, celui
des Chaussés de France était Joseph Monier, qui fit tous ses
efforts pour éviter la rupture entre les Trinitaires de France et
la cour de Rome, et celui des Déchaussés Ignace de Saint-
Antoine. Pendant le schisme, l'Espagnol Ruiz porte le titre de
protonotaire de l'ordre.
Les provinces de France et d'Espagne s'étant réconciliées, il
fut décidé, dans le chapitre général de 1703, qu'il n'y aurait
qu'un seul procureur général en cour de Rome, renouvelé
tous les six ans, désigné tantôt par les provinces de France,
tantôt par les provinces d'Espagne ou d'Italie. II devait être
entretenu aux frais de sa nation. Le premier fut un Italien,
Vincent Copola. En 1739, le chapitre de Marseille désigna
pour ce poste Joseph Bernard, rédempteur renommé. Par
raison d'économie, le P. Lefebvre délégua en 1753 pour vice-
procureur le ministre de Sainte-Françoise-Romaine, dont
l'entretien fut à la charge de la France'. Lors du changement
des Constitutions, le procureur générai était Charles Mala-
chaue, de Marseille, docteur en théologie de la Faculté d'Avi-
gnon. Il dut insister, avant le 26 avril 1766, pour que la
France lui envoyât 2,000 livres permettant de tenir con-
venablement son rang à Rome1. Tels sont les person-
1. Pièce 277. La province de Champagne eul 120 livres k payer comme
quote-parl. Chaque maison reformée paya lO 1. i3 sons 4 d. pour les Irois
premières années.
a. Archives de Melz, H 3774, ao 10.
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LES TRIBUTAIRES ET LE PAPE. I6l
nages qui auprès du pape représentaient l'ordre trinitaire.
Le pape intervient pour des affaires intéressant soit tout
l'ordre, soit un simple couvent. Il nomme des juges conser-
vateurs pour les provinces d'Espagne, afin d'accélérer les
procès relatifs aux biens légués pour la rédemption ' (37 sep-
tembre 1724), il confirme les indulgences accordées à cette
œuvre, aux chapelles pourvues d'un autel privilégié; il accorde
aux rédempteurs l'usage de l'autel portatif. Quant aux cou-
vents particuliers, le pape intervient pour faire bénir leurs
chapelles (à défaut de l'ordinaire), pour faire restituer leurs
biens aliénés, pour confirmer quelque transaction importante,
mais seulement à la demande des parties. S'il n'est pas néces-
sairement consulté pour un transfert de couvent, il intervient
forcément pour une suppression1. 11 accorde aussi aux reli-
gieux leur translation dans une autre congrégation.
Les Trinilaires paraissent plus strictement tenus en tutelle
que les ordres mendiants, car ils ne peuvent eux-mêmes
excommunier ceux qui détiennent injustement leurs posses-
sions; ils ne reçoivent qu'au dix-huitième siècle le droit de
choisir des conservateurs de leurs privilèges, bien après
l'ordre de la Merci.
L'autorité du pape s'accrut encore lorsque, en i3oo, l'ordre
entier lui fut rattaché par V Exemption ; mais il n'eut jamais
le droit de nommer le grand-ministre. Elienne du Mesnil-
Fouchard s'étant fait pourvoir en i^i5 par Jean XXII, le
chapitre général n'admit pas cette nomination et en appela
au Parlement.
Les Statuts de 1429 rétablirent bien l'appel en cour de
1. Tables de Guerra.
1. En i6a5 il fait déguerpir les Pères Je la Merci d'un couvent établi
sans autorisai ion épiscopale.
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i62 l'ordre FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
Rome comme loi fondamentale de l'ordre. Mais, très soucieux
de leurs intérêts, les Trinitaires laissèrent souvent ce prin-
cipe de côté et prirent place parmi les religieux les plus
indépendants. En i546, le général Nicolas Musnier ayant
fait, en cour de Rome, une résignation en faveur de son
neveu , cette dérogation aux Statuts de l'ordre ne fut
pas admise, et le bénéficiaire dut renoncer à ses préten-
tions.
Les Trinitaires furent assez habiles pour se faire confirmer,
par le pape, leur indépendance à l'égard du pouvoir laïque1
au point de vue de l'élection des supérieurs. Ce n'était pas
dans l'intention d'être plus soumis au pape ou à ses Congré-
gations, dont le rôle devait être si important au dix-septième
siècle. Leurs relations avec le pape sont pleines de souplesse,
empreintes de trop d'habileté en la forme et de peu de res-
pect au fond. Cette tendance n'explique-t-elle pas pourquoi
les papes furent si portés, au seizième et au dix-septième
siècle, a combler les Trinitaires espagnols, plus obéissants, de
faveurs qu'ils refusaient à ceux de France ou ne leur accor-
daient que tardivement?
Le général, aussitôt élu, prend possession de sa charge
sans avoir besoin de la confirmation du pape; c'est là un
axiome chez les Trinitaires. 11 arriva toutefois, au début du
dix-septième siècle, que, devant le mécontentement des pro-
vinces étrangères, les généraux élus en France, Louis Petit
(i(ïi2), Claude Ralle (i653), Pierre Mercier (t65ô), deman-
dèrent la confirmation pontificale et l'obtinrent, avec le litre
de visiteur apostolique. Certes, c'était un acte de prudence
t. Par contre, Charles-Quint s'était fait conférer un induit, déclarant que
personne ne oouviiit èire pourvu d'un béiiclîcc qu'à sa nominal ion. (Pièce 132,
relative à Jacques bourgeois).
a Dy Google
Les Trinitaires et le pape. i63
politique, mais n'étail-îl point à craindre que la confirmation
demandée fût refusée? Voila l'inconvénient auquel on ne
"togea pas d'abord.
Les Trinitaires paraissent avoir été injustes pour la cour de
'tome, à l'occasion de la conduite qu'elle tint à leur égard
pendant la seconde moitié du dix-septième siècle. Ils avaient,
d'ailleurs, sur les bulles, une idée absolument fausse, les
considérant comme des privilèges perpétuels et irrévocables
(j'entends les bulles non d'indulgences). Or il peut se glisser
des erreurs même dans une bulle pontificale. A propos de
rémunération des papes dans les lettres de leurs successeurs,
l'auteur du Bullaire remarque à la page 3i8 que Célestîn IV,
Grégoire X, Alexandre V, Jules 111 sont complètement omis
dans son recueil, soit que les bulles aient disparu (j'en ai
pourtant trouvé une de Grégoire X et une de Jules III), soit
que te pape se soit (rompe en les citant comme bienfaiteurs
des Trinitaires. Je crois inutile de rappeler les erreurs des
scribes et surtout celles du Martyrologe romain. Mais c'est la
conception même d'une bulle que les Trinitaires paraissent
* >oir mal comprise. Rarement le pape parle molu proprt'o;
presque toujours, il écrit d'après l'exposé des parties, ce
qu'indiquent fort bien aieat oestra petitio contt'nebat et
«cul asseritis. Cela veut dire que la cour de Rome n'af-
firme rien et que, si elle a été trompée par un faux exposé,
elle peut révoquer le privilège. On sait quel rôle ont joué les
bulles « subreptices » et « obreptices' « dans les polémiques
enire ordres religieux. Les Trinitaires du Nord s'étaient assez
plaints des bulles sujbreptices obtenues par leurs adversaires
i. Certaines bulles sont ainsi qualifiées parce que les adversaires prélen-
ilenl que l'exposant a dissimulé ou omis de signaler un fait qui lui serait
filEavonble.
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r64 LOHDRB FRANÇAIS DES TRINITaIRES.
les Réformés; on pouvait leur faire subir la peine du talion
en suspeclanl les leurs.
El pourtant, la cour de Rome n'est jamais disposée à
pousser à bout les religieux. Elle fait ce qu'elle peut pour
éviter les causes de conflits entre eux. Les Pères de la Merci
s'étant plaints de quelques assertions contenues dans une
Vie de saint Jean de Matha, par Macedo, le pape décide que
les pages i55 à i58 n'en seront réimprimées qu'après avoir
été corrigées. La seconde édition, publiée a Lembergen 17^8,
supprima .tout le chapitre. Les deux ordres de la Trinité et de
la Merci s'étant disputé le litre de Rédempteur, le pape leur
imposa un silence perpétuel, punition très dure pour des reli-
gieux. C'est également à cette solution qu'il voulait s'arrêter
vis-à-vis des prétentions des Trinilaires d'Espagne, jaloux
de ceux de France; nous verrons dans la suite que, s'il ne
le fît pas, ce ne fui point par sa volonté, mais à cause des
faules des Français ; car, dès qu'il le put, il rendit sa faveur
au général.
Le manuscrit afin) du fonds Oltoboni contient, aux folios
126-140, un projet de réforme de l'ordre de la Trinité, pré-
senté par des cardinaux, sur la demande de Philippe II. Le plus
grand obstacle paraît avoir été la iriennalité des ministres
qui porterait préjudice aux droits du général. Les annotations
au projet de bref portent d'ailleurs la marque d'un esprit
libéral et conciliant. Le pape conseille de réformer les cou-
vents pluuït que de les supprimer, de ne déplacer les reli-
gieux qu'en cas de scandale et de spécifier celles des pro-
vinces espagnoles auxquelles celle réforme s'appliquera. Les
principales idées exprimées dans ce projet ont passé dans
les Constitutions des Trinilaires Déchaussés d'Espagne, qui
avaient franchement adopté la règle primitive. Ils ne reçurent
a Dy Google
LES TRINITAIRE9 ET LE PAPE. 1 65
an général indépendant qu'en i636, alors qu'ils avaient été
fondés en i5ga, tant le pape respectait les autorités établies!
Il ne permit jamais aux Réformés1 d'avoir un général dif-
férent de celui des Trinilaires Chaussés, parce qu'il y avait
entre eux une simple nuance dans l'observation de la règle
modifiée. Concluons qu'il fut aussi impartial que possible à
l'égard des Français.
Le pape intervient dans les affaires des Trinitaires du Midi
par l'intermédiaire du vice-légat d'Avignon. Le 17 août i4g,3,
André de Grimaldi confère à Geoffroy Amédée l'adminis-
tration de l'hôpital de Lorgues (Var), vacante par suite d'une
résignation1. Au début du dix-septième siècle, il est sans cessa
question du vice-légat, auquel en appellent les Réformés,
notamment dans l'affaire des processions d'Arles. Le général,
Louis Petit, ne veut pas reconnaître ses sentences, parce que,
résidant à Avignon, il est étranger à la France. Des cardi-
naux sont plus d'une fois délégués apostoliques pour réformer
l'ordre trinîtaîre.
En Espagne, le nonce est de même le délégué du pape. Il
travaille puissamment à la formation de la province Déchaus-
sée, choisit son premier visiteur, intervient auprès des évé-
ques pour favoriser l'érection de nouveaux couvents et juge
les procès des religieux. Il se mêle même un peu trop de
l'élection du provincial de Castille, Francisco de Arcos. C'est
enfin le nonce qui garda, plusieurs années, dans son palais de
Madrid, le corps de saint Jean de Malha, comme le rapporte
le pape Benoît XIV dans son traité De canonisât ione Sanc-
torum.
1. Il les avait vainement exhortes à embrasser lu règle primitive.
a. Trinilaires de Marseille, pièce 5a (liasses).
WUzedty G00gle
CHAPITRE II.
Les Trlnitaires et les rois de Franoe.
A part le couvent de Fontainebleau, on ne voit pas que nos
rois soient jamais intervenus personnellement pour fonder un
couvent trinitaire- Leurs rapports avec nos religieux ne con-
sistent, en général, que dans l'amortissement et la sauve-
garde. Par une ordonnance de 1375, Philippe le Hardi déclara
que l 'amortissement serait réclamé, pour les possessions acqui-
ses depuis trente ans, et que te droit à payer serait le revenu
de deux ans, si l'acquisition était gratuite, de trois si elle était
faite à titre onéreux'. Ces frais étaient réduits au revenu
d'un et de deux ans, respectivement, pour les possessions
ecclésiastiques. Les archives des Trinitaires contiennent nom-
bre d'invitations à payer ce qu'ils doivent pour les frais d'amor-
tissement. Le i3 octobre i385, Charles VI déclara qu'il avait
été ordonné par son Conseil qu'il ne se ferait pas d'amortisse-
ments avant sa majorité et suspendit la recherche de ces droits
jusqu'à cette même époque3.
Autant qu'il est possible de fixer une périodicité au paie-
ment de ces frais, on peut dire que les tournées des préposés
1. Langlois, Le règne de Philippe le Hardi, pp. i'A-j-zSS. L'i
sèment est un droit a payer pour toute nouvelle acquisition,
a. Registre 66 des Trinitaires de Toulouse, p. 6g.
« 0» Google
LES TRINITÀIRES ET LES ROIS DE FRANCE. 1 67
avaient lieu tous les quarante ou cinquante ans. Les religieux
de M eaux Turent dispensés de taxe en rS^3 pour les legs
n'excédant pas 12 sous tournois'.
Au quatorzième siècle, la justice royale se fait respecter par
les justices ecclésiastiques et désirer par les justiciables. On
demande au roi sa protection, parce qu'on en connaît l'effi-
cacité. Le roi réprime, à la demande du ministre de l'Hôtel-
DieudeMeaux, les empêchements apportés au droit de pèche
des Trinilaires par un procureur trop zélé. En 1401') cet
Hôtel-Dieu reçoit la permission de faire placer les armes royales
sur ses possessions, ce qui était la marque extérieure de la
sauvegarde. C'est au nom du roi que le prévôt de Paris, le
10 octobre i55o, défend aux justiciers, péagers, gabeleurs
de ne rien dire d'offensant contre le ministre de Clermonl,
sous peine de 100 marcs d'argent d'amende à partager enlre
le roi et le minisire qui, en vertu de ces lettres, avait ses
causes commises au Châlelet3.
L'intervention royale s'étend bientôt aux permissions de
quêter 4, d'abord données par le pape et les évéques seuls,
puis par le Parlement. Comme le pape, le roi en arrive à
donner aux Trinilaires des confirmations générales de biens.
Aussi le pouvoir laïque, d'abord considéré comme une déli-
vrance du joug épiscopal, va-t-il devenir dangereux. Les Tri-
nilaires obtiennent, le 10 mai 1 564* une déclaration portant
• qu'aucun prieuré, ministrerie et autres biens et bénéfices,
desquels ta présentation appartenait au général-ministre,
i- Archives nationales, K 192, 11° 39.
2. ibid.
3. Archives de l'Oise, Trinitaires de Clermonl, i4a liasse.
4- Lettre de Louis XI pour les Trinilaires d'Arles (dans leurs archives,
pike 171, 3 juin i4-V).
a Dy Google
]68 L ORDRE FRANÇAIS DES TRIBUTAIRES.
n'était compris dans les édits faits sur les hôpitaux, el ne
serait sujet à être gouverné par aucune communauté des
villes, bourgs el bourgades » ; ils provoquent, le i5 jan-
vier 1569, une autre déclaration affirmant qu'ils ne sont pas
compris dans l'édit ordonnant l'aliénation des biens ecclésias-
tiques; enfin, en décembre i5o4, une dernière déclaration
disant que. les ministérîats et « généralité » sont électifs el non
à la nomination du roi '. Mais déjà l'autorité du roi pour faire
des nominations dans l'Ordre avait été discutée en i5^6, à
cause de la provision obtenue du pape , à la demande du
roi, par Philippe Musnier. Les Trinitaires ne pouvaient être
contraints d'obéir aux lettres royales, dit Jacques Bourgeois;
les ministres de Flandre, sujets du roi d'Espagne, ne dépen-
daient pas de la France, et c'est sur les bénéfices, non sur les
offices ecclésiastiques, que le roi de France réclama son droit3.
En 1 5 G 8- 1 :"i 7 u eut lieu un grand procès, au sujet de la minis-
trerie des Matliurius, entre Jean Morel, élu par les religieux
capitulants, et François Petit, qui s'y prétendait promu par
le roi3. Le général de l'ordre, Bernard Domînici, intervînt
assez inutilement en faveur de Jean Morel et traita le pro-
tégé royal de la manière la plus violente. Il demanda si le
roi n'avait pas été trompé par quelque favori, au point de
ne plus se rappeler la déclaration de l'indépendance de l'ordre,
faite dix ans auparavant. Nous n'avons du procès que les ana-
lyses de quelques pièces, et quelques fragments du factum de
Bernard Dominici. Tout nous porte à croire qu'if y eut, dès
lors, entre les Mathurins, leur ministre François Petit et le roi
une étroite alliance.
1. Collection canonique, col. 0JS1, 1270.
2. Claude Hocha rd, Antiquités de Meaii.T (manuscrites), 1. 1", p. 3 12.
3. Archives de Metz, H 3773, d° i, et Arch. nul., LI. 1 545, p. a.
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ET LES ROIS DE FRANCE. IOO
Mais la main qui protège peut frapper aussi, elles Trini-
laires eurent bien des occasions de s'en apercevoir. Autrefois,
Philippe le Bel était intervenu en faveur de ses chapelains de
Fontainebleau afin de les faire exempter de la juridiction de
l'archevêque de Sens (i3o5). François Ier, pour agrandir son
château, en décembre 1529, comme il a été dit, expropria « la
galerie qui allait à leur couvent, leur jardin, leur clos, leur
étang et vivier, et la maison du chapelain1 ». En 1660, ce fut
bien pire. Louis XIV avait quelques raisons d'être mécontent
du P. Le Bel3, ministre des Trinitaires, dont l'attitude, au
moment du meurtre de Monaldeschi par ordre de Christine
de Suède, avait été quelque peu embarrassée. L'archevêque
de Sens avait précisément alors de nouveaux démêlés avec les
Trim'laires au sujet du droit de visite3. Le roi retira à nos
religieux la cure de Fontainebleau et l'érigea en paroisse pour
les Pères de la Mission ou Lazaristes. L'indemnité que ceux-ci
pat'éreni aux curés primitifs (titre gardé par les Trinitaires)
fut fixée à 1,100 livres, par arrêt du 2 août 1666 4.
Au moment précis où Louis XIV protégeait vigoureuse-
ment les Trinitaires de France contre les entreprises des pro-
vinces étrangères, il persécutait tout spécialement le P. Nico-
las Campaigne, provincial de Languedoc. On ne sait exacte-
ment la cause de cette rancune royale; une chose du moins
est certaine, c'est sa persistance. Dès i685, ce ministre est
puni par Pierre Mercier, général de l'ordre, pour avoir en-
1. Archives de Seine-et-Marne, Inventaire, H ia5.
1. I! devint ensuite ministre de Verberie.
3. Hsrbkt, Démêlés de* Matharins de Fontainebleau aoec l'archeuéque
de Sou, 1696.
4. Inv., H 132. a 11 avait suffi, dit fort bien cet auteur, que la main du
roi parut se retirer des Trinitaires pour qu'aussitôt tout le monde les aban-
donnât. »
a Dy Google
17° L ORDRE FRANÇAIS DES TRU1ITAIRËS.
voyé étudier deux novices hors du couvent de Toulouse. Il est
déposé et exclu de toutes charges; on ne lui permet que la
prédication (1689). Le Père de La Chaise, en 169a, maintient
les peines, ordonnées par le roi, malgré un vœu d'amnistie
présenté par le chapitre provincial, et demande même qu'on
surveille Basile Campaigne, le frère du P. Nicolas, nommé
ministre de Toulouse'. L 'ex-provincial devait rentrer en grâce
lors du chapitre de 1703.
Dans le Midi également , des Trinitaires se mirent , par
leur négligence, dans le cas d'être supprimés. Les Déchaussés
s'étaient établis A Marseille, en 1684, sans en avoir obtenu la
permission par lettres patentes. Le roi supprima cet établis-
sement, le 10 mai (688, et l'évêque ordonna aux religieux,
le 1" juin, de sortir de leur couvent. Ils se soumirent, et le
i3 septembre 1689 l'évêque les autorisa de son chef à s'éta-
blir au même endroit, à condition de rapporter des lettres
patentes, qui ne vinrent qu'en décembre 17281.
L'intervention royale se manifestait dans les plus petits dé-
tails. Le 12 février 1708, un Trinitaire de Pontoise, le P. Des
Lions, était allé porter à Paris !\oa livres pour payer des four-
nisseurs; il perdit cet argent au jeu, et s'engagea dans les
chevau-légers de Berry. Le i5 mars, par sentence du P. Ignace
Dîlloud, provincial, il fut condamné par contumace à six
mois de prison, à la privation des ordres et de la voix active
pendant cinq ans. Pour effacer ces punitions, il suffit que le
ministre de la guerre, Voisin, écrivît qu'on le reçut bien*.
La mainmise royale se marquait par la présence au cha-
pitre général de commissaires royaux. Les détails de ces
1. Pièces a3 1, 23s, 233.
2. L'antiquité de l'église de Marseille, I. II], p. 485.
3. Registre capitulnire de Pontoise, Fol. 9-i4-
aoy Google
LES TRIBUTAIRES ET LES ROIS DE FRANCE. I7I
assises solennelles n'ayant été publiés dans leur intégralité
que depuis i635, nous ne savons pas A quelle date remonte
cette coutume. En tous cas, dès i^th, nous voyons un huis-
sier royal interdire à Etienne du Mesnil-Fouchard de con-
server la présidence du chapitre. Le commissaire royal
de i635 marqua beaucoup de partialité pour les Trinitaires
Réformés. '
Le cardinal de Fleury dut rappeler aux Réformés, le i4 mai
1737, qu'ils ne pouvaient modifier leurs constitutions sans la
permission du roi'.
On voit que la protection n'élait point aux yeux du roi une
sinécure, et, plus d'une fois, certains édits, comme celui de
[768 sur la conventu alité, frappèrent cruellement les Trini-
laires.
1. Registre capitulairc n° i3 des Trinitaires de Marseille, p. :
o arrivait h surveiller toute la discipline monastique. Il ne tint
a tutelle les rédempteurs de captifs, comme nous le verrons.
a Dy Google
CHAPITRE III.
Les Trinitaires, les évoques et les curés.
Nous avons vu les conditions de fondation un peu dures
que les évêques avaient imposées aux couvents trinitaires.
La soumission complète des religieux y était parfois prévue,
comme à Digne, où l'évèqiic nommait le ministre en cas de
vacance. Mais, en général, il n'était question que du droit de
visite et de l'assistance aux synodes.
Dès le début du quatorzième siècle, l'ordre des Trinitaires
fut soustrait A l'autorité des évéques et rattaché au pape par
l'exemption. L'archevêque de Sens, très jaloux de ses préro-
gatives, avait des démêlés au sujet du droit de visite avec les
Trinitaires chapelains de Fontainebleau. Philippe le Bel
s'adressa à Clément V, nouvellement élu au pontificat ; le
pape exempta le couvent', comme chapellenie royale, de
l'autorité du métropolitain et chargea Févêque de Senlis d'ab-
soudre les Trinitaires des censures édictées contre eux par
l'archevêque de Sens (i" janvier i3o6). Le bénéfice de
l'exemption de l'ordinaire fut étendu à l'ordre tout entier
par une bulle du rg septembre i3o8, confirmé plusieurs fois,
i. Le P. Dam, Le Trésor des merveilles de Fontainebleau, pp. 307-109,
CHAMPOLLEOtt-FiGiAc, itsEs ses Privilège* de la couronne, donne la date
inexacte du 1er janvier i3^3.
)y Google
LES TRINITAIRES, LES ÉVEQUES ET LES CURES. 1 73
notamment par Eugène IV en i435, par Pie II en t4&9 S et
enfin, à la demande de Gaguin, étendu aux serviteurs de
l'ordre par Innocent VIII (mai i485). C'est en vertu de
celle bulle que Pierre Mercier, général de l'ordre, protesta
contre un recteur de Flandre qui revendiquait les domesti-
ques du couvent d'Audregnies comme étant ses paroissiens'
(r6raars 1672).
Il ne faut pas s'exagérer l'importance pratique de ce privi-
lège. Les exempts pouvaient se trouver sounis aux mêmes
obligations que les non-exempts; comme eux, ils étaient con-
voqués aux synodes de l'archevêque de Sens, qui leur délivrait
ensuite des lettres de non-préjudice pour l'avenir, c'esl-à-dire
que cette exception était censée ne point déroger à leurs pri-
vilèges, lout en les abolissant peu à peu.
Celte question n'est spéciale ni au Moyen-âge ni à la
France. Diverses congrégations refusant, en raison de leur
relâchement omisse medio au Saint-Siège, de se soumettre à
l'évèque diocésain, ont pu parfois mieux aimer quitter leurs
auvents que déroger sur ce point à leurs statuts. Il ne faut
nen conclure de ces conflits ordinaires relativement à la dis-
"P'ine de l'Eglise catholique. Ainsi, au quatorzième siècle,
flous voyons une levée de boucliers des Trinilaires, Domi-
nicains, Frères Mineurs de Douai contre l'interdit. L'of-
ficial toléra qu'ils célébrassent leurs offices les portes fer-
mées, mais l'archevêque de Reims, indigné de ce subterfuge,
lança l'excommunication contre eux; devant les murmures
des Douaisieos, les religieux demandèrent pardon à l'arche-
vêque, qui les réprimanda vivement et l'interdit fut levé3
1. Gattia Ckrittiana, Instrumenta, t. VIII, col. 5G5.
1. Archives de J'Etat belge à Moue, Trinilaires d'Audregnies.
3. TWliah, Chroniques rie Douai, t. I, p. 367.
a Dy Google
Ijk L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIHEK.
(i337). Les exempts devaient donc carder t'interdit aussi bien
que les autres.
Le droit de visite sur les hôpitaux était fortement établi.
L'archevêque d'Arles, Jean Ferrier, au lendemain de sa pré-
sence à In translation des reliques de saint Roch, se le vit dé-
nier quelque peu brutalement par le ministre Jean de Horreo.
Ce religieux, dont le P. François Porchier, historien d'Arles
estimé, fait un éloge enthousiaste', aima mieux se laisser
mettre à plusieurs reprises en prison, chaque fois pour vingt-
quatre heures, que de céder. Devant un adversaire aussi ré-
solu, l'archevêque transigea et décida que les religieux seraient
seulement appelés aux synodes.
L'évêque d'Arras, Gui de Sève, étant disposé à conférer aux
Trinitaires la cure de Saint-Nicaise, le P. Denis Casse! a, leur
ministre, déclina cette proposition plutôt que de lui donner
un prétexte à visiter le couvent.
L'évêque partage avec le grand-ministre ou son délégué la
nomination à certains prieurés-cures annexés à l'ordre, et
c'est lui qui doit donner des mandements pour la qtiéle des
captifs. Il est souvent choisi par le roi pour présider des cha-
pitres généraux ou provinciaux. L'évêque de Meaux, au dix-
septième siècle, intervient puissamment pour la réforme de
l'ordre, mais seulement en son nom personnel.
Les Trinitaires ne craignent pas d'entrer en lutte avec l'or-
dinaire au sujet des processions. Leur résistance à Arles dura
de i58o à i646. Tout à coup, ils se décident à aller à ces
cérémonies, auxquelles ils n'ont jamais paru; seulement
comme ils ont été fondés dans cette ville dès iao3, ils récla-
. Pipce 109.
. Voir aussi /s* Rues d'A m
a Dy Google
LES TRINITAIRES, LES EVÊQUES ET LES CURES. I -]5
ment 1» préséance sur les ordres mendiants. L'archevêque
la leur refuse. Ils concluent une convention spéciale avec les
Dominicains, leur cédant la préséance, sauf pour les jours de
fêtes trinitaires ' . Us font agir en leur faveur le général de
l'ordre, Louis Petit, avec qui pourtant, comme Réformés, ils
étaient en mauvais termes. L'archevêque les condamne : ils
en appellent au vice-légat d'Avignon; condamnés par le vice-
légat, ils en appellent au pape. Toujours condamnés, ils ren-
trent dans leur couvent.
De même, en 17^9, les Trinitaires de Marseille se font dis-
penser des processions, parce que Fancienneié n'y est pas
observée et que l'habit des chanoines réguliers "qu'ils viennent
d'adopter étonnerait le peuple1.
Les rapports avec les curés ne concernent guère que des
questions de sacrements, de messes et encore de processions.
Les religieux étaient exempts de la juridiction du curé comme
de celle de l'évoque, mais les conditions locales les empê-
chaient parfois de s'y dérober. En 1^92 et en 1671, l'archi-
prétre de Saint-Séverin vint au couvent des Malhurins de
Paris conférer le baptême à deux Sarrasins, déclarant qu'il
ne le faisait que parce qu'il n'y avait point dans le couvent
de quoi administrer ce sacrement. Ayant lui-même inhumé
Mathurin Le Beau, procureur au Parlement, il avoue n'avoir
agi que par la permission des religieux et pour satisfaire à
la volonté du défunt3.
Les conflits avec les curés furent fréquents en Bretagne. Le
doyen de Béré, près Châteaubriant, vient par condescendance
célébrer la grand'messe chez les Trinitaires, le jour de la Tri-
1. Pièces justificatives copiées par Mor treuil (BihI. Nat.,11. acq. iat. i3t>7).
3. Trinitaires de Marseille, registre 8, p. 48.
3. Arch. Nat., LL i545, p. ai.
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176 l'ordre FRANÇAIS DES '
riité, en 172λ, sans prendre d'engagements pour l'avenir*.
Un de ses successeurs déclame 0 contre cette démangeaison,
qui n'est que trop naturelle aux communautés, d'entamer
toujours sur les autres et de ne lâcher jamais rien1 ».
A Rieux, le recteur Abhamon eut beaucoup à se plaindre
des Trinitaires, au sujet desquels il rédigea des petites notes
malveillantes. Il déclare, sans ambages, « qu'il ne faut jamais
se mêler avec les moines » et que le couvent devait être trans-
féré dans une grande ville « où les religieux auraient plus de
témoins de leur conduite ! » D'ailleurs, l'ordre trinitaire « est
un corps entièrement pourri dont il faudrait purger la terre3 » !
Sans doute, l'expression est excessive, mais nous avons
assez de preuves que les Trinitaires furent peu sociables et
n'excitèrent pas, chez leurs collègues du clergé séculier, tou-
jours défiants vis-à-vis des réguliers, de bien vives sympathies.
1. Loire-Inférieure, Inv., H 475.
ï. Ibid., Eiî53.
3. Morbihan, Archives communales, E supplément. Rieux, E 98 cl suiv.
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GHAPITRE IV.
L'expansion de l'ordre en France.
Le développement de l'ordre de saint Jean de Matha fut
rapide. Albéricdes T rois-Fontaines écrivait vers ta^o : « ffa-
bent conventus ultra sexcentos. » Sans doute, ce terme de six
cents en latin se prend comme notre mot « mille», mais on
peut citer deux cents couvents, acquis en moins d'un siècle
en France, en Espagne et en Grande-Bretagne. Par contre,
on ne sait comment interpréter cette métaphore d'une butle
du 12 juillet 1209, reproduite dans le Bullaire et reprise par
Juhel, archevêque de Tours, dans les lettres de recommanda-
lion imprimées par Martène1, 0 qu'ils étendent leurs branches
d'une mer à l'autre ». L'existence de couvents trinitaires en
Palestine ou à Chypre est assez problématique, et il est pro-
bable que le pape veut faire seulement allusion aux rédemp-
tions de captifs d'outre-mer opérées par l'ordre nouveau.
En France, l'ordre prit un développement tel que notre pays
eu devint pour ainsi dire le cœur. Saint Jean de Matha n'était
pourtant pas Français de naissance. S'il vint à Paris, ce ne
fut qu'après avoir étudié à l'Université d'Aix, selon la tradi-
tion. Il établit personnellement des couvents à Marseille et à
t. Thgsaai-iii oneedotoram, I, 1019* .
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178 l'ordre français des 1
Arles; mais ces villes étaient alors soumises à la domination
aragonaise. C'est un prince aragonais, Udefonse, qui signe la
donation faite aux Trimtaires par Hugues de Baux, datée de
février 1202 et passée au château de Fos. Alors que notre
Midi seul (et Rome) ont conservé des traces de sa présence,
des témoignages nombreux, dont quelques-uns, à vrai dire,
sont discutables dans les détails, nous montrent saint Jean de
Matha en Espagne, non seulement comblé de donations pen-
dant sa vie, mais encore honoré après sa mort1. On ne peut
citer, par contre, aucun couvent fondé par le saint lui-même
dans la France du Nord. Pourtant, avant sa mort, l'ordre
s'était déjà répandu jusqu'en Flandre.
La France était un vrai centre d'attraction pour les ordres
religieux. L'exemple de l'Espagnol Ignace de Loyola venant
à Montmartre régler la fondation de son ordre est caracté-
ristique. La France a donc bien le droit de revendiquer Jean
de Matha, d'abord comme docteur de Paris (Alhéric le qua-
lifie de magister Joannes de Fronda), ensuite comme bien-
faiteur de l'humanité : en adoptant les idées généreuses du
. saint et en fournissant le principal noyau de ses couvents,
elle les a faites vraiment siennes.
Quatre dates de bulles nous montrent les progrès de l'ordre :
i° Le 3 février 1199', en plus de Gerfroid, figurent seule-
ment les possessions de Planels (localité inconnue) et de
Bourg-la- Reine ;
Le 10 juillet 120'P, sont cités les couvents de Marseille,
d'Arles, de Saint-Gilles, de Lérida, d'Avingavia, de Saint-
Thomas de Formis à Rome;
1 . Selon Florez, il est patron principal du diocèse de Lérida.
a. Palrologie, CCIX, 5o4-
3. Publiée par M. L. Delisle, Biàl. Ecole des Chartes, 1873, p. 4o3.
a Dy Google
L EXPASSION DE I, ORDRE EN FRANCE. I 7 ÇJ
î° Le 18 juin 12091, sur les trente couvents énumérés, près
des deux tiers se trouvent en Espagne ;
4° Le 28 février ia48a, Innocent IV énumère soixante cou-
vents, dont un tiers appartient à l'Espagne, ce qui montre la
rapidité de l'expansion française.
L'ordre a donc eu en France, surtout de 1210 à 12^0 envi-
ron, une étonnante période de croissance. Une liste alphabé-
que de ces couvents, accompagnée de notices, sera donnée à
la fin de ce travail; il suffira donc de préciser ici la réparti-
tion géographique sur les différents points de la France.
La piraterie musulmane sévissant dans la Méditerranée, le
Midi semblait devoir être le centre désigné de l'ordre. Jacques
de Vitry jugeait d'après la saine raison, quand il disait que ce
centre était à Marseille; mais il ne tenait pas compte des
faits, car il n'en fut point ainsi, le Midi ne comptant guère
que le quart du nombre total des couvents français'3.
Les trois quarts des établissements français occupent dans
le Nord une région qui serait limitée par les côtes de la Man-
che, le cours moyen de la Loire, la Moselle et une ligne qui
irait d'Ostende à Trêves.
Il suit de là que les Trinitaires de Flandre étaient presque
tous en dehors de la France ; seuls Hondschoole, Estaires-sur-
la-Lys, Douai, Préavin, dans le bois de Nieppe, et Arras ont
fort tardivement appartenu à notre pays. La province de
Picardie fut sujette à toutes les vicissitudes de la guerre :
maintes fois, les ministres ne purent venir au chapitre géné-
ral, à cause du refus de passeport par le roi d'Espagne. La
1 Babon, pp. 52-54-
z. Inédite. Arch. nat., L 9^7- J'en ai donné un extrait, pièce 10.
3. Deux couvents étaient en dehors de la France : Avîfçnon, fondé en i354,
et Saint-Etienue-sur-Tînée, dans le comté de Nice.
a Dy Google
180 l'ordre français des trinitairbs.
situation devînt infiniment délicate au seizième et au dix-
septième siècle, quand la France fut en état d'hostilité per-
manente avec l'Espagne. Un certain nombre de couvents
obéissent au général français, tout en étant sous la domina-
tion du roi d'Espagne. Jacques Bourgeois recourt sans cesse
à Charles-Quint et à Philippe II, d'une part, et au roi de
France d'autre part. La position des religieux de Flandre
devait être extrêmement difficile en cas de schisme. Préci-
sément, à la fin du dix-septième siècle, l'Espagne trouva
moyen d'avoir un général particulier; la province de Picardie
se trouva scindée en deux parties'. Grégoire de La Forge
essaya en vain d'implanter son autorité dans les Pays-Bas; il
ne put le faire que lorsque Philippe V, ayant reçu par héri-
tage le trône d'Espagne, ordonna à ses nouveaux sujets des
Pays-Bas de reconnaître le général français.
On a cherché vainement la cause de ce développement dans
une région où, d'après le but de leur institution, les Trini-
taires n'avaient pas de raison d'être. La question de l'utilité
de leurs couvents de Flandre fut posée par Joseph II, à la
fin du dix-huitième siècle; on lui répondit qu'il y avait en
Barbarie très peu de captifs flamands et que, quand on les
rachetait., on n'avait même pas toujours recours aux Trini-
taires; cette réponse hâta leur suppression. II n'y a donc à
l'expansion flamande, attestée par les nombreux actes qu'A
publiés Aubert Le Mire, aucune raison plausible. Cette pro-
vince donna d'ailleurs à l'ordre plusieurs de ses généraux et
ses deux plus anciens chroniqueurs, Gaguin et Bourgeois.
Douai fut, vers 1600, un centre actif d'historiographie trini-
taire1.
1. Pièce 247-
1. Les publications de linrthélemy de Puille, en 1611, sur l'institution de
a Dy Google
L EXPANSION DE L ORDRE EN FRANCE. IOI
Quant aux couvents de l'Ile-de-France et de Champagne,
ils se groupèrent naturellement autour de Cerfroid, leur ber-
ceau mystérieux. Ce n'est que trente ans après la naissance
de l'ordre que devait être fondé le couvent de Paris, le véri-
table arbitre des destinées trinitaires, simplement parce qu'il
était dans la capitale de la France.
Les couvents du Nord sont séparés de ceux du Midi par
un immense vide, qui ne fut jamais comblé, entre Arles et
Troves, par exemple' (Lyon ne vint entre deux qu'en i65q),
de même qu'entre Toulouse et Tours. Cette division bizarre
devait amener tôt ou tard la disjonction entre ces deux grou-
pes de couvents français, si inégaux d'importance et si étran-
gers l'un à l'autre. Le résultat le plus clair est le désintéres-
sement des Trinitaires du Midi vis-à-vis du gouvernement
d'un ordre qui avait son centre à Paris. Aussi, nous sommes
dans l'ignorance complète de l'histoire des provinces trini-
taires du Midi'avant le dix-septième siècle, au point que nous
ne savons pas si le Languedoc et la Provence étaient sépa-
rés ou ne faisaient qu'une seule province, ce qui est plus pro-
bable. Le Midi vécut d'une vie à part, et il ne devait prendre
quelque importance que le jour où il serait poussé par les
religieux d'Espagne à l'assaut des privilèges des Trinitaires
du Nord. La cohésion de ces derniers fut la justification du
privilège des « quatre provinces ».
Les couvents du Midi sont dans des villes, ceux du Nord
sont surtout à la campagne. Peut-être le Midi avait-il des
villes plus florissantes que le Nord, mais ce n'est évîdem-
l 'ordre sont antérieures à celles de Claude Rallc et même plus intéres-
i. A part Notre-Dame de Limon, prés Saînt-Symphorien-d'Ozoa (Isère),
qui ne fut qu'uu prieuré.
a Dy Google
192 L ORDRE FRANÇAIS DES TRIBUTAIRES.
ment pas par hasard que presque tous les couvents méridio-
naux sont dans des villes connues (Marseille, Arles, Mont-
pellier, Narbonne, Toulouse, Castres). Les couvents de moin-
dre importance, comme Tarascon, Digne, Lambesc (Rouches-
du-Rhône), Beaucaire, Limoux, Mirepoix, Cordes (Tarn),
Sainl-Gaudens, Orlhez sont au moins dans des petites villes.
Ceux de Terraube (Gers), de Lorgnes (Var), de La Mothe-du-
Caire (Hautes-Alpes) et de Saint-La urent-de-Médoc font seuls
exception, et encore, il n'est pas difficile de les retrouver sur
une carte. Dans la seconde floraison trinitaire, au dix-sep-
tième siècle, nos religieux du Midi durent se contenter, en
Provence, de prendre place dans de petits bourgs, qui sont
aujourd'hui, pour la plupart, de simples chefs-lieux de canton.
Dans le Nord , au contraire , les couvents sont en des
lieux si inconnus que leur place se voit à peine sur la carte.
Il faut souvent avoir recours aux Dictionnaires topogra-
phiques des départements , et encore un nom est-il resté
introuvable, celui de Belleau, dans le Poitou '. Qui saurait dire
du premier coup où est Cerfroîd, le chef d'ordre? Qui pour-
rait identifier facilement Templeux, Rouvray, le Fay, Silvelle,
la Gloire-Dieu, la Poultière? Ce sont de simples hameaux,
maintenant des lieux-dits, dont les noms ne se retrouvent
plus. Une difficulté pour les identifier réside dans les noms
liturgiques d'origine populaire , qui ne permettent guère de
reconnaître par exemple Soudé-Sainte-Croix dans Forts tte-
ffalis, La Villeneuve (près Chelles) dans f/onor Dei, Silvelle
dans Forts Jesa.
Même quand les Trinitaires ont leurs couvents dans des
i. C'eal sans doute dans la paroisse de Mazeuil (Vienne), dont un Trini-
taire étsil curé au dix-huitième siècle.
a Dy Google
L'EXPANSION DE L'ORDRE EN FRANCE. 1 83
villes, ils sont établis en dehors, comme à Etampes et à Saint-
Quentin. Pour Troyes, ils se transportèrent du nord à l'est
de la ville, sans jamais y pénétrer. S'il y a des exceptions,
comme à Clermont (Oise) et à Meaux, cela tient à la situa-
tion urbaine des hôpitaux qui leur furent confiés. Dès qu'ils
n'eurent plus l'Hôtel-Dieu de Meaux, ils s'établirent hors de
la ville. N'est-il pas caractéristique que les Trinitaires n'aient
pas eu immédiatement un couvent à Paris? Dès 1199, ils ont
des biens à Bourg-la-Reine, des couvents au Bourget (i2o3),
à Verberie (1206), à Etampes (avant 1209), à Pontarmé, près
Senlis (1216), à Chelles, à Mitry (i2a5), pour ne citer que
les lieux les plus rapprochés de Paris, qu'ils enserrent du
côté du nord et de l'est. C'est seulement en 1229 que
Guillaume d'Auvergne, à peine consacré évêque de Paris,
donna aux Trinitaires un vieil hôpital en ruines, situé prés du
Palais des Thermes et dont la chapelle était dédiée à saint
Mathurin. De cette possession de quatrième ordre, nos reli-
gieux surent faire le vrai couvent chef d'ordre.
Si les Trinitaires ne songèrent point à chercher, pour cette
expansion surtout rurale, des causes qu'il n'est guère facile
de déterminer, ils essayèrent d'en tirer d'excellents résultats.
Au dix-huitième siècle, la Commission de Réformation des
ordres religieux constate que l'ordre des Trinitaires avait très
peu de sujets et qu'un bon tiers des couvents du Nord était
réduit à l'état de prieurés, alors que la plupart des couvents
du Midi avaient une certaine vitalité1. Malgré cela, les reli-
gieux ne voulaient pas quitter leurs couvents de la campagne,
même lorsqu'ils étaient en proie à_une extrême pauvreté : ils
prétextaient que, lors des quêtes de la rédemption, les cam-
1. Bibliothèque nationale, ma. fr. 1 3 857, pp. 58 a 62.
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|84 L ORDRE FRANÇAIS DBS TRINITAIRES.
pagnes où ils résidaient perpétuellement, où ils étaient par
suite connus et estimés, se montraient plus généreuses que
les villes, où tant d'oeuvres sollicitaient la charité des fidèles.
Telle était l'idée exprimée par le P. Pichault, général des
Trinitaires, dans un mémoire écrit en 1766. La vérité est
qu'ils voulaient garder leur total de couvents afin de faire
nombre en face des provinces étrangères plus peuplées, dont
l'une, l'Espagne, avait une très grande importance.
Avec le temps d'ailleurs, nos religieux passèrent parfois de
la campagne à la ville. De Templeux-la-Fosse, les habitants
de Péronne les font venir pour diriger leur collège. De La
Palu, au terroir de Marseille, les Trinitaires Déchausssés
descendent dans la grande ville et donnent leur nom à une
église et à une rue.
a Dy Google
Les provinces étrangères de l'ordre.
Dès le treizième siècle, nos religieux eurent une trentaine
de couvents en Angleterre, Ecosse et Irlande. Cette province
disparut au moment de la Réforme de Henri VIII.
L'Espagne eut, dès cette époque, un nombre de maisons
à peu près égal à celui de la France elle-même1.
Quant à l'Italie, nos religieux ne s'y établirent que dans le
courant du dix-septième siècle, sauf les exceptions de Rome
et de Naples.
En 1599, naquit en Espagne la congrégation des Trinitaires
Déchaussés qui, non contente de déborder dans le. midi de la
France, alla jusqu'en Autriche et en Pologne, où l'ordre
n'avait pas encore paru.
On a commis bien des inexactitudes sur l'importance qu'au-
raient eue ces provinces, lorsqu'au dix-septième siècle on
s'efforça d'amoindrir la part de la France dans le passé de
l'ordre. La légende de Pierre de Aberdeen, qui aurait été élu
en r347 après la mort de Thomas Loquet, est apocryphe,
car ce général ne mourut qu'en i35y et un autre Français
lui succéda sans interruption.
i. Une liste très complète de ces couvents s été donnée dans VArbor
ehronoiogica.
a Dy Google
l86 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
Il faut également rejeter parmi les fables la mention de
Moncamacho, qui aurait été élu général pour l'Italie en i38o.
II est qualifié de ministre de Saint-Thomas de Formis; c'est
le seul couvent que les Trinitaires avaient alors dans ce pays.
GRANDE-BRETAGNE.
On n'a pas de certitude sur la date exacte de la venue des
Trinitaires en ce pays. Thomas de Eccleston, auteur du Liber
de adventu Minorum in Angliam, dit qu'ils arrivèrent Iong-
temps avant 1239'. Dugdale doit avoir raison quand il dit
que leur premier couvent date de 1224. La réception faite par
le roi d'Ecosse Guillaume, mort en 1214, est problématique.
Les onze couvents anglais énumérés par Dugdale* sont
Moltenden dans le Kent (1224), qui fut donné en i54o à
Thomas Cromwell; — Donnington, près Newbury (Berkshire),
mentionné en i3g5; — Liltle Totness Devonshire); — Wer-
land, près Totness, fondé par Gautier d'Exeter sous Henri III ;
— Hounslow, dont la plus ancienne charte est de 1 296 ; les
religieux avaient un marché chaque mercredi, et une foire
annuelle à la Sainte-Trinité, qui durait six jours; — Berwick,
en Nortnumberland ; — Walknoll, fondé le mercredi avant la
Pentecôte i36o, par William Acton, bourgeois de New-
castle; ce couvent était dédié à saint Michel et fut rendu au
roi le 10 janvier i53g; — Thursfield, dans le comté d'Oxford,
consacré le 29 décembre 1295; c'était un hôpital pour les
pauvres et les pèlerins — Eston, dans le Wiltshire; — Wor-
cester; — Knaresborough, dans le comté d'York, établi sous
Henri III, par Richard, roi des Romains, qui donna à nos
1 . Monumenta Germantœ, Scriptores, t. XXVIII, p. 568, 1. 4°.
a. Jtfonasticum Anglicanum, t. VIII, col. 1 558- 1 565.
a Dy Google
LES PROVINCES ÉTRANGÈRES DE L'ORDRE. 187
religieux la chapelle de Saint-Robert ' , avec 20 vaches ,
3oo brebis, 4° porcs (10 avril 1257).
Dans ce total de onze couvents n'est pas compris celui
d'Oxford, dont le ministre aurait aliéné une possession, la
chapelle de Sainte-Frideswide, réclamée par Gaguin qui sol-
licita dans ce but les bons offices de l'Université.
Les couvents écossais sont établis à Aberdeen (1214?),
Dumbar Ç1218), Failfourd (i25a) au diocèse de Glasgow,
Pebles (i263) au sud d'Edimbourg, Houston (1226), Scotland-
Wall etDornoch1.
L'Irlande, à laquelle on prête parfois cinquante-quatre cou-
vents trinitaires, n'en aurait eu qu'un seul à Atdare (en latin
Athacia), petite ville du comté de Limerick3.
Ces trois provinces (Angleterre, Ecosse et Irlande), par
suite de leur situation isolée, ne jouèrent aucun rôle dans
l'ordre.
Il en est de même des provinces légendaires de Palestine
et de Chypre- On peut refuser toute créance à l'existence,
certifiée par Baron, d'un couvent trinitaire à Constantinople
en 1234, ainsi que d'un couvent de religieuses, qui y viennent,
en i44'> comme pour se faire massacrer par les Turcs. Belin4
dit que la première mention d'un couvent trinitaire remonte
à la paix de Sitvatorok, qui est de 1606. Ce couvent était
dans la rue de Péra et sous la protection de l'Autriche.
1. Fidèles k leurs traditions hislnricgraphiqucs, les Trinitaires oat fait de
l'ermite Saint-Robert de Knareshorough us religieux de l'ordre,
j. Lahigan, Histoire ecclésiastique d'Irlande, IV, 3i 3.
3. Bibl. de Marseille, manuscrit iai5, f° 10 v>.
4- Bklui, La latinité de Constantinople, 20 édition, 1894, p. 33i.
a Dy Google
L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
Avec l'Espagne, nous sommes enfin sur un terrain solide.
Les religieux de ce pays ont été trop laborieux pour que
nous ne leur payions pas un juste tribut d'éloges. Si l'on sup-
primait de l'historiographie trinitaire tout ce qu'ont écrit les
Espagnols, il ne resterait que la chronique de Gaguin, avec ses
suites, et les ouvrages du P. Dan. Nous pouvons élever des
doutes bien légitimes sur les premières donations espagnoles,
où sont trop visibles des interpolations faites pour vexer
l'ordre rival de la Merci, fondé en iaa8 à Barcelone. Toute-
fois, ne nous plaignons pas trop de cette inimitié ; que d'ou-
vrages n'auraient jamais été écrits si les Trinitaires n'avaient
pas eu devant eux des rivaux qu'il fallait surpasser! En nous
souvenant que ce n'est qu'au milieu du treizième siècle que
l'Andalousie fut conquise sur les Maures, et que ceux-ci gar-
dèrent Grenade jusqu'en 1/(92, on comprendra la seconde
raison de la vitalité des Trinitaires dans un pays dont les
fréquentes luttes avec les musulmans étaient de nature à don-
ner Heu A de nombreux rachats de captifs.
La chronique de Gaguin nous montre les premiers succes-
seurs de saint Jean de Matha venant en voyage de rédemp-
tion en Espagne, et l'un d'eux mourant à Cordoue. Gil
Gonzalez de Avila, dans son Teatro ecclesiàstico de las
Iglesias de las dos Castiltas (i645), donne de très nom-
breux détails sur les couvents trinitaires, dont l'un, celui de
Ségovie, aurait été fondé en 1 208 par saint Jean de Matha
lui-même.
Dans le couvent de Burgos, il s'est réuni des Cortès; sa
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LES PROVINCES ÉTRANGÈRES DE I.'oRDRE. 1 89
capilla mayor a été construite au moyen des aumônes des
marquis de Aguilar; les religieux y ont un collège dédié à
saint Ildefonse, où l'on étudie la théologie, les arts et les
sciences morales.
Celui de Valladolid date de ia56; les ducs de Béjar en
sont les patrons; le rétable a été donné par Juan Hurlado et
François de Zuniga. De ce couvent sortit Antonio de Paz,
qui fut quatre ans à Tunis (i53i-i535) '.
En Andalousie, it y a le couvent de Jaen (jtobre en edi-
fitio, rico en virtud); celui d'Ubedaa, où saint Jean de
Matha a fait cesser une épidémie de peste au dix-septième
siècle; ceux de Baeça, d'Andujar, et surtout celui de Séville,
fondé en ia53 sur l'emplacement de la prison de Sainte-Juste
et Rufine3.
Un Trinitaire d'Espagne devient, au quinzième siècle, le
cardinal Antoine Serdan, évéque de Lérida; c'est le seul car-
dinal qu'ait eu l'ordre.
Les rapports de l'Espagne avec le général français sont
d'abord fort peu connus. Durant le quatorzième siècle, il
est fait mention du châtiment infligé à des ministres de
Séville et de Burgos. Quel est ce châtiment? Gaguin ne le dît
pas; il est à présumer que c'est la déposition. Le grand
schisme élant survenu, la France suivit le pape d'Avignon et
l'Espagne le pape de Rome. Ce fut une occasion pour les Tri-
nitaires de secouer le joug de la France; ils élurent comme
général Vasconcellos, provincial de Castille, à qui une bulle
■ de Martin V permit de garder le titre de général sa vie durant.
La paix étant rétablie dans Tordre, des Statuts furent publiés
1. T. I, pp. 644-645; t. III, p. 16.
.. T.!, p. 2.7.
a. t. n, p. ia4-
ûdv Google
IgO L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
à Cerfroid en 1 4^9 ; Jean de Burgos en fit une copie pour ses
compatriotes; il y recommande que l'Espagne envoie, tous les
cinq ans, un délégué au chapitre général. La présence de
Trinitaires espagnols aux chapitres généraux de ilfj$ el de
i5oi est certaine. C'est à l'époque de Gaguin que les rela-
tions entre le grand-ministre et l'Espagne sont le mieux
établies.
A ce moment, fleurissent en Castille Simon de Camargo et
Diego de Gayangos, grands rédempteurs de captifs. Les
manuscrits de Gaguin, à la Bibliothèque Mazarine, renfer-
ment aussi beaucoup de statuts faits en Espagne. Alors Gre-
nade est prise et trois couvents trinitaires se fondent à Malaga,
Marbella el Alméria, villes enlevées aux musulmans; Gon-
zalve de Jerez vient, à cette occasion, demander à Arles des
reliques de saint Roch.
Le règne de Charles-Quint marque, pour l'Espagne, une
nouvelle période d'autonomie. Adrien VI comble les Trini-
taires espagnols de privilèges qu'obtiendront cinquante ans
plus tard les Trinitaires de France. Pie IV leur permet de
changer la couleur de la chape, et cette différence d'habit avec
les religieux de France chagrine profondément ceux-ci. Thi-
baut Musnier et Bernard Dominicï vinrent visiter en personne
les provinces d'Espagne.
De Valdepenas, à la limite de la Castille et de l'Anda-
lousie, devait partir en i5q.q la Congrégation Déchaussée, dont
l'expansion fut si rapide. Le seul résultat qui nous intéresse
ici, c'est que ce fut un prétexte pour les Trinitaires espagnols
à réclamer une part du gouvernement de l'ordre. Tant que
Louis Petit fut général f[6i2-i65a), l'Espagne demeura tran-
quille; ce personnage, qui avait étudié à Saragosse, était très
cher aux Espagnols, dont il connaissait la langue. Ce n'est
a Dy Google
LES PROVINCES ETRANGERES DE L ORDRE. IOI
pas ici le lieu de raconter cette lutte qui dura toute la seconde
moitié du dix-septième siècle. Rappelons seulement que l'Es-
pagne fut admise, depuis 1704, à participer aux chapitres
généraux, et qu'il y eut toujours dès lors, auprès du général,
un secrétaire espagnol ; c'était, en 1756, Lorenzo Revues, qui
fit diverses copies chez les Mathurins de Paris. C'est tout ce
que l'Espagne gagna à cette lutte, semblant même se désin-
téresser assez vite des gages qu'elle avait conquis, car, au
chapitre de 1781, manquaient un grand nombre des repré-
sentants de ce pays.
Les constitutions particulières des Espagnols sont assez
bien connues depuis le seizième siècle; le chapitre général se
tenait chaque fois en des lieux différents : celui de 1 497 es[ à
Arevalo, celui de i5i3 a Santa Maria de las Virtudes ; d'au-
tres se tinrent à Valladolid et à Jaen. Jusqu'au milieu du
seizième siècle, il n'y eut que deux provinces, Castille et
Aragon (le Portugal était à part) ; l'Andalousie fut détachée
alors de la Castille. L'unification de l'Espagne n'empêchait
pas l'existence du régionalisme, puisque Gaguin établit l'alter-
native entre la Catalogne, l' Aragon et le royaume de Valence
pour le provincialat. En i586, Bernardino de Mendoza,
ambassadeur de Philippe II, fut chargé de demander à Ber-
nard Dominici de choisir un vicaire général pour les quatre
provinces de la péninsule ibérique. Celte innovation ne porta
point atteinte à l'indépendance de chaque province, car en
1780 le provincial d'Aragon, ayant voulu faire la visite en
Castille, en fut empêché par les religieux, aux termes d'une
bulle de Clément Vil.
Les constitutions espagnoles les plus célèbres sont celles
qui furent faites au temps d'Alexandre VII à Rome (1657).
Jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, les Espagnols rédigè-
ûdv Google
103 h ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
rent des constitutions, qu'ils firent confirmer par le pape1.
L'Espagne fut un vif foyer de science, d'historiographie 3 et
de rédemption. Le collège de Saint-Lambert de Saragosse de-
vint très célèbre, et le pays compta une foule de Présentés,
de Maîtres et de Docteurs Jubilés*. Depuis le dix-septième
siècle, un grand nombre de villes eurent à la fois des couvents
de Trinitaires Chaussés, de Trînitaires Déchaussés et même
de religieuses, fondées depuis 1612. L'Espagne fournît à
l'ordre ses plus grands prédicateurs, comme Paul Aznar, et
même des saints comme Simon de Roxas, Michel des Saints
et Jean-Baptiste de la Conception. L'histoire de la province
de Castille a été l'objet de grands ouvrages de Juan Toraya
de la Vega.
PORTUGAL.
L'origine de cette province est fort incertaine; le naufrage
d'André d'Agramont devant Lisbonne, où il fonde un cou-
vent, paraît légendaire. Il n'y eut pas en ce pays plus de six
couvents : les principaux furent ceux de Lisbonne, de Santa-
rem, de Coïmbre et d'Alvito. Les privilèges obtenus par l'Es-
pagne furent étendus en i534 au Portugal, dont le principal
titre de gloire est l'ouvrage de Bernardin de Saint-Antoine.
Lorsqu'il eut été conquis par Philippe II, ce roi fit faire
une rédemption des captifs portugais. Après la proclama-
tion de l'indépendance du Portugal, les Trinitaires d'Es-
pagne se montrèrent hostiles à ceux de France et demandè-
rent un général particulier ; la province de Portugal s'opposa
i. Analeeta Jurît ponlijîcii, t. XVI, p. 636.
a. Le P. Antonin de l'Assomption a publié récemment un ouvrage étendu
sur les historiens trinitaires espagnols.
3. Ce sont des grades en théologie, qui n'étaient guère répandus chez nos
religieux de France.
a Dy Google
LES PROVINCES ÉTRANGÈRES DE l'oRDRB. I g3
1res vivement à cette scission et son député écrivit à ce sujet
à la Congrégation des Réguliers. Sans doute, le mobile de
cette attitude était plutôt l'inimitié contre l'Espagne que l'af-
fection pour le général français ; néanmoins cette communauté
d'hostilité fut pour les Trinitairee de France un sérieux appui
moral. Le roi lui-même enjoignit en 1697 au provincial de
reconnaître le général français.
Cette province, qui allait prendre une importance démesurée
à cause des intrigues antifrançaises dont Rome devait être le
centre, ne se forma qu'au dix-septième siècle. Le plus ancien
couvent (à part ceux de Rome, dont il sera traité isolément) est
celui de Naples, fondé en i56o. En i586, François Boucher,
vicaire général de l'ordre, permit l'érection de confréries des-
tinées à en favoriser la construction*! . Il parait qu'il y avait,
dès cette époque, un provincial de Calabre, mais nous ne
savons pas au juste de quels couvents se composait sa pro-
vince. A l'époque de sa plus grande expansion, l'Italie ne
comprit jamais que dix-sept couvents, dont cinq en Sardaigne
(encore faisaient-ils peut-être partie de la province d'Aragon ')
et quatre en Sicile. Ces derniers n'échappèrent pas a la loi de
vagabondage qui semble s'imposer à tous les couvents trini-
taires : à Païenne et à Catane, nos religieux durent s'y
prendre à (rois fois pour être placés définitivement. Ces rensei-
gnements sont donnés par les manuscrits du P. Ignace de
Saint-Antoine; peut-être les pérégrinations de nos religieux
n'étaient-elles pas encore finies.
1. Pièce i38.
». Les ntuttre* Captif», t. II, p. 33i.
a Dy Google
if)/( l'ordre français des trinitaires.
A la fin du dix-septième siècle, les Trinitaires Déchaussés
fondèrent plusieurs couvents en Italie : Saint-Denis de Rome,
Alexandrie, Turin et Livourne. Le couvent de Faucon, près
Barcelon nette, qui appartint au Piémont jusqu'à 1713, fut
rattaché à cette province Déchaussée. Du couvent de Saint-
Ferdinand de Livourne sortit un excellent ouvrage (Gli schiavi
redenii), que j'ai trouvé à la bibliothèque de Gerfroid.
La Congrégation Déchaussée fonda, à la fin du dix-septième
siècle et au commencement du dix-huitième, un grand nombre
de couvents en Autriche (province de Saint-Joseph) et en
Pologne1 (province de Saint-Joachim). Les principaux sont
ceux de Vienne, de Cracovie et de Varsovie. Vienne fut un
grand centre de science et de rédemption : Florien de Saint-
Joseph y continua l'Histoire de la Congrégation Déchaussée,
de Diego de la Madré de Dios. La récente arrivée des Trini-
taires français à Vienne a donné lieu à la publication, dans
leur Bulletin de décembre 1900, d'un intéressant article sur
ce couvent, supprimé en 1783 par Joseph II et dont les reli-
gieux tiendront à honneur de faire revivre le souvenir glorieux.
1. Arbor Chronologica, pp. i3g et i4o,
aoy Google
CHAPITRE VI.
Les grands bienfaiteurs des Trinitaires.
' LES ROIS ET LES
« L'ordre de la Sainte-Trinité, lit-on au début du Mémoire
présenté, en 1766, par le général Maurice Pichaull, à la
Commission des Réguliers, a été établi en France sous la pro-
tection du roi Philippe-Auguste'. » Au dix-septième siècle, le
peintre Van Thulden représenta, pour le couvent des Mathu-
rins, les deux fondateurs de l'ordre présentant la règle à
Philippe- Auguste, qui, selon Millin, aurait eu la simplicité de
croire « les deux visionnaires ». Le P. Calixte a bénévolement
admis dans le tiers-ordre des Trinitaires ce roi, qui aurait
même choisi Jean de Matha pour son théologien !
En fait, M. Delisle, dans son Catalogue des actes de Phi-
lippe-Auguste, n'en cite aucune donation en faveur des Trini-
taires. Dans aucune bulle, le pape ne fait allusion à la pro-
tection royale. Les deux seuls faits allégués partiaguin : l'en-
voi de Trinitaires à une croisade de Philippe-Auguste (qui
n'y alla point après 11 0,3) et leur établissement à Paris, fort
postérieur à ce roi, ne sont pas admissibles.
Louis VIII n'eut pas le temps de faire quelque chose pour
1. Arch. nal., S ^278, no ai, p. 1.
OcyGoO^fe
I96 l'ordre français des tributaires.
nos religieux. Leur grand bienfaiteur fut saint Louis, averti
du mérite des Trinitaires par la présence à ses côtés du
grand-ministre Nicolas pendant la croisade d'Egypte. Join-
ville fait souvent mention de Nicolas1, ainsi que d'un Trini-
taire attaché au comte Guillaume de Flandre et confessant
les chrétiens jusque sous les flèches des Sarrasins. Aussi le roi
prit-il les Trinitaires « pour chapelains et pour familiers »;
et reçul-il du chapitre général, en ia56, l'association spiri-
tuelle, « vu que son affection spéciale à l'égard de l'ordre
avait été prouvée par de multiples effets1 ».
Le plus connu des couvents fondés par saint Louis est celui
de Fontainebleau. En logeant les Trinitaires dans son palais,
lé roi leur donna 3,000 arpents de bois (juillet ia5u)3; il prit
' deux Trinitaires comme chapelains, en sus du nombre régle-
mentaire des religieux (décembre 1260)*. Il fit exempter ce
couvent des décimes levés par Charles d'Anjou et lui fit accor-
der des indulgences par le pape 5.
Il fit donner à l'ordre l'hôpital des Belles-Portes par le cha-
pitre de Saint-Quentin6, et il intervint puissamment pour lui
assurer la possession de PHotel-Dieu de Compiègne.
Saint Louis ne favorisa pas moins les couvents déjà exis-
tants. Les Malhurins de Paris eurent beaucoup à se louer du
roi, qui provoqua en leur faveur les largesses de ses familiers
Guillaume, son panelier, et Adam, son cuisinier. Ayant donné
une rente de 4o livres à Nicolas de Soisy, le roi consent qu'il
■ 1, Le P. Da«, Hitloirt de Barbarie, 2' édition, p. 467-
a. Layellt* du Trésor des Chartes (11 juin ia56).
3. Gallin ehrisliann, XIII, Inslr., 74 A.
4. Mautenk, Amplim'ma calléctio, I, 1 34g-
5. Le Nain de Tillkjcont, Histoire de mint Louii, IV, i58; VI, 84.
6. Héhkhé, Angusta Viromandaurnm, pp. ï/|ï-î43.
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LES GRANDS BIENFAITEURS DES TRINITATRFS. 197
en lègue dix par avance aux Mathurins ' : ce lesrs est peut-
tire une condition de la donation royale.
Ce n'est pas seulement de terres et de maisons, c'est d'orne-
ments précieux et de reliques que saint Louis comblait ces
religieux. « Voulant décorer votre église de quelques marques
vénérables de notre Rédemption, nous avons jugé a propos
de vous envoyer, par notre amé et féal chapelain Frère Pierre
d'Arras3, de votre ordre, une épine de la sacro-sainte cou-
ronne de Notre-Seigneur et une lame de sa très sainte croix.
Priez pour nous. » Le couvent de Paris conservait encore, à
la fin du dix-huitième siècle, le manteau royal de saint Louis,
qui servait de chasuble au prêtre officiant le jour de la fête du
roi et un reliquaire sur pied de cuivre (Miltin).
A la seconde croisade de saint Louis figura encore un
Trinilaire, Jean de Metz3. La tête du saint roi fut dignement
célébrée parles Mathurins reconnaissants; tous les ans, ils se
rendaient procession nellement à la Sainte-Chapelle, de con-
cert avec les religieux de Sainte-Catherine.
L'affection de saint Louis pour les Trinilaires se communi-
qua à son frère, Alphonse de Poitiers. Les aumônes de celui-ci,
en ia65, comprennent les Mathurins de Paris pour 100 sous;
ceux de Fontainebleau pour 5o; ceux de Chelles, Mitry, Cler-
mont pour 3o; ceux de Pont armé pour 20. Dans son apa-
nage, il donne 100 sous aux Trinilaires de Taillebourg* et
r. Voir, pour les détails, la Monographie du couvent des Mathurins de
Paris, en préparation.
». Ce Trinilaire était présent k l'hommage prélo pur le comte de Nevers,
Jean, h l'évéque de Paris, Etienne, le i3 novembre 1268 (Cartulaire de
Notre-Dame de Paris, I, 171).
"i. Le peintre du couvent dea Pères Blancs à Cartilage, dans le tableau de
la Mort de saint Loai», a donné à ce religieux les traits du P. Calixte.
4. M. Molinieh, dans sa Correspondance d'Alphonse de Poitiers, a cite
a Dy Google
19$ L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRBS.
ôo à ceux de Toulouse '. Ces derniers reçurent, en décembre
1368, 100 livres tournois sur les produits d'une vigne confis-
quée à Pierra Garsia, hérétique, et de plus le vin de cette
vigne *.
Il faudrait citer les plus grands princes français, pour énv-
mérer tous les bienfaiteurs des Trinitaires. Je me bornerai
aux comtes de Champagne et de Flandre.
Les belles études de M. d'Arbois de Jubainville montrent
que Thibaut IV'fiaoï.-i 25a), Thibaut V(ia53-i 370), Henri III
(1370-1374) ne l'ont en rien cédé à saint Louis. Dès 1217,
le sénéchal Simon de JoinviHe, père de l'historien, fondait
un couvent à Soudé (Fons Regalis), près de_ Vitry.
Les Trinitaires doivent aux comtes de Champagne les cou-
vents de La Veuve (ia34), Vitry (ia4o), Troyes (1260) et
l'hôpital de Meaux (ia44). Le testament de Thibaut V (no-
vembre 1357) contient des legs aux couvents de Cerfroîd
(qu'il devait favoriser encore spécialement), Silvelle, Soudé,
Vitry, Meaux. A cette Maison-Dieu, il donna une tour près
des- murailles, contre le pressoir de la Maison-Dieu, qu'il pou-
vait reprendre quand il lui plairait4 (1370). A Cerfroid, il
institua vingt religieux de chœur5. Un de ses chapelains,
Jean Boileau, reçut 20 livres sur la communauté de Meaux
une enquête A Inquelle il fait procéder pour le ministre de Taillebourg, qui
a reçu des coups dans une rixe. Ibid., 1022, 1 no, 1 128, i3s4-
1. Boutaric, Saint Louis et Alphonse de Portier», pp. 461 A 466.
a. Histoire du Languedoc, IV, 708. Voir Ibid*, VII, 4i3, et Correspon-
dance d'Alphonse de Poitiers, l. 1", p. 534. L* prince leur légua i5 livres
sur la prévale de La Rochelle pour le chapitre général (Archives nationa-
les, i 406, no 4).
3. Dés 1239, Thibaut IV a pour chapelain le Trinitaire Simon, auquel est
déléguée la levée d'une taxe sur les biens de ceux qui se rachetaient de la
croisade {Cal., n» 253g).
4. Arc h. n»l., J ao3, n» 78.
5. Pièce 3q.
a Dy Google
LES GRANDS BIENFAITEURS DES TRIBUTAIRES. IQO
(îi février 1269) et 10 autres livres d'Henri, successeur de
Thibaut V; il devint général de l'ordre en 12731.
Rien n'égala la munificence de Thibaut V pour les Tri- '
nitaires qu'il « attira » à Troyes : en 1 260, il leur donne >
une maison sise au faubourg de Preize, habitée auparavant
par les Franciscains1; puis, il les comble de donations qui se
succèdent avec une rapidité vertigineuse : 6 muids de fro-
ment, 5o livres sur le pontage de Troyes, des exemptions de
tonlieu3, le droit d'usage dans ses forêts d'Isles (21 avril'
I]m)» la première prébende qui vaquera au chapitre de Saint-
Etienne, la pêche dans les fossés de la ville depuis-la porte de ■
^niporté jusqu'à ta Seine4 (août 1261), la dispense de consa-r
crer au rachat des captifs5 le tiers des revenus qu'il leur
avait donnés, par dérogation spéciale au texte dé la règle, :
HUI était pas encore modifiée.
Les comtes de Flandre furent les bienfaiteurs des couvents
je Douai et d'Hondschoote. Marguerite, notamment, « libéra
et quitta » aux Trinitaires de Douai, le 17 octobre 127a, tout
le lieu nécessaire pour bâtir l'église, le cimetière et le
dotlre6.
Mahaut de Dammartin et Alphonse de Portugal, son mari,
donnèrent aux Trinitaires l'Hôtel-Dieu de Clermont (Oise),
avec les revenus d'une foire annuelle.
1. Mention de l'Obiluaire des Malburins de Paris.
1. Catalogue, n" 3187.
J. Camusat, Prompluarium, 427 vo-^ap, v>.
4. Citalogue, n°< 3i85, 3 188, 3ao5.
S.' Cartnlaire conservé aux Archives de l'Aube, fol. 1 : Licet tertio pars
uxivtrti ilebeal in Kedemptioncm captivoram, noliii/ius tamen quod de
pndktit sibi a nabis collatis, ratinne dicte Redemptionis, ullomodo «/("-
qaid dedaeatur.
6. L'abbé Dancoisnb, Bulletin de la Sac. des Sciences de Douai, t. XIV,
p. 330.
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300 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
Les Trinitaires savent réclamer ce qui leur est dû. Simon
de Dammartin et Marie de Ponthieu ayant promis au minis-
tre de Ponlarmé 10 livres parisis de revenu annuel et 60 sous
pour le chapelain, leur fille, Jeanne, reine de Castille et de
Léon, veuve de Ferdinand le Saint, leur assigne 1 1 livres de
revenu sur la vicomte d'Airaines ' (Somme).
Ce n'était donc pas seulement auprès des princes de
France que les Trinitaires trouvaient une si efficace protec-
tion. Sans parler des légendaires réceptions que leur auraient
faites le roi d'Ecosse, Guillaume, et le roi de Portugal,
Alphonse II, on peut constater leur crédit auprès de princes
qui furent rarement les amis de la France, même au temps
de saint Louis, les rois d'Angleterre. Henri III ne se con-
tenta pas de leur donner des lettres de protection perpétuelle
au moment de la guerre de Saintonge * (i-t^-i), il leur confia
même des missions plus délicates. Simon, ministre des Mathu-
rins de Paris, fut désigné à l'effet d'entendre, pour Simon de
Montforl, le compte de l'emploi de 1,000 livres sterling dépo-
sées à l'hôpital de Saint-Jean de Jérusalem et de transmettre
au roi ce compte scellé de son sceau3.
Richard de Cornouailles, le fondateur du couvent de Saiot-
Kobert de Knaresborough, prit parmi ses envoyés auprès
d'Innocent IV le Trinilaire Raoul4, en vue de défendre ses
droits sur la Provence contre Charles d'Anjou, en vertu du
testament de Raymond-Bérenger IV5 (mai 1246). En ia5g, un
i. E Dtipuis, Ponlarmé, p. 106.
3. Rôles gascons, n° 3q4.
3. raid., no« 2170, ï865.
4- C'est à ce frère Raoul que Henri III alloue 4» sous pour ses dépenses
en sa qualité d'envoyé royal en Angleterre; c'est pour lui qu'il mande à
Roger le tailleur de faire un habit convenable.
5. Behiskh, Registres d'Innocent IV, n» r 967.
a Dy Google
LES GRANDS BIENFAITEURS DES TRIMTAIRES. 301
autre Trinitaire, Guillaume, est envoyé à Rome pour se plain-
dre qu'Alphonse le Sage, roi de Caslille, prenne, au grand
détriment de Richard de Cornouailles , le titre de roi des
Romains. Le pape Alexandre IV, qui devait estimer à sa
juste valeur cette contestation sur une ombre de pouvoir,
mais qui, selon les traditions de la cour pontificale, ne voulait
mécontenter personne, fil une réponse évasive1.
Au quatorzième siècle, le trop fameux Robert d'Artois avait
pour chapelain un Trinitaire, Henri Sachebren, à qui il fil
confidence de ses projets criminels contre le roi Philippe VI
et qui, effrayé, vint le dénoncer en décembre i333, sans pou-
voir éviter d'être lui-même emprisonné1.
a" LES EVEQUES.
D'illustres évéques du treizième siècle ne restèrent pas
insensibles au mérite des Trinitaires. Nos religieux peuvent
citer avec honneur, parmi les prélats présents autour de leur
berceau, Guérin, évèque de Senlis, devant qui est passé, en
iai6, l'acte de fondation du couvent de Pontarmé, et surtout
Guillaume d'Auvergne, qui se montra le bienfaiteur des
Mathurins de Paris en toute occasion, aplanit leurs différends
avec l'abbé de Sainte-Geneviève et étendit sa sollicitude aux
couvents du Bourgel et du Fay 3.
Les évéques de Meaux, dont le diocèse comprenait' Cerf roid
(aujourd'hui de celui de Soissons), ont favorisé ce couvent dès
son origine. Un vitrail de l'église conserva le souvenir de la
dédicace de Cerfroid par l'évêque Anseau, qui consacra aussi
i. Bibliothèque de Marseille, manuscrit in5,f° iiv»,
2. Notice* et extraits des Manuscrit*, t. I", pp. 5aa, 5a4. etc.
3. Pièces 6 et g.
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302 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
l'église de Silvelle '. Le plus connu de ces bienfaiteurs fut
Pierre de Cuisy', évêque de 1333 à is55, qui donna un rauid
de blé3, annuellement, pour le pain du chapitre, à percevoir
sur sa grange, à Vareddes.
A proximité de Saint-LÔ, se trouvait le couvent de La Per-
rine, pour lequel les évéques de Bayeux et de Coûtantes ne
rivalisèrent que de bienveillance, comme le témoigne son pré-
cieux Obituaire qui, après Dumonstier, peut être feuilleté
avec intérêt. Grégoire de Naples, évêque de Bayeux, donna
l'église de Sainte-Catherine en pure aumône, n'y retenant
plus aucun droit, et Jean, évêque de Coutances, mort le
5 juillet 1274, légua 100 livres tournois au couvent4.
Au dix-septième siècle, un évêque de Nantes, M*1 de Cos-
péan, avait tant d'amitié pour les Trinitaires de Château-
briant qu'il demeurait parfois trois mois chez eux5.
Bossuet, qui intervint à la demande des religieux de Cer-
froid pour faire cesser les scandales dont la fête populaire du
jour de la Trinité était le prétexte, avait pour confesseur, en
1702, un Trini taire de Meaux, le P. Damascène.
1. Archives nationales, S 4267, n° 6.
3. Ce nom resta ai populaire dans l'ordre que les Trinitaires ajoutèrent
par méprise le surnom « de Cusiaca » à un grand-ministre du nom de
Pierre, qui vivait vers i3oo.
3. Ce muid de blé fut le sujet d'un grand procès en i36g et fut supprimé
en i55o, lors de l'union de la cure de Brumetz au couvent de Cerfroid.
4. Historiens de la France, t. XXIII, p. 55o.
5. L'abbé Gouni, Histoire de Ckûteaubrianl, p. 4>9<
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CHAPITRE VII.
Les pins anciens grands-ministres (1213-1410).
L'histoire des treizième et quatorzième siècles sera brève,
car nous n'avons pour guide que la Chronique des ministres-
généraux et l'Obituaire de Gaçuin, qui ne font guère que se
répéter. De très rares actes, principalement d'intérêt local,
sont émanés de ces grands-ministres, que la vanité des histo-
riens de l'ordre a souvent considérés comme des étrangers
d'origine, à cause de ces noms de Angltcas, Scotus, Hispa-
nus, qui n'étaient bien vraisemblablement que des noms de
famille. Entre deux explications possibles, il est plus prudent
de choisir la plus simple.
Le successeur de saint Jean de Malha, Jean Langlois,
mourut aussi à Rome (17 juin 1217). La bulle d'Honorius III,
du 9 février, est encore adressée : Joanni, ministro.
Après lui, Guillaume Lescot', élu en juin 1218, mou-
rut le 17 mai 1332 au retour d'une rédemption, à Cordoue.
On n'a aucun acte de lui, non plus que de son successeur
Roger le Lépreux, mort à Châlons le 18 mars 1237. Sur ce
dernier, on a imaginé une légende. H se serait moqué de saint
Jean de Matha et de ses projets d'instituer un nouvel ordre
1. Baron imagine qu'il fui, un taig, au siège de Damielte $
François (Anna/ex, p. 1 17).
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3o4 l'ordre FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
religieux; en punition de sa dérision, il aurait été frappé de
la lèpre '. Guéri par le saint, il serait entré dans l'ordre nou-
veau par reconnaissance, en gardant toujours le nom de
Roger le Lépreux, par humilité.
Michel l'Espagnol, qui gouverna l'ordre depuis le mois de
juin 1 238, figure dans l'acte du chapitre général, le 4 juin 1 a3o,
acceptant la donation du couvent de Saint-Mathurin. Il mou-
rut le 18 juillet suivant (ou bien en ra3i), et fut enseveli a
Rome. Ce grand-ministre est compté parmi les étrangers illus-
tres, étudiants de l'Université de Paris3.
Nicolas, le compagnon de captivité de saint Louis, eut le
bonheur de voir l'ordre comblé de donations; il vécut sur-
tout à Ccrfroid, on, selon la tradition, il travailla de ses mains
à bâtir l'église ; son épitaphe y était conservée. Le P. Calixte
dit qu'il était d'abord ministre de Verberie, et Baron affirme
(p. 1 46) que les Maures lui vendaient des captifs à plus bas
prix qu'aux autres; rien n'empêche d'admettre ces faits. Ce
qu'on doit, par exemple, lui refuser, c'est la signature d'une
transaction de 1 a36, pour la fondation des religieuses d'Avin-
gavia, avec une princesse du nom de Constance d'Aragon, qui
n'a jamais existé que dans l'imagination de quelques auteurs
espagnols. Il mourut le 11 mars 12Ô7 et non ia56J, car le
1 1 juin 1 256 il accorde au roi Louis IX l'association spirituelle.
Suivant les Trinitaires, le successeur de Nicolas, Jacques
1 . Il y a une autre histoire de lèpre au berceau de l'ordre des Trinitaires,
mais cela par une mi-prise : Albérîc des Trois-Fon laines parlait d'un sei-
gneur délivré mi meuleuse ment de Alopia (Alep) ; le mot alopia n'ayant pas
été compris, on a traduit que ce seigneur avait été guéri de la Upre (Vie
italienne de saint Jean de Matha).
3. Bi'DiNZicy, Die Fremdtn an der Pariter L'nioersitât, p. ïi4-
3. Arch. nnt., sceau n° yfiui. L'obituaire de La Perrine place sa mort
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LES PLUS ANCIENS GRANDS-MIMSTHES. 2o5
Flamand, ne le valut pas ' . Il était si indolent, dit Baron
(p. ao3), que le pëpe voulut enlever à l'ordre le célèbre cou-
vent de Saint-Thomas de Formts (26 mars 1263).
Àlard, le neuvième grand-ministre, est, au contraire, assez
bien connu. Il obtint la « mitigation » de la règle, l'exemp-
tion des péages et du centième de la Terre-Sainte; il passa une
transaction avec le chapitre de Marseille en 1270, et mourut
chez les Franciscains de Trapani, le 18 février 1372.
Ici se présente une difficulté. Gaguin place après Alard
Pierre de Cuîsy, qui aurait reçu de Philippe le Hardi des
donations pour les couvents de Paris, Cerfroid et Verberie.
En réalité, ces donations sont de i3o4. Ce Pierre n'est pas
un Pierre II, et à sa place nous avons, en 1273, un Jean; c'est
Jean Boileau, chapelain « de l'illustre roi de Navarre », mort
seulement le 25 mai 1291 *. En 127ÎÎ3, à peine élu, il nomme
Vincent de Fontaînet provincial de Languedoc. Ce qui est
fort étonnant, c'est que Baron a publié l'acte de 1273 et
mis à cette date la notice de Pierre de Cuîsy, sans s'aperce-
voir de la contradiction.
Mais que se passa-t-il en 1291? « L'ordre resta sans chef
par suite d'une épidémie, qui causa une telle mortalité dans
les provinces que les Pères ne purent se réunir à Cerfroid.
Lorsque la Providence, continue Baron (p. 286), voulut met-
tre un terme à ces maux, elle donna un chef dont nous par-
lerons à cette époque 1 » Et il n'en parla jamais. Ce chef, c'est
Pierre dont il a donné la notice précédemment. C'est lui qui
1. « Dissipateur sans goût », dit le P. Calixte. En fait, on ne sait rien de
lui. C'est ce que l'on doit conclure, après avoir lu l'article de la Slemmato-
graphia triniturtu, de Luc de Saint-Nicolas (A la page 19), qui lui est, au
contraire, favorable.
a. Recueil des Obituaires, t. I", p. 686.
3. Pièce 44.
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2o6 l'ordre FRANÇAIS DES trinitaires.
figure, en 1397, dans l'acte de réunion de Silvelle au monas-
tère de Cerfroid1 ; c'est lui qui reçoit, en i3o4, une donation
de Philippe le Bel sur les recettes de Pont-Sain te-Maxence et
de Pontpoint, en compensation d'un établissement qui n'avait
pu prospérer à Arsague dans le Béarn, à cause de la « per-
versité » des habitants3. Nous ne savons rien de plus sur cet
incident. Pierre mourut le 5 octobre i3i5, comme le rapporte
l'Obituaire.
Le douzième grand-ministre fut Bertaud, que Gaguin n'a
pas cité : il était ministre de Troyes en i3o63. Il présida le
chapitre général de i3iq, où furent faites des constitutions
intéressantes, et mourut le i3 août i3a34.
Son successeur, nommé Jean (le nom de famille est
inconnu), confirma, au mois de novembre i324, la fondation
de l'hôpital de Dinard. En i33o, il unit aux Mathurins de
Paris le couvent du Bourget, dont il sera question plus tard.
Thomas Loquet lui succéda en i337 ; déjà en i3i2, il est
chapelain et aumônier de Gaucher de Châltllon et attire beau-
coup de bienfaits sur le chef d'ordre5. Dès le mois de janvier
i338 (n. st.), il est qualifié de ministre-général et ministre de
Verberie6, Il souscrit encore en i355 un acte de Gilles de
Mante? pour le couvent de Cerfroid et meurt en 1357.
Pierre de Bourry (on ne sait à quelle localité se rapporte
ce nom : de Burreio) fut élu en i358. C'était un homme très
ferme, dit Gaguin, à en juger par le châtiment qu'il infligea à
1. Do* Toubsaintb du Pleshis, ouvrage cité, 1. Il, p. 181.
3. Archives nationales, JJ 45-
3. Archives nationales, S $262, a" 18.
j. Historiens de la France, 1. XXIII, p. 55i.
5. DOM ToUSSAINTS DU pLESSIB, t. II, p. Io/|.
6. Archives nationales, S 4262, a" 19.
7. Bibl. nationale, collection de Champagne, vol. i53, no 46.
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LES PLUS ANCIENS GRANDS- MINISTRES. 207
deux minisires d'Espagne. Il mourut le 3o septembre 1 373. A
partir de cette époque, on possède la copie des actes d'élec-
tion des généraux, ce qui fournil des dates plus précises.
Jean de Lamarche, élu le 3o avril i3-]!\, était alors ministre
de l'Hotet-Dieu de Meaux; il ratifia en i38o ce qu'il avait
fait, comme ministre, relativement au couvent du Bourget.
Ayant fait adhésion au pape d'Avignon, il vit retirer à l'ordre
l'hôpital romain de Saint-Thomas de Formis, si tant est que
les Trinitaires ne l'eussent point encore abandonné.
Renaud de Lamarche, élu le 13 mai 1393, était peut-être
parent du précédent. Il donna, au dire de Gaguin, le mauvais
exemple du cumul d'un ministériat particulier avec la charge
suprême de l'ordre, en gardant le couvent de Clermont, dont
il fit d'ailleurs rebâtir l'église. Une pièce des Archives dépar-
tementales de l'Oise ' tend à nous faire croire que cette ges-
tion n'était que temporaire, en défaute de ministre. Il mourut
le 3o mars i4io'. 1
Avant de passer à son successeur, Thierry Valerand, il
nous faut revenir en arrière sur les agissements des Mathu-
rins de Paris, dont le ministre aspirait alors, non sans quelque
droit, à tenir la première place dans l'ordre entier. La crise
que traversa, de iu,io à i4ao, l'ordre des Trinitaires a besoin
d'être reprise de plus haut.
1, Pièce 88.
3. Ces dates sont prises, pour l'élection, dans le manuscrit de la Biblio-
thèque nationale, fonds français 15697 (vo'r '•' P'*0" 23o)> et Pour la mort,
dans J'Obiiuaire de Gaguin.
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CHAPITRE VIII.
Les Mathurins de Paris jusqu'au début
du quinzième siècle.
Le couvent de SaiiH-Mathurin de Paris avait élé cédé i
l'ordre, en 1229, par l'évêque Guillaume d'Auvergne. Ses
religieux furent nommés populairement Mathurïns, et ce nom
passa à tous les religieux de l'ordre, surtout dans le nord '
de la France. Les Malhurins de Paris jouèrent un grand râle
dans l'Université et, tiers de leur position, aspirèrent à domi-
ner tout l'ordre, apportant dans cette tâche une absence de
scrupules et une ténacité qui ne se démentirent jamais.
Leur premier soin fut de déposséder Cerfroid du rang de
chef d'ordre; ils y parvinrent en deux siècles. Puis, il leur
fallut mettre la main sur les couvents français ; au début du
dix-septième siècle ils y étaient arrivés. Ainsi fortifiés, ils
purent résister aux provinces d'Espagne et d'Italie, et même
les amener à reconnaître leur autorité.
Entre Paris et Cerfroid, l'issue de ta lutte ne pouvait être
douteuse. Paris avait tous les avantages, Cerfroid étant dans
un désert. Mais les Mathurins ne songèrent pas à enlever à
Cerfroid son auréole de berceau mystérieux de l'ordre ; jamais
ils ne contestèrent que Cerfroid ne dut être le lieu de réunion
1. Quand il y eut des Reformés dans le Midi, Mathurins signifia exclusi-
vement mitigés.
aoy Google
LES MATHURINS JUSQU'AU QUINZIÈME SIECLE. ■ aOy
du chapitre général. Bien plus, ils tinrent a honneur de se
réunir en ce pays encore au dix-huitième siècle. Cerfroid étant
annihilé politiquement, le grand-ministre devait s'apercevoir
que le vrai centre de l'ordre était à Paris; de là à venir y
résider, il n'y avait qu'un pas.
Dès le treizième siècle, le ministre de Paris, Simon, homme
éminent d'ailleurs et vicaire général de l'ordre, éclipse presque
le grand-ministre Nicolas, revenu de la croisade. On a vu,
plus haut, la confiance qu'avait en lui le roi d'Angleterre. En
n4a, Simon, n'étant que ministre des Malhurins, avait reçu
pour son couvent l'hôpital de Fontcnay-lès-Louvres. L'hô-
pital de Châteaufort avait été cédé par Matlùldc de Marly, en
1257, au grand-ministre et à l'abbé de Saint-Victor; on con-
state qu'en 1280 il est passé entièrement aux Mathurins1. En
i3a4, leur ministre, Robert Boulanger, recevra pour lui-
même l'hôpital de Dinard, bientôt simple dépendance du
couvent de Paris; c'est chez les Mathurins de Paris que
le grand-ministre Jean se transporte pour ratifier la dona-
tion. Qu'on ne s'étonne point de cette condescendance : déjà
un conflit était en germe entre le grand-ministre et les Mathu-
rins.
L'hôpital de Compiègnc ayant été enlevé aux Trinilaircs en
i3o3, ils gardèrent trente muids de bié que saint Louis avait
donnés autrefois À cet hôpital sur les moulins de Vcrberie.
Les chapitres généraux de i3o4 et de i3o6 procédèrent
au partage : Cerfroid reçut dix muids et les Malhurins
six seulement, Yerberie gardant le reste. Il y avait eu, entre
les parties, des difficultés pécuniaires auxquelles les ncles ne
font, qu'une allusion discrète. Les trente muids n'ayant pu
1. Archives nationales, carlulaire LL i544i f" 7».
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210 L ORDRE FRANÇAIS DES TRI NIT AIRES.
être perçus dans leur totalité, à cause des guerres, le grand-
ministre Thomas Loquet, en même temps ministre de Ver-
rerie, voulut faire, sur les parts des trois couvents, une réduc-
tion proportionnelle, fort juste en somme. Les Mathurins, qui
se trouvaient déjà peu avantagés, jetèrent les hauts cris; sur
le conseil d'hommes de loi, le grand-ministre céda et délivra
aux religieux les six muids sans aucune défalcation '.
Cette petite victoire devait être suivie d'une autre plus signi-
ficative. Le couvent du Bourget, près Paris (de Ponte Reginae
juxta Burgellam), fondé dès i2oï, quoique favorisé de dona-
tions de Jeanne de Navarre, avait vu tellement diminuer ses
revenus que le grand-ministre y abolît la conventualité et le
donna en commende à Nicolas de Fréauville, dominicain, car-
dinal de Saint-Eusèbe. Celui-ci ne le garda que jusqu'au
22 décembre i iiaa 2 (il mourut le iS février i32'4)<
Qu'allait-on en faire? II fallait appliquer la « réduction »,
dont nous avons vu le mécanisme. La maison la plus voisine
et la plus capable de recueillir cette succession était celle des
Mathurins de Paris; c'est donc au couvent de Paris que le
chapitre général de i33o réunit le Bourget, aux conditions
suivantes :
Les Mathurins durent nourrir et loger quatre écoliers, élus
chacun par une province de l'ordre (ici appelée nation 3). Ces
écoliers, demeurant à Saint- Ma thurin, assisteront aux messes
conventuelles, à moins d'une excuse valable ; ils pourront être
punis, s'ils sont en faute, par le ministre et le prieur. Les
Mathurins devront entretenir au Bourget un prêtre, qui aura
i. Le ifi février i4«i, Jean Je Camps, fermier, s'engagea à leur pajer
annuellement 5o ce us d'or de 18 pariais pièce, au lieu des six muids.
2. Pièce n° 63.
3. Les Mathurins se souviennent du vuisinage de l'Université.
a Dy Google
LES MATHURINS JUSQU AU QUINZIEME SIECLE. 211
le titre de prieur' et lui donner le moyen de dire sa messe
tous les jours; ils ne seront pas contraints de réparer ce cou-
vent en ruines.
Ces conditions ne nous paraissent pas draconiennes, maïs
les Mathurins en jugèrent autrement. Le milieu du qua-
torzième siècle fut évidemment, pour la France, une époque
calamiteuse ; ils en souffrirent comme les autres religieux,
et prétendirent en avoir pâti plus que tous. Ils annoncèrent
donc leur intention de renoncer au couvent du Bourget, adres-
sant ainsi un défi au reste de l'ordre.
Le grand-ministre, Pierre de Bourry, dut plier devant les
Mathurins; se trouvant malade, il chargea quatre procureurs
spéciaux de se concerter avec les correcteurs du chapitre géné-
ral, en vue de trouver une formule d'accommodement, qui fut
la suivante. En 1370, les Mathurins furent déchargés de l'en-
tretien d'un prêtre au Bourget; ils ne seront dorénavant tenus
qu'à faire dire trois messes par semaine. Les quatre écoliers
seront prêtres et célébreront, chaque semaine, une messe pour
les bienfaiteurs du couvent du Bourget. Chaque province
paiera 5o sous pour son écolier. Aucune autre charge ne put
être imposée aux Mathurins; l'ordre entier promit, sous
l'obligation de ses biens, de les soutenir dans tous les procès
qui pourraient provenir de l'une quelconque de ces conditions.
Le chapitre particulier des Mathurins approuva la transac-
tion et demanda, pour plus de sûreté, que le chapitre général
et le pape fussent appelés à la confirmer; ce qui fut fait, au
mois de mai i3So, parle chapitre, et, au mots de juillet, par
le pape d'Avignon, Clément VII.
1. L'un de ces prieurs fut Nicolas Griment, tin des architectes de l'église
des Mathurins, présent à la visite de la léproserie du Bourgel en i35i.
(Le Grand, Les Maisont-Dieu du diocèse de Paris, p. 8.)
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21 S L ORDRE FRANÇAIS DES TiUNITAIRES.
Les Malhnriiis comprirent combien leur conduite avait été
blâmable, car ils refusèrent plus tard communication à Jac-
ques Bourgeois de cette bulle qui témoignait de leur comba-
tivité. Certes, après avoir vu l'ordre plier devant eux, les
Mulhuriiis pouvaient se dire : Qao non ascendetnuxi II se
présenta, peu d'années après, un homme capable d'incarner
ces visées, cl peu scrupuleux sur le moyen de les réaliser :
c'était Elicnne du Mesnil-Foucliard.
On ne connaît ni la date ni le Ueu de naissance de ce per-
sonnage, un des plus illustres docteurs en théologie de la
Sorbonne. Ministre des Mathurins dès r388, il ne fut d'abord
qu'un zélé Irinitaire; il fil deux rédemptions de captifs, l'une
en Afrique, l'autre à Grenade, et ramena cent quatre chré-
tiens*. II a le dépôt de l'argent du prieur de Cerfroid, qui se
trouvait sans doute peu eu sûreté à la campagne, et lui en
envoie en novembre i4«i3. Son rôle politique commença à
la deuxième « soustraelion » de l'obédience au pape d'Avignon
Benoit XIII, à laquelle il prit une grande part4. Il se lança
aussi dans le paru bourguignon, ce qui lui attira, dans un
sermon, une violente invective du cardinal de Bar. Mais il se
produisit alors un événement mystérieux dont il tira parti.
Thierry Valerand (ce nom s'écrit aussi Varreland, Wayer-
lant, Waveriand) était mon le 3» juin i4i3, après trois ans
seulement de çénéralat, en allant à Rome avec Roger Tou-
teval, ministre du Fay. Il était porteur d'une somme d'argent
qui ne se retrouva pas, et liaguin accuse nettement Etienne
du Mesnil-Foucliard de l'avoir partagée avec Roger Touteval
i. Archives nationales, S 4^53* , no 50.
2. Le P. Dmifle et Châtelain, i'.hnrlnlariiiin, I. IV, pp. 75-76.
3. Journal «le Nicoliu de Haye. t. I. p. 1 18.
4. Journal du Hourgeiiis île Paria, édition Tuetey, p. 9.
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LA CRUCIFIXION.
(An pied de la croix, Nicolas Musnier, le donateur du missel.)
ie Mjuwliie, ois. 430, fol. 160 T.)
a Dy Google
a o» Google
LES KATHURINS JUSQU'AU QUINZIÈME SIECLE. 3l3
(qui fut depuis un de ses ennemis les plus acharnés). Nommé
castos par les correcteurs du chapitre précédent, ce qui ne
paraît déjà pas très régulier, Etienne aurait peut-être été élu
général par la voie ordinaire, mais il pensa qu'en un temps si
troublé on n'y regarderait pas de si près et voulut placer
les ministres de l'ordre en face du fait accompli. Le pape légi-
time était alors Jean XXII, qui avait succédé à Alexandre V,
l'élu du concile de Pîse. Etienne du Mesnil lui demanda d'être
promu à la dignité suprême de l'ordre et se rendit au cha-
pitre général de i4i4, qu'il présida en qualité de autos.
Il commença, contre l'habitude, par parler en français sur
l'obéissance, dit Gaguin ', puis il exposa tous ses services avec
quelque hauteur, mais non sans éloquence; il déclara que le
pape Jean XXII l'avait nommé, à son insu, grand-ministre et
qu'il attendait la bulle d'un moment à l'autre. Il leur demanda
donc de surseoir à l'élection. Les ministres, surpris de cette
attitude, ajournèrent la solution ; au dire de Gaguin, ils con-
tinuèrent Etienne dans la charge de rustos pour une autre
année. Peu de lemps^après, arriva la bulle de Jean XXII,
datée du 6 mai i4'4. et Etienne se considéra comme grand-
ministre légitime2. Des religieux mécontents introduisirent
une plainte au Parlement, et le chapitre général, qui avait été
prorogé, se réunit à Cerfroid au mois d'avril i4i5.
Les quatre correcteurs du chapitre lui étaient hostiles; un
huissier royal vint sommer Etienne de quitter la présidence
qu'il s'arrogeait en vertu de la bulle. On prit pour enstos
Roger Touleval3; ensuite, Pierre Chandoté, prieur de Cer-
i. Galliit christiana, 1. V1I1, col. 1739-1740.
2. Cette bulle ne s'est jamais retrouvée, comme bien d'nulres bulles, qui
seraient d'un intérêt capital pour l'histoire Irinilaire.
S. Bibliothèque nationale, manuscrit français 1 5 60,7, f* 9 v". Le procés-
ûdv Google
ai 4 • l'ordre français des tributaires.
froïd, fut élu grand-ministre, excommunia tous ses adversaires
et retint les bagages d'Etienne, qui voulait emporter le sceau
de l'ordre; le vaincu se retira à Paris.
Le grand procès se plaida au Parlement en i/jiy- D'un
coté se présentent le prieur de Cerfroid, soutenu par Roger
Touteval, ministre du Fay, ainsi que par les ministres de Cler-
mont, Meaux, Arras, Lérinnes, Lens, Nieppe, Audregnies,
Douai, Gonvorde, Templeux, Verberie, Milry, Pontarmé,
Etampes, Silvelle, Metz, La Fère-Ghampenoise ; Etienne est
appuyé par les ministres de Mortagne, Fontainebleau, L'Hon-
neur-Dieu, Beauvoir, Rieux, Lisieux, La Veuve, Soudé, Vilry,
Grandpré, Limon, Narbonne, Troyes, La Gloire-Dieu, Bar-
su r-Sei ne, C hâtons.
La province de France était également partagée entre les
deux concurrents, la Flandre tenait pour Pierre Chandoté et la
majorité de la Champagne pour Etienne du Mesnil, qui avait
de plus pour lui deux représentants du Midi.
Les demandeurs rappelèrent que, dans la discipline de
l'ordre, le grand-ministre n'avait pas besoin de la confirma-
tion du pape : en la demandant par avance, Etienne du Mesnil
s'était lui-même reconnu indigne du généralat ; la bulle était
subreptice parce qu'elle avait été obtenue en violation des
statuts.
Les défendeurs répliquèrent que la règle ne disait rien de
l'élection du grand-ministre (ce qui était vrai d'ailleurs), et
que le pape, étant le chef suprême de tous les ordres reli-
gieux, pouvait en choisir le chef. Etienne demandait, en con-
verhal d'élection mentionne expressément ce fait. Etienne, qui n'eiait que
cnatos, s'étant proclamé gênerai, ne fui pas reconnu comme tel. Le géné-
ralat élant vacant, il fallut d'abord, même pour peu de jours, choisir un
autre ciittot.
a Dy Google
LES MATHURINS JUSQU'AU QUINZIÈME SIÈCLE. . 9l5
séquence, de rester en possession de la charge de grand-
ministre et réclamait même 5oo livres de dommages-intérêts.
Le Parlement annula la plainte de Pierre Chandoté, mais
n'accorda pas de dommages-intérêts à Etienne1 (19 mai 1 4T 7)-
C'était une solution Bâtarde. Les deux partis n'en continuè-
rent pas moins à se déchirer. Au dire de Gaguin, le Parle-
ment aurait commis Jean de Troyes au gouvernement provi-
soire de l'ordre1. La mort même d'Etienne, qui eut lieu
au plus tard en septembre i4i8, ne ramena pas la paix.
Nicolas Petit, élu ministre des Mathurins en remplacement
d'Etienne du Mesnil, vît son élection annulée par le grand-
ministre Pierre, quî prétendait qu'elle avait eu lieu sans son
consentement3 (a5 septembre i4i8).
Cette crise faillit perdre l'ordre. Les maux de la guerre
étrangère s'ajoutant à ceux de la guerre civile, les Trini-
taires, dit Gaguin, se livrèrent à tous les vices et beaucoup de
couvents furent abandonnés. Les provinces étrangères, qui
avaient déjà manifesté des'velléités d'indépendance au début
du grand schisme, jugèrent le moment venu de conquérir leur
autonomie. L'Espagne choisit pour grand-ministre Vascon-
cellos, Trini taire de Valladolid4. Une pareille altitude ouvrit
enfin les yeux des combattants. Pierre Chandoté étant mort
en 1420, Nicolas Petit, reconnu ministre de Paris, fut élu
castos. Le 10 mai i4ai, le chapitre général se réunit au cou-
vent de Saint-Mathurin, et Jean de Troycs, ministre de Saint-
Eloi de Mortagne, fut nommé grand-ministre5.
1. Archives nationales, X'" 62, f°> io5-r 08.
1. Il put donc y avoir à la fois trois généraux.
3. Archives nationales, LL i545, p. t.
4- Vita di tan Giooanni de Malha, p. 448.
5. Bibliothèque nationale, manuscrit français .15697, ^9 v°-
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ai 6 l'ordre français des :
Ainsi, c'est à Saint-Mathiirin que s'est tenu le chapitre
général 1 La crainte inspirée par le souvenir d'Etienne du
Mesnil-Fouchard ne fut pas étrangère à ce dénouement. De
plus, la guerre anglaise, en fixant pendant quelques années
le grand-ministre à Paris, pour la première fois depuis deux
cent vingt ans, allait achever la décadence de Gerfroid et
amener la fusion pacifique des deux titres de grand-ministre
et de ministre des Mathurins. Jean de Troyes allait entre-
prendre de réparer les maux attirés sur l'ordre des Trini-
taires par le trop célèbre ministre des Mathurins.
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CHAPITRE IX.
Mathurins et Trinltaires de 1421 à 1570.
Jean de Troyes, qui avait assumé la rude tâche de refaire
l'unité de l'ordre, était docteur en théologie depuis i4o3"; il
s'appelait Jean Halboud et était profèa de Troyes, d'où son
nom habituel. C'était un savant, particulièrement enthou-
siaste de sciences occultes ; il se peut qu'il ait tiré l'horoscope
du jeune fils du roi d'Angleterre Henri V et qu'il ait ren-
contré juste. Il fut commis, en i43o, par le recteur de Paris,
avec un autre religieux, pour donner un avis motivé sur les
conjonctions du soleil et de la lune cl sur les jours qui con-
venaient le mieux aux saignées et aux purgations9 1 A ces qua-
lités spéculatives, il joignait d'ailleurs un grand sens pratique.
Le il\ avril 1^29, à la veille de la délivrance d'Orléans, et à
la date réglementaire du quatrième dimanche après Pâques,
Jean de Troyes réunit les quatre provinces à Cerfroid. II y
promulgua ou y remit en vigueur les plus sages règlements
sur le versement annuel du tiers des captifs, sur l'assistance
obligatoire aux sessions du chapitre, sur la rédaction du car-
tulaire de chaque couvent. Il fut défendu aux ministres con-
ventuels de vivre sans la compagnie d'un clerc à tout le
1. Chartatarium L'nioertitalit, IV, 118.
2. Bibliothèque nationale, latin 7^43. J'en ai donné un extrait pièce o3.
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ai8 l'ordre français î>ks trinitaires.
moins, ce qui montre la « désolation » des couvents trini-
taires.
Ces Statuts, déjà fort développés (ils occupent a3 pages
dans l'édition de i586), furent augmentés d'articles spéciaux
pour l'Espagne, rédigés par Jean de Burgos1. Ce fui là, sans
doute, un effort tenté par Jean de Troyes pour rattacher
l'Espagne indocile aux provinces de France, en lui ordonnant,
comme il a été dît, d'envoyer tous les cinq ans un ou deux
délégués au chapitre général.
Politiquement, Jean de Troyes était du parti de son célèbre
devancier. Il était ami des Anglais, mais non Anglais, comme
l'a cru l'éditeur de la vie italienne de saint Jean de Matha
(p. 448)- On peut croire qu'au moment du siège de Paris par
les Armagnacs (avec Jeanne d'Arc), l'incendie de ia grange
des Mathurins fut une vengeance préméditée.
Jean de Troyes fait fonction de doyen de la faculté de théo-
logie au moment du procès de Jeanne d'Arc; il figure aussi
en tète de la députation que l'Université veut envoyer au duc
de Bourgogne pour la paix de la France (7 octobre i43a)3.
Il mourut à Paris, vers i44o; ï'obituaire de Gaguin ne donne
pas la date exacte.
Cerfroid n'est pas moins délaissé par Jean Thibaud 3, suc-
cesseur de Jean de Troyes, et déjà ministre de Châlons en
1429; il continue à résider dans ce couvent. C'était un bel
homme, fort grand, nous dit Gaguin; il fît faire un célèbre
rachat desTcaptifs. Jean Thibaud prit pour coadjuleur, dans
la ministrerie de Châlons, Raoul Du vivier, qui lui succéda
1. Bibliothèque Mazarine, manuscrit 1766, fo> b/,-4
2. Gkartularium Unimrsitatis, t. IV, p. 545.
3. L'obituaire dit cependant qu'il fît i
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MATHURINS ET TRINITAIRES DE l^H A 1670. 219
comme grand-ministre, le to mai i/|6o, à l'âge de trente-sept
ans, après avoir beaucoup souffert pour le bien de l'ordre, dit
son acte d'élection, sans plus de détails; il est à présumer
que c'était au cours de la rédemption de captifs ci-devant
mentionnée.
Après avoir séjourné deux ou trois ans à Cerfroid, Raoul
Duvîvier quitta ce couvent, oà aucun supérieur de Fordre ne
demeurera désormais, et, sur la résignation faite en cour de
Rome par Bernard Lautren, ministre des Mathurîns, il se
rendit à la maison de Paris qu'il administra, avec l'autorisa-
tion du pape, en qualité de ministre commendataire. La fusion
entre les deux factions jadis rivales est consommée au profit
de Paris, dont la prééminence, malgré quelques nuages au
seizième siècle, se maintiendra désormais. Si Raoul Duvivier
vint à Paris, ce ne fut point pour se distraire, dit Gaguin,
mais pour veiller aux études de ses moines. Malade, il per-
muta avec Gaguin le couvent de Tours, en gardant une partie
des revenus du couvent des Mathurins; il mourut le 22 juil-
let >4?3 et eut pour successeur Gaguin.
Sans déflorer la belle biographie que lui consacrera
M. Thuasne, il est nécessaire de citer quelques dates de la
vie de ce grand-ministre. 11 était né en i433; on ne sait ce
qu'était son père; sa mère, Germaine Benoîte, fut enterrée
aux Mathurins de Paris, le 3 août i48û. Il entra au couvent de
Préavin, dans la forêt de Nieppe (près Hazebrouck), et fut
envoyé à Paris pour y faire ses études. Ce fut vraiment le
tt fils adoptif » de l'ordre. Il devint ministre de Grandpré, de
Verberie, puis de Tours, et enfin des Mathurins de Paris.
Raoul Duvivier l'envoya deux fois en Espagne pour la visite
et la rédemption des captifs, ce qui lui donna l'occasion
d'écrire cette lettre souvent citée où il fait un parallèle entre
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220 L ORDRE FRANÇAIS L
l'Espagne el la France. Il fut cuslos et, au chapitre général
(i5 mai 1^73), prononça un beau discours sur la vie de son
prédécesseur, sur les réformes nécessaires dans l'ordre et les
qualités qu'on devaii exiger d'un grand-ministre. Les assistants
étaient tous au fait de son mérite : aussi, se faisant l'écho de
l'unanimité des religieux, Jean Moreau, ministre de Vitry,
déclara Gaguîn élu grand-ministre par acclamation.
Dans son administration, Gaguîn n'innova presque rien,
sauf pour l'Espagne; seulement il remplit tous ses devoirs
avec une scrupuleuse exactitude. Le premier, il écrivit un
résumé de l'histoire de son ordre et en rassembla les statuts,
ta/it de France que d'Espagne, dont il copia de sa main plu-
sieurs exemplaires'. Son rôle politique, comme ambassadeur
de Louis XI et de Charles VIII, ses ouvrages historiques et
littéraires, sa correspondance avec les plus grands savants de
son temps ont relégué dans l'ombre les services qu'il rendit à
son ordre.
Son recueil Epîstolae et orationes n'est pas muet, tant s'en
faut, sur les Trinitaires : M. de Vaissière y a fait de nom-
breux emprunts. On, y trouve un portrait du ministre de Saint-
Vincent de Rouvray, vieil ivrogne que Gaguin ne peut déter-
miner à démissionner, ainsi que des allocutions et des lettres
aux rois de Portugal, grands protecteurs des Trinitaires. Ses
nombreuses relations avec les princes et les prélats de tous
pays permirent à Gaguin de se tenir au courant de ce qui inté-
ressait son ordre; on le voit mander au provincial de Casulle
de lui écrire plus souvent1. Il intervient dans de minuscules
affaires des couvents de Verberie et de Ponlarmé, comme dans
i. Sa signature autographe se trouve sur les manuscrits 1765 cl 1766 dp
la Bibliothèque Mazarine.
2. P. de Vaissière, De Roberti Gagnini l'ita ri operibtu, pp. 8, 48, 5i .
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UN TMN1TAIRE CÉLÉBRANT LA MESSE.
{Nicolas Miisnier derrière lui.)
(Bibliothèque Mnarine, mi. 430. fat. 4.)
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a o» Google
MATHURINS ET TRINITAIRES DE l42I A 1670. 22t
les plus importantes qui concernent tout l'ordre. C'est ainsi
qu'il engagea avec les Frères de la Merci, fondés à Barcelone,
une polémique à la fois littéraire et judiciaire. Il mourut à
soixante-huit ans, le 22 mai i5oi.
Son successeur, Guy Musnier, était déjà, en 1 485, ministre
de Meaux ' ; dès le 26 mai 1 5o 1 , il est élu ministre des Mathu-
rins de Paris5, et fe 24 avril i5o2 grand-ministre de l'ordre.
Il décora de stalles l'église des Mathurins de Paris et mourut
le 23 juillet i5o8.
Le 4 mars i5oq, Guy eut pour successeur son neveu Nicolas
Musnier, qui, sous son très long généralat (jusqu'en f 546),
vit s'accentuer deux tendances : la renaissance de l'antago-
nisme entre Français et Espagnols, la défiance des Trinitaires
de France contre les Mathurins.
Le premier fait est une conséquence de la politique. Depuis
le début du seizième siècle, les papes sont amis de l'Espagne
et peu favorables à la France. Au point de vue du but spécial
de l'ordre, le rachat des captifs, les Trinitaires espagnols
étaient à même de justifier la préférence du pape : une bulle
d'Adrien VI nous apprend que Diego de Gayangos avait
racheté en une fois cinq cents captifs3. L'Espagne parait
jouir d'une autonomie absolue. Quand, en 1 5 1 4 , Nicolas
Musnier fit imprimer le premier Bréviaire de l'ordre, il ne
semble pas qu'il l'ait imposé à l'Espagne. De plus, certains
privilèges furent accordés aux seuls Trinitaires espagnols,
comme la suppression de l'abstinence au réfectoire et la per-
mission de bénir les ornements sacrés (3i octobre 1522).
1. Chartes hospitalières de Meaux, n° ig.
2. Archives nationales, LL i545, p. 1.
3. Voir aussi Jean de Saint-Feux, Trim
1703), p. 1S8.
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322 1. ORDRE FRANÇAIS DES TRIMTAIRES.
Qui aurait sollicité ces privilèges pour la France? Ce ne
sont pas les Mathurins de Paris. Délaissés par leur grand-
ministre, ils se maintenaient dans un orgueilleux isolement.
Le grand-ministre semblait n'être occupé que du couvent de
Meaux. Dans un acte de 1026, Nicolas Musnier est précisément
qualifié de général de la « ministrie » de Meaux'. Par suite
de la mauvaise administration de Nicolas Navarre, l'ordre
avait perdu l'hôpital de Meaux et n'avait gardé que la cure
de Saint-Rémy. Nicolas Musnier fonda un couvent nouveau,
hors la ville de Meaux, y établit ministre son neveu Phi-
lippe, chez qui îl transporta de l'argenterie enlevée aux
Mathurins, et lit en sa faveur une résignation du généralat en
cour de Rome. Ce Philippe Musnier était, d'ailleurs, un per-
sonnage distingué, à qui le Pape avait permis, le i5 juin i545,
l'exercice du pouvoir épiscopal dans le diocèse de Chftlons,
en l'absence du titulaire, le cardinal de Lenoncourt3. Phi-
lippe Musnier fit valoir devant le Parlement, qui l'admit,
la résignation faite en sa faveur. Les Trinitaires se réunirent
néanmoins en chapitre général le 22 mai i546. Ils n'en vou-
laient ni à la personne ni à la famille de Philippe, mais ils
prétendaient maintenir leur discipline. Thibaut Musnier, mi-
nistre des Mathurins de Paris3, frère de Nicolas, fut élu
grand-ministre, après avoir vivement reproché en plein cha-
pitre, à son frère, la violation des Statuts qu'il avait commise,
en disposant à son gré d'une dignité élective. A la suite de
cette élection, que l'élu a lui-même racontée dans une lettre
écrite, le 9 mai i548, aux ministres de Burgos et de Séville, le
chapitre envoya à Philippe Musnier deux habiles diplomates,
1. Archives de l'Aisne, H i43i, f> 81.
2. Bibliothèque de Marseille,
3. Il était ministre de Taillebourir
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MATHURISS ET TRINITA1RES DE l/j.31 A IÛ70. 2a3
Louis Lécuyer, ministre d'Etampes, qui avait fait en i54o une
rédemption de captifs, et Jean Mannourry ', prieur de Cer-
froid. Par une transaction, datée du iti octobre i546 et dont
l'analyse seule a été conservée3, Philippe Musnier se désista
de ses prétentions et rendit les provisions obtenues de la cour
de Rome. Toutefois, sa carrière n'était pas finie. Il resta mi-
nistre de Meaux, très considéré par l'évêque Jean de Buz,
jusqu'à sa mort, qui arriva en i563, à Paris; sur sa prière,
il fut enterré aux Matburins.
Thibaut Musnier gouverna l'ordre jusqu'à sa mort, en
i568. Le seul acte marquant que l'on ait de lui est le ratta-
chement à son autorité directe du couvent fondé à Naples en
i56o. La fin de son généralat fut attristée par le début des
guerres de religion qui firent subir à beaucoup de couvents
trinitaires des maux irréparables. Jacques Bourgeois loua sa
libéralité envers les étudiants de l'ordre.
Après deux ans d'intervalle, pendant lesquels Guillaume
Mannourry fut custos, Bernard Dominici fut élu au scrutin
secret3 grand-ministre par une partie des ministres trini-
taires, au couvent des Matburins de Paris, Cerfroid n'étant
pas assez sûr pour une réunion du chapitre (26 avril 1570).
Cette élection fut confirmée le 1 1 août par le Parlement, puis
parle pape, à la demande du roi de France4. Bernard Domi-
nici avait fait ses études de théologie à Paris, puis il prê-
cha durant quarante-huit ans à Metz, où il était très bien vu
1. Les Mannourry constituent une véritable dynastie : Guillaume, 1
de Siivelle ; Jean, prieur de Cerfroid ; Elie, ministre de Chelles, sont tous
. Archives de l'Aisne, Inventaire de Cerfroid (i63j), H i43i, f° 67 vo.
3. Jacques Bourgeois, ministre de Convorde, avait en vain protesté conlr
ce mode d'élection, prescrit par le concile de Trente.
4- Fïgueras, p. 5o6.
a Dy Google
3a4 l'ordre français des tributaires.
par le duc Charles III de Lorraine, qui le retint pour son
prédicateur ordinaire. Le chapitre cathedra! lui décerna une
attestation élogieuse de son mérite de prédicateur (3o jan-
vier 1578), aussi cher aux catholiques qu'il était odieux
aux réformés'. Il fut si attaché à cette ville de Metz, ou il
résida presque continuellement, qu'il est souvent désigné sous
le nom de Bernard de Metz.
Il y eut, entre i56o, et 1:171:, un grand procès déjà men-
tionné pour la ministrerie des Mathurins, entre Jean Morel,
élu par les frères, et François Petit, qui se prétendait pourvu
par le roi. Bernard Dominici s'adjoignit à Jean Morel dans
une requête au Parlement, où il traite François Petit de
conspirateur et de Cham qui dévoile les secrets de son ordre1.
Tout porte û croire que Jean Morel ne réussît pas dans sa
demande. Le cartulaire des Mathurins de Paris3 n'a con-
servé que les analyses de ces actes.
Bernard Dominici, ne s'attardant pas dans cette vaine
querelle, résolut, pour réformer son ordre, de se passer des
Mathurins, dont il n'est plus question dans l'histoire de l'or-
dre pendant vingt-cinq ans environ.
t. Pièces justificatives tirées des Archives de Metz, n»1 rati el 127.
z. Celle requête, dont nous n'avons qu'un fragment (In pièce n° 1x7), 1
pleine de citations bibliques el juridiques.
3. Archives nationales, LL i545, pp. 3 et suiv.
« 0» Google
CHAPITRE X.
Institution de la Congrégation Réformée et de la
Congrégation Déchaussée (1570-1608).
Bernard Dominici trouvait l'ordre de la Trinité dans une
situation lamentable. Plusieurs couvents, au Nord comme
au Midi, avaient été dévastés par les huguenots; un grand
nombre de religieux avaient été massacrés à Terraubes (Gers),
Castres, Montpellier', Saint-Gilles. Certains couvents ne s'en
relevèrent jamais; d'autres ne furent rebâtis que cinquante à
soixante ans plus tard. Beaucoup d'établissements n'étant que
des fermes à la campagne, où la sécurité était douteuse, les
religieux résidaient parfois dans la ville la plus voisine. Les
haines étaient si vives qu'à Metz même, Bernard Dominici
avait failli, dans sa châtre, devenir la victime d'un proteslant
qui lui avait jeté .une chaise à la tète; « il était martyr, au
moins dans l'intention de ses ennemis1 ».
Le nouveau général fit, aussitôt après son élection, confir-
mer par le pape l'indépendance de l'ordre des Trinitaires à
l'égard du roi (6 août 1071). Ensuite, il chargea Jacques
Bourgeois, bien vite devenu son partisan, de la revision des
anciens Statuts, qui furent approuvés au chapitre général de
. Bibliothèque de Marseille, manuscrit 1216, (■> 222.
. Bibliothèque de Marseille, manuscrit 1209, f" ifia.
a Dy Google
226 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
IÔ73, l'impression en étant réservée pour le moment où l'ordre
aurait des ressources suffisantes. Enfin il envoya à Rome Fran-
çois Bouchet, provincial de Provence, en qualité de procureur
général. Il obtint, pour les Trinitaires de France, les privilèges
déjà accordés aux Trinitaires d'Espagne (oct.-nov. 1570), et
surtout la restitution à l'ordre du couvent romain de Saint-
Thomas du Mont-Cëlius, renfermant le tombeau de son fon-
dateur vénéré. Bernard Dominici reçut aussi un bref lui per-
mettant de visiter les provinces d'Espagne (7 novembre 1676).
Parmi les plus heureux résultats que produisit celle visite de
Bernard Dominici, il faut citer l'envoi des rédempteurs qui
ramenèrent en Espagne l'auteur futur de Don Quichotte.
C'est de la France que devait venir le premier coup qui ait
ébranlé l'ordre, la fondaljion des Trinitaires Réformés.
Vers i566 arrivèrent à Ponloise deux ermites, chassés du
diocèse de Laon par les huguenots, Claude Aleph et Julien de
Nantonville. L'archevêque de Rouen leur permit d'habiter l'er-
mitage de Saint-Michel, dont le temporel dépendait du roi
Henri III (juillet-août 1576). Aidés par les donations du sei-
gneur de Marcouville, les deux fondateurs avaient réuni une
douzaine de compagnons, quand ils se résolurent à aller
demander une règle au pape (1 1 août 1577). Arrivés à Rome,
ils sollicitèrent la permission d'embrasser la règle primitive
des Trinitaires (après avoir un instant songé à entrer dans
l'ordre des Hiérouymites). François Bouchet leur donna lui-
même l'habit. Dans son bref du 8 mars 1578, Grégoire XIII
désigne par erreur ces Trinitaires Réformés comme vivant
sous la règle de saint Augustin. En France, Bernard Domi-
nici le3 reçut fort bien, en les avertissant que les derniers cha-
pitres généraux avaient prescrit la stricte observation de la
règle (mitigée). Us firent leur noviciat et leur profession à
a Dy Google
INSTITUTION DES RÉFORMÉS ET DES DÉCHAUSSES. 227
Cerfroid (8 septembre i58o), et revinrent à Pontoîse, d'où
les chanoines de Saint-Mellqn voulurent les expulser. Après
un court séjour dans l'ermitage de Sainle-Barbe de Croîsset,
près Rouen, ils furent définitivement reçus à Pontoîse, en
vertu d'un arrêt du Parlement de Paris (5 septembre i58î)'.
Cet humble couvent figure dans la liste donnée à la suite des
Statuts édités en i586; mais, isolée, en butte à l'indifférence
générale, la nouvelle Congrégation était menacée de s'étein-
dre quand il lui arriva d'Espagne un secours inattendu.
L'exemple des Trinitaires Réformés, ou plutôt un besoin
d'austérité qui existait partout à cette époque dans l'Eglise
(c'est alors que sont fondés les Carmes Déchaussés par saint
Jean de la Croix), suscita un véritable apôtre dans la personne
de Jean-Baptiste de la Conception9. Longtemps Trinitaire
Chaussé, il s'indignait de voir oublié aussitôt qu'émis un vœu
du chapitre général, tenu à Vallailolid en i5q4, pour l'éta-
blissement de deux ou trois couvents par province où la règle
primitive serait observée au pied de la lettre ; les supérieurs
de l'ordre déclaraient n'avoir émis ce vœu que pour faire
plaisir au roi d'Espagne. Ayant conquis à ses desseins le mar-
quis de Santa Cruz, Jean-Baptiste de la Conception put fon-
der, grâce à lui., un couvent de Réformés à Valdepenas ( 1 597),
et fil confirmer à Rome l'érection d'une nouvelle congréga-
tion de Déchaussés Réformés (20 août 1599). Quel que fût
l'avantage de cette austérité, un fait était certain : l'ordre
était coupé en deux branches (je dis en deux, car les Déchaus-
sés seuls observèrent en fait la règle primitive).
La jalousie des Trinitaires Chaussés fut d'autant plus vive
que c'étaient les Franciscains et les Carmes Déchaussés qui
1. Ma. de Marseille lau, f»< 227-339. (Arch. nat., S /|s6g».)
3. Sea œuvre» ont été imprimées à Rome en i83i-i83a.
a Dy Google
328 l'ordre FRANÇAIS DES 1
étaient les surveillants de la nouvelle congrégation. Quelques
religieux espagnols vinrent, une nuit, à Vaidepenas pour tuer
l'apôtre, mais se contentèrent de ligotter Jean-Baptiste de la
Conception et de voler 5oo réaux. Malgré tous les efforts de
leurs adversaires, les Trimtaires Déchaussés acquirent, en
sept ans, huit couvents, formèrent une province et furent
exemptés, en 1606, de la juridiction des Pères Chaussés, sauf
de celle du ministre général.
Les Triiiilnires de France se répandirent en injures contre
ceux qui « avaient quitté ce noble ornement de la chaus-
sure », qui avaient adopté la croix droite au lieu de la croix
patlée, etc. En réalité, jaloux de ces intrus, dont l'austérité
constituait un blâme peu déguisé de leur propre relâchement,
ils n'étaient pas fâchés de les trouver en défaut sur quelques
points secondaires de discipline.
Ce n'était plus Bernard Domiuici qui allait avoir à souffrir
du démembrement de son ordre : il était mort en 1597 et
avait eu pour successeur, le 18 avril 1598, ce même François
Petit qu'il avait autrefois si fort maltraité.
Les Déchaussés espagnols n'entrèrent pas en conflit avec le
général français : au contraire, tout se passa en dehors de ce
dernier. C'était d'autant plus naturel que le général n'obser-
vait pas la même règle que ces nouveaux religieux. Seulement,
l'instinct de l'imitation devait amener les religieux de Pro-
vence, qui supportaient depuis longtemps une sujétion sans
aucune compensation, à s'émanciper de l'autorité des pro-
vinces du Nord et, en réalité, des Mathurins de Paris, qui,
fortement appuyés par le roi, avaient repris la haute main sur
le gouvernement de l'ordre.
François Petit, n'étant encore que ministre des Mathurins,
avait, en effet, rendu plus d'un service à Henri IV : « Qui ne
a Dy Google
INSTITUTION DES RÉFORMÉS ET DES DÉCHAUSSÉS. 229
sait, écrit un avocat en 1672, qu'en i5ç>4i le sage et généreux
François Petit, depuis digne généra) de tout l'ordre, eut la
gloire d'empêcher à lui seul, en la rue Saint-Jacques, les bar-
ricades et la sédition dont quelques mutins pensaient troubler
la paix publique, iors de la rentrée de Henri IV, après la réduc-
tion de Paris à l'obéissance de ce prince'! » D'autres témoi-
gnages confirment qu'en cette circonstance François Petit,
aidé d'une troupe de gens bien a embastonnez », s'était mon-
tré bon serviteur du roi1. Une autre fois, on le voit, à coté
de Henri IV , jetant de l'argent au peuple3. Le roi avait
accordé des lettres patentes de privilèges aux Mathurins, « en
considération de ce que celle maison n'avait jamais participé
a la rébellion* ».
François Petit chercha à vivre en paix avec tout le monde.
En 1601, il fit des constitutions pour l'Espagne. Les provin-
ciaux de ce pays, réunis à Valence le 3 avril, députèrent au
chapitre général Christophe de Gauna, qui a le titre de prin-
cipal secrétaire du général. Il en rapporta des constitutions5
qui , bien que pouvant s'appliquer à tout l'ordre , furent
1. Moyens... pour la défense de l'ordre de lu Suinte-Trinité contre les
sitar* chevalier* de Saint-Lazare, p. 16.
x. Annales de Paris, de Malingre, I. XII, t'a /|/|li, 22 mars i5q4 ' " Un
serrurier au quartier Saint-Yves sortit avec son mousquet, cl quelques
autres aussi qui se préparaient pour Taire quelque barricade, mais monsieur
le ministre des Mathurins sortit en son habit et leur défendit d'en faire,
parce que ces maisons-là appartiennent aux Malburins, et leur dit que le
premier qui remuerait se pouvait assurer d'être pendu. La présence de ce
•âge religieux les fil retirer et ce serrurier, criant : nous sommes venduz,
de deapit rompit à l'instant son mousquet devant le monde et le mit en
pièces. » Voir aussi Chàlambert, Histoire de la Ligne, t. II, p. 371.
3. Bibliothèque de Marseille, ma. 1216, p. i^3.
4. Archives nationales, table de Le Nain, lT 533, p. 22.
5. Elles sonl contenues dans le manuscrit 1768 de la Bibliothèque Maïa-
ûdv Google
a3o l'ordre français des trinitaires.
spécialement adressées à l'Espagne et au Portugal. Les cha-
pitres provinciaux de Valladolid et de Saragosse y firent quel-
ques objections, alors que celui de Séville les accepta sans
aucune restriction.
Les Trinitaires Réformés avaient joint à leur couvent de
Pontoise ceux de Caillouet, près Chaumonl-en-Vexin, dédié à
Notre-Dame de Bonne-Espérance (1599), et l'Hôtel-Dieu de
Montmorency, que le duc Henri leur avait confié au mois
d'août 1601. La chapelle de Notre-Dame de Liesse, près
Gisors, devait leur être donnée en 1607. II n'y avait pas là de
quoi inquiéter beaucoup François Petit.
Il y avait cependant dans ce mot de Réformés une équi-
voque que le général voulut dissiper. II fut assez habile, après
avoir fait, en 1601, des statuts à l'usage des religieux de Pon-
toise, pour provoquer une décision du prieur des Feuillants,
du recteur du collège des Jésuites et d'un Carme, qui pronon-
cèrent que les Réformés observeraient la règle mitigée (1608).
Il croyait, en (es rendant semblables aux autres Chaussés,
assurer la paix perpétuelle. Mais, à ce même moment, la
Réforme fut demandée en Provence. Celte intervention du
Midi allait changer complètement la situation.
a Dy Google
CHAPITRE XI.
Les progrès de la Réforme de 1608 à 1619.*
En 1608, à la suite de troubles survenus dans le couvent
de Marseille, dont le détail n'est pas connu, les consuls et le
vicaire général, de Bausset, écrivirent au général des Trini-
taires pour lui demander l'envoi de religieux de Pontoise '.
Dès le mois de juillet, François Petit, acquiesçant a cette
demande, députa Pierre Dagneaux à Marseille comme ministre.
H lui confia, de plus, les fonctions de visiteur, renouvelables
chaque année jusqu'à ce qu'il y eût une province réformée,
avec faculté d'ériger de nouveaux couvents, s'il y avait lieu,
et cela à l'écart du provincial de Provence (aa octobre).
Bientôt, le couvent de Tarascon ayant demandé la Réforme,
Pierre Dagneaux déposa le ministre Jean Collier, pour lui
substituer Antoine Bruneau (17 décembre 160S). Il ordonna
(le fait est caractéristique) que les femmes trouvées dans le
couvent fussent chassées. Trois religieux incorrigibles durent
être expulsés, mais il y eut une petite émeute le jour de leur
départ. Les Réformés, découragés, voulurent partir, ils en
furent heureusement empêchés par les consuls. Les non
1 . Le P. Aloés, dans sa Vie de saint Jean -le Mat/ia (p. 336), a résumé
ces événements. Plusieurs liasses des TrioiUires de Marseille m'ont per-
mis d'y ajouter des détails nouveaux.
a Dy Google
s3a l'ordre français des tributaires.
Réformés, sur ces entrefaites, étaient allés se plaindre à
François Petit, qui, le 4 septembre 160g, ordonna de les gar-
der par grâce et par charité. Le couvent de Tarascon resta aux
Réformés, mais, le a8 janvier i6i3, l'économe devait être con-
damné à payer la quatrième pariie des fruits du couvent aux
religieux anciens (c'est ainsi que les Réformés appellent les
mitigés). La Réforme avait été confirmée, dès le 10 fé-
vrier 1610, par arrêt du Parlement d'Aix1.
Le 1" novembre 1612, elle fut introduite à Arles. Dans
l'intervalle, Louis Petit avait été élu général, le 7 juillet 1613,
en remplacement de son oncle. Il jugea prudent de ne pas
permetlre aux Réformes de s'étendre indéfiniment. Il décida
donc que les religieux anciens, profès du couvent d'Arles, y
seraient retenus et dispensés des points de la Réforme qu'ils
ne pourraient observer. Il défendit aux Réformés d'accepter
l'offre de maisons, surtout dans les villes où il y avait déjà
des couvents trinitaires, sans sa permission écrite. C'était là
le plus sérieux sujet de conflit entre lui et la nouvelle congré-
gation. Il ordonna aux Réformés du Midi de dépendre de
lui-même et de leur visiteur et non plus de celui de Pontoise.
Cette décision, qui avait pour but d'empêcher les Réformés du
Nord et du Midi de s'unir contre lui, causa aux religieux de
Pontoise la plus vive irritation. En i6i5, ils chargèrent Jérôme
Hélie et Amhroise Canin d'aller à Rome1 négocier l'union de
leur Congrégation avec celle des Trinitaires Déchaussés. Le
projet ne put aboutir, le cardinal-protecteur de l'ordre, Octave
Bandinï, ayant prévenu Louis Petit de celte démarche. Le
général jugea donc prudent de se rendre a Rome, se fit confir-
mer par le pape et reçut le litre de délégué apostolique pour
1. Pièce i54.
1. Pièce i6d-
aoy Google
LES PROGRÈS DE LA RÉFORME (l6o8-l6lQ). 233
la visite de son ordre; cette condescendance facultative fut
retenue par ses adversaires comme créant un précédent obli-
gatoire. En 1616, Ambroise Caffin, visiteur, Jean Caron,
ministre de Pontoise, Jérôme Hélie, ministre de Caillouet,
Robert François , député de Pontoise , composèrent des sta-
tuts1, où ils expliquèrent les points sur lesquels ils se sépa-
raient de la règle mitigée.
Les religieux réformés ne pouvaient être déplacés que pour
un an par le visiteur et ses assistants (Louis Petit refusa de se
conformer à cet article), devaient « séparer » le tiers des
captifs (en réalité, ce ne fut pas plus observé que chez les
mitigés), n'acceptaient de couvent que si le fondateur accor-
dait des revenus suffisants pour sept frères et pour la rédemp-
tion, interdisaient au ministre de dispenser du jeûne la com-
munauté entière, accordaient à tout malade la permission de
faire gras pendant deux jours après une saignée, permettaient
de boire seulement du vin hors du couvent , toléraient la
réception du novice à dix-huit ans au plus tôt, au lieu de vingt ,
disaient les litanies à la manière romaine, n'élisaient leurs
ministres que pour trois ans; surtout, ils ne s'interdisaient que
les tavernes des villes où il y avait déjà des couvents réformés.
La conséquence était que, à Paris, par exemple, où il n'y
avait pas de couvent réformé, les religieux de Pontoise ne
considéraient pas qu'ils dussent loger aux Mathurins, pour ne
pas être gâtés par le mauvais exemple de ces mitigés. Cette
préeaution pouvait se soutenir, à la rigueur, mais était énoncée
avec une mauvaise grâce qui pouvait blesser le général.
A son retour de Rome, Louis Pelit passa, en juillet 1616,
à Marseille. Il dispensa les religieux du port de la chape depuis
1. Feuille iulercalée rions l'exemplaire des Statuts publiés en i586, con-
trvé à la Bibliothèque .Nationale sous la cote H 17769.
a Dy Google
234 l'ordre français des trinit aires.
Pâques jusqu'à la Toussaint, excepté les dimanches et fêles.
Il ordonna que la croix portée sur le scapulaire redevînt pat-
tée, et ce « pour ne point enlever au mystère de la croix
triangulaire sa signification et sa dignité ». Il leur recom-
manda aussi d'envoyer à Paris leurs taxes pour les captifs.
Passant au mois d'août à Avignon, il y nomma un visiteur.
A sa rentrée à Paris, il apprit que les Réformés voulaient
y établir, au quartier du Marais, un couvent sans son auto-
risation. Le procès fut plaidé en [617, au Parlement. Louis
Petit déclarait que le chapitre général de 1612 avait défendu
cette intrusion clandestine, disant qu'il n'y avait pas d'exemple
pire que celui de religieux qui se séparent de leur chef. Quoi-
que le procureur du roi eut consenti d'avance à l'établisse-
ment des Réformés, sous promesse de ne pas quêter, le général
conclut que, « selon les règles de la sincérité française », ils
fussent déboutés. Le procureur du roi, Servin, qui avait con-
clu pour les Réformés, en i58i, dans une affaire contre des
ermites de Laon, se déclara celle fois contre eux et ils furent
déboutés, sans dépens' cependant (7 juin) :
Cet échec laissa un certain ressentiment aux Réformés, qui
comprirent la nécessité d'avoir un juge ordinaire pour leurs
litiges avec le général. Sur leur demande, le cardinal Bandini
leur accorda le cardinal de Retz, évêque de Paris, l'oncle du
futur auteur des Mémoires, espérant néanmoins que tout se
passerait à l'amiable1 (6 juillet 1618).
Un autre sujet de discussion passionnée fut le bref de
Paul V, du a5 février 1619, portant permission aux Réformés
de recevoir les maisons des religieux non réformés, quand
elles s'offrent d'elles-mêmes. Les controverses entre les Ré-
r. Bibliothèque Manarîne, A i5432, fo* 399-320.
a. Pièce 167.
a Dy Google
LES PROGRÈS DE LA RÉFORME (1608-1619). 2.35
formés de Provence devaient être jugées par le vice-légat
d'Avignon. Ce bref, lésant le général en deux points, fut par
lui qualifié d'obreptice. Mais le pape n'avait-il pas le droit
de modifier une décision du chapitre général , quant à la
réception des couvents, si importante pour l'extension de la
Réforme ? Le choix du vice-légal d'Avignon comme juge des
Réformés pouvait cependant être critiqué : il était étranger au
royaume; or, le Concordat prescrivait de juger les procès
entre religieux dans leur propre pays, c'esl-à-dire en France.
Le même bref incorporait la province de Provence à celle de
France et stipulait que le visiteur serait élu pour trois ans au
lîeu d'une seule année.
Cependant, la lutte entre les deux partis ne commença pas
aussitôt, parce que les Réformés du Midi furent engagés à la
fois dans une lutte avec les Trinitaires Déchaussés et dans la
Réforme de la province de Languedoc. Pendant ce temps, les
Réformés du Nord luttèrent contre le général, avec des chan-
ces diverses, jusqu'à la grande rupture de i635.
a Dy Google
CHAPITRE XII.
Louis Petit et les Réformés, de 1620 à 1635.
En i6i5, nous l'avons vu, les religieux de Pontoise avaient
cherché à s'allier avec les Déchaussés, qui venaient d'acquérir
à Rome le couvent de Saint-Denis; Louis Petit avait su em-
pêcher la réalisation de ce projet. Or, lorsque les Déchaussés
vinrent dans le Midi pour y fonder des couvents, ils ren-
contrèrent l'hostilité des Réformés. Quand on voit comment
ceux-ci se conduisirent avec les Déchaussés, on est tenté d'ex-
cuser jusqu'à un certain point Louis Petit pour ses persécutions
contre ces mêmes Réformés. Cette polémique fut pour eux
une cause d'affaiblissement et nous force à leur retirer une
part de notre sympathie. La raison du mécontentement était
«ne question de personnes : un ancien Réformé, Jérôme Hélie,
trouvant que l'austérité était insuffisante dans sa congréga-
tion, « s'était déchaussé » et était devenu le P. Jérôme du
Saint-Sacrement. Le P. Médéric de l'Incarnation , qui fut
ministre du couvent des Déchaussés d'Aix, étant dans le même
' cas, fut aussi considéré comme un transfuge.
Les Déchaussés, visant à s'étendre partout à la fois, fon-
dèrent vers 1618 des couvents à Montpellier , abandonné
depuis i56a, et à Aix; dans le Nord, ils réformèrent ceux de
Châleaubriant et de Lisieux , où ils ne restèrent pas long-
ci oyGoogle
LOUIS PETIT ET LES REFORMÉS (l6aO-l635). 2^7
temps. Leur établissement de Montpellier ne dura pas; le
ministre, le P. Damase de Sainte-Madeleine, promit d'écrire à
Rome et de se conformer en habit aux Religieux Réformés
(9 octobre 1620 ').
Poursuivant le cours de ses succès, Pierre Dagneaux, l'ini-
tiateur de la réforme marseillaise, voulut la porter aussi dans
le Languedoc. Le couvent de Narbonne fut réformé, le 6 sep-
tembre 1631, par Bernard Rabion, provincial3.
Les Réformés voulurent eu vain, le i3 octobre i6a5, visiter
l'hospice de Saint-Laurent d'Aix, fondé par les Déchaussés.
Ceux-ci refusèrent, car les Réformés n'avaient aucun droit de
porter ce nom, d'autant plus qu'ils n'observaient pas la règle
primitive. Malgré toutes les instances des Réformés auprès
du cardinal-protecteur pour obtenir l'expulsion de leurs adver-
saires, celui-ci déclara finalement, le i£ janvier 1639, que sa
volonté formelle était qu'il fut sursis à la poursuite de tout
procès introduit par les Réformés contre les Déchaussés.
Cette même année, la campagne de réforme du Languedoc
continua , non sans troubles. La situation des couvents y
était déplorable. A Limon x. les religieux avaient séquestré
leur ministre et voulaient le laisser mourir de faim! A Tou-
louse, le visiteur Honoré Arnaud se plaignit d'avoir été me-
nacé de voies de fait par des religieux désobéissants qui
n'avaient pas voulu se rendre au chapitre conventuel, et il
dut demander l'appui du vicaire général de Toulouse pour
les faire expulser. A Sainl-Gaudens , les religieux anciens
s'étaient barricadés, et il fallut entrer dans leurs chambres
par les fenêtres. La Réforme s'étendit encore A Orthez et à
Castres : tout le Midi y demeura soumis. Le Languedoc adopta
1. Trinilaires de Marseille, registre 10, Fos 5-g.
3- Blw&wd, Sceaux de* Boachet-da-Rhône, p. a34.
a Dy Google
a38 l'ordre français des trinitaires.
la triennalité des ministres, sans cependant faire partie de la
congrégation réformée.
En Provence, il ne restait à ce moment que cinq couvents
non réformés, Lorgues, Digne, La Motte du Caire, Saint-
Étienne sur Tinée et Avignon, qui devaient revenir un jour
aux Réformés.
Pendant quinze ans, Louis Petit se borna à vexer les reli-
gieux du Nord par de mesquines tracasseries, annulations de
chapitres, excommunications jusqu'à ce que ceux-ci, se sentant
grandir en audace, provoquent la réforme des Mathurins.
Le grand protecteur des Réformés fut le cardinal de
La Rochefoucauld (i558-i64i), grand aumônier de France,
abbé de Sainte-Geneviève, dont il était le réformateur. Le
i5 mars 1621, à Montmorency, il présida le chapitre géné-
ral de la Congrégation Réformée. La veille, Benoit Hubot,
religieux Réformé, était venu aux Mathurins signifier verba-
lement la tenue du chapitre à Louis Petit. Celui-ci ne jugea
pas à propos de se déranger, ce qui ne l'empêcha pas de se
plaindre que le cardinal s'y fut rendu exprès pour l'exclure.
Malgré cette absence, le chapitre se tint valablement; le car-
dinal dit qu'il suffisait aux religieux d'avoir « certioré » le
général, qui ne devait s'en prendre qu'à lui-même s'il n'as-
sistait point au chapitre1.
Eu iti-2-j. , Louis Petit fit comparaître devant lui Domi-
nique Gaspar, ministre de Lamarclic, sans doute prévenu
d'entente avec les Réformés, qui acquirent plus tard ce cou-
vent. Beaucoup de religieux anciens voulaient, en effet,
« vendre » leurs maisons aux Réformés, en stipulant des
pensions pour eux-mêmes.
[. Tri ni la ires de Marseille, registre 10, f« 36.
a Dy Google
LOUIS PETIT ET LES REFORMES (l6aO-l635). 23g
En i624i la cour de Rome essaya de propager l'observa-
tion de la règle primitive. Louis XIII voulant introduire des
Réformés à Fontainebleau et a Cerfroid, Grégoire XV or-
donna qu'ils suivissent la règle de saint Jean de Matha '
(8 février). Ce projet royal ne fui point exécuté.
Le cardinal Bandini, de son côté, déniait aux Réformés
le droit de porter le nom qu'ils se donnaient; il insista vai-
nement pour qu'ils adoptassent la règle primitive, car entre
eux et leur général il n'y avait guère qu'une différence, celle
de l'habit (20 juillet). Ces efforts nous font voir au moins
pourquoi la cour de Rome protégea, en toute occasion, les
Trioitaires Déchaussés. Les Réformés n'étaient pas pris au
sérieux par le pape plus que par leur général.
Au contraire, Louis XIII protégea tous les persécutés, inter-
venant pour les Déchaussés, molestés par les Réformés de
Marseille, et aussi pour les Réformés, quand le général leur
causait trop d'ennuis. L'influence du cardinal de La Roche-
foucauld est ici très visible. Quelque peu réformée que fut la
congrégation de ce nom, elle l'était toujours plus que les
Mathurins.
Divers privilèges ayant été accordés à Louis Petit, notam-
ment pour la visite des couvents d'Espagne, le 4 mai 1624,
Urbain VIII, récemment élu pape, écrivit, le 3o septembre
suivant, à Ambroise Caffîn, vicaire général de la Congrégation
Réformée, qu'il n'a pas entendu déroger aux privilèges de
celle-ci par le bref du 4 mai*. Garder les Réformés de tout
préjudice, c'est tout ce qu'entend faire La cour de Rome.
Quant à leur accorder un général particulier, elle eût pu y
songer pour le cas où ils auraient embrassé la règle primitive :
1. Bibliothèque de Marseille, manuscrit s65, au début.
a. Bibliothèque de Lyon, fonds Coste, rus. 181, pièce 7.
aoy Google
a4o l'ordre français des trinitaires.
puisqu'ils n'ont pas déféré à ses avis, elle n'est tenue à rien
envers eux.
Le 10 mars 1627, les brefs des Réformés furent confirmés
par arrêt du Parlement; l'archevêque de Paris, juge ordi-
naire des différends entre le général et les Réformés, leur
permit de tenir leur chapitre le i5 juin, quoique Louis Petit
eût déclaré privés de voix active et passive, c'est-à-dire de
l'électoral et de l'éligibilité, six religieux qu'il pensait devoir
être élus aux principales charges de la Congrégation. Le
18 juillet, le général déclara ce chapitre nul.
Pendant que la Réforme se développait en Languedoc, les
hostilités chômèrent, durant quelques années, dans le Nord.
Le a3 novembre i63i, Louis de Guéméné et Anne de Rotian
donnent aux Trinitaires Réformés le Mont-de-Piélé de Coup-
vray , près Meaux , pour élever six jeunes garçons1. Ce
n'était que le prélude d'un succès plus important : l'entrée
des Réformés à Cerfroid. Permise par le roi, le 17 décem-
bre i63a, elle fut réalisée au mois de janvier i633 par l'évé-
que de Meaux, Dominique Séguier1, constant protecteur des
Réformés. Quelle dut être la colère de Louis Petit en voyant
ses ennemis personnels introduits dans le berceau de l'ordre!
11 n'osa pas s'en prendre à l'évéque de Meaux ; mais il
accusa le duc de Tresmes , dont la vanité, blessée par une
cause futile (l'enlèvement d'une pierre où étaient inscrits des
bienfaits apocryphes), aurait imaginé cette facile vengeance.
Les Réformés, trouvant à Cerfroid le prieur Pierre de Condé,
nommé à cette charge par le général, l'expulsèrent avec les
autres religieux anciens.
1 . Don Tous8aints du Plessis, Hilloire de l'église de Meauj; pièce 633.
3. Ibid., pièce 634. Ils lui dédieront en iftfà 'es Victoire* de la Cha-
ité, en juste tribut de reconnaissance.
a Dy Google
LOUIS PETIT ET LES RÉFORMÉS (I<J20-i63f)). 2^1
Louis Petit se plaignit de cette intrusion au Parlement de
Paris. It faut retenir l'arrêt du 3 mai i63/| ', parce qu'il fut
finalement observé. En voici les dispositions : Les Réformés
resteront à Cerfroid, et, de fait, ils y restèrent toujours; les
religieux anciens ne furent jamais que leurs hôtes quand ils
vinrent au chapitre général. On élira un vicaire général de la
Réforme autre que Robert François, qui déplaisait particu-
lièrement au général. Ce dernier pourra visiter les Réformés,
en prenant avec lui deux religieux de la Réforme et sera pré-
venu un mois à l'avance de leurs chapitres. Les Réformés
devront servir à l'ancien prieur Pierre de Condé, s'il veut
quitter le couvent de Cerfroid, une pension de 3oo livres, de
aoo seulement aux autres religieux ; Pierre de Condé remettra
ses papiers à son successeur, Simon Chambellan. La preuve de
celte remise se trouve dans l'inventaire dressé, le 6 mai i634,
par Claude de Vaissière, des pièces qui se trouvaient alors
dans les Archives de Cerfroid, conservé aujourd'hui aux Ar-
chives de l'Aisne sous la cole H i43i.
En fait, les Réformés triomphaient. C'était une époque
d'ailleurs honorable pour les Trinitaires anciens, qui sem-
blaient enfin se souvenir du but fondamental de leur ordre;
c'est en i634 que le P. Dan effectua celte rédemption de
captifs qui lui permit de composer sa célèbre Histoire de
Barbarie. Après ces événements se tint, en i635, ■< le sep-
tième chapitre général de Louis Petit3 ».
Le sieur Georges de la Porte, maître des requêtes, com-
i. Doh Touss* i>-Ts du Plbssis, pièce G4>- On ne sait pourquoi des reli-
gieux espagnols interviennent au procès.
». Le procès-verbal a été imprimé sous ce lilre : Septimnm capitulant
fl»i Pat rit Ludovic! Petit... i635{Bihl. Nal., Ld«, n° 7). Il a été résumé
dans la Défense pour le Réeérendûsime, exposé complet, mais partial, îles
(fiefs de Louis Petit contre les Réformés (Bibl. Nal., Ld «, n» 8).
16
a Dy Google
243 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
missaire royal à ce chapitre général de i635, se montra
favorable aux Réformés. Le vendredi 4 mai, un huissier de-
mande, de la pari du prieur, combien il y aura de ministres
conventuels, les Réformés ne voulant recevoir que ceux-là, à
l'exclusion des prieurs-curés. Louis Petit arrive à deux heures
àCerfroid; un exempt du roi, assisté de deux soldats armés
et des Réformés, ne laisse entrer que le commissaire royal
el son secrétaire. Simon Chambellan, « soi-disant » visiteur
provincial, dit l'office et ne prend que des Réformés pour
assistants; il n'offre même pas de rafraîchissements au géné-
ral. Les ministres de Champagne et de Normandie sont
réduits ce jour-là à coucher sur la paille.
Antoine Basire, ministre de Chàlons, prononça un discours
sur l'utilité des chapitres. On excusa l'absence des PP. Dan et
Escoffier, ministres de Chelles et de Soudé, retenus à la ré-
demption. L'exempt réclama la « session » pour les ministres
réformés de Ponloise, de Cisors cl de Caillouet. Denis Mon-
dolot, ministre de Tours, fut élu promoteur ' , et Claude Ralle
secrétaire du chapitre. Le promoteur se plaignit de ne plus
retrouver les armes du général sur un bénitier qu'il avait
donné autrefois à Cerfroid; un Réformé, Jacques Richer, les
avait effacées. On convint de les faire graver de nouveau.
Le chapitre, défendant aux religieux d'écrire des livres sans
le visa du général, en avertit notamment Jean Figueras, reli-
gieux de la province de Castille. Quant à Y Abrégé de la Vie
de saint Jean de Matha et de suint Félix de Valois, publié
par le P. Aloès en i634, il décida de le supprimer, comme
plein de mensonges et d'impostures. Au contraire, le chapitre
donna des éloges à Claude Ralle, qui avait composé le Vin-
i . C'est une fonction analogue h celle du ministère public.
a Dy Google
LOUIS PETIT ET LES RÉFORMÉS (l6aO-l635), 2^3
diciae ordinis SS. Trinitalis.il félicita les Pères d'Espagne
de leur respect à l'égard du général et donna trois mois aux
sept religieux anciens pour choisir ou refuser la résidence à
Cerfroid. Le visiteur provincial réformé, à la considération
du comte de Tresmes, prendra place au chapitre après les
ministres mitigés de France.
Claude Ralle, procureur général de la rédemption, rendit
ses comptes : du 7 mai 1624 au 8 mars i635, il avait en-
caissé 27,480 livres et donné 27,862 aux rédempteurs.
Comme conclusion du chapitre, Ralle et le visiteur réformé
Chambellan s'embrassèrent.
La paix ne devait pas être de longue durée. Les Réformés
préparaient en secret au général le plus rude coup qu'il eût
encore reçu ; Alexis Berger , se disant procureur des Réfor-
més, parti le s" mars i635 et embarqué aux Martigues,
obtint en cour de Rome le bref du ?5 octobre r635, donnant
commission au cardinal de La Rochefoucauld de réformer
l'ordre de la Trinité. Après maintes protestations, le roi de-
vait, deux ans après, confirmer par des lettres patentes la
commission du cardinal.
Enfin les Pères de la Merci, trouvant le moment favorable
à leurs desseins, présentèrent une nouvelle demande pour
partager le droit de quête avec les Trinitaires, et, le 24 juillet
io"36, un arrêt du Conseil les chargea du rachat des captifs
à Salé, au Maroc.
Telle est la situation à laquelle l'obstination de Louis Petit
avait réduit l'ordre de la Trinité !
a Dy Google
CHAPITRE XIII.
La grande enquête du cardinal de La Rochefoucauld
(1685-1640).
Les quatre années qui suivent le chapitre de i635 sont rem-
plies par la publication de violents factums pour ou contre les
Réformés. Les passions sont des plus vives. D'un côté, Louis
Pelit traite ceux-ci comme les derniers des misérables et veut
les faire châtier comme conspirateurs. D'autre part, les Ré-
formés adressent requête sur requête au cardinal de La Ro-
chefoucauld, pour obtenir un vicaire général et un général
réformé temporaire, au moins après la mort de Louis Petit.
Ce dernier était exaspéré. Trop intelligent pour ne pas
voir la décadence de l'ordre, il sent que tout son prestige
allait être entamé aux yeux des provinces étrangères, atten-
tives à cette lutte. Aussi s'efforce-t-il de ruiner ses adver-
saires par des accusations très graves. Il s'en prend même
aux fondateurs de la Congrégation Réformée et, découvrant
que l'un d'eux, Claude Aleph, était (ils d'un juif d'Avignon,
il le déclare coupable de vol et d'apostasie ' ! Tous les autres
Réformés de marque sont jugés avec autant de sévérité.
i . Il est mort ù Dieppe, «lisent les Réformes, en soignant les pestiférés.
S'il est sorti du couvent, d'après eux, c'est par humilité, après avoir fait un
miracle.
a Dy Google
ENQUÊTE DU CARDINAL DE l.A ROCHEFOUCAULD. 2^5
On ne peut certes considérer comme des saints tons ces
religieux réformés, mais les appréciations de Louis Petit se
trouvent en désaccord avec les biographies qu'un véritable
historien, le P. Ignace de Saint-Antoine, a consacrées à ces
personnages dans le Nécrologe publié en 1707, à Aix. Voici
quelques-uns de ses jugements, d'autant plus dignes de foi,
qu'ils émanent d'un religieux d'une autre congrégation.
Alexis Berger, né à Bar-le-Duc en i6o5, fit profession le
26 mai i6a3; ministre de Caillouet , Liesse, Lisieux, puis
provincial, il mourut dans les austérités en 1659. Ambroise
Caffin était mort dès i63i, « lui-même visité par Dieu, au
moment où il allait faire sa visite dans la province réformée
de France ». Simon Chambellan devait finir sa vie, le 20 dé-
cembre r64o, prieur de Cerfroid et illustre par ses vertus.
Lucien Hérault, dont il sera question plus (ard, demeura en
otage à Alger et mourut en prison pour les captifs. Un des
religieux qui survécut à la tourmente, Denis Cassel, récon-
cilié avec le général, devait être le restaurateur du couvent
des Trinitaîres d'Arras.
Louis Petit ne se défendait pas seulement par des ou-
vrages dus à la plume de son secrétaire, le P. Ralle, mais
il essayait de rendre inutile la commission du cardinal ,
en publiant lui-même un règlement pour les Malhurins de
Paris (1" mars i636). Il se constituait un parti parmi les
Réformés, en se rendant, au mois de mai 1637, au chapitre
d'Arles, et y faisant nommer vicaire général le P. Raymond
de Pallas, qui était à sa dévotion.
En vain, le 8 octobre i636, il avait écrit au chancelier Sé-
guier' pour se plaindre du bref adressé au cardinal, subrep-
1. Bibliothèque Nationale, nouv. acq. fr., ma. 6210, fo 53.
a Dy Google
346 '< ORDRE FRANÇAIS DES TRI NI T AIRES.
ticemeat obtenu par trois particuliers, « ennemis jurés de tout
tordre » ; le bref fut enregistré en vertu de lettres patentes
du 7 septembre 1637. Le cardinal de La Rochefoucauld vit
donc sa commission confirmée, malgré toutes les causes de
défiance alléguées par Louis Petit contre lui, comme séculier
et ami de longue date des Réformés. Trop âgé pour tout faire
par lui-même, il commit son coadjuteur dans l'abbaye de
Sainte-Geneviève, le P. Faure, pour visiter les couvents de
l'Ile-de-France (3o décembre 1637) et convoqua pour le 2 mai
i638 un chapitre général à Saint-Mathurin. Le roi, de son
coté, commit Roissi et Fouquet, conseillers, Sanguin, évftque
de Senlis, Séguier, évêque de Meaux, Laisné, sieur de la
Marguerie, et les maîtres de requêtes de Lezeau, de Barillon,
de Verthamont, Mangot de Villarceaux, etc., pour juger les
appellations ' que Louis Petit pourrait diriger contre le car-
dinal.
Les Réformés ne furent pas moins ardents dans la lutte
que Louis Petit. Ils affirmèrent que le général n'aurait été
confirmé à Rome, en 1610, qu'en promettant d'embrasser
la Réforme; descendant même à de basses insinuations, ils
incriminèrent ses relations avec la femme d'un libraire. Ils
proposèrent contre-projet sur contre-projet et demandèrent
que l'élection de Raymond de Pal las fût cassée ; que le gé-
néral n'eut que voix consultative aux chapitres des Réformés
el que lui seul parmi les non Réformés y fut admis; que l'on
revint à la séparation du tiers pour le rachat des captifs;
que l'on instituât, tous les trois ans, un procureur des cap-
tifs; que le général eût des assistants réformés et qu'il ne
pût modifier les statuts que pour fortifier la Réforme, et
1 . En têle du ras, 3 244 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.
a Dy Google
EXQUÊTE DU CARDINAL DE LA ROCHEFOUCAULD. 3^7
même qu'il n'y eût de novices que chez les Réformés.
Raymond de Pailas, fort estimé en Provence pour ses re-
marquables sermons et sa vie exemplaire, ne fut pas reçu
sans opposition à Cerfroid. On l'accusa d'être transfuge de
l'ordre des Capucins (grief réfuté par la production d'une
dispense régulière) et de n'avoir pas été élu canoniquement
vicaire général, puisque Louis Petit, n'étant pas réformé,
n'aurait pu valablement donner sa voix au chapitre d'Arles.
Malgré tout, le but, poursuivi par Louis Pelit, de diviser les
Réformés, avait été atteint par cette nomination.
Le P. Faure fil lui-même une enquête dans les couvents de
l'Ile-de-France. Pour les autres provinces, nous avons les
déclarations des ministres ' convoqués dans un chapitre ex-
ceptionnel tenu à Paris dans le mois de mai 1 638. Ce gros
volume d'enquêtes est d'une lecture tristement instructive :
la lumière qu'on voulut faire tourna à la confusion des deux
parties, notamment au point de vue de la façon dont elles
-s'acquittaient du rachat des captifs.
L'élal intérieur des couvents était partout déplorable. A
Marseille, le ministre Louis Jav était un homme avide, qui
ne venait voir les religieux malades que s'ils avaient de
'argent à lui donner, faute de quoi il leur adressait dés
injures.
A Cerfroid, la veille des Rois, à la suite d'une orgie, les
religieux avaient déshabillé un de leurs confrères et l'avaient
forcé â sauter à la corde pendant trois quarts d'heure, ce qui
lut avait causé un refroidissement*. Le P. de Pailas, qui avait
I. Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 3ï44-
î. Ce n'est pas la seule inconvenance que les Réformés eussent à se re-
procher. Us avaient, parait-il, jeté le portrait de Louis Petit dans les « lieux
secrets».
a Dy Google
24° L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
voulu theltre tin à cette scène regrettable, reçut un coup de
poing à la tempe'.
La même enquête constate l'état lamentable et la destruc-
tion à peu près complète de certains couvents, comme Beau-
voir-sur-Mer et Clermont. Elle est remplie de plaintes des reli-
gieux les uns contre les autres. Simon Chambellan, par
exemple, se défie de Michel Marié, institué prieur de Cerfroid
par le général et qui a seul une chambre chez les Mathurins
de Paris, alors que tous les autres Réformés en sont exclus.
Un grand nombre de manquements à la règle ayant été
reprochés aux Mathurins par Simon Chambellan, Louis Petit
daigna, par condescendance pour le cardinal, y répondre
point par point.
Quant au P. Claude Ralle, pour expliquer la rareté des
rachats de captifs, il ne donna comme argument probant que
celui-ci : si les Réformés avaient mis de côté le tiers des
revenus des couvents qu'ils occupent, puisqu'ils prétendent y
être obligés, on aurait pu faire beaucoup plus de rédemp-
tions.
Le cardinal rédigea sa sentence, ie i" juin i638, et la
notifia en personne aux Malhurins de Paris*. Elle décidait
que la règle de tout l'ordre était la règle mitigée et que cha-
que ministre aurait un substitut et coadjuteur, seul déposi-
taire de l'argent du couvent, qui rendra compte au général
quatre fois par an, comme les supérieurs des petites maisons.
Le tiers, prescrit encore le cardinal, sera mis de côté pour
la rédemption : une fois par semaine, il y aura un chapitre
conventuel pour en régler l'emploi; à chaque chapitre général,
. F° 86 du manuscrit ci
i pari. Une copie en existe, Rïhliolhrrpir
3i, fo» ûo-^H.
« 0» Google
ENQUÊTE DU CARDINAL DE LA ROCHEFOUCAULD. 3^9
on élira des rédempteurs et l'on fera une rédemption dès
qu'on aura 10,000 livres.
Le général aura deux assistants : un Génovéfain et un
Feuillant; deux Feuillants instruiront les Mathurins et deux
Jésuites iront à Cerfroid ; un conseil, composé de deux Augus-
tins, Feuillants, Jésuites, Carmes Déchaussés, avec des évé-
ques et des conseillers d'État, se tiendra le, mardi à Sainte-
Geneviève. Le cardinal choisira les assistants des ministres et
les visiteurs provinciaux avec l'aide de son conseil. Quant aux
ministres, dans les monastères qui ont gardé le droit d'élec-
tion, le cardinal et son conseil y pourvoiront ; là où le géné-
ral a droit d'y pourvoir, il les choisira d'accord avec ses
assistants. Le cardinal et son conseil nommeront le maître
des novices.
Toutes (es provinces du royaume se réuniront à Cerfroid de
trois en trois ans en chapitre général. Cette innovation était
de la plus haute portée. Après le décès du général, on en
élira un qui ait vécu au moins quatre ans dans la Réforme1.
Les assistants seront élus pour trois ans et rééligibles une
seule fois, de même que les visiteurs provinciaux, élus aux
chapitres provinciaux, et les ministres locaux1. Tout ministre
se choisira un vicaire et le provincial lui donnera des assis-
tants. Les supérieurs ne pourront Confesser leurs religieux et
devront députer des confesseurs pour cet objet. La confes-
sion aura lieu une ou deux fois par semaine. Les noviciats
seront, pour le Nord, Cerfroid et Paris ; pour le Midi, Arles
ou Marseille.
1. N'était-ce pas donner trop de satisfaction aux ambitions quelque pe
éiroïstcs des Réformés? Louis Petit put trouver que l'on désirait trop s
mort, ce qui lui donna une force de résistance nouvelle.
2. Cette triennalilé parait d'ailleurs être une chose excellente en soi,
a Dy Google
a5o l'ordre français des trinitaires.
Avant le coucher, on fera un quart d'heure d'examen de
conscience. Les matines se diront à minuit ; d'ailleurs, le
cardinal déclara que cette dernière obligation ne concernait
que les Réformés. Mais, dans sa pensée, tous les autres
articles devaient s'appliquer à la fois aux Réformés et aux
Mathurins.
Telle est la sentence du i"r juin i638. Un point de droit a
été discuté avec âpreté, à savoir si le cardinal avait le droit de
modifier la règle. Il nous parait que le pouvoir conféré par le
pape l'autorisait à réformer l'ordre, ce qui impliquait, en cas
de nécessité, la composition de nouveaux statuts. La légalité
de la sentence n'est pas douteuse. Mais le cardinal ne com-
promit-il pas la cause de la Réforme en allant trop loin? H
paraît avoir servi trop exclusivement la jalousie et l'ambition
des Réformés, tandis qu'il eut mieux valu surveiller Louis
Petit que l'annihiler. Cette exagération vouait la tentative à
l'insuccès.
Après la lecture de la sentence, le général rédigea ses pro-
testations « pour faire connaître à la postérité la force et la
violence qui lui est commise (sic) et se conserver en ses droits
et pour en faire la poursuite, aussitôt que la liberté en sera
rétablie et que la voix lui sera rendue ». La commission pon-
tificale, dit-il, est une enlVeprise ouverte sur les sujets du roi,
contre les libertés de l'Église gallicane (cet argument reparaî-
tra encore); le général, sans avoir démérité, est destitué au
profit du cardinal, qui lui est suspect, car il a exécuté le
bref du 25 février 1619 au chapitre de Montmorency, avant
qu'il fût homologué. Le bref de i635 portait que le cardinal
devait s'attacher aux « institutions régulières » de l'ordre;
or il a imposé une nouvelle règle, qui est celle de saint Ber-
nard. 11 ne peut transmettre au pape les actes de la Réforme;
a Dy Google
ENQUÊTE DU CARDINAL DE LA ROCHEFOUCAULD. 25l
c'est contraire au Concordat. Tels sont les moyens de cas-
sation de la sentence.
Prenant ensuite séparément chaque article, Louis Petit note
« l'interdiction et la déposition de sa fonction au profil de
religieux d'autres ordres », puisque les Trinitaires ne sont
même pas représentés dans le « conseil du mardi » (c'était
une faute en effet). Il affirme que le revenu du couvent de
Paris est de 3,ooo livres et non de 10,000 et que les quatre
provinces doivent seules être convoquées au chapitre géné-
ral. Les ministres n'auront pas de compte à rendre, s'ils
n'ont pas de deniers à manier; l'excommunication contre
ceux qui s'opposeront à la Réforme est abusive ; les taxes des
captifs seraient autorisées par les bulles de plusieurs papes
(que le général se garde bien de citer). La sentence du car-
dinal de La Rochefoucauld fut, malgré tout, confirmée, le
a3 novembre i638, par arrêt du Conseil.
Ce beau zèle ne fut cependant suivi que d'intrigues obscu-
res. « Les opposants en appelèrent au pape, dît Pierre Rou-
vier, biographe du cardinal. On eût pu ne pas déférer à cet
appel, car on lisait dans la commission pontificale que toutes
les ordonnances du cardinal seraient observées sans délai et
sans appel '. Plusieurs fois, le cardinal écrivit au pape de lui
permettre de finir celte affaire. « 11 mourut à la peine, en
i64i, sans avoir vu la fin de la crise. Nazare Anroux, mi-
nistre de Pontoise, prononça son oraison funèbre1.
1. Pin-nus RovEiiiLB, Yita Cardinalii... et res gestae, pp. i34-i38.
2. Récit véritable, etc. Paris, iG^5. Bibliothèque ualiouale, Lu** 1 1 5oi .
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CHAPITRE XIV.
Réconciliation entre le général et les Réformés
(1641-1659).
La mort du cardinal de La Rochefoucauld ne tranchait point
le dissentiment entre Louis Petit et les Réformés. Sans doute,
le général voyait disparaître celui qu'il appelait, avec juste
raison, son ennemi personnel, maïs les Réformés n'avaient
pas perdu courage et continuaient à lutter : cette prolongation
de la discorde devait avoir pour conséquence d'annihiler
toute tentative de réforme de l'ordre. Il est bien permis de
le supposer, si Louis Petit avait la Réforme en horreur, c'est
qu'il voyait dans les Réformés de simples ambitieux; d'autre
part, les religieux de In Congrégation, ne pouvant réformer
tout l'ordre, se contenteraient d'une bonne place au soleil et
d'une pari dans les dignités trinitaires. Néanmoins, tant l'ha-
bitude était prise, les deux partis gardèrent pendant quelques
années les mêmes attitudes que par le passé.
Le fi août i64i, deux mois après la mort du cardinal de La
Rochefoucauld, le pape fit préparer par le cardinal Spada un
projet de bref qui fut expédié avec une telle autorité qu'il n'y
eut pas lieu d'appel (dis. 3a44> f° 335). Le même jour,
d'ailleurs, il faisait expulser d'Avignon les Déchaussés, après
leur intrusion violente. Pendant ce temps, le général conti-
aoy Google
RÉCONCILIATION DU GÉNÉRAL AVEC LES RÉFORMÉS. ï53
nuait à persécuter les Réformés et faisait chasser de France
quelques religieux espagnols1, « sous apparence voilée et zélée
du bien de l'État ». Les Réformés furent retirés, comme
par miracle, de cette tourmente et, le 7 février 1642,
introduits à Meaux par i'évêque Dominique Séguier, malgré
l'opposition de Denis Mondolot1. Pierre Vie, ancien ministre
de Meaux, se vit offrir en dédommagement, soit la cure de
Brume tz, soit 4oo livres de pension. La même année, quelques
« mauvais religieux a de Paris voulurent vendre leur maison
aux Réformés, en stipulant 5oo livres de pension à leur profit.
Marc Brayer, ministre de Sarzeau, demanda aussi l'annula-
tion d'un concordat fait par deux de ses religieux avec les
Réformés pour leur céder cette maison. Louis Petit était donc
menacé de tous les côtés à la fois. Le chasse-croisé de bulles
continuait. Le 25 novembre 1G42, Urbain VIII révoqua un
bref que Louis Petit prétendait avoir obtenu contre les
Réformés.
Enfin, le 7 décembre i643, Claude Martin, officiai de Saint-
Germain des Prés, subdélégué par d'Angennes, évèque de
Baveux, délégué lui-même par Urbain VIII, suivant les brefs
des 18 janvier et i5 novembre 1642, prononça la sentence
suivante3 :
La sentence du cardinal de La Rochefoucauld sera cassée,
comme contraire aux constitutions de l'ordre. Les matines
seront dîtes â quatre heures en été et à cinq heures en hiver.
Le général pourra s'adjoindre trois ou quatre ministres
de fordre en qualité de conseillers. Les règlements faits par
1- Bibliothèque nationale, manuscrit français 1572c, f° 44^-
1. Doji Tolssaimts du Plkssis, pièce 654
3. Elle a été imprimée en 1643, Les Archives des Trjnilaircs Je CbiUons
ea renferment deux exemplaires.
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254 L'ORDRE FRANÇAIS des trinitaires.
Louis Petit, pour les Mathurins de Paris, le i" mars 1 636.
seront exécutés. Les ministres des quatre provinces seulement
auront voix active et passive au chapitre général (le Midi en
était encore exclu). Quand, dans un couvent, il y a moins de
cinq profès conventuels, le ministre ne peut admettre de no-
vice sans permission du général. Nul ne pourra sortir du
royaume, même pour la rédemption, sans permission expresse
et écrite du général. Les ministres seront élus et pourvus
selon la manière ordinaire et à vie.
On pouvait bien penser que les Réformés ne se résigne-
raient pas à cette défaite. Le général se plaint que Denis
Cassel ait fait confirmer la sentence du cardinal de La
Rochefoucauld par le chapitre provincial de Lambesc, le
3i mai 1642. Il demande enfin, le 3 février i644i que dé-
fense soit faite aux Réformés de lever aucune taxe pour la
rédemption et que Cerfroid lui soit rendu comme au général
légitime'. Il ne réussit dans aucune de ces réclamations, car
Cerfroid resta aux Réformés et le roi accorda au P. Lucien
Hérault, membre de cette congrégation, des lettres' l'autori-
sant à quêter pour le rachat des captifs.
En septembre i645, Athanase Ganteaume ayant été élu
vicaire général à Cerfroid, Louis Petit cassa l'élection.
Le 8 novembre suivant, le conseil privé déclara que la
sentence de Claude Martin serait cassée et le règlement du
cardinal de La Rochefoucauld exécuté selon sa forme et sa
teneur. Il y eut un nouvel arr<}t le 9 janvier 1648, contraire
au précédent.
De graves événements, entre temps, avaient donné à réflé-
1. IlïbIïothè([ue nationale, factura 2571g.
2. Anne d'Autriche lui donna même des commissions spéciales pour le
rachat de trois Capucins.
a Dy Google
RÉCONCILIATION DU GÉNÉRAL AVEC LES REFORMÉS. 2Ô5
chir il Louis Petit. Le P. Lucien Hérault, Réformé, demeuré
en otage dans un deuxième voyage en Barbarie, y était mort
captif au mois de décembre i645. Cette fin avait produit une
grande impression, et les Réformés en bénéficièrent dans
l'opinion publique. Louis Petit se rendit compte aussi que ses
adversaires avaient fait preuve d'une telle force de résistance
qu'on ne pouvait leur refuser quelques satisfactions ; il n'était,
d'ailleurs, pas unanimement approuvé par les Mathurins de
Paris. Il faut donc rapporter à i646 environ un projet de
concordat proposé par lui aux Réformés ; les persécutions
qui suivirent pendant quelques années encore ne sont plus que
des escarmouches; du jour où le premier concordat est mis en
avant, it y a quelque chose de changé et l'union sera bientôt
faite parmi tous les religieux de France. Sans doute, Louis
Petit met, dans ses propositions de conciliation, sa mauvaise
grâce habituelle, mais il consent (importante concession) à
suivre le bref de Clément Vfll et l'arrêt de i634 pour la
visite des couvents réformés : dans celte visite, il prendra
avec lui un Réformé qui aura voix consultative. Il défend
aux Réformés d'accepter aucune maison ancienne; de plus,
quand ils passeront dans une ville où existent des couvents
de leur ordre, ils devront y loger, comme l'arrêt de i644 'es
v contraint, et ils y seront les bienvenus. Le général délé-
guera quelqu'un de la congrégation pour juger leurs procès
et faire la visite à sa place s'il en est empêché. Il recevra
les clefs de chaque maison lors de sa venue et, au chapitre
général de Cerfroid, il aura le grand sceau du « correctoire »
(c'est-à-dire: de l'assemblée des correcteurs). Il confirmera les
élections des Réformés (les élus, comme les autres minis-
tres, lui payant un droit annuel) et leur donnera la per-
mission de quêter, mais ils lui demanderont pardon des irré-
ûdv Google
256 l'ordre français des tributaires.
vérences commises à son égard pendant les derniers cha-
pitres ' .
Un chapitre général se réunit le iG mai i65i ; il n'y en
avait point eu depuis i635a. On constata que la caisse de ré-
demption contenait a3,865 livres. Les opposants furent, celte
fois, Mondolot et les Mathurins. Les commissaires royaux,
Etienne Sainctot et Denis Baron, conseillers du roi, et Florent
l'armentier, substitut du procureur général, donnèrent droit
de session aux ministres réformés de Lisieux et de Coupvray,
qui ne figuraient pas au chapitre précédent, ainsi qu'au vicaire
général Claude Fournet et au visiteur provincial Jean Cadeot3.
II paraît, d'après les débats, que le couvent de Lisieux, tantôt
déchaussé et tantôt réformé, avait été repris par Nazare
Anroux, redevenu mitigé. D'autre part, les Réformés s'étaient
introduits à Lamarche, en i65i, sans la permission du géné-
ral, et y restèrent. '
[1 fut décidé qu'un ministre par province entendrait les
comptes du procureur général et qu'on doublerait les taxes
des captifs; qu'on ne recevrait pas des novices qui ne sau-
raient pas le latin et le chant grégorien ; que le noviciat dure-
rait deux ans et que la profession ne serait émise qu'un an
après la fin du noviciat; les Réformés ne devraient faire la
rédemption et la quête que d'accord avec les mitigés.
Cinq ministres furent choisis pour faire reviser les statuts
de 1^29 : Claude Ralle (Le Fay), Jean Angenoust (Vitry),
Jean Chapelain (Gloire-Dieu), Jean Liebe (Regniowez), Louis
Le Tourneau (Rieux). Un vœu fut émis en vue de la
1. Archives de Seine-et-Oisc. Trinilsires de Monlmorenev.
z. A cause de la guerre ; et même en itifn les ministres de Flandre □
rcnt pas de passeport du roi d'Espagne.
3. Voir Bibliothèque nationale, l.d**, n° 21. Ocltwirm capilulum...
aoy Google
LE P. GRÉGOIRE DE LA FORGE.
[Bit*, utioiulc, coll. Fleur) [dépare. AI™], tome ZLII. loi.
a Dy Google
a o» Google
RÉCONCILIATION DIT GÉNÉRAL AVEC LES RÉFORMÉS. 267
réimpression du livre de Gaguïn De gestîs Francorum'.
Un arrêt du conseil privé fut rendu quelque temps après
en faveur de Louis Petit contre Denis Mondolot, révoqué de
ses fonctions de prieur claustrai de Saint-Malhurin de Paris,
et autres religieux « discoles m c'est-à-dire rebelles, au nombre
de huit. Il était néanmoins permis à ceux-ci d'adresser des
mémoires au procureur général du roi en cas de trop grande
modération des taxes des captifs (5 mai i65?).
Ces contestations empoisonnèrent les derniers jours de
Louis Petit, qui mourut le 5 octobre i65a, à soixante-quinze
ans, après le plus long et le plus laborieux générais t qu'ait
connu l'ordre. Il n'avait rien eu tant en haine que la Réforme,
et il avait défendu les privilèges des Trinitaîres mitigés avec
une âprelé qui pouvait passer pour une sénile obstination.
Son oraison funèbre fut prononcée par le P. Nazare Auroux3,
ministre du couvent d'Etampes, qui avait précédemment bio-
graphie le cardinal.
Les quatre provinces avaient eu à subir une assez chaude
alerte pour tenir d'autant plus à leurs privilèges. Comme, à
cause de la Fronde, on ne pouvait aller à Cerfroid, le cha-
pitre se réunit chez les Mathurins de Paris, dès le i5 décem-
bre 1602 et sans attendre la date réglementaire. Pierre Mer-
cier, ministre de Soudé, « resté au couvent de Paris pour
bonnes raisons », prononça le discours d'usage et salua celui
i. C'est peut-être li l'origine de la tradition, recueillie par In Biographie
uiiiorrtrllt, d'une nouvelle édition de Gaguin, donnée a la fin du dix-
septième siècle par le P. de Launay, ministre des Mathurins de Paris,
i. C'était un simple ambitieux. Ministre de Château briant, il redevient
mitigé, voulant dire perpétuel nu lieu de triennal. Il était éloquent, mais de
peu de fonds de doctrine. Apprenant que Pierre Mercier allait nommer Ir
P. Héron à Elampes, il s'arrangea pour permuter avec ce dernier (Goudé,
Hilloirc de Châtcattbrianl, pp. 43o-43i).
a Dy Google
258 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
qui était déjà élu avant l'ouverture du scrutin (non eligendum,
qaippe qui jam sit electas) : le secrétaire de Louis Petit,
Claude Ralle, réunit effectivement la presque unanimité des
votants. II s'empressa, à l'exemple de son prédécesseur, de
demander au pape une confirmation de son élection.
Par un bref du 12 août i65.'i, le pontife éleva quelques
prétentions nouvelles de nature à inquiéter les Trinitaires de
France, notamment celle de convoquer, tous les six ans,' un
chapitre général de tout l'ordre de la Trinité, auquel assiste-
raient seulement les provinciaux de toutes les provinces ,
assistés chacun d'un seul délégué. Par cette forme, en usage
chez tes Trinitaires Déchaussés, on évitait que les chapitres ne
fussent trop encombrés. Le premier chapitre devait se tenir i
Rome ' .
Les Trinitaires de France étaient bien avertis des périls
qui menaçaient leurs privilèges. Aussi, le P. Claude Ralle
proposa-t-il une nouvelle transaction aux Réformés*. Il s'était
montré un lieutenant si âpre de Louis Petit qu'il ne pouvait
guère espérer l'acceptation de ses propositions; il eut au moins
le mérite de faciliter la tâche de son successeur.
Il offrait de maintenir les ministres triennaux, les visiteurs
provinciaux et le vicaire générai. Les Réformés pourront porter
le manteau et le chapeau noir. Le bref de 1619 étant cause
de la mésintelligence, les Réformés renonceront à s'en préva-
loir et n'accepteront de maison nouvelle qu'avec son consente-
ment écrit. Claude Ralle promet de restituer la stabilité des
1. Ouerra a mal compris cette bulle, en y croyant lire qu'on devait étire
tous les six ans un nouveau général.
2. Articles que propote le P. Claude Ralle pour l'accommodement
entre lut) et la congrégation dite réformée (Bibl. nat., manuscrit fran-
çais lâyïi, f"4oo).
a Dy Google
RÉCONCILIATION DU GÉNÉRAL AVEC LES RÉFORMÉS. 25û
religieux, c'esl-a-dire de ne pas les déplacer .arbitrairement.
H pourra prendre des Réformés pour contribuer au règlement
d'un couvent non réformé, d'où ils se retireront, leur com-
mission une fois faite, de même qu'envoyer des religieux non
réformés, aux frais de leur maison, recevoir quelque instruc-
tion dans la Congrégation. Seulement, dans les cas à lui dé-
volus, le général jugera pleno jare, afin de montrer que sa
dignité n'est point honoraire. H y avait déjà un grand progrès
sur les propositions de Louis Petit, surtout dans la forme. La
prompte mort de Claude Ralle (i4 novembre r 654) empêcha
ce projet de réussir. La province de Provence demanda ins-
tamment à participer à l'élection du nouveau général (3 dé-
cembre i654)'; les Réformés du Nord se plaignirent d'une
irrégularité dans la nomination du castos Antoine Basire, et
le roi nomma des commissaires pour assister à l'élection du
général, régler les protestations des Réformés et recueillir
les voix1. On comprend que Pierre Mercier, élu le 26 mai i655,
ait gardé quelque temps rancune aux Réformés.
Un arrêt du Conseil d'État du 19 avril i655 avait défendu
au général de troubler les Réformés. Malgré cela, celui-ci les
chassa de Chateaubriant et de Lamarche et excommunia Ma-
thieu Gossart, ministre de Gisors. Le 3 février 1657J voulant
même chasser les Réformés de Cerfroîd, il y établit Lebel,
ministre de Fontainebleau, et fit saisir le revenu de cette
maison3. Il se rendit lui-même au chapitre des Réformés, à
Cerfroid (28 avril), et leur demanda de ne pas accepter de
maisons sans sa permission. Le roi leur envoya une lettre de
1. Pièce 303.
2. Bibliothèque nationale, manuscrit français 17663, f° xXg.
3. Faclum de l'établissement de la Congrégation Reformée et du diffé-
rend renouvelé contre elle par te général en i65j (B. N. Ld^j'-n» a4).
aoy Google
260 l'ordre français des trinitaires.
cachet pour les .engager à se mettre d'accord avec le général,
« qui a été en bonne intelligence avec eux depuis son élection ».
On ne s'en était guère aperçu I
Le 3 mai 1657, Dominique Séguîer, évéque de Meaux et
grand protecteur des Réformés, proposa le concordat suivant :
les Réformés ne pourront prétendre à une maison que dans
trois cas, s'ils sont appelés par la pluralité, par le supérieur ,
ou par tous les religieux, même contre l'avis du supérieur;
alors ce dernier recevra une pension en se retirant du cou-
vent. Si les nouveaux Réformés quittent la Réforme, ils
seront déchus du droit d'occuper la maison'.
Tant d'efforts aboutirent enfin el, le 21 juin i65o, un con-
cordat fut conclu entre Pierre Mercier, qui se déclara bien aise
de contribuer aux progrès de ta Réforme, et le P. Gossart,
vicaire général de ta Congrégation Réformée (précédemment
persécuté), aux conditions suivantes :
I. Le général peut assister aux chapitres des Réformés.
IL Quand il fera sa visite, il prendra avec lui son secré-
taire, non Réformé, si cela lui plaît, mais il aura deux Réfor-
més pour assistants (Louis Petit n'en admettait qu'un).
III. La Réforme sera accordée par le général pour les mai-
sons anciennes, quand elle y sera demandée, selon les articles
de Meaux.
IV. Pour obtenir des maisons nouvelles, les Réformés de-
manderont la permission au général, qui l'accordera toujours,
sauf s'il y a déjà un couvent de l'ordre dans la même ville.
V. Conformément à l'arrêt du 3 mai i634, le général, ve-
ûdv Google
RÉCONCILIATION DU GÉNÉRAL AVEC LES RÉFORMÉS. a6l
nant au chapitre réformé, aura deux religieux anciens pour
assesseurs.
VI. Les Réformés pourront el devront loger dans les mai-
sons non réformées.
VII. Des religieux préchant dans une ville où il y a un cou-
vent de l'ordre seront tenus de s'y présenter.
VIII. Les Réformés demanderont la permission du général
pour faire imprimer des livres.
IX. L'appel suprême des supérieurs de la Congrégation sera
réservé au général.
X. Le général déléguera un religieux de la Congrégation
pour l'instruction de ces procès.
XL II déléguera deux Réformés pour faire la visite à sa
place, s'il en est empêché. *
XII. La clef des couvents sera remise au général, sauf à
Cerfroid.
XIII. Le prieur de Cerfroid sera élu, de trois en trois ans,
par les religieux de la Congrégation (le fait accompli était
accepté).
XIV. Le général confirmera les ministres de Lorgues et de
Digne, qui, de toute ta Provence, étaient les seuls non réfor-
més.
XV. Il devra permettre les quêtes des Réformés.
XVI. Les brefs obtenus par la Congrégation seront exécutés.
XVII. Le roi sera supplié de faire confirmer ce concordat
par le pape1. On ne sait si celte formalité fut exécutée.
i. Trinitaires de Marseille, registre i3, p. 16. — Le chapitre général de*
Réformés ne dut plus se célébrer a Cerfroid (Ibid.. p. 6o).
a Dy Google
262 l'ordre français des TRIBUTAIRES.
Un arrêt du Conseil confirmai if intervint le 16 février 1661 ,*
enfin, une déclaration royale de juin 1671 ordonna que les
Réformés ne pourraient être établis dans' les monastères non
réformés sans permission du roi.
C'est ainsi que les deux branches françaises de l'ordre se
réconcilièrent après une lutte d'un demi-siècle.
aoy Google
CHAPITRE XV.
Les quatre Provinces de 1655 à 1688'.
Cette période de trente ans, de même que la précédente, a
vu paraître beaucoup de factums. Mai» un changement de ton:
très notable se remarque dans les plus récents. La lutte des;
Trinitaires contre le pape ou plutôt contre les Trinitaires
espagnols, appuyés par la cour de Rome, est vive, mais cour-
toise; au lieu d'injurier leurs adversaires, les Trinitaires citent
des faits ' et produisent des actes, peu probants 'parfois, qu'ils
interprètent dans le sens de leurs prétentions.
Le 4 décembre i654, Antoine Basire, ministre de Chàlons
et cuatos, avait lancé la convocation au chapitre général du
a5 avril i655, mandant au prieur de Cerfroid de préparer
ce qu'il fallait pour les hommes et pour les chevaux, puis-
qu'il y avait des revenus destinés à couvrir ces dépenses.
Pierre Mercier, en faveur de qui Claude Ralle avait résigné la
i. Les deux mémoires du manuscrit français iri6g8 (fo< io3-ia5) delà
Bibliothèque Nationale sont écrits en 1688, au moment de 1b cassation à
Rome de l'élection du P. Teissier. Le premier est l'œuvre d'un esprit pon-
déré sana doute du P. Joseph Monier, procureur général de l'ordre en cour
Rome, quJ esl P°ur 'e* quatre provinces un ami éclairé et qui donne bien
des défaite que le second auteur, violent gallican, a volontairement passés
tons sîlenoe. L'"* liasse des Trinitaires de Marseille raconte en détail ces
. fyjta et prouve que la politique a tout gâté dans celte affaire.
a Dy Google
a64 l'ordre français des tributaires.
miDistrerie de Paris, avait été élu par trente-cinq voix contre
quinze à Antoine Basire1. Il était apte à terminer les luttes
avec les Réformés, auxquelles il n'avait pas pris part per-
sonnellement, et nous avons vu qu'il s'en tira fort bien.
Son premier soin fut de faire confirmer son élection par le
pape Alexandre VII, dont il recul un bref1 (2 juin i655) qui,
pour un observateur clairvoyant, ne pouvait constituer une
grande sauvegarde. Le pape, en effet, laisse à l'exposant toute
la responsabilité de ses assertions : ta qui, ut asseris, cano-
nice, modo et forma a quadringentis annis, usitalis, absque
ulla interrapttone, ... eteclus es. Les quatre provinces eussent
eu tort d'être trop rassurées; la formule implique que, si le
pape découvre que l'usage ancien a été différent de ce qu'a
exposé Pierre Mercier, il n'accordera pas sa confirmation au
successeur de celui-ci.
Tout n'était pas fini, car, à la fin de l'année i655, Pierre
Mercier reçut une convocation pour le chapitre général, qui
devait se tenir à Rome en i656, avec la composition annon-
cée dans te bref de confirmation de Claude Ralle. Outre le pro-
cureur général et les définiteurs, il ne devait y avoir dans ce
chapitre que trente-trois membres, dont seulement dix repré-
sentants des quatre provinces. On comprend la stupéfaction
de celles-ci en recevant cette convocation. Elles obtinrent
l'arrêt du 20 avril i656, interdisant aux Trinilaires de France
de se rendre à Rome , « sous peine d'être punis comme
traîtres à Sa Majesté ». Pareilles défenses furent signifiées
1, Il était âgé divquuraute ans k peine. En i638, il demeurait à Chalous,
chez les Trinilaires, et étudiait la philosophie nu collège des Jésuites; le
couveul de Fontainebleau, dont il était proféa, payait pour lui qusrante-
cinq écus par an. Depuis, il avait été ministre de Soudé. {Bibliothèque Sainte-
Ueneviève, ma. 3i44< f* 2o3 va.)
3. Gattia ChrUtiana, t. VIII. Instrumenta, col. 566-567.
a ov Google
LES QUATRE PROVINCES DE l655 A l688. 365
aux Réformés, et Pierre Mercier fut invité à rappeler tous les
religieux isolés qui, sous n'importe quel prétexte, seraient par-
tis pour l'Italie.
Les provinces d'Italie et d'Espagne, qui s'étaient réunies à
Rome, ne voulurent pas être venues en vain. Quand le pape vit
qu'il n'y avait point à compter sur le général ni sur les repré-
sentants français, il décida que, nonobstant leur absence, le
chapitre aurait lieu (18 juillet i656); il ne pouvait agir autre-
ment.
On y élabora de nombreuses Constitutions (éditées à Madrid
en 1659 et en i';30, revêtues de l'autorité du pape par le bref
du 2 janvier i658. Il y était dit notamment que l'élection du
général, des définiteurs et du procureur général en cour de
Rome, serait faîte par toutes les provinces de l'ordre. Le pro-
vincial dans le district duquel le général serait mort aura le
titre de vicaire général (application des idées que Gaguin avait
émises sur le provincial, en 1 4 7 7 ) et convoquera le nouveau
chapitre général, composé comme devait l'être celui de 1 656,
c'est-à-dire comprenant le général, le procureur général, les
définiteurs et les provinciaux accompagnés chacun d'un
socius ou assistant. II y aura un chapitre tous les six ans et
le lieu en sera désigné par le chapitre précédent; dès à pré-
sent, il était fixé a Rome pour 1662. (Cette date fut reculée
de trois ans par la suite.)
Mais Pierre Mercier eut à peine le temps de recevoir ces
mauvaises nouvelles, car, dès le 3o mars i658, il était parti
pour visiter le Languedoc. Il renouvela, dans le chapitre pro-
vincial, les prescriptions relatives aux trois vœux et à la cou-
leur de l'habit, à la lecture de la règle tous les vendredis et
il ordonna de célébrer le 28 janvier comme jour de l'institu-
tion de l'ordre. Les prédicateurs ne purent prêcher de carêmes
a Dy Google
200 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
sans la permission du général ou de l'ordinaire. Sans doute, il
n'y a rien d'extraordinaire dans ces prescriptions, mais Pierre
Mercier, du moins, s'était montré dans le Languedoc, où le
général trinitaire n'allait guère. Cette province n'avait de
commun avec les Réformés que la triennalité des offices.
Après avoir fait la paix avec les Réformés, il convoqua aux
Mathurins, pour le 28 février 1661, huit religieux : les quatre
provinciaux, Lebel (France), Bordereau (Champagne), Del-
saux (Picardie), Héron (Normandie), Escoffier, procureur des
captifs, Frère, vicaire de Saint-Mathurin, Chapelain, substitut
du promoteur, Barbotte, ministre de Taillebourg, pour délibé-
rer sur la question de l'adoption des constitutions d'Alexan-
dre VII. Le chapitre, à l'unanimité, décida la négative pour
trois raisons :
i° Ces constitutions avaient été faites sans la participation
des Trinitaires de France ;
■2° Elles étaient contraires à plusieurs statuts de l'ordre et
aux lois du royaume (?).
3° Elles n'avaient point été signifiées aux Trinitaires de
France.
C'était là une résistance platonique. Pierre Mercier, pour
contrecarrer l'effet de ce séparatisme redoutable, fut envoyé
par le Conseil d'Etat à la visite de l'Espagne. Il était déjà
parti le a5 juin 1662, car, à cette date, un arrêt du Conseil
ordonna au ministre de Mortagne ' de reconnaître N'azare
Anroux pour vicaire général de l'ordre, en l'absence du gé-
néral. Le récit détaillé du voyage n'est pas connu. Pierre
Mercier aurait trouvé en Espagne un visiteur apostolique1 et
n'aurait pu exercer son droit de visite qu'en promettant de
1. Archives de Metz, H 3773, n» 5.
2. Bîbl. Nat., ma. fr. 15696, f° 118 v*.
a Dy Google
LES QUATRE PROVINCES DE l655 A ï688. 367
faire observer en France les constitutions d'Alexandre Vil. 11
revint au mois d'août i664. après un voyage « rude, pénible
et fâcheux ' » ; on peut deviner ce que ces termes laissent
soupçonner d'humiliations inavouées.
Le cardinal Ginetti convoqua un nouveau chapitre à Rome
(îo juillet i664); un arrêt défendant1 aux Trînitaires de
France de s'y rendre intervint le 18 décembre suivant. Le
chapitre de i665 ne s'en tint pas moins. Les Espagnols firent
une vigoureuse tentative pour obtenir un général à part;
mais, dans un mémoire remis à la Congrégation des Régu-
liers, la province de Portugal s'opposa vivement au schisme3.
La cour de Rome ne dit pas un mot contre l'abstention
des Français, pas plus qu'au chapitre général de 167^, pour
lequel le général avait été convoqué spécialement, le i3 sep-
tembre 1672, par le cardinal Camille Maximi, prolecteur de
l'ordre. La ténacité de la cour pontificale est étrange, remar-
que un Trinitaire ; si elle ne réussit pas du premier coup, elle
ne croit nullement tout perdu et finit toujours par venir a
bout de ses desseins.
De ifi66 à 1680, d'ailleurs, une seule grande affaire réunit
fous les Trinitaires sans distinction de nationalité : là cano-
nisation des saints fondateurs de l'ordre, Louis XIV écrivit au
pape en faveur de cette négociation le iw août 1677. En 1679,
les Déchaussés d'Espagne reçurent, les premiers, l'office de
saint Jean de Matha et de saint Félix de Valois. La procé-
dure avait été plus longue que de coutume, le culte immémo-
j. Privilèges et indulgences accordées aux confrères..., par Claude
Rdb, 4» **'*•< 1666), p. a76.
1 Le 10 février i&65, la défense fut signifiée aux Réformés. (Trinitaires
de Msmeitte, registre 6, f» 58 *>.)
3. Pièce ait.
a Dy Google
268 l'ordre français des trinitaires.
rial, exigé par une bulle d'Urbain VIII, étant fort difficile à
prouver.
Après la canonisation, Bonaventure Baron résuma, dans
ses Annales, la vie des deux sainls, à l'aide de traditions sus-
pectes, dont le P. Calixte, de nos jours, ne voulut point se
défier. Cet ouvrage est rappelé ici pour montrer combien,
même dans les œuvres qui devraient être purement his-
toriques, perce une rancune antifrançaise des Trinitaires
étrangers.
L'année même de la publication des Annales, Pierre Mer-
cier tomba très malade et Fut pourvu d'un vicaire général,
Guillaume Basire' (22 mai i684), qui prit lui-même pour
assistants les PP. de Launay, provincial, Teissier, ministre de
Fontainebleau, Petitpas, ministre de Chelles1. Pierre Mercier
mourut le 26 mai i685, à l'âge de soixante et onze ans, à
Bièvre, où il était allé se reposer3.
Les Trinitaires étrangers n'attendaient que cette occasion
pour secouer le joug de la France. Le chapitre avait été con-
voqué pour le quatrième dimanche après Pâques par Eustache
Teissier4, élu cnstos au couvent de Paris le 27 août i685. Mais
cette date fut avancée au 20 mars 1686. « Le roi, ayant appris
par son ambassadeur à Rome (le cardinal d'Estrées) les
entreprises du provincial d'Italie qui a osé, de son autorité,
indiquer un chapitre général en cette ville, a bien voulu nous
honorer de sa protection toute royale pour la conservation des
1. Archives de Lorraine à Metz, Il 3773, n» 6.
2. Bibliothèque nationale, manuscrit français 15766, fG no.
3. Archives nationales, LL iS5l, f" 2 v».
4- C'élail un ancien Déchaussé, devenu ministre Chaussé d'Avignon.
Pierre Mercier l'avait remarque pour la beauté de sa voix et amené à Fon-
tainebleau; il fui curé d'Avon, puis ministre de.ee couvent (Ignace t>B
Saint-Antoine, Nècrologe, |>. 5).
a dv Google
LES QUATRE PROVINCES DE 1 655 A l6H8.
privilèges des quatre provinces de France et nous faire s
ses ordres pour la célébration de notre chapitre général1. »
Ainsi s'exprimait le custos.
Les Trinitaires voulurent faire une imposante manifestation ;
Eustache Teissier fut élu général par cinquante-deux voix.
Parmi les électeurs, — et c'était là un acte de sage politique,
— figurèrent trois réformés : Grégoire de La Forge, provincial;
Philémon de La Motte, ministre de Lyon; Ignace Dilloud,
ministre de Rouen, ces deux derniers fort honorablement
connus dans l'historiographie trinitaire.
Teissîer notifia son élection à Rome pour en demander
la confirmation, « Les temps étaient bien changés », remar-
que le procureur général de l'ordre ; c'était l'époque des
quatre articles et de l'affaire des franchises; la cour de
Rome ne savait aucun gré à Louis XIV de la révocation de
l'édit de Nantes.
Le partisan des quatre provinces, auteur du second mé-
moire cité au début du chapitre, semble croire que si Teissier
se fût tenu tranquille le pape ne lui aurait point fait d'oppo-
sition; l'hypothèse est vraisemblable. Cette démarche res-
pectueuse fut, en effet, interprétée à Rome comme une
preuve de faiblesse. Enhardie par les sollicitations des Trini-
taires espagnols, la province de Portugal renouvelant d'ail-
sa protestation de i665, la Congrégation des Evèques et Ré-
guliers, à qui Innocent XI confia l'examen de celte affaire,
demanda aux quatre provinces des preuves de leur possession
immémoriale du droit d'élire le général.
Teissier recueillit tout ce qu'il put trouver : des extraits de
chapitres généraux prouvant que les ministres des quatre
1. Archives de Metz, H 3773, a» 5 (6 février 1686).
aoy Google
37O L ORDRE FRANÇAIS I
provinces avaient seuls, depuis i358, assisté aux chapitres
d'élection du général; trois fois (i^-ji, 1001 et i5og), des
Trinitaires de Provence et d'Espagne, se trouvant à Paris
pour les affaires de leurs provinces, avaient été admis par
exception à prendre part au vote, niais cela ne devait pas
créer de précédent. Quant aux chapitres « correctifs » où l'on
dressait les constitutions, des exemples de 1429 et de 1601
prouvaient que l'Espagne y était appelée.
Teissier produisit aussi des copies de bulles, mais elles furent
arguées de faux par les Trinitaires étrangers ; la transcription
de la bulle du 36 janvier 1206 autorise en effet plus d'un
soupçon1. Les Mathurins ripostèrent qu'ils croyaient bien
aux expéditions de la cour de Rome certifiées par des banquiers
étrangers.
Tout se gâtait. En vain, le cardinal d'Estrées avait,
avant l'élection, conseillé un moyen terme : laisser perpé-
tuellement le général et le chapitre général à la France et
donner l'autonomie aux provinces étrangères, avec un vicaire
général soumis au général. Le cardinal, une fois l'élection
acquise, s'interposa en vain pour faire recevoir tout l'ordre
en France; mais Lavardin, alors dans sa trop fameuse am-
bassade de Home, défendit au procureur général Joseph
Monier de produire aucune justification (28 novembre 1687).
La réponse ne se fit point attendre. L'élection et le chapitre
lui-même furent cassés par les cardinaux, le 4 décembre 1687,
et un nouveau chapitre fut convoqué à Rome, pour le moii
d'avril 1688, aux termes des constitutions d'Alexandre VII.
« Les quatre provinces l'ont bien voulu, écrivait Joseph
Monier dans son Mémoire; il n'y a rien qu'elles n'aient fait
a Dy Google
LES QUATRE PROVINCES DE l655 A l688. 2"Jl
pour perdre leur cause. » Un peu de souplesse aurait tout
arrangé; le décret même ménageait une porte de sortie. Pour
que l'ordre ne restât pas sans chef, le pape permettait que
Teissier restât vicaire général jusqu'au chapitre de Rome. Qui
sait si une prompte soumission à la cour pontificale, ainsi
qu'un rapide voyage à Rome, n'eussent pas déjoué les intri-
gues des Trinîtaires espagnols? Teissier aurait sans doute
pu se faire confirmer par le pape, comme Grégoire de La
Forge v réussira quinze ans plus tard. Le procureur général
en cour de Rome conseillait à Teissier, comme dernière
ressource, d'obtenir un bref de général pour la France et le
Portugal. H n'était pas libre de le faire, car il était poussé en
avant par les quatre provinces, qui même le trouvaient trop
conciliant. Par arrêt du Parlement, le n février t688, le roi
fit nouvelle défense aux Trinîtaires de se rendre à Rome et
leur enjoignit de reconnaître Eustache Teissier pour supé-
rieur légitime. Les rancunes politiques triomphèrent de la
raison. Par une riposte fatale, le pape Innocent XI, juste-
ment blessé, ordonna aux Trinitaires d'Espagne de se choisir
un général. Dans un chapitre, tenu à Sainte-Françoise-Romaine
en mai, Antoine Pegueroles, provincial de Castilie, fut élu
général et, le ro novembre 1688,' la cour de Rome confirma
cette élection1. C'est alors que l'hôpital d'Avignon fut usurpé
par le vice-légat qui le prit à sa collation, en attendant de le
séculariser en 1 7 13 : il est singulier que la cour de Home n'ait
pas dédaigné celte mesquine vengeance '.
1. Le Parlement dérendit, te 4 décembre 1C88, au vicaire général des
Trinitaires Réformés, de recevoir des lettres de Pegueroles (Bibl. mit.,
manuscrit français i'i 766, fo i55).
a. Quitta Christiana, l. VIH.col. 1752. Bibl. nat., ms. 15788, fo 171.
a Dy Google
CHAPITRE XVI.
Le schisme trinitaire (1689-1718).
La rupture entre les religieux de France et d'Espagne' était
entièrement politique, comme le prouve suffisamment ce fait
que le roi de Portugal, toujours hostile à l'Espagne, fit en-
trer les Trinitaires de sa province sous l'obéissance du général
français.
Eustache Teissier ne survécut pas longlemps à son élection.
On ne le vit intervenir que pour exécuter les ordres du roi,
dans les petites affaires comme dans les grandes, notamment
contre le P. Nicolas Campaigne, provincial de Languedoc. De
bonne heure, il dut se choisir comme vicaire général Grégoire
de La Forge1; il mourut à Fontainebleau le 8 janvier 1693.
1. Source* : Chronique de Massac, ici document original, col. 1753 et
1754 du tome VIII de GaUift Chrùtiaaa. Liasses non cotées desl'rinilaires
de Marseille, surtout un mémoire, copié aussi en lèle du nu, 1116 (P. A.
il) de la bibliothèque de celte ville. Bibliothèque nationale, ms. fr. 17661
(plusieurs lettres de Mnssac).
Du calé espagnol : Archives du lloyiiume k Bruxelles, carton 96 du Con-
seil d'Etal, intitulé Trinitaire» (1607-1704), et Lopez Domingo : Notîeia de
lia tret jlorentiatimas provincial, etc.
2. Ignace de Saint-Antoise, Necrotogiam (1707), p. 110. Il était ne
dans le Forez : provincial de la Congrégation Réformée et ministre de La
marche, puis de Fontainebleau, il avait fait, en ittgo, une rédemption de
captifs à Alger.
a Dy Google
f. ni.
SAINT AUGUSTIN EXPLIQUANT SA RÈGLE A DES TEINITAIBES.
(BlbUothfcqne MM»rine, su. 1TB5, (• 43.)
a Dy Google
«««Google
LE SCHISME TRINITAIRE (1689-1716). 373
Grégoire de La Forge fut élu cuslos et enfin général, par
quarante-huit voix sur cinquante, le 8 novembre i6g3. Le
chapitre avait dû primitivement se tenir le quatrième di-
manche après Pâques, mais, sur des avis venus de Rome,
il avait été reculé, dans l'espoir un peu prompt de trouver un
accommodement avec les Espagnols. Antoine Peguerales était
mort et les Espagnols, réunis en chapitre à Barcelone,
s'étaient trouvés six contre six et n'avaient pu élire de gé-
néral : l'élection se trouvait dévolue ai/ pape.
Grégoire de La Forge essaya donc de se faire confirmer à
Rome. La situation politique s'était éclaircie : Avignon avait
été rendu à Innocent XII. Le cardinal de Forbin-Janson, am-
bassadeur de France, proposa que tous les procureurs géné-
raux de l'ordre vinssent supplier le pape de confirmer le P. de
La Forge. Jean de Lambrana, procureur des Trinitaires espa-
gnols, Nogueira, procureur des Trinitaires portugais, Ferdi-
nand de A lava, ministre de Sainte-Françoise-Romaine, Luc de
Saint-Jean, procureur des Trinitaires de France, s'entendirent
enfin, après deux essais infructueux, sur un compromis, que
Grégoire de La Forge signa à Fontainebleau le a3 septem-
bre i6o4-
Le général sera perpétuel, mais, tous les six ans, on élira
en chapitre général le procureur général et les définiteurs.
II y aura dix définiteurs, cinq pour la France (le général les
choisira pour cette fois), cinq pour les autres provinces.
Le pape confirmera Grégoire de La Forge et donnera une
patente de commissaire général pour l'Espagne au provincial
d'Andalousie, que le général confirmera.
Celui-ci convoquera à Cerfroid le chapitre général, où auront
droit de vote le général, Son secrétaire, le procureur général,
les commissaires généraux, les définiteurs, les provinciaux,
a Dy Google
a74 l'ordre français des ïrinitaires.
leurs assistants et les ministres des quatre provinces en rai-
son de leur droit séculaire.
Le chapitre sera convoqué dans les quinze mois pour rece-
voir les constitutions d'Alexandre VII ; jusque là, le procureur
général sera Ferdinand de Alava, ministre de Sainle-Fran-
çoîse-Romaine (auteur probable du Mémoire analysé ici).
L'affaire semblait en bonne voie, lorsqu'une rivalité entre le
cardinal de Forbin-Janson et le duc de Médina-Céli, ambas-
sadeur d'Espagne, « hrouilla tout ». Le duc voulut faire jeter
par la fenêtre le P. Lambrana, qui lui apportait le compromis,
puis il consentit qu'on traitât « l'affaire » chez le général des
Dominicains, à condition que le cardinal ne s'en mêlât pas !
Les Espagnols demandèrent alors à nouveau un général
(i4 novembre i6q4). L'examen de cette question fut confié
aux cardinaux Altoviti, Fanciatïcî, Marescoti.
Le cardinal Albano, commis pour examiner l'élection de
Grégoire de La Forge, opposa au cardinal de Forbin-Janson
un faclum peu respectueux pour l'autorité du pape, envoyé
de France par le nonce Cavalerini (c'est le premier Mémoire
de 1688). Forbin-Janson prouva que le P. de La Forge ne
pouvait élre l'auteur de ce mémoire, bien antérieur à son élec-
tion. Le cardinal Albano convint que le P. de La Forge rece-
vra un bref ad oitam, mais déclara que ses successeurs ne
seront élus que pour six ans.
Grégoire de La Forge arriva à Rome, le a8 janvier 1695, et
prouva que la sexennalité du général n'était pas ordonnée par
les constitutions de i658'. S'il eût été présenté au pape,
('affaire eut eu une issue favorable, mais Son Eminence
voulut qu'il demeurât incognito, comme un abbé séculier,
1. Guerrti commel aussi celle erreur dans son analyse de la bulle de 1 658.
di-yGoO^IC
LE SCHISME TRINITAIRE (1689-I716). 276
dans le voisinage de Rome : la diplomatie a de ces fines-
ses. L'ambassadeur d'Espagne, voyant que le cardinal de
Forbin-Janson s'était occupé de « l'affaire m, s'y déclara
contraire, et « ce procès quasi fini se trouva terriblement
embrouillé ».
Grégoire de La Forge dut repartir sans avoir réussi. Au
moins, il avait mieux vu les desseins de ses adversaires, dit
Massac. C'est se contenter de peu. Le ig mai 1695, il arriva à
Arles et y fut très bien reçu ' ; après un séjour de trois jours,
il repartit pour Paris, bien décidé A faire tous ses efforts
pour la cessation du schisme.
Cédant aux imporlunités de l'ambassadeur d'Espagne, le
pape convoqua un chapitre des Trinilaires espagnols à Bar-
celone. Le aa juillet i6g5, les PP. Luc de Saint-Jean et Le-
quin, ministre de Douai, procureurs du général, protestèrent
de la nullité d'une nouvelle élection. Joseph de Tolède fut
élu le 10 mai 1696. Rodrigue, provincial de Portugal, lui
ayant donné son adhésion, le roi le déposa, et son succes-
seur, Balthazar de Basso, reconnut Grégoire de La forge J
(26 juillet 1697).
Celui-ci avait tenu, en 1696, un chapitre général où il avait
rappelé les Réformés, ainsi que les représentants des provin-
ces de Provence et de Languedoc. Le P. Gandolphe, ministre
de Tarascon, l'en remercia 3. Il y présenta un projet de convo-
cation des provinces étrangères à l'élection du généra), spéci-
fiant d'ailleurs que celui-ci serait toujours Français et qu'un
Réformé ne pourrait être élu qu'à condition d'adopter « l'état
des anciens m.
1. Louis Pic, dons le Matée d'Arles {1873), I, i3.
a. Début du ma. 1216 de la Bibliothèque de Marseille.
3. Bibl. Mat-, nu. fr. 15766, f» ai 1.
a Dy Google
376 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
Les relations entre Réformés ' et « anciens » étaient alors
excellentes, et rien n'existait plus de cette défense de passer
ex stricttore, ad laxiorem obtervantiam. Un Réformé de
Marseille composa à ce sujet un petit mémoire où il dit :
« Les religieux de notre congrégation, passant chez les Ma-
thurins, sont considérés comme apostats 1 » Il existait arec
cette loi des accommodements, puisque les Réformés étaient
admis avec empressement chez les « anciens ».
Au temps de Grégoire de La Forge, le couvent de Lor-
gues* passa pacifiquement aux mains des Réformés. Joseph
Monier reste ministre primitif, garde le pas sur le futur
ministre triennal et est exempté de sa juridiction, ne dépen-
dant que du général. II aura un frère convers pour le servir,
il gardera sa chambre, un écu par mois, et la libre disposi-
tion de sa messe (9 déc. 1699). C'était une juste récom-
pense pour les services rendus par l'ancien procureur géné-
ral en cour de Rome3. Ainsi la paix était parfaitement rétablie
à l'intérieur de l'ordre en France.
Grégoire de La Forge cherchait aussi à se constituer un
parti chez les Trinitaires des Pays-Bas soumis à l'Espagne,
mais il n'y réussit pas tout d'abord. Le 27 mars 1697, Amé
Tumerel, provincial et ministre d'Orival, déclara reconnaître
Joseph de Tolède « maître en sacrée théologie, examinateur
de la nonciature d'Espagne, prédicateur de Sa Majesté Catho-
1. Dès 1667, on les voit envoyer de l'argent au général, qui a un procé*
avec les Déchaussés (Trinitaires de Marseille, reg. 6, f° 67 v»),
a. Ces actes de cession ont été copiés durant une tournée de visite par
le P. Uiraud, provincial des Réformés eu 1730.
3. Les couvents de Lamarche (34 juin 1691) et Tours (17 mars 1706)
ayant embrassé 1h Réforme, comme ceux de Digne et Lorgues, le roi donna
des lettres patentes à Versailles, le 10 juin 1708, pour les quatre couvents.
Avec ceux de Templeux, Rouen et Lyon, les Réformés avaient quinze
couvents en tout.
« 0» Google
LE SCHISME TRINtTAIllE (1689-1716), If]
lique et général de tout l'ordre de la Trinité », s'en gageant à
prévenir de celte nomination les ministres de Huy, de Lérines
et de Lens. Joseph de Tolède avait convoqué un chapitre pro-'
ïincial pour l'élection du provincial de Picardie (8 mai 1698) : '
Augustin de Perry fut élu, et le général espagnol le con-
firma1 (11 sept.).
Après la mort de J. de Tolède, le provincial de Castille,
puis le premier définiteur gouvernèrent l'Espagne, les Pays-
Bas et l'Italie pendant le reste des six ans qui devaient encore
courir jusqu'à la réunion du prochain chapitre1.
En 1700, les Pays-Bas passèrent, de par le testament de
Charles II, sous la domination de Philippe V, petit-fils de
Louis XIV. Le provincial de Picardie croyait que la cause
de G. de La Forge élait désespérée. II se trompait. Le géné-
ral français sut intéresser le nouveau roi d'Espagne à sa situa-
tion. Philippe V provoqua des conférences, à Naples3, entre les
procureurs des deux couronnes, devant le cardinal de Forbin-
Janson, le duc d'Uzeda, ambassadeurs, le P. Cloche, général
des Jacobins, auxquels le chapitre général devait rendre hom-.
mage. Le 17 mai 1702, le roi d'Espagne mande au Conseil de
Castille qu'il faut que les Espagnols adhèrent au général de
France. Le confesseur de Sa Majesté écrit aux Trinitaires
espagnols, en 1703, d'aller cet été (este verano) reconnaître
le P. de La Forge.
Dès le 1" avril 1703, il mande aux Réformés de Provence
de surseoir à leur chapitre général jusqu'à la réunion de celui,
de l'ordre entier.
Grégoire de La Forge ne se trompait pas sur les bonnes
1. Mention dans la pièce a5a.
1. Bibl. N«t., ms. fr. 16760, .fo ïofi.
3. Constitutions imprimées à Madrid en 1731 (Préface).
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378 L'ORDRE FRANÇAIS DBS TRINIT AIRES.
dispositions de la cour de Rome; elles allaient trouver une
occasion de se dévoiler, l'ordre étant réconcilié. Le i3 août
1703, à la prière de François Ruiz el de Clément de Jésus,
procureurs généraux des Trinitaires, Clément XI confirma les
décisions suivantes, prises en divers chapitres et destinées A
assurer l'unité de l'ordre :
I. Les Frères de toutes les provinces jureront d'observer tes
constitutions d'Alexandre VII, et le prochain chapitre fera con-
firmer par le Saint-Siège les modifications qu'il y apportera.
II. Toutes les provinces de l'ordre auront le droit de par-
ticiper à l'élection du ministre général.
III. Les chapitres correctifs1 seront soumis aux mêmes
règles.
IV. Les ministres particuliers des quatre provinces n'auront
de suffrage que dans les conditions où l'exerceront tes minis-
tres des autres provinces.
V. Tous les supérieurs locaux seront triennaux1.
VI. Le prochain chapitre, qui se tiendra à Cerfroiden 1704,
décidera, à la majorité, si le chapitre général doit continuer
à se tenir dans ce couvent et fixera le lieu de réunion des
chapitres correctifs.
VII. Dans le chapitre correctif, qui se tiendra de six en six
ans, seront élus le procureur général en cour de Rome et les
défini leurs.
VIII. Le général sera perpétuel, comme c'était l'usage jus-
qu'à Pierre Mercier (le bref du pape ne nomme point Eus-
tache Teissier).
1. Ce août ceux où l'on ne s'occupe que de discipline, de correction des
statuts, et non de l'élection du général.
a. Ces articles IV et V furent modifiés par le chapitre en faveur des
quatre provinces.
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LE SCHISME TR.~INITA.IRB (1689-I716). 279
IX. II y aura dix défiriteurs en tout; cinq pour la France',
un de Gastille, un d'Andalousie, un d'Aragon, un de Portugal,
un d Italie. S'il en meurt un, le général le remplacera dans
les trois mois.
X, Le procureur général en cour de Rome sera tiré tantôt
des provinces de France, tantôt des provinces étrangères.
*'• En cas de mort du général, le provincial dans le
district duquel se réunit le chapitre sera vicaire général.
*"■ Le général aura un secrétaire français et un secrétaire
étranger.
Le tïifenie jour, le pape permit a Grégoire de La Forge
d'Hre éligîble au généralat dans le prochain chapitre , l'au-
torisa à jouir de ce titre et à le porter dès à présent dans ses
lettres, comme s'il avait été député par bref apostolique, et
confirma toutes les élections faites au temps des dissensions.
Le 16 janvier 1704, le pape accorda une indulgence plé-
flière pour le chapitre et, le i5 février, Grégoire de La Forge
lança les lettres de convocation, fort arbitrairement, nous dit
Massac, car il n'y invita que les partisans de l'union1.
1. Joseph Dubois (France et Normandie), Jean Roubnud (Champagne et
Picardie], Ignace Vignaux (Languedoc et Provence), Michel Trossier, pour
les Réformés; Clément de Jésus, pour les Déchaussés.
3. Personnages composant ce chapitre : Vincent Copola, défi ni leur d'Ita-
lie; Joachim Buenfuegos, qualificateur de l'Inquisition; Etienne Gilbert,
orateur; Français Ruiz, procureur général. Provinciaux : Gilles Dupron,
(lie -de-France), Siméon Meslreau (Normandie), Nicolas Campaigne (Lan-
guedoc), Joseph Monier (Provence), Philémon de La Moite (Réformés de
France), Augustin Gandolphe (Réformés de Provence), Luc de Saint-Jean
(Déchaussés de France), André Humana, inquisiteur d'Andalousie ; Ber-
nard de Salazar, président d'Aragon (c'est-à-dire ex-provincial) ; Augustin
de Barcelone, cathedra! de Salemanque ; Alexis de Gunemond, prieur de
Cerfroid; Elie Le Beau, secrétaire général de France; Vincent Belmont,
secrétaire général des provinces hors de France ; Vincent Tabarez, défini-
tenr de Portugal- Assistants (tocii) : Sébastien Picot (Normandie), Busrel
a dv Google
a8n l'ordre français des trinitaires.
Les quatre provinces furent très mécontentes el en voulu-
rent à Grégoire de La Forge de les avoir laissé frustrer de
leurs droits de session prétendus immémoriaux. Il nous sem-
ble, au contraire, que la cour de Rome et le général français
avaient fait là un acte de profonde sagesse. Les quatre pro-
vinces étaient-elles battues entièrement? Sans doute, les élec-
teurs sont changés et la forme du chapitre général est à la
mode espagnole. Mais, du moins, il restera à Cerfroid, le pape
l'a bien laissé entendre; il n'aura, en tout cas, point lieu à
Rome. Le général sera toujours français, car Espagnols,
Portugais et Italiens ne s'entendront pas pour imposer un
candidat autre que ie candidat français ; les quatre pro-
vinces auront bien trouvé un candidat pendant l'année de
vacance du siège. Leurs plaintes nous paraissent donc exa-
gérées.
Beaucoup de discours furent prononcés, du 18 au 24 mai 1704,
par Grégoire de La Forge, Lange, ministre de Lisieux, Clé-
ment de Jésus, qui tous célébrèrent le retour de toutes les
brebis sous un seul pasteur. Lequin, ministre de Douai, parla
sur la Trinité, l'Espagnol Vincent Belmont sur saint Félix,
l'Italien Sanguineo sur la sainte Vierge, Gilbert sur Saint-
Jean de Matha.
Après l'élection, par acclamation, de Grégoire de La Forge,
Vincent Copola fut nommé, par trente-huit voix, procureur
général à Rome. On décida que le chapitre de l'élection du
général devra se tenir toujours à Cerfroid; le chapitre « cor-
(Picardie), Segla (Languedoc), Castelan (Provence), Busnot (Réformés de
France), André de la Nativité (Déchaussés de Provence), Levantînî (Italie),
Marcado (Andalousie), Logronn (Castille), Henriquez (Aragon). Outre les
cinq défînileurs de France, Louis Lequin et Nicolas Ruclea portaient les
titres de provinciaux d'Angleterre et d'Ecosse; en tout trente-ueuf vocaux.
Parmi les Déchaussés, ceux de France étaient seuls représentes.
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LE SCHISME THINITAIRE (1689-1716). 281
rectif » ou de discipline, suit à Marseille, soit à Aix. Le pro-
vincial de France sera cusios, en cas de mort du général. Les
ministres des quatre provinces assisteront à tous les chapitres
généraux pourvu qu'ils aient douze religieux, dont cinq vocaux,
c'est-à-dire ayant trois ans de profession ; ceux qui sont en
fonctions resteront à vie. Le P. Dupron fut chargé de recueillir
des aumônes pour faire une rédemption au Maroc. On se
félicita des progrès de l'ordre au Mexique et l'on pria le
pape Clément XI de vouloir bien donner un dixième des
revenus de Saint-Thomas de Formis, retenus par les chanoines
de Saint-Pierre, au couvent de Sainte-Françoise-Romaine1.
Le chapitre se sépara sans rien décider sûr les constitutions
d'Alexandre VII; leur acceptation par les Français était tout
au moins remise, puisque te général ne devait les observer, en
ce qui concernait les docteurs et tes gradués, qu'après avoir
pourvu lui-même à ces fonctions pendant vingt ans.
Malgré la mauvaise volonté des quatre provinces, l'œuvre de .
Grégoire de La Forge demeura. Il fut chargé d'une ambas-
sade en Espagne par Louis XIV. A son retour, il trouva en
révolte le couvent des Mathurins1, dont il avait pris le gou-
vernement particulier en qualité d'économe (titre qu'il se
donna) à la suite de la démission du P. de Launay. Quelques
religieux avaient même porté plainte contre lui au Parlement.
Il mourut, sur ces entrefaites, à Limay, le 27 août 1706, et fut
enterré à Ponloise. Les Mathurins de Paris demandèrent aus-
sitôt au provincial de France, le P. Darde, la permission d'élire
un ministre ; l'élu fut Claude de Massac, ministre d'Etampes
(16 septembre 1706).
1. Traitai res de Marseille, registre i3, pp. 83-89 et Bibl. nat-, manuscrit
français 15766, i"«*an-ii4.
3. Bibliothèque Suinte-Geneviève, ms. 5io. ,
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282 l'ordre français des tbinitaires.
Les dix années suivantes sont remplies par d'obscures intri-
gues, que Massai-, a suffisamment résumées. Il n'y eut pas de
réclamation contre le provincial de France custos de plein
droit, le P. Darde, écrivain de mérite. Mais il avait quatre-
vingts ans et les définîteurs le surveillèrent, pour qu'on
ne tentât pas de le faire revenir sur les concessions de Gré-
goire de La Forge1. Il mourut au mois d'août 1708. En atten-
dant qu'on consultât les provinces étrangères sur l'élection
de son successeur, l'ordre fut administré par un conseil de
cinq membres (ir septembre 1708), composé de Claude de
Massac, Mey de Valombre, ministre d'Etampes, Joseph Du-
bois, ministre de Chelles, Barthélémy Toéry, ministre de
Fontainebleau, Nicolas Favier, procureur général de France.
Enfin, le 7 décembre 1710, Massac fut élu custos et vicaire
général L'élection eut lieu à l'unanimité, en vertu d'un bref
du pape, avec l'autorisation du roi; le cardinal-protecteur
Palavicini, qui avait d'abord réclamé la castodie pour le pro-
vincial de France réformée, à cause de sa possession de Ger-
froid, félicita Massac; les provinciaux d'Espagne, d'Italie, de
Provence réformée et le vicaire général de la réforme le recon-
nurent. L'opposition du provincial de France réformée, le
P. Mariage, fut mise à néant par arrêt du Conseil d'Etat du
7 juillet 171 1 % comme «'appuyant sur les constitutions inter-
dites d'Alexandre VII I
Mais, le 24 septembre 171 1, Harlay, le P. Tellier et M** de
Noailles, commissaires royaux de l'ordre de la Trinité, s'aper-
çurent que nos religieux n'avaient pas de statuts approuvés
par le roi. Un arrêt du Conseil d'Etat du 2 mai 1712 obli-
gea les Trinitaires à en faire faire la revision. Du travail,
1. Archives île Meiz, H 3774, n' '•
a. Bibliothèque nationale, manuscrit français 15788, f» i85.
a Dy Google
LE SCHISME TRINITAIRB (1689-I716). 383
demandé par Massac à tous les ministres, sortit l'édition
de 1719, qui ne concerne que les quatre anciennes provinces.
C'est à cette époque troublée que fut décrétée, par la Con-
grégation d'Avignon, la sécularisation du couvent trinitaire de
cette ville (août 1713). Massac tenta de faire intervenir le roi,
alléguant qu'il avait la souveraineté sur le Comtat ' .
La guerre de la succession d'Espagne allait enfin se ter-
miner et permettre la réunion, tant de fois retardée, d'un cha-
pitre général; après une dernière prorogation, obtenue le
12 juin 1 7 1 5 , il se tînt à Cerfroid en 1716. Nous ne possédons
à ce sujet aucun détail, si ce n'est que l'on élut à l'unanimité
Massac comme général ; son gouvernement allait durer la
première moitié du dix-huitième siècle.
1. Bîbl. Nul., ma. fr. 15768, f° 168.
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CHAPITRE XVII.
Les Trinitaires chanoines-réguliers (1716-1764).
Le nouveau général des Trinitaires (1716-1748) était âgé
de cinquante ans. Il continua la Chronique des minisires géné-
raux, dans un esprit de sagesse et de loyauté absolue. Voyant
combien les luttes du dix-septième siècle avaient épuisé les
Trinitaires de France, il voulut arrêter leur décadence, que
la nécessité de la défense contre les étrangers avait momen-
tanément laissée dans l'ombre. Mais il semble que les huit
années de luttes et la correspondance infatigable qu'il avait
du entretenir avec de Harlay, Ponlchartrain, le P. Tellier,
le cardinal Palavîcini l'avaient quelque peu usé, et Mas-
sac ne laissa guère de souvenirs durables que comme minis-
tre des Mathurins de Paris et auteur du grand Cartulaire
de 1731-1733.
S'inspirant de la décision du chapitre de 1 704, il réunit un
chapitre « correctif m à Marseille (1729), c'est le seul que nous
connaissions ; sa composition fut analogue à celle du chapitre
de 1704. Le procureur général des captifs, le P. de La Faye,
y rendit compte de l'administration du trésor de ta rédemp-
tion : recettes 274,0591. 18 s. 8 d.
dépenses 233, 8o3 1. 2 s. 10 d.
II fut continué dans sa charge malgré son grand âge. Joseph
a Dy Google
LES TRINITAIRES CHANOINES RÉGULIERS. a85
Bernard fut nommé procureur général en cour de Home.
On ordonna la rédemption que devait opérer en 1780 à Cons-
tantinople le P. Jehannot, ministre de Beauvoir-sur-Mer ".
La pauvreté de l'ordre était un fait acquis devant lequel on
n'avait qu'à s'incliner. Dès te io septembre 1733, Inno-
cent XIII avait accordé un bref pour les réductions de fonda-
lions. Massac choisit des délégués spéciaux, qui recherchèrent
dans les archives des couvents les obits dont ils étaient char-
gés et les ramenèrent au prorata des ressources disponibles3.
Aucun fait marquant n'est à relever jusqu'à 1766. Seule-
ment, par une quantité de petits actes, nous percevons au vif
la vie intérieure de l'ordre et surtout sa médiocre situation
financière. Pour plus d'une affaire, te P. de Massac et le
P. Lefebvre, son successeur3, rappellent qu'ils n'ont pour
vivre que les revenus de la maison de Paris et que, pour en-
tretenir le procureur général en cour de Rome ou soutenir un
procès dans l'intérêt de l'ordre, il faut les cotisations de tou-
tes les provinces. Les Trinitaires étaient toujours simplistes :
les Bénédictins de Vilry ayant attaqué le privilège de l'exemp-
tion des dîmes dont jouissaient primitivement les couvents
trinitaires, mais qu'ils avaient laissé prescrire, le P. Lefebvre
chercha à la faire confirmer par lettres patentes du roi.
1. Trinitaires de Marseille, reg. i3, pp. i64-i65.
2. Voir un exemple à Ponloise (Arch. de Seîne-ef-Oise : liasses des Ma-
itmrins de Pod toise).
3. Le P. de Massac était mort le 7 février 1748, à quatre-vingt-quatre ans.
Le P. Lefebvre, ministre de Meaux en 1730, puis de Fontainebleau, en
faveur de qui Massac avait résigné la ministrerie de Paris le 10 janvier
précédent (Bibl. de Lyon, fonds Coste, ms. 382, n" a), ne convoqua le cha-
pitre que pour le 3 mai 1749. car '' n'y aurait pas eu le temps de réunir
tes vocaux à la date régulière du quatrième dimanche après Pâques 1748.
Li convocation était adressée : Revercndis Patribua Miniatris Prooincia-
libni, Diffiaitoribiu, Sociis Prooinciaram, Etectoribot RtligtosU cima
R ultra Montes.
a Dy Google
280 L ORDRE FRANÇAIS DES TR IN MAIRES.
Craignant que ce moyen un peu hardi n'eût pas de succès, il
pria les provinciaux de taxer les maisons de leur district, en
faisant payer moins à celles qui pourraient justifier de l'exemp-
tion des dîmes1. Le procès fut perdu par les Trinitaires.
Les frais de l'entretien du procureur général en cour de
Rome, pour six ans, étant fort élevés (4,ooo livres en tout), le
P. Lefebvre proposa de donner au P. Vacchini, ministre de
Sainte-Fraaçoise-Romaine, le titre de vice-procureur, pour
économiser les frais de déplacement d'un Français1.
Les quatre provinces s'étaient facilement résignées à ne plus
être seules dans le gouvernement de l'ordre. Elles avaient
d'ailleurs trouvé un moyen excellent de n'avoir point à souf-
ffrir de l'intrusion des étrangers, c'était de ne réunir le cha-
pitre général qu'en cas de vacance du généralat. Les Espa-
gnols, pour qui te voyage de Cerfroid était onéreux, laissèrent
faire sans protester et le pape ne dit rien non plus.
Vers le milieu du dix-huitième siècle, la situation intérieure
des couvents paraît déplorable; quelques enquêtes conservées
à Paris et à Bruxelles le démontrent. Bornons-nous à la
maison-mère, que nous a dépeinte en termes peu flatteurs une
enquête de 1/43. insérée dans les cartons de la Bastille
(Bibl. de l'Arsenal, ms. 10182). Massac était alors aveugle
depuis huit ans et rebelle à toutes les observations, parce que,
dans son obstination sénile, il craignait par-dessus tout qu'on
ne le forçât de se démettre. « Votre maison, lui disait le curé
de Saint-Benoit, aurait bon besoin de réforme. » — « Mon-
sieur, répondit Massac, il n'y a que les Chartreux et nous qui
n'ayons jamais été réformés. » Le « dépensier » faisait du
. Pièce 3i 2.
. Pièce 3o8.
a Dy Google
LBS TRINITAIRES CHANOINES RÉGULIERS. 387
réfectoire un cabaret, donnant à manger à quinze ou vingt
personnes, même pendant les offices. Un Mathurin, nommé
Guillaume, s'était fait peindre avec une ri fille » dans un
tableau. Le P. Le Clerc, sacristain, allait presque tous les
jours voir une « fille » qui demeurait rue Boutebrie, près la
petite porte du couvent; le général, quoique averti, se faisait
remplacer dans les offices solennels par cet extraordinaire
sacristain! Tous les religieux disaient la messe avec précipi-
tation, dînaient en ville, même en habit de choeur, frisés,
poudrés, avec des ceintures de soie et des collets, en un
mot semblables à des petits-martres ! Quel remède à cette
situation déplorable ? « Attendre la mort du général ' I » dit
le lieutenant de police.
Plutôt que de se réformer intérieurement, les Trinitaires ae
songent alors qu'à changer leur extérieur, c'est-à-dire leur
habit.
Une « question nouvelle », qui a fait couler beaucoup d'encre
au dix-septième et au dix-huitième siècle, était donc celle-ci :
m Les Trinitaires militent-ils sous la règle de saint Augustin ? »
Ea d'autres termes, sont-ils chanoines réguliers ?
Cette difficulté est débattue contradictoirement dans un ma-
nuscrit de Marseille, n° 1214 (hors page, à la fin) et dans un
manuscrit que le P. Xavier m'a obligeamment envoyé de
Rome. Les Triuilaires ont été divisés à ce sujet. De nos
jours, ie P. Calixte a protesté contre cette qualification de
chanoines réguliers. « La règle des Trinitaires, dit-il, n'a de
commun avec celle de saint Augustin qu'un point sur la psal-
modie ; encore est-il adouci en faveur des religieux '. » On
1. Le Nécrologe des Mathurins fait de Massue un superbe éloge, ainsi
que de son zèle pour lu moralité des religieux I
». Vie de saint Jean de Malha (1867), p. 104.
a Dy Google
a88 l'ordre français des trinitaires.
pourrait rapprocher aussi, dans les deux règles, l'article sur la
« correction fraternelle », mais il n'est pas spécial à la disci-
pline trinitaire.
Les auteurs non Irinitaires sont également divisés. Claude
Gaillardon, curé de Claye (diocèse de Meaux), discuta très
âprement les prétentions des Trinitaires '. Cet auteur, en sa
qualité de chanoine régulier, n'avait pas l'impartialité néces-
saire pour juger ses nouveaux concurrents.
Des historiens de bonne foi comme Pierre det Campo, auteur
de l'Histoire générale des ermites de Saint-Augustin7 , et Le
Paige, auteur de la Bibliotheca Praemonstratensis et ami de
Louis Petit, avaient revendiqué les Trinitaires comme leurs
confrères, dès le dix-septième siècle. Un recueil liturgique,
sous la rubrique : Religiones vioentes sub régula Beati Au-
gustini, place, au n° 29 : Congregatio Sanctae Trinitatis
sive de Bedemptione in HispaniaQ) ordinata^. La même
opinion a été maintes fois exprimée dans des articles relatifs
aux anciennes constitutions monastiques4.
Malgré toutes ces citations et d'autres, absolument con-
formes, que le P. Hélyot a énumérées, comme favorables à
la thèse de la « canonicité » de nos religieux, un fait est cer-
tain : la règle de saint Augustin n'a point été donnée aux
Trinitaires, et il faut avoir foi en l'épitaphe de saint Jean de
Malha , laquelle dit que les Trinitaires furent institués sub
régula propria a Sede Apostolica concessa. Si les Trinitaires
ont une règle propre, ils ne sont point soumis à celle de
saint Augustin. H y a cependant quelques textes embarras-
1. Bihl. Sainte-Geneviève, ms. 1962, f»4-
2. Bibl. de Marseille, ms. iai3, pp. 97 el 98. Ibid., ai
3. Bibl. Nal., It 13683-13688.
4. NoUmment Revue du Perche, avril 1896, p. a3.
aoy Google
LES TRINITAIHE3 CHANOINES REGULIERS. 389
sants. Plusieurs bulles de papes considèrent que les Trini-
taires vivent soos la règle de saint Augustin'. Mais si l'on
regarde attentivement ces bulles, on remarquera que celle de
i35o (que personne n'a jamais vue) se rapporterait à une
cure, que celle de i353 concerne l'hôpital d'Avignon, que la
transaction du 17 mai i468 se réfère à {'hôpital d'Arles et que
la lettre du vicaire général de l'évêque de Maguelonne (3 août
1517) concerne l'hôpital de Montpellier3. Or la règle de
saint Augustin est spécialement observée dans les hôpitaux.
Les manuscrits 3 des statuts des Trinitaires, les obituaires
de Châleaubriant et de Fontainebleau, les statuts de 171g
contiennent la règle de saint Augustin , avec l'Exposition
d'Hugues de Saint- Victor , et le plus ancien bréviaire trini-
laire* solennîse spécialement le 28 Février, fête de saint Au-
gustin. Nos rituels , répondent les opposants , viennent de
Saint-Victor et les Viclorins sont chanoines réguliers de
saint Augustin. La règle de saint Jérôme se trouve bien aussi
dans les manuscrits trinitaires, et pourtant ils ne la suivaient
pas.
II faut avouer qu'il y a une bulle, celle du i5 mars 1578,
adressée aux Trinitaires de Pontoise, où les raisons précé- '
déminent alléguées paraissent inadmissibles. Un annotateur
de celte bulle a écrit que le pape a été trompé par un faux
exposé. Cela semble probable, si l'on se rappelle que les
bulles des papes sont faites plus souvent à la demande des
parties que motn proprio. Bref, l'intérêt de nos ermites de
Pontoise à se rattacher à la règle de saint Augustin nous
1. GaillHrdon n'a point tenu compte de ces bulles.
3. Gerkain, La Charité à Montpellier, i85fl, p. 12 (B. N., Lk'
3. Bibl. Nat-, ms. lat. 9753, 9770. Bîbl. Mazarine, ms. 1765,
4. Bibl. Sninle-Geoeviève, BB i36o, fol. lxvi =z xlvi.
a Dy Google
2^0 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAtRES.
échappe; leur erreur, volontaire ou non, n'engage qu'eux.
D'autres polémistes ont pris la thèse contraire et ont sou-
tenu que la règle tri ni taire se rapprocherait plutôt de celle
de saint Benoit. François Vaquer, dans son Apologie de la
règle de saint Benoît ', relève, ainsi que l'a fait Piqueras, les
articles sur les vêtements, le vin, les jeunes, l'interdiction de
manger hors du couvent, le soin des malades et des hôtes, le
silence. Est-il pour cela « plus clair que le jour » que l'évèque
de Paris et l'abbé de Saint-Victor ont consulté la règle de
saint Benoit? Toute règle monastique a nécessairement des
rapports avec celle du patriarche des moines d'Occident.
L'obstination de certains Trinilaires à poursuivre leur rat-
tachement à la règle de saint Augustin s'explique peut-être
par le désir de justifier l'acquisition de leurs nombreuses
cures. La possession de fait ne leur suffisait-elle donc pas?
Quoi qu'il en soit de ces discussions théoriques, en 1727,
Pierre-Jacques Brillon, auteur -du Dictionnaire des arrêts de
jurisprudence3, mentionne que les Mathurins ont adopté le
costume des Chanoines Réguliers3. L'habitude en passa aux
Réformés ; on voit en 1 7^6 un religieux de Pontoise signer :
chanoine régulier de la Trinité*. En 1749, le chapitre géné-
ral de cette congrégation tenu à Cerfroid, sous la présidence
du P. Lefebvre, général, ordonna la conformité en habits de
chœur et du dehors à la province de France. Chaque reli-
gieux reçut 5o livres pour se procurer le nouveau costume 5,
au Midi comme au Nord. En somme le changement d'habit
1. Bibl. de Marseille, ma. 1214, dernière page,
a. T. IV, p. 33o.
3. Eu 1684, les chanoines de Péroone leur eu faisaieot déjà un grief.
Bibl. N'ai-, factum a553g.
4. Registre capitulaire des Trinilaires de Pantoite, fl> 60 v°.
5. Regittre a" i3 de» Trinitaire* de Marseille, p. lia.
a Dy Google
LES TRIMTAlRlîS CHANOINES RÉGULIERS, 'ïgr
était généralement accepté par toute la France , quand les
Trinilaires portèrent enfin la question devant la cour de Rome,
en 1766.
A ce même moment, l'affaire des Jésuites avait ramené l'at-
lemio.il sur tous les instituts religieux. Cédant au vœu des
philos ophes l, Louis XV avait désigné une grande commission
pour «examiner les statuts de tous les ordres monastiques.
C'était le cas, pour les Trinilaires, de faire consacrer légale-
ment leur nouvel état de chanoines réguliers.
1. 11 La guerre qu'il {La ChalotaisJ a faite avec tant de Succès à la Société
n'est que le signal de l'examen auquel il paraît désirer qu'un soumette les
constitutions des autres ordres, sauf à conserver ceux qui par cet examen
seraient jugés utiles » (D'Alembert, De la destraclion des jitatteë, éd.
,889, p. ..o).
a 0» Google
CHAPITRE 'XVIII.
Les Trinitaires et la Commission des Réguliers
(1766-1771).
La Commission instituée en vertu des édits des a3 mai et
3i juillet 1766 avait, en ce qui concerne les Trinitaires, plu-
sieurs questions à résoudre :
i" La suppression des couvenls trop pauvres;
a" La réunion des Trinitaires de France avec les Réformés,
les Déchaussés, peut-être même tes Pères de la Merci ' j
3° La refonte des constitutions de l'ordre, qui voulait,
comme nous l'avons vu, se faire rattacher aux chanoines
réguliers.
La Commission vint assez facilement à bout de la solu-
tion de ces trois ordres de questions, sauf en ce qui concerne
les Pères de la Merci. Hue certaine résistance se produisit à
propos du premier point, les suppressions de couvents, de la
part du P. Maurice Pichault, élu géuéral en 17659. Il était
forcé de présenter dans les deux mois, à la Commission, un
1. Plusieurs détails intéressants sur le projet de réunion avec l'ordre de
lu Merci sont donnés dans l'ouvrage de M. Emile Ledermiinn, Les Frire*
île Xotre-Dnnie de la Merci, Paris, 1898.
2. Le P. Lefebvrc était mort d 'apoplexie, le 11 avril 1764, â soixante-
dix-neuf ans. Nicolas Poiiisignon avilit été, pendant un nn, vicaire-général
et COStot. Le P. Pichault était pré cède ni ment ministre d'Etampes.
a Dy Google
LA COMMISSION DES RÉGULIERS {1766-I771). 2t)3
état circonstancié des maisons de l'ordre, de leurs biens, du
nombre des religieux. Dans une circulaire, du 18 septembre
1766 ', it demanda aux ministres la copié, collationnée par lea
juges du lieu, du titre de fondation de leur maison ; beaucoup
de ses correspondants durent être assez embarrassés pour le
lui envoyer. De ce questionnaire sortit la première partie du
Mémoire très soigné2 que le P. Pichatilt présenta à la Com-
mission, contenant le catalogue complet des couvents3, dont
les dates de fondation auraient parfois pu être données plus
exactement. 11 y joignit des considérations intéressantes sur
l'expansion de l'ordre. Ce Mémoire tient avantageusement lieu
des sources narratives , dont nous manquons sur le dix-
huiiième siècle. La tentative de la cour d'Espagne pour faire
donner un vicaire général autonome aux Trinitaires espa-
gnols, la dispense sollicitée par les Déchaussés en vue de ne
plus assister au chapitre général, enfin l'extension considéra-
ble (jusqu'aux Antilles) des quêtes pour le rachat des captifs,
ne sont signalées nulle part ailleurs.
On peut voir aussi dans ce Mémoire l'état de ta discipline
de l'ordre en 1765, avant les nouvelles Constitutions. La plu-
part des couvents sur lesquels le général a autorité ne sont
çtière que des squelettes, mais les Trinitaires sont fortement
centralisés, les ministres des provinces anciennes, sauf à Pa-
ris et à Rieux, sont à la nomination du général qui tient, par
conséquent, à conserver tous ces couvents, pour ne rien per-
dre de ses droits.
Le P. Pichault prédisait encore, et à tort, le mauvais effet
1. Pièce 319.
3. Pièce 3>3.
3. La atatislique ' a été recueillie aussi dons les manuscrits français
i3857, i3 858 de la Bibliothèque nationale.
3„l;eciDv Google
294 L ORDRE FRANÇAIS DES TRtNIT AIRES.
que produiraient des suppressions de couvents aux yeux des
provinces étrangères, comme si celles-ci ne savaient pas de-
puis longtemps à quoi s'en tenir sur la situation réelle des
provinces de France! L'argument patriotique retardait d'un
siècle. Le but essentiel de l'ordre, le rachat des captifs, n'exi-
geait pas tant de couvents ; la confrérie suffisait en cas d'ab-
sence de couvent et une amputation consciencieuse pouvait
seule sauver l'ordre. Au lieu de quatre-vingts maisons, la
plupart « destituées » de revenus, on n'en eût eu que le tiers,
bien rentées, avec une population monastique suffisante, tout
aurait été pour le mieux. La population totale de l'ordre n'ex-
cédait pas trois cents religieux. Seuls, dans le Nord, les cou-
vents de Paris, de Fontainebleau, d'Arras et de Douai avaient
plus de huit religieux'. Dans le Midi, un plus grand nombre
de couvents réformés parvenaient à ce total, mais sans le
dépasser. L'acquittement des fondations était la seule objec-
tion valable contre ta suppression de beaucoup de maisons.
Les préliminaires de la réunion des religieux anciens avec
les Réformés furent assez longs ; le chapitre de la province de
France, à Gisors, s'était montré d'accord pour la réunion.
Mais il fallait obtenir un vote de tous les Réformés; aussi
leur chapitre général, que Du Caste], vicaire général, avai
convoqué à Arles, se tint-il à Cerfroid*, par ordre du roi
igés (mai 1767). L'évéque de
issaire royal. La réunion ne
té ; on compte des opposants
pour étudier l'union avec les mitig
Meaux fut désigné comme commis
fut d'ailleurs votée qu'à la majoriti
parmi les députés de Provence et de Cerfroid. Finalement, un
chapitre national fut convoqué, pour le mois de février 1768,
au couvent des Mathurins de Paris.
1. Un très grand nombre de couvcnls étaient réduits a an seul habitant.
3. Bibliothèque de Lyon, ms. 382 (fonds Coste), pièce a bit.
a Dy Google
LA COMMISSION DES RÉGULIERS (1766-I771). 2o5
Le P. Pichault proposait les moyens de conciliation sui-
vants : le vicaire général de la Réforme sera supprimé; les
ministres seront nommés par lui-même, pour trois ans, mais
pourront être confirmés pour une nouvelle période triennale;
la Provence aura une maison de noviciat ; le maître des novi-
ces sera élu par le chapitre provincial ; le général élira un
prieur et un procureur à Cerfroid, qui deviendra le noviciat
de la province de France.
Selon les ordres du roi, du 25 juillet 1767, deux députés
avaient été élus pour chaque province, sauf pour la Picardis
qui n'en eut qu'un, à cause du grand nombre de couvents de
cette province situés hors de France. Parmi les députés mar-
quants , on relève les noms de Lamanière , rédempteur en
1700, et de Dorvaux, pour la Champagne ; de Forestz, rédemp-
teur de 1765, pour la Normandie; de Darailh, pour le Lan-
guedoc ; de Gairoard, pour la Provence ancienne ; de Soumeire
et de Malachane, pour la Provence réformée. L'évêque de
Meaux, Jean Marthonie de la Caussade, présida le chapitre.
La question la plus délicate fut celle de l'élection des mi-
nistres locaux, et le chapitre changea d'avis plusieurs fois à
ce sujet. Le 9 mars 1768, le général consentit que l'élection
eût lieu en sa présence ou devant un commissaire ; le mi-
nistre sera nommé à vie, mais pourra être déposé. Ce texte
est voté, malgré l'opposition de la province de Languedoc,
qui ne veut point de ministres perpétuels.
Le surlendemain, le chapitre décida, par sept voix contre
une, que les couvents auront droit d'élection quand il y aura
cinq vocaux (c'est-à-dire ayant trois ans de profession), sinon
le général parfera le nombre de cinq en envoyant des reli-
gieux d'un couvent voisin ; les électeurs présenteront une liste
de trois sujets, parmi lesquels sera choisi le ministre.
a Dy Google
396 l'ordre français des trinitaires.
Le 8 juin, il fut décidé que le président de l'élection pour-
rait faire venir d'autres profès et u'aurait voix active que s'il
était lui-même profésde la maison.
Le 6 août, les ministres furent déclarés sexennaux, mais
aussi « perpétuantes » ; ceux de l'ancienne province seront
élus à vie. Tel fut le dernier état de la question.
Quant à la conventualitë, le chapitre réclama l'exception
prévue par l'article 7 de l'édil du 26 mars 1 768, par lequel le
roi se réservait, après l'avis des diocésains, de confirmer par
lettres patentes les couvents où il y aurait moins de huit reli-
gieux; le chapitre se déclarait, d'ailleurs, prêt à supprimer
ceux qui ne peuvent nourrir qu'un ou deux religieux.
Le 23 août, l'archevêque de Toulouse écrivit qu'il serait bon
de supprimer, dès à présent, un certain nombre de couvents
(la liste en est donnée plus bas). Le chapitre demanda, néan-
moins, que Sa Majesté se contentât de six ou sept religieux
par couvent, et même de quatre ou cinq pour la maison de
Bar-sur-Seine, dont la conservation était demandée par Les
habitants.
Pour les cures, la déclaration de 1703 n'étant enregistrée
qu'au grand conseil, il fut trouvé bon de la faire enregistrer de
nouveau.
Le procureur général à Rome, Charles Malachane, devra
demander l'approbation du pape pour les nouvelles constitu-
tions. Lorsqu'elles auront été enregistrées, elles seront la com-
mune loi de l'ordre : chaque religieux aura un exemplaire
imprimé.
La bulle du pape Clément XIV (17 novembre, 1769), re-
connut les Trinitaires comme chanoines réguliers et les lettres
patentes furent publiées à Fontainebleau en novembre 1770;
le tout fut imprimé en 1773.
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LA COMMISSION DBS RÉGULIERS (1766-1771). 297
Une seule suppression dut avoir un effet immédiat, celle
de La Gloire- Dieu, couvent dont les revenus avaient été réunis
au généralat de l'ordre dès le 17 février 17661. Si les inten-
tions du chapitre national avaient été sincèrement exprimées
et sincèrement exécutées , sur soixante-quatorze couvents
français (sans citer ceux des Déchaussés), trente devaient
être réunis à d'autres. Ces quarante-quatre couvents devaient
former huit provinces3.
France (8 couvents) : Cerfroid, Paris, Fontainebleau,
Meaux, Clermont, Verberie, Etampes, Montmorency.
Champagne (6 couvents) : .Troyes, Lamarche, Chàlons,
Bar-sur-Seine, Metz, Bourmont.
Picardie (6 couvents) : Arras, Hondschoote, Douai, Préavin,
Templeux, Péronne.
Bretagne (4 couvents) : Rîeu.v, Châteaubriant, Sarzeau,
Tours.
Languedoc (7 couvents) : Toulouse, Orthez, Mirepoix, Cas-
tres, Cordes, Narbonne ou Montpellier3, Saint-Laurent-de-
Médoc
Normandie (4 couvents) : Mortagne, Lisieux, Gisors,
Houen.
Lyonnais (5 couvents) : Arles, Avignon, Tarascon, Lyon,
Saint-Remy.
Provence (4 couvents) : Marseille, fjimbesc, Largues,
La Cadière.
Sur quarante-quatre couvents, vingt et un étaient aux
Réformés. Quand la réunion serait accomplie avec la Congré-
gation Déchaussée, il y aurait à régler la question d'Aix et
1. Archives de Lorraine A Metz, H 3774. n° 10.
2. Les noms en italique sont ceux des couvents réformés.
3. Ce dernier couvent existait encore en 1790.
a Dy Google
298 L ORDRE FRANÇAIS DES TRIBUTAIRES.
de Marseille, où, sur deux couvents, un seul devait subsister
dans chaque ville.
Aussitôt les constitutions approuvées, le général dut
s'adresser aux Trinitaires Déchaussés. Il était plein de bonnes
intentions à leur égard, voulant faire de leur couvent de Saint-
Denis de Rome le centre de l'ordre et en nommer le mi-
nistre procureur général.
Les Déchaussés n'entendaient point d'abord être réunis au
reste dé l'ordre '. Le défînitoire assemblé à Marseille, le
32 juin 1767, faisait la déclaration suivante : « L'habit des
Mathurins est si dispendieux qu'ils n'y peuvent suffire qu'à
l'aide des pensions des particuliers; et nous, nous n'avons pas
de pensions. Plutôt que de nous forcer à la réunion, nous
trouverions moins dur qu'on nous défendit de recevoir des
novices, pourvu qu'on nous laissât terminer nos jours en paix
dans nos maisons et avec notre habit. »
L'archevêque d'Aix , qui correspondait avec Loménie de
Brienne, président de la Commission des Réguliers, ne souhai-
tait pas la réunion des Déchaussés aux anciens, « mitigés et
relâchés ».
Jacques Soumeire, de Marseille, conseillait à l'archevêque
de Toulouse de leur promettre des revenus suffisants pour
vivre (18 novembre 1768). Une lettre particulière du P. André
Perrin (ou André de la Croix), l'un des signataires de la pro-
testation du 22 juin 1767, prouvait en effet que, si on assu-
rait leur subsistance, les Déchaussés ne feraient point d'ob-
jection contre la réunion. Au point de vue des suppressions,
faisait-il remarquer, leur église d'Aix appartenait à la ville et
1 . lis avaient obteau en 1764 une bulle du pape pour se dispenser d'assis-
ter aux chapitres généraux el fait récemment enregistrer de nouvelles
constitutions au Parlement de Provence (Mémoire du P. Pickaalt).
a Dy Google
LA COMMISSION DBS RÉGULIERS (1766-I771). aQÛ
celle de Marseille à l'hôpital. Leur chapitre devait se réunir à
Aix au mois de mai 1770.
Jérôme de Suffren, évêque de Sisteron, choisi pour commis-
saire général au chapitre des Déchaussés, nous a laissé une
bien curieuse liste de ces religieux'. Pourvu qu'on ne chan-
geât rien aux constitutions , dit-il, généralement bornés et
grossiers, peut-être mauvais sujets, ils ne faisaient aucune
objection à la suppression de leur autonomie. Le 13 mai,
l'évèque leur interdit de recevoir des novices et confirma
André Perrin comme provincial. Il écrivit à ce sujet à l'ar-
chevêque de Toulouse : « J'ai dit à ces religieux que ma com-
mission n'était pas finie et qu'ils ne pouvaient rien faire sans
ma participation; c'est un tour de moine que le bon Père
(André Perrin) a cru valoir dans ces circonstances u (19 mai
1770).
Au mois d'août 1771, le « régime » des Déchaussés avait
été aboli en France* par une bulle du pape; les couvents
réformés de Digne et de La Verdière, les couvents déchaussés
de Seyne et de Saint-Quitus, quelques regrets qu'inspirassent
les religieux, avaient été supprimés. Voici comment fut aban-
donné Saint-Quinis. Le i3 novembre 1778, Michel Taillac,
économe, suppléant le P. Godde, provincial, remit à la muni-
cipalité de Camps les ornements de la chapelle, qui furent
trouvés en bon- état. Joseph Gassier, « homme de bonnes
mœurs », promit de travailler les terres labourables et, en
cas qu'il se trouvât un prêtre pour desservir la chapelle, il
s'engagea à lui obéir.
La suppression de l'un des deux couvents trinitaires de
(. Pièce 3a8.
»■ On ne toucha point aux Déchaussés d'Espagne, qui conservèrent leur
■uUmomie.
a Dy Google
3od l'ordre français des tributaires.
Marseille, l'un situé derrière PEvêché, l'autre dans le nouveau
quartier de Saint-Ferréol, rue de la Palu, ne fut point aussi
simple. Réunirait-on la première maison à la seconde ou la
seconde à la première? Les partisans du maintien du vieux
couvent faisaient valoir, par la bouche du P. Jacques Sou-
meire, ex-provincial, leur ancienneté et l'avis conforme du
P. Pichaull. Les amis des Déchaussés alléguaient la beauté, la
propreté de leur quartier, qui se développait de jour en jour,
et l'étendue de leurs bâtiments. Le P. Soumeire ayant menace,
en cas de départ, d'ameuter les harengères du vieux quartier,
l'évêque de Marseille l'envoya pour quelque temps à la cam-
pagne. Finalement, des lettres patentes d'avril 1777 sup-
primèrent les Trinilaires de la Palu, en les incorporant à la
première maison, qui fut transférée rue de la Palu. Les « Pa-
lunaires » y gagnaient beaucoup, disait l'évêque de Mar*
seille; « vieux et pauvres, ils reçoivent des gens qui leur
apportent quelque chose et qui vont faire leur besogne ». On
ne s'était point entendu sur la préséance entre les deux minis-
tres; on décida la latéralité (ao août 1777) : ils marchèrent
côte à côte lors de la réunion. L'hôpital Saint-Eutrope et
le Bureau de la Rédemption furent aussi transférés dans le
quartier neuf.
C'est dans cette région du Midi que l'on peut le mieux
saisir l'effet des prescriptions de la Commission des Réguliers,
ailleurs elles paraissent être restées à peu près à l'état de lettre
morte.
a Dy Google
CHAPITRE XIX.
Les dernières années des Trlnitalres
(1775-1792).
Le P. Pichault, qui avait eu tant à travailler pour l'unifica-
tion de l'ordre, mourut en 1780. Ses dernières années avaient
été attristées par ses démêlés avec Delarue ' , mauvais religieux,
qui le blâmait d'avoir fait mettre ses armoiries dans le sanc-
tuaire, d'avoir changé l'orgue des Mathurins, de n'avoir pas
voulu, sur quatre-vingt-treize maisons, en supprimer cin-
quante (chiffre exagéré) que le chapitre national avait condam-
nées, et l'accusait de ne donner aux religieux ni vêtements, ni
couvert, ni draps. Pour ses critiques, il avait été mis aux arrêts
par le P. Pichault.
Au dernier chapitre général de l'ordre de la Trinité, qui
se tint à Cerfroid au mois de mai 1781 *, il n'y eut que quatre
représentants de l'Espagne. Pierre Chauvier, piofès de la
Gloire-Dieu, en Champagne, fut élu par trente voix contre une
1. Mémoire instructif pour le sieur Delarue... (Bibl. Nat., coll. Joly de
Pleury, i6o4. f° "36), Le Parlement déclara ses Mémoires infâmes et ca-
lomnieux. Il fil encore parler de lui, ayant commis une escroquerie à
l'égard de dame Marie Béatrix, née comtesse de Eleinach, douairière de
M. le marquis de Staël, el fut l'objet d'un pamphlet r La Vérité rétablie
(BesaoeoD, 1786).
3. Bibl. de la ville de Paris, recueil 283a4, in-4».
aoy Google
3 02 l'ordre français des trinitairbs.
à Audibert; le provincial de Champagne le confirma, sans faire
tort à la province de France, qui avait ce privilège ' de con-
firmation du nouvel élu.
On décida que celui qui aurait été deux fois visiteur et pré-
sident du chapitre provincial aurait les honneurs des Père» dt
province (c'est-à-dire d'ex-provincial), et que le ministre rem-
plaçant un provincial devrait quitter ses fonctions de ministre
pour ne conserver que celles de provincial. .
Un religieux pourra désormais devenir profit d'un couvent
auquel il a rendu des services.
Nul ne sera élu visiteur provincial avant l'âge de trente-six
ans.
Le général choisira pour six ans les ministres, quand il y
aura eu deux élections nulles ou en cas de refus de l'élu.
Dans une élection particulière, les curés-profès doivent être
appelés à voter s'ils ne sont pas éloignés de plus de ao lieues.
Le couvent de Naples est désormais rattaché à l'Aragon, et
le visiteur provincial en nommera le ministre.
Le procureur général en cour de Rome recevra a, 100 livres
par an.
Cerfroid fut déclaré noviciat pour les quatre provinces, et
l'on décida d'honorer à perpétuité la sainte Vierge, comme
patronne de l'ordre, sous le nom de Notre-Dame-du-Remède.
Emmanuel Rovira, provincial d'Aragon, fut institué chronc-
graphe de l'ordre.
Deux ans après ce chapitre général, dont les décisions ne
manquent ni d'intérêt, ni de variété, les couvents des Pays-
Bas furent supprimés. Déjà, en octobre 1771, Marie-Thérèse
avait interdit aux Trinttaîres d'Orival de communiquer avec
1 . Pane que Cerfroid était daos la province de France.
a Dy Google
LES DERNIÈRES ANNÉES ( I 775-1 7Q:j). 3o3
le général, qui avait refusé de nommer un vicaire général des
Pays-Bas. En 1774» le Conseil de Bradant, véritable initiateur
du mouvement, disait : « L'obstination du général ajoute .
aux raisons de le dépouiller de sa supériorité sur les religieux
sujets de Sa Majesté1. » Le 8 novembre 1776, le ministre
d'Orival avait reçu du général une commission pour lever
dans les Pays-Bas les deniers des confréries et les lui en-
voyer. Le Conseil lui interdit celte levée, déclarant que l'or-
dre était totalement dégénéré, tombait de lai-même et ten-
dait à sa fin. Les commissaires imposés, pour les élections
de ministre, par les nouvelles constitutions exaspéraient sur-
tout le Conseil; il était peu au courant, d'ailleurs, de la
discipline monastique, puisqu'il déduisait du fait qu'un mi-
nistre était chargé de visiter un couvent une preuve que ce
couvent était mal administré I Pendant quelque temps cepen-
dant, tout alla bien, puisqu'un édit du 28 novembre «78k
ordonna la tenue, de quatre en quatre ans, d'une assemblée
générale des Trinitaires des Pays-Bas. La première (et la
seule) eut lieu à Orival le 2") avril 1783.
Le 17 mars 1783, un édit de Joseph II supprima les Trini-
taires, tant en Autriche qu'aux Pays-Bas. Des instructions
détaillées furent données au commissaire chargé de veiller à
la suppression du couvent de Bastogne (3 juillet 1783) que je
prends pour exemple.
Arrivé au couvent, il fera sonner la cloche, assemblera la
comunauté et lira le décret de suppression. 11 demandera aux
religieux de déclarer, dans les huit jours, si leur projet est
de se retirer dans un autre couvent de l'ordre ou de vivre en
prêtres séculiers. Il les préviendra que l'intention de Sa Ma-
1. Arcb. du royaume à Bruxelles, nouveau Conseil privé, 11° \\-t-t.
a Dy Google
3o4 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRIMTAJRES.
jesté est de favoriser l'instruction de la jeunesse et que ceux
qui s'y adonneront peuvent compter sur toute sa bienveil-
' lance. Le commissaire prendra les inventaires généraux de ta
maison et laissera à chaque religieux ce qui lui revient en
particulier. Il enverra au Conseil la liste de ces individus.
La pension, de 210 florins pour ceux qui se retireront
dans un couvent d'un autre ordre, de 4ao pour ceux qui
s'adonneront à l'éducation de la jeunesse, s'élèvera à 700 flo-
rins pour le supérieur inamovible, à 800 même s'il a dé-
passé Page de soixante ans. Tout pensionné recevra, de
plus, 100 florins, afin de se pourvoir du nécessaire jusqu'à
l'échéance du premier trimestre de sa pension, plus un ha-
billement complet et décent. Les profès qui désireraient être
relevés de leurs vœux s'adresseront à leurs évèqucs diocé-
sains. Un laïque intelligent, d'un caractère « doux et hu-
main », sera économe provisoire dans chaque maison,'.
Les cures desservies par les religieux de l'ordre resteront
à leurs desservants, mais, au fur et à mesure de l'extinction,
seront conférées à des prêtres séculiers désignés par la voie
du concours.
Les couvents des Pays-Bas ayant été ainsi supprimés, on
liquida les pensions des religieux et on nomma des adminis-
trateurs de ces biens, souvent le curé du pays. De 1784
à 1790, la plupart des pièces relatives à ces couvents ont été
recueillies dans des dossiers formés par province1. Il ne
s'agit souvent que de baux dont le renouvellement est accordé
1. A la suite de ces suppressions, les biens que possédaient CD France
ces couvents des Pays-Bas furent confisqués par le gouvernement de
Louis XVI. Cela permit au moins aux économes de refuser aux couvents
français le paiement des cens qu'ils percevaient aux Pays-Bas.
2- En France, les temps troubles de la Révolution empêchèrent de for-
mer une semblable collection.
a dv Google
LE P. CHAUVIER, DERNIER GÉNÉRAL DE L'ORDRE EN FRANCE.
(BIW. nrtlottle, «oïl. Flenrj [déport. Aima], C M.)
(igUizeciDv G00gle
a o» Google
LES DERNIÈRES ANNÉES (177D-I792). 3o,î
ou refusé, de secours, réclamés soit par les « individus »
dispersés, soit par des particuliers qui les ont recueillis et
soignés pendant leurs maladies. Les pièces les plus curieu-
ses se rapportent aux ornements d'église et aux reliques ;
l'autorité ecclésiastique ne permettant point de les mettre en
vente, elles sont cédées aux églises paroissiales, avec des
tableaux trinitaires ; à Audregnies, se rencontre une relique
de saint Roch.
Le sort de ces couvents dut émouvoir le P, Chauvier et lui
donner de tristes pressentiments. De l'édit de Joseph II a la
réunion des Etats Généraux, il ne s'écoula que six ans. L'or-
dre militaire jeta alors un vif éclat, grâce à la rédemption
de 1785, opérée de concert avec l'ordre de la Merci, une des
plus nombreuses qu'on eut vues, en France du moins, car
il y eut trois cent treize esclaves rachetés. Le général ne pou-
vait cependant se faire beaucoup d'illusions, le changement
de constitutions n'ayant pu modifier l'esprit des religieux :
le P. Delarue n'était pas isolé, et un Trinitaire de Douai,
Henry-Joseph Laurens, auteur d'ouvrages légers, avait mis
le comble au scandale en s'enfuyant avec une religieuse '.
Le 20 février 1 790, l'Assemblée nationale avait décidé d'en-
voyer des commissaires dans les différents couvents de Paris,
pour y recevoir les déclarations des revenus et demander aux
religieux quelles étaient leurs intentions.
Le 2 avril suivant, les Mathurins de Paris reçurent la visite
des deux commissaires, Etienne de Larivière et de Jussieu.
Le P. Chauvier leur remit sa déclaration. Les revenus de la
maison montaient à g 1 , 1 54 livres et les dépenses à 37,939 li-
vres. Le récolement des Archives des Mathurins suffit à nous
1. Taillinr, Annales... de Douai, t. III, p. a5g.
a Dy Google
3o6 l'ordre FRANÇAIS DES mlNITAIRES.
convaincre que les plus importantes pièces ont disparu à Paris
comme à Cerfroid. L'Œuvre des Captifs, qui avait 9,278 livres
de revenus et 1,037 de charges, fut l'objet d'une déclara-
tion particulière, où furent consignes des faits intéressants1,
avec le souhait, bien platonique, que l'Assemblée nationale,
« dont tous les actes tendaient à l'établissement de la liberté, »
n'oubliât pas les Français esclaves en Afrique.
Les déclarations particulières des Mathurins ont été copiées
à part. Ils sont dix-huit, non compris le général, son secré-
taire et deux frères convers. Le P. Chauvier et son secré-
taire, le P. Hue, âgé de trente-trois ans, déclarent qu'ils
veulent vivre et mourir dans l'état où ils sont ; deux autres
religieux seulement, un jeune et un vieux, les imitent. Les
autres disent, soit nettement qu'ils quitteront la maison si
l'Assemblée nationale la supprime, soit, tout simplement,
qu'ils ne s'expliquent pas pour l'instant. Le sacristain, âgé
de soixante ans, se retirera « en » Avignon, auprès de sa
sœur. D'après la statistique dressée par M. ttabeau2, les
Mathurins sont dans une bonne moyenne (10 restés, 9 sortis,
3 absents).
Les religieux de Cerfroid annoncèrent, le 3 juillet 1790, à
l'Assemblée nationale que, « le 19 du mois précédent, ils
avaient fait disparaître de leur temple des marbres et armoi-
ries qu'un despotisme aveugle et présomptueux y avait pla-
cés3 », sans doute ces Heurs de lis qu'ils étaient si fiers
autrefois de rattacher à l'origine légendaire de Saint-Félix de
Valois. Le P. Calixte a relevé la liste des pensions données
aux religieux; elles varient de 1,200 à 900 livres.
i. Pièce 348.
a. Bulletin de la Société (te ChUtoire de Pari», l. XXII, p. aoi .
3. Table des procès-oerbaiix de l'Assemblée nationale, n° 338, p. 31.
a Dy Google
LES DERNIÈRES ANNEES (1775-1792). 3c>7
C'est la même proportion à Tarascon1. Seul le provincial,
âgé de soixante-treize ans, déclare vouloir vivre en particu-
lier, puisque l'ordre où il est entré pour y vivre et mourir
est détruit. Le ministre, Accurse Manche, « ne retient que la
qualité de citoyen ».
La transition entre l'ancien et le nouveau régime est diffi-
cile à saisir. Pour Metz cependant, nous avons la négociation
du ministre d'Ancerville avec les administrateurs du district
pour se faire payer la pension de ses religieux. Fixée à
a, 4oo livres, en tout, elle fui diminuée de leur déficit (224 li-
vres), et de leurs impositions (a35 livres), aux termes de la
loi du a3 février 1791. Le reste, soit 1,941 livres, fut délivré
par te Directoire du district pour être partagé entre les
religieux3.
Comme on pouvait s'y attendre, plus d'un ancien supérieur
se vit en butte aux exigences de religieux mécontents. Le
P. Tourneforl dut demander la protection du maire de
Montpellier contre ses anciens moines, qui lui réclament des
sommes qu'il ne doit pas, alors qu'il a déjà comblé de sa
bourse le déficit de sa maison. Le P. Jacquesson, de Châlons-
sur-Marne, fut l'objet d'une dénonciation de la part d'un de
ses religieux, se plaignant à l'Assemblée nationale que le mi-
nistre ait mal entretenu le couvent, au point d'avoir fait courir
au suppliant le péril de se casser la caisse dans un escalier3.
Ce que devinrent isolément les Trinitaires, il est assez diffi-
cile de le dire, faute de documents. Le P. Chauvier, dernier
général, mourut de douleur en 1792% après s'être vu enlever
1. Pièce 35o.
a. Pièce 35a.
3. Bibliothèque nationale, F1 1602g.
4- On a la lettre de faire part de son enterrement (i5 mars). (Recueil pré-
cédemmeoL cite de la Bibliothèque de la ville de Paris.)
a Dy Google
3o8 l'ordre français des tributaires.
la caisse des captifs. Son secrétaire, le P. Hue, émigra et
devint plus lard aumônier de Louis XVIII. Une tradition,
conservée dans sa famille, veut qu'il ait sauvé une partie des
archives de l'ordre. Le bibliographe du Serapeum émet l'hypo-
thèse qu'elles ont pu être transportées dans des couvents de
l'Amérique du Sud; peut-être sont-elles tout simplement en
Espagne, où, en 1791, le P. Calvo publiait à Pampelune le
Résumé des privilèges de l'ordre.
Les Trinitaires ne prirent pas une grande part au mouve-
ment révolutionnaire. A peine peut-on citer, à Cerfroid, l'adhé-
sion au nouveau régime (3 juillet 1790) et la proposition, faite
par les religieux, de verser les produits de leurs quéles dans
la caisse de la Marine (24 décembre 1791)'. A Paris, un reli-
gieux nommé Baudart prononça, dans l'église des Mathurins,
un discours sur la restauration de la liberté française1
(a4 septembre 1789).
A Châteaubriant, Maréchal, procureur, et Bâlé, seuls reli-
gieux habitant encore le couvent, étaient venus déposer à la
mairie quatre chandeliers d'argent, comme don patriotique, et
une croix d'argent pour les pauvres dès le 20 novembre 1789.
Ils eurent une vive altercation avec le doyen pour la proces-
sion du Saint-Sacrement : Moines, que venez-vous faire ici?
leur dit-il. La verge dont vous nous fouettez, vous en serez
bientôt fouettés vous-mêmes. Dorvaux, ministre, était retiré à
Metz. Bâlé, âgé de soixante ans, se réfugia à Senones, où
des soldats le mirent à mort3, et vérifia ainsi cette pro-
phétie.
Ce n'est pas le seul Trinitaire qui ait eu un sort tragique.
r. Table des procès-verbaiij: de l'.lfsei/ibtée nationale, pp. ai et 112.
2. Bibliothèque nationale, Lb*n 286.
3. Goudé, Histoire de ChAteuubriant, pp. 234, 4^7 e' 4^8 (note).
aoy Google
LES DERNIÈRES ANNÉES (1775-1792). 3cK)
j - Tournefort, ex-ministre de Montpellier ' , était revenu
bre s Son pays, à Vénasque, près de Carpentras ; le i a novem-
stii^ 792, nommé assesseur du juge de paix, il jura la con-
îi)l\i tr*n civile du clergé; puis il reçut et signa la plainte
^ les « patriotes » ; poursuivi comme fédéraliste, il fut
y*$fe par la commission d'Orange, autorisée le 10 mai 1794
par la Convention, et exécuté dans cette ville le 3 juillet2.
En 1793, se passa un fait scandaleux : Ride, ex-Trinilaire
de la maison de Troyes, marié à une ancienne religieuse du
Paraclel, prononça un discours abominable dans l'église de
Bar-sur-Seine et ouvrit le bal avec celte religieuse. Il quitta
Bar-sur-Seine, le 10 décembre 1793, avec le commissaire, de
la Convention Rondot fils, après y avoir mené très joyeuse vie
et fait arrêter plusieurs citoyens, notamment un de ses
parents, nommé Le François3.
Quelques religieux survécurent honorablement à la tour-
mente. Un Trinilaire de La Perrine, près Saint-Lô, Mariolle,
resta caché dans le pays, et mourut aveugle le 19 juin r84a,
à l'âge de quatre-vingt-onze ans, faisant par sa douceur « les
délices de ses amis»4.
Hurlrel, ancien procureur du couvent d'Arras, résida à
Hesdin, puis à Béthune. Un autre Trinilaire, Claude Duriez,
âgé de quarante et un ans, non « sermenté », demeurant chez
Philippine Dufresnoy, blanchisseuse, rue des Fours, « malade
I. Siens,, Le département de i'fféraull pendant la Révolution, l. II,
p- xxix, nomme, parmi les ci-devani reliçîeux n'ayant pas prêté le serment
(4 mai 179?], Gros, ci-devant TriiiifFÙrc, pensionné de 1,000 livres, et Souiria,
résidant» Héziers (3oo livres).
a. Salhel, Le déparlement de l'Hérault pendant la Révolution, t. IN,
p. 1 19, et l'abbé Bonkbl, Les 33a victimes de la commission d'Orange.
3. Pbtel, Essoyes pendant la Révolution, pp. 8i-8ï {communiqué par
M. l'abbé Niort, de Troyes).
4- Dubohc, Etudes sur le département de la Manche, t. I, p. i3i,
a dv Google
dlO L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
de nerfs », comparait à Arras devant une commission et est
incarcéré, on ne sait pourquoi; on le retrouve en i8o4 à
Saint-Gérv ' .
Le P. Calixte cite le P. de Buire, ancien discret des Ma-
thurins de Paris, prieur de Verberîe en 1789, syndic et maire
durant la Révolution et redevenu curé, lors du rétablissement
du culte jusqu'à sa mort, arrivée en i833. Un religieux de
Cerfroid, le P. Nicolas Fortcombat, était en 1817 curé dans
les Vosges1.
Quelque résistance particulière qu'aient pu opposer certains
sujets à ces causes de destruction, l'ordre n'avait plus assez
de vitalité pour être réintroduit avec succès en France dans
notre siècle. Les tentatives du P. Calixte, dont il sera question
à propos de Cerfroid et de Faucon, causèrent plus d'étonne-
nement qu'elles ne trouvèrent de sympathie.
Tous les Trinitaires ne furent pas supprimés. Il en sub-
sista en Espagne jusqu'à 1 835; ils existent encore en Italie
(voir l'appendice sur Rome). Lorsqu'en 1799 le pape Pie VI
vint mourir à Valence, son chapelain, qui l'exhorta à par-
donner à ses ennemis, était un Trinitaire de Livourne, Jac-
ques Fantini3.
i . L'abbA Deraneqourt, L'église d'Arra» pendant la Révolution, t. 111,
p. 5oa ; t. IV, pp. 80, 448
2. P. Calixte, Vie de Saint-Félix de Valois {1878), pp. 181, 3i2.
3. Bulletin de l'ordre de In Trinité, octobre 1899.
)y Google
TROISIEME PARTIE
Le Rachat des Captifs.
«««Google
a o» Google
BIBLIOGRAPHIE
Les documents inédits sont moins nombreux qu'on ne serait porté
à le croire. Le sujet du rachat des captifs avant eu. au cours du dîx-
seplième et du dix-huitième siècle, un intérêt que la disparition de la
piraterie ne permet plus de comprendre, presque tout ce qui en était
digne a eu aussitôt les honneurs de l'impression. 11 faut citer cepen-
dant, à Paris, les Archives du Ministère des affaires étrangères (Ma-
roc, Alger, Tunis), les Archives de la Marine (séries B1, B\ B');
à Marseille, les Archives de la Marine, et surtout celles de la
Chambre de commerce, qui contiennent de nombreux dossiers de
rachats de captifs, comme les cartons des Archives du royaume de
Bruxelles consacrés aux confréries' de la Rédemption. Le manuscrit
français 6a36 des nouvelles acquisitions de la Bibliothèque Nationale
renferme le récit d'une rédemption opérée au Maroc en 1765; quel-
ques autres manuscrits seront cités en note à l'occasion des détails
qu'ils m'ont fournis.
Parmi les ouvrages imprimés, je ne vais signaler que ceux qui
soot d'un intérêt capital, les récits des voyages de rédemption ayant
été tellement feuilletés qu'il n'y a presque plus rien à y relever.
/. 1,'Epitome omnium redemplionum..., du Portugais Bernardin
de Saint-Antoine (1624), écrit d'une manière consciencieuse et digne
d'éloares, nous renseigne sur une époque dont ou n'a pas conservé
beaucoup Je documents originaux.
r- TY/uïtaire Déchaussé, Raphaël de San Juan, a publié en 1686
Voir a»8»* ** ms" l075 de la Bibliothèque de Vateacienues.
a Dy Google
3l4 LE HACHAT DES CAPTIFS.
un grand trait)'- : De la redencion de cautivos. Le titre permet-
trait d'espérer une source fondamentale ; malheureusement, l'auteur
cédant à son goût pour la polémique contre les Frères de la Merci,
ne peut être cru que sur les points où l'ordre rival n'est point eu
cause'.
C'est également te seul reproche qu'on puisse adresser au très inté-
ressant Triumphus misericordiae , publié à Vienne, en 1706, par
Jean de Saint-Félix, qui consacre un chapitre très curieux aux ras
de conscience des captifs.
Nous n'avons pas en France l'équivalent de ce que nous a fourni
l'étranger, à part l'Histoire de Barbarie, du P. Dan, qu'il suffit de
citer. Le savant Trinitairc avait laissé en manuscrit ses Plus illustres
captifs, que le P. Calixte a publiés en deux volumes, à Lyon (189a).
De nos jours, l'œuvre de la rédemption des captifs a été étudiée, à
Montpellier, par A. Germain, et à Toulon, par le Dr Gustave Lambert.
Notre pays n'a guère publié, avant la seconde moitié du dix-sep*
tième siècle, que de petites plaquettes, analogues au Tractado de la
redencion de caulioos, de Hieronimo Graciai» (Borne, i5p,7). Encore
avons-nous été devancés par l'Espagne : le plus ancien de ces livrets
est VInstitucion o fundacion de la orden de la Sm<* e individus
Trinidad de la redempdon de captivas (Aleala de Hénarés, 1567)'.
Un autre recueil d'indulgences a été publié k Rome en 1 588.
Ces petits ouvrages, ces traités édifiants sur l'Institution de l'ordre,
qui se vendaient au profit des captifs, étaient d'un plan uniforme, plus
ou moins bien suivi. Au frontispice, une gravure représente l'appa-
rition de l'ange entre les deux captifs, avec un tercet affirmant que
l'ordre a Dieu lui-même pour auteur. Suivent tes vies de saint Jean
de Matha et de saint Félix de Valois, tout à fait légendaires, l'expli-
cation mystique des trois couleurs de l'ordre, la liste des indulgences
accordées aux Trinitaires et aux confrères, la plus importante partie
du livret, aux yeux des religieux, puis les qualifications élogieuses
dont l'ordre a été comblé. L'opuscule se termine par un bref dis-
cours sur la rédemption des pauvres esclaves captifs et les tourments
qu'ils éprouvent en Barbarie. Quelques auteurs ont relevé leur sujet
1. Ces deux livres se trouvent k la Bibliothèque de l'Arsenal, bous les
cotes H i3oa3 el H i3888.
3. N» 10 de la Bibliographie du Serapeum.
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BIBLIOGRAPHIE. 3l5
par le récit d'aventures récentes de captifs1 ; ainsi fit Jean Thiéry, qui
avait lui-même opéré une rédemption eu Hongrie, dans son livret
paru en 161a ; le même mérite se remarque dans celui de Barthélémy
de Puille, publie m Douai en i635. Certaines villes où se trouvait un
couvent de l'ordre, Rouen, Troyes. Douai, Avignon, Marseille, devin-
rent des foyers d'impressions trinitaires. Dans ces livrets d'indul-
gences, plus importants qu'on ne serait disposé à le croire, la Préface
et le dernier chapitre contiennent parfois des renseignements histori-
ques fort importants : il en est ainsi dans la 5* édition des Privilèges
et indulgences du P. Ralle, publiée en i665". Ces auteurs étaient
presque toujours des personnages distingués, a3'ant joué un rôle im-
portant dans leur ordre, comme le P. Raymond de Pallas, qui publia
sa Confrérie à Marseille en 1677.
Pour piquer l'attention du public, on donnait aux récits des
rédemptions des titres allégoriques, comme les Victoires de la cha-
rité (relation des voyages du P. Lucien Hérault) et le Tableau de
piété (Châlons, 1668). Les Pères de la Merci écrivirent de leur côté
la Vive foi (1644) et le Miroir de la charité {i663}, dont les titres
étaient d'ailleurs pleinement justifiés par les qualités que les reli-
gieux avaient eu à déployer au cours de ces voyages. Par modestie,
un grand nombre d'entre eux n'ont pas signé leurs récits de voyages,
et ce n'est que par conjecture que nous en pouvons déterminer l'au-
teur : l'Etat présent des royaumes de Tripoli, Tunis et Alger,
publié à Rouen en 1703, doit être l'œuvre du P. de La Faye, procu-
reur général des captifs; à ce livre est souvent jointe la Tradition
de l'Eglise pour le rachat des captifs, récit agréable, sous forme
d'entretiens, de ce qu'ont fait les- saints en faveur de cette œuvre de
miséricorde. De même, le Voyage à Constantinople, du P. Jehan-
nol (1732), est souvent reb'é avec les Mandements des évêques pour
la rédemption des captifs, imprimés à Tours en 1734.
Il semble qu'après cette date les Trinitaires se soient refroidis pour
la composition de leurs ouvrages. La plupart des rédemptions
suivantes ne sont connues que par des listes d'esclaves ramenés,
:. Le Tableau de Piété du P. Michelin contient eu appendice la relation
du martyre de Pierre de la Conception (juin 1667).
2. Bibl. Nat., H 17671. La \t édition avait paru eu i654, avec une dédi-
cace de Pierre Mercier au général, qui avait avait gardé l'anonyme.
a dv Google
3l6 LE RACHAT DES CAPTIFS.
des placards annonçant leurs processions, ou une correspondance
soi-disant recueillie avec exactitude '. Peut-être l'attention du public
était-elle lassée à la fin de ces incidents sans cesse renouvelés.
II. Un second groupe de documents, pouvant nous renseigner sur
la difficulté de la tâche des rédempteurs, est formé par les relations des
esclaves écrites par eux-mêmes. La plus connue est celle d'Emmanuel
d'Aranda, qui mérita d'avoir plusieurs éditions a partir de i645. Ce
Flamand rapporte naïvement toutes ses aventuras et celles de ses
compagnons d'infortune, en y joignant des relations particulières de
toutes ses observations. La condition des esclaves est bien plus douce
alors que cinquante ans auparavant, lorsque le bénédictin Diego de
Haedo rassemblait patiemment, trop lentement même, les matériaux
de sa Topoyraphia de Argel (1612). Les Aventures du sitar
Mouette {1684) sont déjà presque un roman et annoncent la Proven-
çale deRegnard.
Pour les soins qui étaient donnés aux esclaves dans les hôpitaux,
le livre d'Antonio Silvestre, Fundacion historiés de los hospitales,
que la religion de la S. Trinidad liene en Argel (1690), ren-
seigne a merveille. Leur vie quotidienne est souvent dépeinte dans les
Annale» de la Congrégation de la Mission ; deux volumes publies
à Paris en i865 concernent Alger, et un troisième se rapporte à
Tunis.
III. Enfin, pour bien apprécier les relations diplomatiques entre
les Français et les Algériens, qui pouvaient influer sur l'accueil fait
aux rédempteurs, il faut se référer "aux. études de M. de Mas-Latrie :
Relations de l'Afrique septentrionale avec les nations chré-
tiennes, jusqu'au seizième siècle, et ensuit* aux différentes histoires
d'Algérie.
Fondée à Alger il y a cinquante ans, la Revue africaine s'est im-
posé comme lâche de prouver que, dans les relations franco-algérien-
nes, tous les torts n'avaient pas été du côté des Algériens. Devoulx
1 . Par exemple les Lettres d'un des captifs qui viennent d'être rachetés
en tj8j. — Le P. Calixte, dans ses Corsaires et rédempteurs, a analysé
la plupart de ces relations.
a Dy Google
BIBLIOGRAPHIE. .'i ( 7
et Berbrugger, et, de nos jours, H.-D. de Grammont el M. Ernest
Mercier, nous ont donne, sur les consuls de France et sur les
esclaves chrétiens, les détails les plus intéressants. Le sujet a tente
même la magistrature, car des discours de rentrée, prononces à la
Cour d'Alger en 1900 et en iqoï, ont clairement résumé les notions
acquises sur la condition des chrétiens libres et celle des chrétiens
esclaves.
H. D. de Grammont, en publiant la Correspondance des consuls
de France, Alger de i5/5 à 178g, quatre brochures sur les rela-
tions franco-algériennes au dix-septième siècle, et ses trois études si
neuves sur La course, l'esclavage et la rédemption, mérite toute
notre reconnaissance. Il a frayé la voie à M. Eugène Plantet, qui a
recueilli la Correspondance des deys d'Alger et des beys de Tunis
aoec la cour de France. Ces cinq volumes resteront parmi les plus
précieux, pour l'histoire de cette époque curieuse; des introductions
très développées et des notes abondantes ne laissent aucune question
en suspens. Tous ces ouvrages mentionnent très souvent nos Pères
de la Trinité et permettent de contrôler le récit de leurs voyages de
rédemption.
a Dy Google
a o» Google
CHAPITRE PREMIER.
Les plus anciens rachats de captifs effectués
par les Trinitaires.
Les religieux de la Trinité n'ont jamais prétendu qu'on n'ait
point racheté de captifs avant eux ; bien au contraire, un pro-
cureur général de la rédemption, le P. Jean-Baptiste de La
Faye, a savamment énuméré les empereurs et les saints qui
se sont le plus occupés de cette œuvre de miséricorde, parmi
lesquels se distinguent saint Césaire d'Arles et le pape Gré-
goire le Grand ' .
Les Trinitaires peuvent à peine se glorifier d'avoir été le
premier ordre religieux fondé expressément dans le but du
rachat des captifs. L'Espagne, en effet, encore à demi occupée
par les musulmans, avait fait plusieurs essais d'ordres mili-
taires ou hospitaliers, antérieurement à la fondation de l'ordre
de la Trinité par saint Jean de Matha, dont cela ne diminue
d'ailleurs pas la gloire.
Au dire de Baron, il aurait existé en Italie, vers n5o, des
religieux de la Sainte-Trinité, qui furent l'objet de décrétâtes
du pape Eugène III. Cette fondation est très douteuse, et
i. Voir, pour plus de deuils, mon opuscule : L'Eglise et le rachat des
captifs. Paris, 190a.
a Dy Google
3ao l'ordre français des trinitairgs.
peul-êlre cet ordre militaire1 de chevalerie, déjà voué à la
rédemption des captifs, n'esl-il imaginé que pour expliquer le
nom d'ordre de la Trinité donné aux premiers religieux
rédempteurs.
En n 56 (ère d'Espagne, c'esl-à-dire iiq4) paraissent à
Tolède des religieux de Saint-Geniès, de l'ordre de la rédemp-
tion, qui reçoivent une donation d'Alphonse, « empereur de
toute l'Espagne1. » On voit à Balaguer, en Catalogne, des
chevaliers de la Sainte-Croix pour le rachat des captifs (i iC3).
Mais ce ne sont encore là que des mentions trop rares, sur
lesquelles il est permis de ne pas s'arrêter.
L'ordre de Montjoie est le premier ordre rédempteur qui
ait une existence connue, retracée, en i8o3, par M. Delavilie
le Roulx, dans \a fteoue de COrient latin3. Le comte Rodri-
gue, son fondateur, avait imposé un prélèvement du tiers des
revenus pour le rachat des captifs4. Mais le recrutement de
l'ordre né s'opéra pas bien et ses possessions furent réunies
à celles des Templiers.
Si, dès 1198, nous constatons l'existence des Trinitaires,
nous sommes fort peu renseignés sur leurs rédemptions de
captifs antérieures au seizième siècle. C'est pourquoi, jusqu'à
cette date, il faut se contenter d'énumérer les voyages les
plus connus, réservant l'étude des ressources de la rédemption
pour ta période où les documents abondent.
Ces voyages ne devaient pas être aussi pénibles qu'où le
1. Il devancerait celui de la Merci, qui a porte ce litre d'ordre militaire.
3. Alphonse IX de Caalille (u56-iai4).
3. P. 4«.
4. Alphonse II, roi d'Aragon f 1 162- r ig(3), avait fondé k Teruel l'hôpital
de la Rédemption, dont les revenus étaient attribués au rachat des captifs
et à l'entretien de combattants contre les musulmans (Le Grand, Renne
des questions historiques, juillet 1896, p. 109).
a Dy Google
SAINT JEAN DE MATHA.
(A gauche, In procession.) {A droite, le rachat des captifs.)
(Ciblnet de. Bitampes : Portnlti dn SulnU, ferla ltd 13, fol. 14.)
wuzedt* Google
a o» Google
LES PLUS ANCIENS RACHATS HE CAPTIFS. 3a I
pense d'ordinaire, sinon en Espagne où les haines religieuses
avaient laissé des traces vivaces, attestées, en 1275, par la
mort de Sanche, archevêque de Tolède, et, en i3oo, par celle
de saint Pierre Paschal, évéque de Jaen, tous deux tués par les
Maures, au moins en Afrique- Les relations ordinaires entre
les musulmans et les chrétiens, depuis la an des croisades jus-
qu'à la prise de Constantinople, étaient empreintes sinon de
cordialité, au moins de tolérance, comme l'a montré l'historien
de saint Raymond de Pennaforl, le P. Danzas, commentant
les très libérales théories de saint Thomas d'Aquin. L'Eglise
veille simplement à sa propre sécurité, mais n'interdit pas aux
musulmans, vivant en pays chrétien, la pratique de leur reli-
gion. Des exemples de tous les siècles prouveraient que les
musulmans faisaient de même chez eux. Les récits, quoique
un peu tardifs, des historiens trinitaires et mercédaires témoi-
gnent de l'accueil qu'on fit aux religieux; certes ils ne peuvent
être suspectés d'avoir exagéré de parti pris la facilité de la
rédemption.
Le premier connu de ces voyages des Trinitaires date de
1199; nous avons son acte de naissance, la lettre du pape à
l'émir de Maroc ' (8 mars 1199). Les rédempteurs, dont on
ignore le nom, démontrèrent à ce prince, selon les idées du
pape, que l'échange était aussi avantageux pour les musul-
mans que pour les chrétiens : ils rachetèrent cent quatre-
vingt-six captifs. A leur retour à Alméria, le gouverneur
maure les reçut fort bien.
Les Pères de la Merci ont encore enchéri sur ces traditions.
Saint Pierre Nolasque, leur fondateur, s'offre en otage, selon
le vœu spécial de son ordre, pour le rachat anticipé de trois
1. Mas-Lathib, ouvr. cité (édit. de 1886), pp. :3o, i3i.
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3aa l'ordre français des trinitaires.
cents femmes et jeunes filles ' ; le roi maure de Valence,
acceptant celte offre généreuse, lui donne pour prison la capi-
tale de son royaume. Dans une autre circonstance, le roi le
laisse partir sans qu'il ait payé la rançon de deux cents
esclaves, gardant seulement en gage le bâton de pèlerin du
saint I Ce sont là des récits édifiants qu'il ne faudrait pas
prendre à ia lettre , mais qui prouvent l'estime inspirée aux
musulmans par la loyauté des rédempteurs.
Dès le principe, les Trinitaires français ont poursuivi réso-
lument le but de leur ordre. Il est malheureux que leurs chro-
niqueurs n'aient pas donné plus de renseignements sur
leurs plus anciennes rédemptions; elles ne furent peut-être
pas très nombreuses. 11 vaut donc mieux pécher par excès
de prudence et considérer que les quinze mentions de rédemp-
tion, antérieures & 1600, que renferme la Chronique des mi-
nistres généraux doivent donner à peu près le total des voya-
ges effectués par les rédempteurs français dans les quatre
premiers siècles. Sur ces quinze rédemptions, cinq au moins
sont uniquement faites en Espagne, dans le royaume de Gre-
nade; ce sont celles de 1323, de i33o, l'une de celles d'Etienne
du Mesnil, et celles de i£5i et de 1466, dont parle Gaguin.
Encore faut-il dire que, dans toutes les rédemptions, même
au dix-huitième siècle, les Trinitaires français rachetèrent
beaucoup de captifs étrangers, à défaut de Français.
D'ailleurs, les ressources de la France pour le rachat des
captifs étaient originairement peu considérables; un grand
nombre de maisons étaient des hôpitaux où ne s'effectuait
jamais (sauf à Dinard) la mise à part du « tiers des captifs ».
D'autres couvents, comme Troyes, avaient été formellement
1. Abrégé de l'Histoire de l'ordre de la Merci, 1691, pp. 4-5, 28-30.
a Dy Google
LES PLUS ANCIENS RACHATS DE CAPTIFS. 3a3
déchargés de l'obligation de séparer le tiers en tout ou en
partie; un grand nombre avaient à peine de quoi se suffire.
De plus, aucune surveillance extérieure ne s'exerçait sur les
Trinitaires du Nord, tandis que ceux d'Espagne trouvaient -
des censeurs impitoyables dans les Pères de la Merci, fondés
en 1238 à Barcelone par saint Pierre Nolasque. Leurs nom-
breuses disputes avec les Trinitaires contrarièrent bien des
rédemptions : tout l'argent dépensé à ces regrettables procès
eût été mieux employé à des rachats de captifs.
On peut affirmer que, dès le treizième siècle, les Mathurins
de Paris avaient la direction et la caisse des rachats de captifs.
Jean Lyssoart, faisant une rente à un clerc, stipule qu'après
la mort de celui-ci, cette rente reviendra aux captifs de Sainte
Mathurin de Paris1. Un évêque de Beauvais leur lègue
ao sous « pour le tiers des captifs ». Hugues, archidiacre de
Cardigan au pays de Galles, leur donne 10 livres dans le
même but, legs précieux de la part d'un étranger, bien
informé sans doute de l'efficace charité de ces religieux1.
Théaud, archidiacre de Liège, qui devint pape sous le nom de
Grégoire X, consent qu'une somme qu'il doit au roi Louis IX
soit employée en partie au rachat des captifs3.
Les motifs assignés à la fondation d'un certain nombre de
couvents trinitaires (Lérinnes, la Poullière, Estaires) par des
seigneurs captifs rachetés, eux ou leur fils , ne sont peut-être
pas simplement légendaires. Geoffroy de Châteaubriant , ra-
cheté par les Trinitaires et revenu dans son pays d'une façon
' inespérée (sa femme Sibylle en mourut de saisissement), té-
moigna sa reconnaissance envers ses libérateurs en leur don-
1. Cartalaire de Notre-Dame de Part», t. Il, p. 467.
3. Obilaaire des Mathurins, p. 685.
3. Pièce 4o.
a Dy Google
3a4 l'ordre français des trinjtaires.
nant un couvent à Châteaubriant'. De même, Robert de
Cassel et sa femme Yolande, ayant appris le triste sort de
leur fils, captif après la bataille de Nicopolis, fondèrent dans
la forêt de Nieppe le couvent de Préavin1 (i3q6). Le souvenir
de sa captivité explique les libéralités de Geoffroy le Meingre,
frère de Jean Boucicaut 3 , à l'égard des Trinitaires d'Arles.
Pour trouver des mentions de rédemption plus explicites
que celles de la Chronique de Gaguin, il faut attendre le quin-
zième siècle. Entre 1397 * et i4o3 (on ne peut préciser davan-
tage), Etienne du Mesnil fil, avec d'autres Mathurins, un
voyage au royaume de Grenade et ramena cent cinq captifs s;
il alla en Maroc dans la suite.
Une autre rédemption est datée avec précision par Gaguin.
m Je vis, dit-il, le retour des captifs, lorsqu'adolescent j'étu-
diais la philosophie à Paris. » Ces rédempteurs étaient partis
à la fin de juillet i448 : à cette date s'était tenue une assem-
blée à Saint-Germain-PAuxei'i'ois, après le sacre de l'évêque
de Paris, Guillaume Chartier. « Et là fut ordonné qu'on irait
rachepter des chrétiens qui étaient es mains du soldan , aux-
quels on faisait souffrir moult de martyres; et le deuxième
ou troisième jour après ce (22 juillet) partirent de Paris aucuns
frères de Saint-Mathurins et autres pour aller audit voyage
piteux6. » Le Bourgeois de Paris veut dire sans doute que,
dans un sermon, les futurs rédempteurs furent recommandés
1. Le P. Dan, Hittoire de Barbarie (1637), p. 488.
a. Aubbatus Mihaeus, Opéra Diplomatica, t. IV, p. 3g i.
3. Le P. Dan, Les plus illustres captifs, t. I, p. 357.
4. C'est vers cette date (t3qi) que se place le plus ancien rachat des
captifs coddu par le Dr Lambert, celui de Thomas Ëlie, de Berre, par Gal-
bert, de la Merci [L'Œaore de la rédemption des captifs à Toulon, p. 65).
5. Chartalariam L'niversitatis..., t. IV, pp. 75-76.
6. Le Bourgeois de Paris, édit. Tuotey, p. 446-
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LES PLUS ANCIENS RACHATS DE CAPTIFS. 3a5
à la charité des fidèles. Le terme de soldait, qu'on emploie
généralement pour désigner le soudan d'Egypte, doit signifier
un souverain musulman quelconque. Rien n'empêche donc
d'admettre, avec Figueras', que les Mathurins et les « au-
tres », c'est-à-dire des Trinitaires d'un couvent différent de
celui de Paris, allèrent à Grenade. L'un des rédempteurs
devait être Raoul Duvivier, qui fut élevé ensuite à la dignité
suprême de l'ordre. A leur retour, le 16 mai i45r, dit
Guillaume Cuisselet, chroniqueur de Saint-Victor, « on ran-
gea les captifs devant le porche, pour qu'on les vît en entrant
et en sortant de l'église. » Cette visite au couvent avec qui
l'ordre de la Trinité avait tant d'affinités était un acte de cour-
toisie traditionnelle. Gaguin, dont les dix-huit ans s'étaient
enthousiasmés à ce spectacle, en devint lui-même acteur
quinze ans plus tard, en ramenant des captifs de Grenade.
Il faut sauter près d'un siècle pour arriver à des détails
inédits et au récit de i54o, signalé par M. d'Arbois de Jubain-
ville {Voyage paléographique dans les archives du départe-
ment de l'Aabe)\ quoique fragmentaire, il nous fait vivement
regretter la perte du reste, ainsi que la rareté des récits
analogues. Quel attrait n'auraient pas de simples impres-
sions de voyage à travers la France du seizième siècle!
quelles dates précises ne fourniraient-elles pas à l'archéo-
logue 1
Les quatre minisires élus par le chapitre général de i53o
sont partis au printemps suivant, après avoir reçu la béné-
diction du général. Ils chevauchent, avec de l'argent el des
marchandises, accompagnés d'un seul serviteur; passant à
Lyon, où ils ne comptaient pas s'arrêter, ils y sont retenus
i. Chronicon, p. iBa.
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326 l'ordre français des trinitaires.
les 7 et 8 mai, et fouillés par les sergents préposés à la
garde de la Porte du Rhône : il était défendu, en effet, de
faire sortir de l'argent du royaume, sans la permission du roi,
et le religieux qui portait la sauvegarde royale était parti en
avant : on fit courir après lui. A la suite de cette singulière
aventure, les trois rédempteurs restants sont emprisonnés
et leur argent est confisqué. Heureusement, un négociant de
Lyon, nommé Garni., leur apporte une riche offrande; c'est
toujours une consolation, en attendant le retour du porteur
de la sauvegarde. Les sergents furent « ébahis » à la vue de
la lettre royale et ne surent que faire. Pour justifier leur pro-
■ cédé arbitraire , ils convinrent avec les rédempteurs que
ceux-ci rapporteraient, au retour, leurs comptes en règle,
à peine de confiscation de l'argent qui n'aurait pas servi à la
rédemption. Cette obligation de compte rendu serait donc
née d'un incident absolument fortuit.
Profitant de ce séjour à Lyon, les rédempteurs passèrent,
- le 9 mai i5&o, une convention ' avec Garin, leur bienfaiteur
de la veille. Sur r,56o écus d'argent, ils lui en donnèrent 1,000
pour le transport maritime et les dépenses à effectuer en
Barbarie, gardant le reste pour leurs frais d'aller et de re-
tour en France. Le voyage de retour des esclaves était fort
' long et comportait, par conséquent, des dépenses assez
fortes. Garin fera savoir, quinze jours à l'avance, au couvent
trinitaire d'A\ignon, quand le navire sera prêt pour trans-
* porter les rédempteurs à Alger, à Bougie ou à Collo ; deux
mois seulement de station en Barbarie sont stipulés.
Enfin, nos religieux sortent définitivement de Lyon. Vers
1 . Elle est mentionnée par plusieurs arrêts du Parlement de Parie rendus
en faveur des Trinitaires.
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LES PLUS ANCIENS RACHATS DE CAPTIFS. 3s7
SainL-Symphorien d'Ozon, ils voient venir au-devant d'eux le
ministre de Limon, hameau qui avait une église trinitaire
dédiée à Notre-Dame. N'entrant point à Vienne, ils pénè-
trent dans la vallée de la Gère, bordée de moulins « d'une
saulvaige sorte ». A Moirans, ils approchent des monta-
gnes du Dauphiné, si hautes qu'ils croyaient que c'étaient
des nuées. Au passage du Drac, dont il note la rapidité, le
journal s'interrompt, et nous ne connaissons ni la suite de
l'itinéraire des rédempteurs, ni la raison de ce détour en
Dauphïné.
En 1578, Bernard Dominici, récemment élu général, opéra
lui-même sa visite en Espagne. Il demanda combien il y avait
d'argent en chaque couvent pour la rédemption des captifs ;
îl trouva quelques deniers « divertis 0 de leur but, les fit res-
tituer et mettre en lieu sûr, défendant d'y toucher à l'avenir.
Le chapitre provincial se tint au mois de novembre a Gre-
nade;' beaucoup de discours y furent prononcés, il y eut de
nombreuses argumentations, l'Espagne étant remplie de reli-
gieux très instruits. Le chapitre décréta que l'argent de la
rédemption fut rassemblé avant le -24 juin 1679. Bernard
Dominici alla présenter ses respects au roi catholique, au
Pardô, et celui-ci approuva l'ordonnance du chapitre. Jean
Gil, que le supérieur de l'ordre avait nommé procureur géné-
ral, et Antonio de la Bella, ministre de Baeça, furent char-
gés de la rédemption. Ils ramenèrent, en i58o, cent quatre-
vingt-six « tant chrétiens que chrétiennes », plus quelques
saintes reliques. Le sixième sur la liste des chrétiens rachetés
est Michel de Cervantes, âgé de trente-huit ans, natif de
Alcala de Hénarès'.
1. Discours du rachapl... effectué par l'ordonnance du R. P. frire
a Dy Google
3 38 L'ORDRE FRANÇAIS DBS TRINITAIRES.
C'est encore en Espagne, à Alicunte, que mourut de la
fièvre, au retour du voyage de rédemption, un profès de
Saint-Mathurin, nommé Noël Payebien ' (7 novembre i5oa).
En 1602, le P. Thiéry, minisire d'Arras, ramena soixante-
douze captifs de Gran, en Hongrie. Ce voyage resta célèbre
par la venue en France de quatre Turcs, qui se firent baptiser.
L'un d'eux vivait encore cinquante ans après, comme curé
aux environs de Metz1.
Il n'y eut pas d'autre rachat effectué par les Français
avant i635. Le défaut d'argent, déjà allégué comme excuse
par François Bouchet, procureur général de l'ordre, dans son
discours au pape Grégoire XIII en 1575, et les divisions de
l'ordre trinitaire en sont la cause. Désormais les rédemp-
tions sont parvenues à l'état adulte, pour ainsi dire, et les
ressources que l'on pouvait y consacrer sont parfaitement
connues.
Bernard, général de l'ordre... Paris, chez Guillaume Chaudière, i58i.
Bibliothèque Mazarinc, 37218, pièce i5,
1. Obitnaire des Matharins, au 7 novembre. C'est tout ce que nous
savons de ce voyage.
2. Le P. Cauxte, Corsaires et Rédempteurs, p. 3ifi.
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CHAPITRE II.
Ressources des Trinitaires pour la rédemption.
i° Prélèvement sur les biens de l'ordre.
Le tiers des revenus de chacun de leurs couvents, obligatoi-
rement affecté au rachat des captifs, était recueilli primitive-
ment par des taxatores envoyés tous les ans '. De plus, lors-
qu'ils étaient en voyage de rédemption, les religieux devaient
consacrer à cette œuvre pieuse la totalité de ce qui leur était
donné. Chaque couvent eut un tronc des captifs, qui recevait
cette taxe du tiers et des legs particuliers faits pour la rédemp-
tion. Conformément aux statuts de i3ia, Pierre de Bourry,
général de i357 à 1373, voulant faire un rachat de captifs,
se fit remettre les sommes recueillies par tous les ministres
de l'ordre.
On pensa ensuite à désigner, dans chaque province, un
couvent qui centraliserait les aumônes faites pour la rédemp-
tion et les taxes du tiers des petits couvents : ce tronc aurait
trois clefs, l'une pour le provincial, l'autre pour le ministre
i. Statuts anonymes, n° 3i. Rutebeuf semble y faire allusion dans ces
vers relatifs aux Trinitaires :
« De quanqu'il ont l'année pris
« Envoient outre mer membre les pris. »
■doyGoo^Ic
33o l'ordre français des trinitaires.
particulier, la troisième pour un religieux du couvent (statuts
de 1429). Le couvent des Mathurins de Paris demeura le
trésor central de la rédemption.
La quotité du prélèvement, malgré toutes les affirmations
produites dans les polémiques du dix-septième siècle, est tou-
jours restée fixée au tiers : ces statuts de i429i imprimés
en r586, avec les annotations de Jacques Bourgeois, portent
expressément (page 45) : praecipimus diclam taxations*
tertiae partis anno quolibet de cetero in generali capitula
illi qui super hoc commissus fiierit totaliter et intègre
persolvi*. La stricte perception du tiers était déjà hors
d'usage, mais les religieux ne l'avouaient pas publiquement.
En voici deux exemples.
Le i5 septembre i534, une taxation avait été faite par
Nicolas Musnier, général, pour la Provence : Tarascon devait
payer 9 écus ; Marseille et Avignon, 8 ; Lorgues, 6 ; La Motte
du Caire, 4 ; Digne, Lambesc et Arles, 3. Les couvents de
Saint-Etienne sur Tinée et de Notre-Dame de Limon ne figu-
raient pas sur cette liste1.
En 1601, François Petit permit aux provinces d'Espagne
de prélever pour le rachat des captifs, sinon le tiers, au moins
une quotité la plus voisine possible du tiers3.
Un des résultats de l'enquête du cardinal de La Rochefou-
cauld (i638) est d'avoir fuit constater que, sur 33,544 livres
de revenus, les quatre provinces payaient seulement 199 livres
1. Cette disposition est approuvée le 19 avril i5?3 et le 17 mars 1S70;
le chapitre décide que l'on rachètera des captifs cum pingaior forluna loti
ordini saccetterit.
a. Trinitaires d'Arles, registre AA (début).
3. Pièce i46. Jean de Saint-Félix reconnaît aussi que, pendant un certain
nombre d'années, la province de Castille fut dispensée du prélèvement total
a Dy Google
RESSOURCES POUR LA RÉDEMPTION. 33l
de taxes. Le procureur général des captifs1 Claude Ralle,
secrétaire de Louis Petit, critiqué" sur cette expresse déroga-
tion à la règle, ripostait à la fois en se défendant et en atta-
quant; la défense était bien plus faible que ['attaque.
Les taxes ne sont pas nouvelles, disait-il ; elles ont été
fixées par les chapitres généraux — or nous avons vu les
prescriptions édictées par ceux de i^ao et de i5y3 — et auto-
risées par les bulles des papes (il se gardait bien d'en citer
aucune). Que dire encore de cet argument : On a renoncé à
prélever le tiers, parce que, dans certains couvents, les reve-
nus étaient insignifiants?
Où Claude Ralle semble reprendre son avantage, c'est
quand il avance que, si les Réformés avaient mis réellement
de côté le tiers des captifs, comme ils prétendent y être
obligés, on aurait eu, en trente ans, 20,000 livres de plus.
Sans doute, ce n'est pas là une excuse pour les mitigés, mais
il était vrai de dire que les Réformés, tant de Provence que
du Nord, n'avaient pas non plus leurs comptes en règle; au-
cune taxe n'y figurait pour les captifs. Plus d'une fois même,
Us empruntèrent les biens de cette œuvre5, sans doute avec
l'intention de les restituer, pour payer une dette urgente.
A ce point de vue, les deux branches mitigée et réformée
se valaient, il était donc à prévoir que rien ne serait changé
à cette déplorable situation. Maigre les ordonnances du car-
dinal de La Rochefoucauld, les « odieuses » taxes persistè-
rent; le chapitre général de i65i décida de les doubler, ce
. t. Ce dignitaire, à la nomination du chapitre général, était le plus sou-
vent â vie.
î. Ainsi, en 1790, les Trinilaires de Tarascon devaient à l'œuvre des cap-
tifs 888 livres, empruntées pour acheter le fer nécessaire à- la réparation de
la façade de leur église!
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33a l'ordre français des trinitaires.
qui était peu de chose encore. Au dix-huitième siècle, la taxe
annuelle subsistait ; elle était de 27 livres à Metz, de i3 à Mor-
tagne, de 12 à Beauvoir, de g à Soudé.
L'année où se faisait un rachat, il y avait des contributions
exceptionnelles : au moment de la rédemption du Maroc, en
1763, nous voyons les religieux de Toulouse retirer les fonds
nécessaires pour participer à cette œuvre. Ils avaient précisé-
ment reçu un legs de 2,000 livres ; l'exécuteur testamentaire
se déclara prêt a les verser, « pourvu que le chapitre lui
donnât les assurances convenables et un pouvoir spécial à
quelqu'un d'eux, pour recevoir et faire quittance des dites
2,000 livres et par là canceller le testament ' m. Cette année-là,
le couvent de Mortagne dut payer 100 livres pour les captifs1.
D'ailleurs, la centralisation des fonds ne se faisait pas tou-
jours à cette date ; avec le temps, le système de rachat s'était
modifié, la rédemption générale se changeant en rédemptions
particulières et beaucoup de couvents, comme ceux des Pays-
Bas, gardant à leur disposition leurs propres ressources.
Les Trînitaires Déchaussés du Midi n'imitèrent pas le relâ-
chement de leurs confrères du Nord. Le 3o août 1775, le visi-
teur provincial trouvait, dans le tronc du pauvre couvent de
Faucon, 232 livres 10 sous qu'il envoya dans la caisse géné-
rale de Paris (à ce moment, la province déchaussée n'avait
plus d'existence autonome); il ajouta avec raison : « Nous
avons admiré le zèle de la communauté pour cette œuvre. »
On mettait dans le tronc le produit de la vente des scapulaïres
distribués aux confrères, les dons provenant de la charité des
fidèles, le tiers du luminaire du jour de la Trinité; le coffre
1. Trinilnires de Toulouse, Registre des rentes, pp. a8-ag.
a. Archives de l'Orne {Inventaire), H 3i83.
a Dy Google
HESSOURCES POUR LA RÉDEMPTION. 333
à trois clefs recevait le produit du tronc des captifs. En
juillet 1780, le provincial trouva encore 3o livres 12 sous et
exhorta les religieux « à ne point négliger une oeuvre qui fera
toujours la gloire et le bonheur de l'ordre ' ».
2° Les tournées de quête des religieux.
Les taxes de l'ordre étaient complétées par les tournées de
quête, très nécessaires, attendu que les Trinitaires n'avaient
pas de couvents partout. Le ministre eut d'abord seul le droit
de quêter, et seulement dans son district1; comme il ne
pouvait sans inconvénient s'absenter trop fréquemment de
son couvent, on imagina les tournées de quêteurs Trinitaires.
De faux quêteurs prenaient abusivement l'habit trinitaire
pour se faire remettre des aumônes. Une bulle de 1228 per- '
mit aux Trinitaires d'emprisonner ces escrocs. En i46i, Pie II
chargea des évéques d'excommunier Louis Hurtado, laïque de
Tolède, qui se prétendait faussement Trinitaire et quêteur3.
Gagtiin, voulant présenter sous un mauvais jour les Pères de
la Merci, rivaux des Trinitaires, les compare à ces mendiants
valides, échappés de la cour des miracles.
Toute quête devait être autorisée par l'évêque. Les curés
étaient tenus de bien recevoir les quêteurs trinitaires munis
de la permission épiscopale ; ils devaient leur délivrer les legs
faits pour la rédemption, sans qu'eux ou les héritiers eussent
le droit d'en rien retenir (voir la bulle du 1" avril i343,
que je prends pour type, commençant par Querelam gravem).
1. Archives des Basses-Alpes, Registre des Trinitaires de Faucon, H 17,
p. 9-
ï. Statuts anonymes, n" 29.
3. Bekhaiu>ih de Saikt-Antoink, Bullaire, pp. i83-i86.
a Dy Google
334 l'ordre français DBS triwtaires.
Il était permis par les bulles Gratum Deo, si les quêteurs tri-
mt aires arrivaient dans un lieu où régnait l'interdit, d'ouvrir,
une fois, les portes de l'église en leur honneur, et d'assister
à leur prédication ; s'ils se trouvaient en concurrence avec
d'autres religieux, ils recevaient la préférence.
Ces tournées de quête étaient fort caractéristiques en Espa-
gne, ou la publication de la rédemption se faisait d'une façon
solennelle. Les religieux, à dos de mulet, s'avancent deux à
deux, précédés par des joueurs de trompette, de cymbale el
de flûte : ce privilège est spécialement confirmé aux: Trini-
taïres par Philippe II, le 22 mai 155g1. Un des futurs rédemp-
teurs porte la bannière qui sera appendue au mât du vais-
seau rédempteur; il est accompagné d'un héraut qui demande
aux administrateurs de chaque localité s'il y a des captifs à
racheter et s'il y a des aumônes. Alors, on montre aux reli-
gieux les testaments des défunts ; les rédempteurs ont droit,
en effet, aux quintos, aux mostrencos et aux algaribos. Lors-
qu'un homme était mort intestat, la cinquième partie {quinto)
de ses biens appartenait de droit aux rédempteurs. Sur les
biens de ceux qui étaient morts sans insérer dans leur testa-
ment un legs pour la rédemption, on donnait aux rédempteurs
une somme équivalente au legs le plus élevé1 fait par le dé-
funt. Les detamparentados étaient ce qui restait des biens du
testateur, après le paiement de tous les legs faits à des per-
sonnes déterminées. Les algaribos ou mostrencos étaient les
biens dont le maître était inconnu, comme les objets trouvés
1. Pièce i23 : « Con pendones y trompetas. » Cf. Bbanardin u Saikt-
Antoine, f°« i3S-i4o *•.
a. De même, Julien de lu Rovére, voulant enrichir l'hôpital Irîoitaire
d'Avignon, ordonna que toute personne fût lenue de loi léguer au moins
5 bous {novembre 1481).
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RESSOURCES FOUR LA RÉDEMPTION. 335
non réclamés ou les épaves'. Ces testaments étaient affichés
dans les églises, ainsi que l'annonce de la rédemption.
Les rédempteurs prennent l'indication du nom des captifs,
de leurs parents, de leur âge, de l'aumône spéciale pour leur
rachat, s'il y a Heu.
En France, les quêtes doivent être autorisées par le roi ou
par le Parlement. Louis XI, le 3 juin i464, donne aux Trini-
t aires des lettres dans ce but3 ; le Parlement d'Aix enregistre
leurs bulles le 16 décembre i5288. Les cours souveraines se
montrèrent parfois rebelles à la volonté royale, pour les
quêtes trinitaires : le Parlement de Toulouse, notamment,
au temps d'Henri IV, voulut réserver aux Pères de la Merci -
le droit de quêter dans son ressort.
Le P. Lucien Hérault s'adressa directement en i645 à
Anne d'Autriche, pour quêter dans tout le royaume, en vue
de son second et dernier voyage de rédemption ♦. Sa re-
quête fut favorablement accueillie. De même, lors de la
visite de la reine Marie-Thérèse à Tournai en 1667, les Trini-
taires prirent prétexte de la fête pour lui recommander leur
prochaine rédemptions-
La permission générale du roi n'excluait pas celle de l'évê-
que diocésain. Quand Pierre Mercier donna pouvoir au
P. Etienne Doyneau de faire des quêtes par tout le royaume
(3 juillet i665)6, il avait dû préalablement s'entendre avec
1. Exemples : Analecta jaris pontijicii, XIV, 8a5; Bullaire des Trini'
taires (i3 novembre ifao), pp. 156-157. Ces deux ouvrages ne sont pas
d'accord sur le sens respectif tfalgaribo et de moslrenco. L'interprétation
de l'auteur trinilaire paraît préférable, à cause de sa compétence spéciale.
a. Trinitaires d'Arles (pièce 171 des liasses).
3. Pièce 112.
I\. Pièce 190.
5. Les continaateart de Luret, t. Il, col. 961.
6. Mention dans le catalogue de Yflist. de France (Bibl. mit.), art. Ld«.
a Dy Google
336 l'ordre français des trinitaires.
les ordinaires. C'est aux évèques que s'adressent les pauvres
esclaves dont le P. Hérault recueillit les plaintes, afin qu'ils
ordonnent des quêtes eu leur faveur. Les Statuts de 171g
mentionnent qu'un frère par province devra être désigné par
le général pour prêcher sans cesse dans les diverses villes et
y recueillir des aumônes (p. 43). Un Recueil de mandements
fut publié à Tours, en 1734, en faveur de l'œuvre du rachat.
En général, l'évêque s'adresse au religieux Trinitaire qui re-
çoit le privilège de quêter, après en avoir été chargé par le
chef de son ordre; du moins, il est souvent fait mention de
ce religieux. Le droit de quête lui est accordé pour un an ou
pour deux ans. Les quêtes sont centralisées chez un tréso-
rier, tantôt laïque, tantôt ecclésiastique, surtout un cha-
noine. Dans le recueil de 1734 ne figurent que des prélats
des bassins de la Seine et de la Loire, car, par un arrêt du
6 août i638, analysé plus loin, les provinces de France avaient
été tirées au sort entre les Trinitaires et les Pères de la Merci.
Un mandement de l'évêque de Poitiers (i5 avril 1727) est
à signaler, car U mentionne une lettre du ministre Pont-
chartrain, informé par l'ambassadeur Desalleurs qu'il y a
cent cinquante esclaves à Gonstantinople, désespérés parce
que le fonds de la rédemption est uniquement destiné à la
Barbarie et même y suffît à peine. Dans le rôle envoyé par
Desalleurs, il y a des Poitevins, et l'évêque intervient pour
ces malheureux, ordonnant à chaque curé de faire la quête
lui-même ou par un préposé, et de centraliser les fonds chez
Mathieu Cytoys, chanoine et chantre de la cathédrale'. Le
P. Jehannot alla racheter ces captifs en i-j3i.
1. Recueil de* mandement t, p. 12. — L'évêque de Sées stipule aussi
que l'argent récolté servira à racheter un captif du diocèse. La rédemption
était encore purement locale.
a Dy Google
RESSOURCES POUR LA RÉDEMPTION. 337
Les colonies françaises, qui ne paraissaient pas directement
intéressées dans l'œuvre des rachats, y prenaient cependant
part. En 1768, mourut à Saint-Domingue, au Cap Français,
Romain Joseph Bois', profès de Rieux et député dans les
colonies françaises de l'Amérique pour la collecte des aumô-
nes en faveur des captifs. Le religieux marseillais Delon '
est, en 1780, commissaire désigné pour recevoir les aumônes
des fidèles de l'Amérique.
Les Trinitaires quêtaient aussi dans les pays étrangers.
Le 20 février idS-j, Charles-Quint leur en accorda la permis-
sion, « attendu la ruine, désolation et diminution de leurs ren-
tes et maisons de leur dit ordre, en noslre dict conté ».
Cependant les Trinitaires n'avaient jamais eu de couvent en
Franche-Comté 3. Le a3 août 1 576 , Antoine Lullier , de
Besançon, adressa à la ville de Dole un mandement pour
faire délivrer aux procureurs de l'ordre le montant des au-
mônes déposées dans les troncs de Noire-Dame de Dole pen-
dant le jubilé, soit io3 francs n sols, monnaie de Bour-
gogne4.
De même, en Lorraine, la duchesse douairière et le comte
de Vaudemont, tuteurs de Charles III, permirent aux Trini-
taires de quêter dans leurs états 5 (8 octobre i55i).
Jusqu'ici, nous n'avons vu que des quêteurs religieux ou
députés par les religieux. Un exemple de quêteurs voton-
1. Archives nationales, IX iSfii, f° 29 v°.
2. Trinitaires de Marseille, registre 11, p. i5.
3. Claude Delesme, Recueil des édits el ordonnances de Franche'
Comté, Dole, t5-jo, p. 325.
4- Archives municipales de DOIe, n° io3o (communiqué par M. André
Pidoux).
5. Mention : Trinitaires de Montmorency (Archives de Seinc-et-Oise,
1 n liasse).
22
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338 l'ordre français des trinitaihes.
t aires mérite d'être recueilli. Les Trinitaires Déchaussés
venaient de s'établir à Vienne, en Autriche, où ta rédemp-
tion des captifs était une œuvre très appréciée, à cause des
fréquentes guerres contre les Turcs. En 1690, la comtesse
Jeanne de Harrach écrivit, sur un album, les noms des plus
riches membres de la noblesse viennoise, s'inscrivit en tête
pour une somme fort considérable, et alla de palais en palais
pour rassembler des aumônes1. La pieuse tradition se per-
pétua; car sur soixante-trois captifs délivrés en 1776, vingt-
quatre durent leur liberté aux générosités de l'illustre maison
de Liechtenstein. En Espagne, la noblesse prenait aussi une
pari active à la fondation et à l'entretien des hôpitaux des-
tinés aux captifs.
En regard de ces régions si généreuses, il y avait des pays
spécialement interdits à nos religieux ; plusieurs fois, en Cata-
logne, les Pères de la Merci eurent le crédit d'empêcher les
Trinitaires de quêter, argument dont le Conseil d'Etat se ser-
vit en 1610 pour refuser l'extension du droit de quête aux
Pères de la Merci. Mais ces empêchements ne furent jamais
qu'accidentels.
Au contraire, dans les Etats de l'Eglise, l'interdiction de la
quête aux ordres rédempteurs dura près de deux siècles.
Il existait à Rome, depuis 1 264» une confrérie de Sainte-Lucie
du Gonfalon, qui n'avait pas de but bien déterminé; au sei-
zième siècle, le pape Grégoire XIII la chargea du rachat des
captifs et lui donna le monopole * de la quête dans Les Etats
Romains. Sixte-Quint lui permit même de quêter en dehors
de ces limites. Les Trinitaires établis à Rome, où ils ne pou-
1. Bulletin Trinilaire de décembre 1900.
a. C'est ce que les historiens trinitaires d'Espagne appellent la privative.
ûdv Google
RESSOURCES POUR LA RÉDEMPTION. 339
vaienl avoir que ce qu'il leur fallait pour vivre, soutinrent
en ijo3 contre cette confrérie un grand procès, dont l'issue
est inconnue. Le 21 janvier 1749 seulement, Benoît XIV per-
mit aux Trinitaires de quêter dans les Etats de l'Eglise.
3° Les rentes.
Au dix-huitième siècle, une très grande partie des res-
sources trinitaires consistaient en rentes ou en immeubles.
Bunel, avocat au Havre, fut chargé par le procureur général
Gâche de vendre une maison, possédée en cette ville par
l'Œuvre des captifs de Paris, moyennant une rente foncière
et non rachetable de 3oo livres (i4 février 1778); cette oeu-
vre avait un budget distinct de celui du couvent.
Certains legs étaient versés une fois pour toutes, comme
les 600 livres de Pastourel de Montpellier (1706)' et les
5oo livres d'Etienne Genève, huissier en la Cour des comptes
de cette ville (i653).
Guillaume Belin, prêtre et ex-chancelier de l'église d'Amiens,
léjrua 4<w livres de rente pour le rachat des captifs d'Abbe-
ville, de Saint-Valéry sur Somme, des bourgs de Criel, du
Tréport et d'Ault par préférence ; les religieux devaient s'en-
tendre avec les échevins de ces villes et les marguilliers de ces
bourgs1.
Jean Baudart, vicomte de Caen, avait laissé aux captifs une
rente de 10 écus (i636). Elle ne fut pas payée régulière-
ment, d'où un procès où le célèbre Patru plaida pour les
Mathurins le 9 janvier 16483.
1. Pièce a53.
t. Archives nationales, registre LL i545i p- ?3.
3. Bibliothèque de Marseille, ms. iîi6, p. 190. Autre legs, par Elisabeth
Bérsude, aux Trinitaires d'Arles en 1637. Registre AA, p. ig3.
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34o l'ordre français des trinitaires.
Une renie spéciale était constituée par la Caisse des Rayon-
nais. Denis Dusault, célèbre par ses négociations en Bar-
barie, avait par son testament, le 34 mai 1721, destiné aux
captifs une rente de t,5oo livres : la somme devait être dé-
posée dans un coffre à deux clefs, dont l'une appartiendrait
au chef de la famille, l'autre au trésorier des captifs à Bayonne.
S'il ne se trouvait pas de Bayonnais à racheter, les i,5oo livres
devaient être annuellement partagées entre les deux ordres
de la Trinité et de la Merci. Le petit-neveu du testateur,
Noël Dusault d'Onzac, ayant assigné cette rente sur l'hôtel
de ville de Bayonne, devenu insolvable, dut se reporter à la
lettre du lesLament de son grand-oncle et délivrer aux deux
ordres la jouissance du legs, alors réduit à 1,200 livres1
(3i décembre 1746).
Il faut mentionner ici quelques libéralités extraordinaires,
comme celle du pape Innocent XII : il légua ^0,000 écus
pour la rédemption des captifs, qui fut opérée en 1701 par les
Trinitaires Déchaussés et donna la liberté à cent quarante et
un chrétiens3.
i. Archives nationales, S 4*4 ■•
a. Trinmphu* mi*ericonliae,p. 128.
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CHAPITRE III.
Les marguilliers, auxiliaires laïques
des Trluitaires.
Quoique l'organisation complète des marguilliers n'appa-
raisse qu'au dix-septième siècle, il est à présumer qu'ils exis-
taient depuis longtemps. Dès t36o, un ministre de Marseille
afferme le produit des quêtes pour les captifs à deux négociants
de Toulouse; à Tarascon, en 1429 et en i44o, Rolet, maître-
précepteur de Saint-Antoine, achète à Jean Téte-d'Or, prieur
de la maison de la Sainte-Trinité de Tarascon, le droit de
quêter pour les captifs, à raison de 3 florins par an1. Cela
paraît tout à fait analogue aux commissions de quêteur qui
seront délivrées au dix-septième siècle. Des projets, dressés
au seizième siècle en vue de la rédemption, mentionnent for-
mellement ces marguilliers1.
Au cours d'un procès entre Trinitaires et Pères de la Merci,
un certain Canton publia (8 février i638) un opuscule ou il
ne se prononce ni pour l'un ni pour l'autre ordre, puisque
l'essentiel des ressources rédemptrices doit être l'argent déposé
dans les « bassins » de toutes les paroisses du royaume. Dans
1. Ces indications, tirées des archives notariales de Tarascon (Bouches-
dn-Rhûne), m'ont été fournies par Ma Charles Mmirret (1429, Chapati;
i44o, Mura tari).
a. Bibliothèque nationale, manuscrit français 15721.
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342 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAJRES.
chacune, dit cet auteur, il doit y avoir des marguiliiers laï-
ques : ce n'est pas le devoir des religieux de faire ces quêtes;
de plus, ils ne sont pas assez nombreux pour les faire dans
toutes les paroisses. Le marguillier fera a courir les bassins »
chaque dimanche, sans préjudice d'une quête générale une
fois l'an ; pour le prix de cette charge, il donnera 4° sous, le
commissaire qui investira le marguillier ne les exigera pas s'il
ne les veut donner de bonne grâce ; mais alors, il ne jouira pas
des exemptions du logement des gens de guerre et ne sera
pas dispensé d'être séquestre, consul, tuteur et curateur '. Les
divers habitants seront annuellement marguiliiers chacun à
leur tour. Par contre, le commissaire établi dans chaque dio-
cèse sera perpétuel3. Canton exagère le rendement probable
des bassins, puisqu'il compte cent vingt mille bourgs en
France devant donner 20 sous pour la quête des moissons3
et 20 sous le reste de l'année, ce qui ferait 2^0,000 livres
par an.
Un seul quêteur à la fois pouvait convenir, mais l'évêque
d'Uzès prétendit, à la session de 1647 des Etats de Langue-
doc4, que les Pères de la Merci 5 établissaient parfois plusieurs
bassiniers dans la même ville, ce qui augmentait les impôts
pesant sur les autres habitants.
1. Voir lettre» du roi (18 janvier 1527) dans Germain, /.'œuvre de la ré-
demption de* captif» o Montpellier, p. 35, et celles du 5 janvier i643den»
Crédot, Bulletin de tu Société hittoritjuc de Pirigord, t. VI, p. 5oi. Voit
encore Chamiand, Quitta dans le Briançonnait pour la rédemption
(Bulletin de la Société d'étude* de* Haatet-Alpe», iS84, pp. t\i i-4i8).
2. Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 6828, foi 383-387.
3. Cf. Archives départementales de l'Ariège, Inv. B 137, p. 89, « quête
es temps des moissons et vendanges ».
4. Histoire de Languedoc, t. XIII, col. 264.
5. Les prieurs-quêteurs de la Merci étaient remplacés chaque année le
3o août, fêle de saint Raymond Nouât (Dr G. Lambert, oaor. cité, p. $3).
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LES MARGUILLIERS. 343
Il pouvait arriver, en effet, que l'on demandât une commis-
sion de quêteur uniquement pour s'exempter de charges pen-
dant un an; le procureur général des captifs avait donc fort
à faire pour ne point commettre de double emploi et bien
.spécifier les avantages assurés au bénéficiaire.
Les lettres délivrées aux marguilliers des paroisses, ainsi
que le P. Gâche, procureur des captifs à la fin du dix-huitième
siècle, le fait sans cesse remarquer, comportent « l'exemption
du logement des gens de guerre, la dispense de toutes gardes
et séquestration de biens meubles et immeubles, de curatelles
et tutelles, de la charge de consul ». Mais elles ne compren-
nent pas l'exemption de la corvée pour les grands chemins,
ni de la garde bourgeoise (lettre du ro septembre 1 778), ni de
la milice (17 avril 1780)'.
A la fin du dix-huitième siècle, cette organisation des mar-
guilliers est portée à son plus haut point de perfection.
Dans un certain rayon, un commissaire général des quêtes a
le droit d'en nommer dans chaque ville. L'étendue des
fonctions des commissaires dépend de leur zèle et de leur
capacité. Arlhial, négociant à Marsac, près Ambert, a pour
six ans les diocèses d'Autun, Dijon, Saint-Fiour, Ciermout,
Langres, Chalon, Nevers, Auxerre (26 mai 1779) : le Puy lui
fut retiré parce que les privilèges des Trinitaires n'étaient point
enregistrés au Parlement de Toulouse(2! février 1780).
A Bourges, il n'est point nécessaire de choisir des quêteurs
spéciaux, l'abbé Pinturel se chargeant de tout; en 1770, il
envoie 916 livres le ?4 mars et a,4oo autres le 1 1 mai suivant.
Rien n'est plus variable que la profession de ces commis-
1. Cette correspondance, la plus ancienne qui ait été conservée sur cette
matière, étant classée par ordre chronologique dans le registre H 3989 des
Archives nationales, je me contente d'indiquer la date des lettres.
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344 l'ordre français des tributaires.
saires. A Agen, c'est un teinturier, Lausun, qui est chargé de
s'occuper des quêtes (20 janvier 1779).
La commission de quêteur devait être enregistrée gratis au
greffe de la sénéchaussée et devant le lieutenant particulier1.
En 1721, les Trinitaires se plaignant qu'en Rouergue l'enre-
gistrement n'eût point été gratuit1., une déclaration royale lit
droit à leurs réclamations et ordonna aussi que chaque quêteur
fût porteur de la lettre patente et de l'homologation du Parle-
ment et de la Cour des aides.
Les commissions expiraient avec le général : en mai 1780,
à la mort du P. Pichault, il fallut les renouveler toutes.
Le commissaire avait le droit d'exiger du nouveau mar-
guillier 12 livres pour sa promotion (c'était le taux à Agen).
Mais à Grenoble, l'abbé Champ, curé de Saint-Laurent3, exi-
geait a4 livres. « Nous craignons, écrivit Gâche, qu'on ne
nous soupçonne de faire un commerce d'une œuvre de charité
et que ceux qui fournissent cette somme croient avoir acheté
le droit de jouir des privilèges attachés à leur commission
sans en exercer les fonctions h (i3 janvier 1778). Il conseille
donc de délivrer gratuitement ces commissions.
Les commissaires recevaient pour les quêteurs les homolo-
gations du Parlement el de la Cour des aides (ai février 1783),
des livres de confrérie à 5 sols pièce, des {scapulaîres à
110 sols les cent, d'autres scapulaires brodés avec or et ar-
1 . Aux Pays-Bas, on appelait ces quêteurs des placelé*, à cause du plactt
a donner par le Conseil de Brabant.
a. Cf. Bibliothèque nationale, F* 85o3, On se réfère aux lettres données
pour les Pères de la Merci en 1716. Les officiers de la généralité demandaient
35 ou 4o livres pour l'enregistrement.
3. En 1774, il établit, pour quêter à Saint-Martin de Queyrières, diocèse
d'Embrun, Pierre Fauve, qui recueillait annuellement 0 a 7 livres. (Cua-
bhand, loc. Ct't.)
a Dy Google
LES MAHGUILMERS. 345
cent à ro écus les trente (ou à 20 sous pièce). « Au reste,
pour le prix, nous ie laissons à la volonté des personnes qui
en demandent, a écrit Gachc à Arlhiat (5 août 1778).
Ce dernier commissaire éprouva un sérieux ennui. Deux
faux quêteurs s'étant dits ses mandataires, M. du DefTaut,
lieutenant-colonel de la maréchaussée à Clermont-Ferrand,
donna ordre un peu légèrement d'arrêter Arlhiat. Le P. Gâ-
che s'en plaignit, le 27 juin 1781, à M. de Castries, ministre
de la marine. Il fut remis en liberté, car on a encore des
lettres à lui adressées en 1782 et 1783.
Le procureur des captifs s'oppose, en principe, à ce qu'il y
ait plus d'un quêteur et d'une paroisse par ville; la quête
étant faite tous les dimanches, la multiplicité des quêteurs et
des paroisses eût diminué les offrandes. C'est donc avec peine
qu'il consent à établir une seconde caisse à Notre-Dame de
Beaune, alors qu'il y en a déjà une à l'Hôtel-Dieu.
Bien souvent, de vives compétitions s'élevaient entre ceux
qui voulaient se faire investir des fonctions de quêteurs.
Gâche propose à Arlhiat de lui soumettre à lui-même ces no-
minations, en cas d'embarras, aimant mieux s'exposer per-
sonnellement à la rancune de l'éconduit. Ecrivant, le 19 juin
1780, au baron de Lanlhonnye, à Tulle, Gâche propose aussi
de nommer les quêteurs sur sa présentation, quitte à les
refuser dès qu'il y en aura assez. Le commissaire Lausun,
d'Agen, délivrait les brevets de quêteur pour trois ans; il
préférait donner plusieurs paroisses à un seul qu'en nommer
dans chaque paroisse. 11 devait les astreindre à faire la quête
aux jours marqués, à rendre compte chaque année et révo-
quer les négligents.
Les quêteurs rencontrèrent quelques difficultés dans l'Est :
les lettres royales du 24 février 1776 furent enregistrées par
a Dy Google
346 l'ordre français des trinitaires.
le Parlement de Nancy le 25 novembre 1777, avec des restric-
tions fâcheuses : les religieux, disait-on, feront la quête par
eux-mêmes le plus possible ou par des délégués qui ne pour-
ront jouir d'aucun privilège, et l'emploi de tout l'argent sera
contrôlé. Le P. Gâche, écrivant à Huem, Trinitaire de Metz,
exprime la crainte qu'on ne puisse trouver des quêteurs assez
désintéressés (28 mai 1778). Ces restrictions étaient le prélude
de la suppression générale des privilèges des quêteurs , le
28 septembre 1782, par arrêt du Conseil d'Etat '. C'était la
mort des quêtes : beaucoup de préposés « remercièrent m et
il ne se présenta personne pour les remplacer. A partir de
cette date, la correspondance du procureur des captifs se
réduit à l'accusé de réception des sommes envoyées par les
couvents.
La clause d'un traité conclu en 1663 à Tunis, par Biaise de
Bricard1, nous donne à entendre que l'argent recueilli par les
marguilliers avait pour destination spéciale le rachat des
Français pris sous pavillon étranger et non déserteurs.
1. IsAHBsnT, au mol qiiMe.
a. Plantkt, Correspondance... de Tunis, t. I, p. 169.
■doyGoo^Ie
CHAPITRE IV.
Les Confréries de la Rédemption,
Dans un ouvrage imprimé à Lyon en 1667, le P. Caignet
définit la confrérie « une société de plusieurs fidèles qui , de
l'autorité -du supérieur ecclésiastique, sont unis en la partici-
pation de quelques spéciales faveurs spirituelles1 ». Primiti-
vement, les confrères s'entendent simplement pour célébrer un
office annuel ou « luminaire » à certains jours, comme le
dimanche de la Trinité ou le jour de Sainl-Roch, pour prendre
des dévotions trinitaires. En 1 36g, Gassenetle Duplessis lègue
une terre près de l'église de la Trinité d'Arles, afin d'y faire
construire une maison pour les prieurs et les confrères1. A
cette date, le but assigné à la confrérie d'Arles est aussi bien
l'entretien de l'église et la restauration de l'hôpital que la
rédemption des captifs3. En i586, François Bouchet, commis-
saire et réformateur général de l'ordre en Italie, permet au
ministre de Naples l'établissement de confréries destinées à
faciliter la construction de ce nouveau couvent4.
1. La sainte Confrérie sous le titre du Rédempteur, p. 1,
2. L'acte est passé en présence du ministre et des deux prieu
confrérie (Bibl. Nat„ n. acq. lat. i3i5, p. 458).
3. Bibl. d'Arles, ras. iyy, p. 106.
4. Pièce [38.
a Dy Google
348 L'ORDRE FRANÇAIS DBS TRINITAIRES.
Ce n'est donc que relativement tard que se spécialisèrent les
confréries trinitaires. La tentative de nos religieux pour leur
donner une antiquité reculée est vaine. Calvo ' le reconnaît
(p. 37) : <i La bula en que fnocencio III concedio facaldad a
los ghriosos patriarcas para fundar cofradias no se en-
cuentra. » De même, la bulle de 1219, permettant d'admettre
comme confrères ceux qui donnent une partie de leurs biens,
n'est pas très probante. Raymond de Pallas, qui publia en
i685, à Marseille, une Institution de la sainte Confrérie',
rapporte à i584 l'institution du tiers ordre, que la définition
de Michel Caisrnel semble assimiler à la confrérie; la plupart
des confréries que nous connaissons datent d'ailleurs du dix-
septième siècle.
Ce n'est pas à dire qu'antérieurement les Trinitaires ne se
soient pas adressés aux fidèles pour leur recommander la ré-
demption des captifs et leur apporter des indulgences, que
chaque p,ape à son tour renouvelait. Au seizième siècle, on en
composait déjà de vrais recueils. 1-e plus ancien que j'aie ren-
contré est intitulé le Pardon général de, la sainte Trinité et
Rédemption des captifs (i5ii). Il a été publié par M. Rouver,
dans le Bulletin de la Société de l'histoire de Paris, en i8o3,
et peut être résumé ainsi :
Les infidèles ont mis à feu et à sang des terres chré-
tiennes (sans doute allusion au sac d'Otrante par Bajazet II,
en 1496). Les « nobles seigneurs » de l'ordre de la Sainte-
Trinité, « ordonnés de Dieu » pour passer outre-mer, ont
racheté beaucoup de chrétiens (en i5o5); afin de se procurer
d'autres ressources, ils sont allés trouver le pape Jules II,
1. Calvo est le plus impartial des historiens trinitaires et ce détail moutir
sa franchise.
a. Bibliothèque de Marseille, CK 80 26.
aoy Google
LES CONFRÉRIES DE LA REDEMPTION. 349
qui leur a ouvert les trésors de l'église, c'est-à-dire les indul-
gences : car, même dans les années de jubilé {aux termes
d'une bulle de M74), elles ne sont point suspendues pour les
T militaires. Le pape accorde aux bienfaiteurs la permission
« d'élire » un confesseur ' qui puisse les absoudre tous les
ans, sauf des cas réservés au Saint-Siège, et, une fois en leur
vie, leur conférer l'absolution générale, sans remise des peines
du purgatoire. II donne cette absolution générale à tous les
bienfaiteurs qui mourraient dans l'année. L'entrée dans la
confrérie coûte 3o deniers par personne2 et la cotisation est
de 5 deniers par an. Pour l'Espagne, Diego de Gayangos de-
manda des équivalents en monnaie du pays ; l'entrée fut
taxée à un réal d'argent, la cotisation annuelle étant d'un
demi-réai.
Ces confrères recevaient, au dix-huitième siècle, un diplôme
du général des Trinitaires, qui les faisait participants des
indulgences accordées par le Saint-Siège « en prodigieuse
multitude3 », comme s'exprime Claude de Massac, qui spécifie
que son ordre est établi pour le rachat des esclaves catholi-
ques4. « L'habit de ces confrères, dit M. Veuclin, était une
casaque blanche, marquée de croix rouges et bleues », autre-
ment dit un scapulaire, qui ressemblait à ceux des religieux.
En i554, le provincial de Caslille demanda que le scapu-
laire de Un avec croix bleue el rouge des confrères comportât
1. Le concile de Trente et Clément VIII (7 décembre i6o4) exigent que ce
confesseur soit approuvé par l'ordinaire (Ballairc, p. 108),
a. Ce droit était de 2 francs à Paris en i4o3 (Charlalariarn CnioertilaiU,
t. IV, p. 76).
3. Ballaire, pp. 307-209 (13 mai 1492).
4- Les nominations de confrère de l'ordre de la Merci sont à peu près
semblables. La Bibliothèque de l'Arsenal en possède une formule, imprimée
pour Cloud Cheviilard, vicaire générai de la Congrégation à Paria.
a Dy Google
35o l'ordre français des TIUMTAIRES.
les mêmes privilèges que le scapulaire de laine porté par les
Frères de l'ordre '. Le pape y consentit, le g janvier i555'.
Ce scapulaire est un morceau carré de laine blanche, avec
deux petites bandes, l'une bleue, l'autre rouge; outre la taxe,
les fidèles doivent envoyer à Home, au couvent de Saint-
Charles-des-Qualre-Fontaines, des aumônes pour le rachat des
captifs 3.
On pouvait encore aider à cette bonne œuvre par l'achat de
livrets d'indulgences. Un recueil de 1602 est taxé â trois ma-
ravedis la feuille au profit des captifs*. Il est fait mention
aussi de cette destination dans le Livre des privilèges et in-
dulgences, publié par Claude Ralle.
Indépendamment de la grande confrérie où tous les fidèles
pouvaient entrer, il y avait, en divers lieux, des réunions
plus restreintes à recrutement local portant ce même nom.
Toute confrérie de la rédemption des captifs devait être
confirmée par l'évêque ou son vicaire général. En 1686, un
Trinitaire Réformé, procureur des Captifs, Bruno le Clerc,
ayant demandé à l'archevêque de Vienne l'autorisation d'éri-
ger lui-même des confréries partout où il serait nécessaire, le
prélat lui permit seulement de recueillir les quêtes dans les
lieux où les confréries ont été établies et non d'en ériger de
nouvelles5 (11 mai 1686)
1. Le port (le ce scapulaire était pour les confrères la condition néces-
saire du gain des indulgences (bulle du ag août 1716).
a. Bullaïre, pp. 257-208.
3. GninALDi, Les Congrégations romaines, p. 53g. — La taxe est de
3 5 centimes.
4. Lu institution y Jandac.ion y snmario de indidgencias del orden de
lu S. T. Salamancn, 1602 (Bibl. Nul., H i5388).
5. Manuscrit de Lyon 282 (ronds Conte), pièce 226. I/ëvêquc donnait son
mandement pour faire publier les indulgences (Annuaire de l'Yonne, 1898,
a Dy Google
LBS CONFRERIES DE LA RÉDEMPTION. 35 1
Dans les villes où les Trinitaircs n'avaient pas de couvent,
ces confréries sont érigées dans des églises d'autres religieux
ou dans des paroisses. On en voit à Vienne (Isère), à Dole,
à Besançon, à Dijon, à Amiens ', à Saint-Omer 3, aux Sables-
d'Olomie, à Saînt-Àubin-le-Guichard (Eure), etc.
Cette dernière, étudiée par M. Veuclin3 en 1886, s'occupa
depuis j64g de la rédemption des captifs; elle était présidée
par des chefs qu'on appelait rois (ce terme existait aussi à
Douai, au dire du P. Ignace); ses membres, au nombre de
treize, étaient alternativement rois. Le rot venait, chaque
année, rendre compte de sa gestion au général de l'ordre, à
Paris.
11 y avait aussi des confréries de la rédemption dans les
Pays-Bas*. Celles de Saint-Eloi de Dunkerque 5 et de Gand
furent particulièrement célèbres : Tournai en avait même
deux, une à Saint-Quentin et une à Saint-Brice. Deux exis-
taient aussi à Bruxelles; celle de Notre-Dame-de-ia-Chapelle
pp. îjï-îth). (1 entendait les comptes de la Confrérie des captifs de Mar-
seille, d'après un arrêt du Parlement d'Aix du 13 février i6gi.
i. Elle existait encore le 3o avril 1791. Un chanoine de la cathédrale, offi-
ciai du diocèse, en était administrateur (Arch. nat., S 4278, n*> 22).
2. [44 livres furent données pour honoraires d'un mémoire pour les cap-
tifs eontre les confrères de la Saiate-Trinilé à Saint-Omer (5 sept. 1781).
fbid.
3. Le même auteur a publié aussi : Docame/tts concernant /es Confré-
rie» de charité normande»; Evreux, 1892.
4- Voici la liste des plus connues : Anvers, Ath, Binche, Braine-Ie-
Comle, Bruxelles, Ecaussine-Sainle-Aldegonde, Louvain, Malines, Gram-
mont, Lodelinsart, Eghesée, Spontin, Mouslier-sur-Sambre, Namur (Notre-
Dame et Sainte-Croix), Lierre, Soigniea, Perwez, Tiriemont. La plupart
avaient été érigées par le P. Bernard Paradis, ministre d'Orival, vers 1750.
5. Voir dans les publications du Comité Flamand : Annales, t. II, pp. i3i,
319, 3&7; Bulletin, t. II, p. 357, avec l 'indication de manuels d'indul-
ûdv Google
352 l'ordre français des trinjtaires.
remontait à i3o.o, mais les Trinitaires ne s'y étaient implan-
tés qu'en 1 644- II n'est presque aucune ville belge qui n'en
ait eu- Le 3o octobre 1771, par suite d'une dépêche du
37 juillet précédent, leurs recteurs reçurent du gouvernement
impérial le questionnaire suivant : Y a-t-il, dans votre ville,
des confréries de la rédemption? Quelles sont leurs ressour-
ces? Rendent-elles des services? En cas de suppression, que
faudrait-il faire de leurs biens? Les réponses, nombreuses et
intéressantes, constatent que la plupart des confréries son!
riches. Celle de Gand, de trois en trois ans, distribue, comme
dividende, des deniers qui excèdent le fonds fixe des captifs.
Elle a un fonds de réserve de 6,000 florins, qui pourrait suf-
fire à la rédemption de sept ou huit captifs; or elle n'en a
racheté que trois ou quatre depuis trente ans (avril 1773).
Celle de Mons n'a pas de revenus fixes ; elle dépense beau-
coup en argenterie et en ornements; les quêtes du jour de
la Sainte-Trinité et de l'octave de Sainte-Agnès sont réservées
au rachat des captifs; les « mainbours » remettent ce qu'ils
ont au supérieur de Lens (ou à celui d'Audregnies) sans don-
ner de compte (18 novembre 177 1).
Les confréries de Namur, écrit le curé Dupaix, sont « des-
tituées de revenus fixes » et n'ont aucuns biens-fonds. La col-
légiale n'a qu'une rente « rédimable » de 5o ou 60 florins et
les quêtes. Les petites confréries de la campagne (Lodelin-
sart, Eghesée, etc.) remettent leurs recettes au ministre
d'Orival, établi comme receveur par le général' (i4 sep-
tembre 1771)-
Sur l'utilité de ces confréries, les réponses sont généra-
1 . Bernard Paradis avait recollé a5,ooo livres e
déjà reçu 9,000 autres en 1763.
a Dy Google
LES CONFRÉRIES DE LA REDEMPTION. 353
lement négatives. Il y avait très peu de captifs à racheter
dans les Pays-Bas. Pourtant la confrérie d'Anvers, qui avait
en dépôt ïï5,ooo florins confiés par des Hollandais qu'on ne
nomme pas, pour ne pas les compromettre, a racheté un capi-
taine et son équipage. Mais elle ne s'est pas servie du canal
des Trinilaires et a envoyé des lettres de change à Marseille.
On a recours aussi à des banquiers qui font tenir l'argent
au procureur général de l'ordre, à Paris.
Parfois se manifeste la défiance contre les religieux. On
demande qu'aucun argent ne leur soit donné ', on exprime le
souhait que tous les potentats de la catholicité s'unissent pour
mettre fin à la piraterie, car ces rançons atteignent un prix
exagéré qui excite la cupidité des pirates.
Quant aux biens de ces confréries, quelques curés vou-
draient bien les voir dévolus à leurs œuvres. La Table des
pauvres de Gand demanderait, en cas de suppression de
celle-ci, l'excédent de la confrérie Saint-Nicolas", car « ces
pauvres sont une espèce de captifs ». A Tournai, on propo-
sait de soutenir a les familles honnêtes dont les affaires se-
raient dérangées » et les prisonniers pour dettes, ou même
de secourir les veuves des militaires, etc.
i . a Nous avons remarqué que des sommes nolables des fonds des confré-
ries se dissipent en aumônes à des Trinilaires ou de soi-disant tels, ou à
d'autres mendiants pour la rédemption de leurs parents ou amis, qui tous le
plus souvent ne sont que des vagabonds et coureurs de pais qui emprun-
tent ce dehors pour d'autant mieux réussir dans le fainèantùme et la men-
dicité; du moins est-il moralement certain qu'ils dépensent les argens qu'ils
reçoivent peadaot leurs courses et qu'il n'en oient aucune partie â ta
destination, i U P. Daumerie répondit point par point à cette diatribe.
Pièce 329.
2. La confrérie était encore en 178g en relations avec MM. Gimon frè-
res, à Marseille, et leur donnait des ordres pour racheter à proportion de
leurs fonds.
a Dy Google
354 l'ordre français des trinitairgs.
A part ces exceptions, tous les correspondants des conseil-
lers enquêteurs Huvlen et Lîmpens disent qu'on tarirait les
charités du peuple en changeant la destination des fonds.
Un curé de Namur propose comme remèdes aux abus d'as-
signer un district aux quêteurs, de leur donner gratuitement
un placet tous les trois ans, d'autoriser le placeté à se faire
rendre compte par les mainbours des confréries, qui rece-
vraient une quittance. Le doyen de la collégiale de Namur,
homme très capable, centraliserait le produit des confréries;
chaque année, il transmettrait le produit au gouvernement,
qui statuerait sur sa destination. Il serait interdit aux main-
bours de remettre les aumônes à d'autres qu'aux placetés.
Les collecteurs contrevenants seraient punis comme voleurs.
En même temps que les couvents trinitaires furent suppri-
més, tous leurs biens sans exception et tous les produits des
confréries durent entrer dans la Caisse de Religion, Jo-
seph II avant déclaré que les deniers seraient employés au
rachat de ses sujets des Pays-Bas qui, sans être au service
d'une puissance étrangère, auraient eu le malheur de tomber
dans la captivité des Barbaresques.
Par un hommage rendu à nos religieux, le Comité de
la Caisse de Religion s'informa de quelle manière ceux-ci
procédaient au rachat. Pour quelques années, on possède le
tableau des enquêtes faites par ordre du Comité. Brandel,
agent du commerce de Sa Majesté l'empereur et roi à Alger,
envoie une liste de douze esclaves ; une enquête est faite
dans le pays d'où ils prétendent être : dans le nombre, trois
sont Flamands, deux Luxembourgeois, un des pays rétro-
cédés ' ; les autres sont ou déserteurs ou étrangers.
i. Archives de la Caisse de religion, carton z4>-
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LES CONFRERIES DE LA REDEMPTION. 355
Après les confréries des Pays-Bas, les plus importantes se
fondèrent dans la Provence, où elles étaient bien plus néces-
saires. Le 25 juin 1637, dès l'établissement des Trinitaires à
La Cadière, il est spécifié qu'ils érigeront une confrérie et
que les deniers qui leur seront « aumônes » seront employés
au rachat des captifs, de préférence à ceux de la Cadière.
En i645, Raymond de Pallas érigea une confrérie à Salon,
où les Trinitaires n'ont jamais eu de couvent'.
Les confréries d'Arles1 et de Marseille méritent une men-
tion particulière, à cause de leur caractère spécial de Com-
pagnie de Pénitents. A Arles , les Pénitents noirs , fondés
d'abord dans l'église des Carmes, vinrent en i54o, afin de
concourir à la réception des captifs, s'agréger à l'ordre de
la Trinité.
La confrérie des Pénitents blancs de la Trinité de Mar-
seille est liée trop intimement à ce couvent pour être étudiée
ici en détail. Un de ses membres lui a d'ailleurs consacré,
en i853 3, un rapport qui nous renseigne suffisamment. Les
démêlés nombreux de ces Pénitents avec nos religieux n'au-
raient point dû faire oublier à ces derniers que, grâce à
l'existence du Bureau de la rédemption à Marseille, les Tri-
nitaires ne souffrirent pas de la concurrence des Pères de la
Merci. Un religieux de cet ordre avoue de bonne grâce, dans
une lettre écrite en 1708, que les Trinitaires recueillent
m écus à Marseille, pendant que les Mercédaires en ramas-
sent péniblement un dans le reste de la Provence.
1. Pièce ig3.
2. Je ne parle que de celles de la rédemption des captifs, car il y avait
aussi à Arles une célèbre confrérie de Saint-Roch, dont les reliques se trou-
vaient dans l'église des Trinilaires.
3. Je dois celte brochure à la haute bienveillance de M. l'abbé Ollivier,
vicaire général de Marseille.
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356 l'ordre français des tri.\«taires.
Le Bureau de la Rédemption suivit, en 1776, le couvent Iri-
ni taire dans sa descente au quartier Saint-Ferréol. Il confia
maintes fois ses fonds aux religieux pour le rachat de captifs
marseillais déterminés, sans préjudice de nombreuses avan-
ces. En 1791, les Trinitaires étaient encore redevables au
Bureau de 21,400 livres, du fait de leur dernière rédemption.
La Chambre de commerce de Marseille peut être rangée
parmi les plus utiles auxiliaires des Trinitaires. C'est au
député du commerce que nos religieux envoient l'argent des-
tiné à un rachat particulier. Les membres de la Chambre,
mettant leur zèle au service des Trinitaires, s'inscrivirent
maintes fois dans les quêtes générales1 et s'occupèrent,
notamment en 1785, de faire le change très difficile de la
forte somme nécessitée par le rachat de trois cent quinze
captifs.
les pièces 33i, 335, 336.
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CHAPITRE IV.
Conllits entre Trinitaires et Pères de la Merci.
L'ordre de la Merci, souvent confondu avec l'ordre des Tri-
nitaires ou considéré à tort comme une simple « réforme » de
celui-ci, resta, on ne sait pourquoi, plus populaire. Le Bré-
viaire romain de i685 appelant saint Jean de Matha et Saint
Félix de Valois premiers fondateurs des Pères de la Merci,
ceux-ci protestèrent très vivement. Bossuet, prononçant le
panégyrique de saint Pierre Nolasque dans l'église des Pères
de la Merci de Paris, a retracé brillamment la vie légendaire
du saint et la beauté de l'oeuvre de la rédemption, mais il
ne semble pas se douter que la première idée de l'institution
d'un ordre rédempteur n'appartient point à son héros.
La date de l'institution de l'ordre de la Merci, fixée au
10 août 1218 par ses historiens, a été ramenée à mi et
même à 1228, en raison des concordances fournies par les
dates bien établies de la vie du dominicain saint Raymond
de Pennafort. Donc, vingt-cinq a trente ans après la fonda-
tion de l'ordre de Saint-Jean de Matha, un gentilhomme de
Languedoc, Pierre Nolasque, piqué d'émulation, fonda à Bar-
celone une congrégation mi-laïque, mi-religieuse, qui fut mise
sous le vocable de Notre-Dame de la Merci et reçut de l'évê-
que Bérenger de la Palu (assez singulièrement revendiqué
a Dy Google
358 l'ordre français des trimtaires.
comme Trinitaire par le P. Calvo) l'hôpital de Sainte-Eulalîe,
ce qui fait que les Pères de la Merci sont parfois appelés de
Sainte-Eulalie. Les bulles des papes, notamment celle de
Grégoire IX, du mois de janvier i23.'i, sont adressées : Petro
Nolasco magistro ho&pitalis Sancle Eulalie apud Barchi-
nonem.
Jusqu'en i3 17, le maître général de la Merci fut laïque; au
dix-huitième siècle encore, cet ordre, semblable à d'autres
corps religieux espagnols, aimait à se dire ordre militaire.
Il fut honoré d'une protection spéciale par le roi d'Aragon,
qui lui donna pour armes l'écu d'or timbré de sa couronne'.
Les Pères de la Merci sont très fiera du vœu spécial, imposé
-'par leurs constitutions, de rester -en otages pour faciliter la
rédemption, mais il est juste de remarquer que les Trini-
taires, sans être obligés par un semblable vœu, ont su faire
à l'occasion preuve de dévouement : quelques-uns sont même
morts en captivité, comme le P. de Monroy en 162a, et le
P. Hérault en 16^6. Ce « quatrième voeu3 » a magnifiquement
inspiré Bossuel : « S'il manque quelque chose au prix [de la
rançon], dit l'orateur, il offre un supplément admirable : il
est prêt è donner sa propre personne; il consent d'entrer
dans la même prison, de se charger des mêmes fers, de subir
les mêmes travaux. »
Les Trinitaires virent d'un mauvais œil cette fondation des
Pères de la Merci. Est-il vrai de dire qu'ils avaient négligé3
la rédemption des captifs en Espagne? Tout nous fait croire
1. Elle portait quatre pain rouçes, appelés d'ordinaire la* enatro barrât
sangrientts de Aragon.
2. Il s'ajoute auv trois vœnœ ordinaire* (pauvreté, chasteté, obéissance).
3. Penia, biographe de saiut Raymond de l'ennafort en 1601, le croit :
captt'i'Oram redimendi considerabal negligentiam.
a Dy Google
CONFLITS AVEC LES PÈRES DE LA MERCI. 359
le contraire. Il y avait assez de captifs à racheter en Espagne
pour qu'il ne fût pas trop de deux ordres pour s'en occuper.
Sans parler ici de la lutte littéraire où chaque ordre écrivit, de
son côté, l'histoire religieuse espagnole du treizième siècle, il
y eut, dès le quatorzième siècle, dans ces royaumes, des con-
flits à l'occasion des quêtes entre les deux ordres rédemp-
teurs. Les religieux de l'ordre de la Merci, plus spécialement
espagnols (le chapitre général se tenait deux fois de suite en
Aragon, la troisième fois en Castille ou en Navarre), eurent
plutôt l'avantage en Espagne. A la fin du dix-huitième siècle,
les Trimtaires combattaient encore juridiquement le prétendu
patronage royal et la « privative » de racheter, soi-disant
donnée aux Mercédaires.
Sur ces premiers conflits, les Trinitaïres ont été peu expli-
cites. Gaguin a parlé, dans une phrase d'ailleurs peu claire,
d'une lutte avec les Frères de Sainte-Eulalie vers i36o, au
sujet du couvent de Burgos. Dès cette époque , les deux
ordres étaient tous deux en possession des mostrencos et des
quintos1, en vertu de privilèges communs. Mais il y en avait
de spéciaux, à l'occasion desquels s'exerçait l'ingénieuse riva-
lité des concurrents. Les Trinitaires venaient, par exemple,
trouver le roi de Castille ou même le pape, qui aimablement
leur accordait un privilège. Les Pères de la Merci venaient se
plaindre de cette concession aux Trinitaires comme leur por-
tant préjudice. Alors, le roi trouvait un motif de « subreplion »,
fondé sur l'omission de quelque clause dans la requête des
Trinitaires pour révoquer le privilège de ceux-ci, et en con-
férait aux Pères de la Merci, etc. Ce jeu de bascule dura
deux siècles; chacun des ordres rivaux, « par une hahi-
l. Voir l 'avant-dernier chapitre:
a Dy Google
36o l'ordre français des tributaires.
tude ordinaire aux quêteurs, mit la faux dans la moisson
d'autrui' ». Enfin, l'Espagne fut unifiée; l'Aragon et la
Castille n'eurent plus qu'un maître. En i5a7, Charles-Quint
fit une louable tentative pour réconcilier les deux ordres. Le
3o juillet* fut signé à Valladolid, entre trois Trinilairea
et trois Mercédaires, un traité en dix-sept articles « pour la
paix et la tranquillité entre les parties » ; il contenait les sti-
pulations suivantes :
Il y aura fraternité entre les deux ordres. Les bassins
h mostrencos » et « algaribos m seront également répartis et
l'Espagne sera partagée entre eux.
Pour les biens communs, lorsqu'un des deux ordres ne fera
pas de rédemption, il sera fait un compte spécial.
On ne pourra prêcher deux tournées de suite avec les mêmes
bulles.
Si les deux ordres font simultanément un rachat, les quê-
teurs respectifs seront au moins à 80 lieues de distance.
Chaque ordre invitera son concurrent aux processions qu'il
fera.
Les deux ordres se communiqueront leurs privilèges.
Chacun aura deux prédicateurs généraux de la rédemption,
qui feront un sermon sur la bulle commune.
Aucun ne dissipera à son profit l'argent de la rédemption.
Chacun aura des troncs dans ses couvents; les dons de
moins de 100 maravédis ne seront point partagés.
Les frais des privilèges apostoliques seront payés en
commun.
1. Bibliothèque de Marseille, ms. I3i3, pp. s43-î46 et 2^-161 (extraits
d'auteurs de l'ordre de la Merci).
3. Diego de Turrani, Jean de Hcrrcra, Antonio de Zarita, Trinilairea;
lnigo Portai, Francisco de Villa Garcia, Alonso de Zarita, Mercédaires.
a Dy Google
CONFLITS AVEC LES PÈRES DE LA MERCI. 36 1
Tout privilège particulier sera nul.
Les procureurs des deux ordres jureront d'observer la trans-
action.
C'est à cette solution de l'égalité que la France allait s'ar-
rêter, un siècle plus tard, car l'ordre français était natu-
rellement en excellente situation dans son propre pays.
La France avait vu, dès le quinzième siècle, des conflits
entre Trinitaires et Pères de la Merci. En i4i8, la commu-
nauté de Marseille donnait un ancien couvent de Béguines '
â Pierre Guillaume, commandeur de Narbonne et procureur
généra) de la Merci, qui s'engage.i à racheter de préférence des
Marseillais'. En r4-74> ces religieux sont encore dans ce cou-
vent1, mais c'est la dernière date où ils y paraissent. Peut-être
ont-ils quitté Marseille à cause de l'hostilité des Trinitaires.
A Avignon, où les Trinitaires étaient établis depuis i354à
l'hôpital Sainte-Marthe3, les Pères de la Merci reçurent l'église
de Notre-Dame des Miracles; le cardinal Julien de La Rovère,
vice-légat d'Avignon (le futur Jules II), réunit les deux mai-
sons en une seule pour desservir l'hôpital de Sainte-Marthe4
(perpetuo unimus, annectimus et incorpora/nus, protectores-
que et redores in dicto hospitali depatamus et ordinamus).
On ne sait quel fut l'effet de cette mesure.
Les Trinitaires avaient alors pour grand-ministre Robert
Gaguin, qui entama contre les Pères de la Merci une lutte
acharnée, dont témoigne un petit poème, intitulé : De vali-
darum per Franciam mendicantiam astutia rtsus. Ce nom de
1. Belzunce, Antiquité de l'église de Marseille, t. III, pp. 43i-43a.
1. Bibliothèque de Marseille, ras. 1216, p. 381.
3. Voir la monographie de ce couvent.
4. Noi;<ïL-iER, Histoire de l'église d'Avignon, p. 118, et Inventaire des
Archives hospitalières (pièce communiquée par M. de Loye).
a Dy Google
3f>2 l'ordre français des trimtajres.
mendiants valides est une assimilation des Frères de Sainte-
Eulalie aux faux estropiés de la cour des Miracles.
Gaguin constate que les Pères de la Merci réussissent parce
que les Français aiment à donner leur argent à des étrangers.
Il se plaint que ses rivaux quittent leur costume sombre, orné
des armes du roi d'Aragon, pour prendre un habit semblable
à celui des Carmes. II conseille aux évêques d'écarter de leur
troupeau ces loups, ces « mercenaires » (c'était le nom latin
des Pères de la Merci, plus souvent appelés Mercédaires pour
éviter un trop facile jeu de mots), qui transportent hors de
France l'argent drainé en France, et le dépensent pour le
rachat de captifs étrangers, ou le dissipent en débauches.
_ Il rappelle aux Français que ce sont là des Barcelonais, des
protégés du roi d'Aragon, l'un de nos pires ennemis'.
Gaguin, qui usait avec verve de l'argument patriotique,
ayant vu que les Pères de la Merci étaient en instance à Paris
pour le partage des quêtes, accusa de faux certaines de leurs
bulles, insinuation que les ordres religieux se rejetaient assez
volontiers de l'un à l'autre (6 septembre i/|88). Des lettres
d'état (c'esl-à-dire de sursis) lui furent accordées en décem-
bre i48q à cause de son ambassade en Angleterre1. Il dut ga-
gner ce procès, sans doute, car, en i5qq, les Pères de la
Merci n'avaient pas encore reçu la permission de quêter.
Peut-être faut-il attribuer à Gaguin une tracasserie faîte auz
Pères de la Merci de Bordeaux. Sarransol de Dado, profes-
seur de théologie, demanda, en i4q,3, au sergent ordinaire du
roi en la sénéchaussée d'Aquitaine et au procureur du Parle-
ment, acte des défenses que le vicaire général de l'archevê-
. Bîbl. nat., ros. lai. 8772, f°» 1-6.
. Arch. Nat., X»» i4g7, ft 34 r«.
a Dy Google
CONFLITS AVEC LES PÈRES DE LA MERCI. 363
que avait faites aux recteurs de Saint-Seurin, de Sainte-
Colombe, et-., d'admettre à la communion les pénitents des
Frères de la Merci avant qu'Us se fussent confessés à d'autres
prêtres; de plus, le recteur de Saint-Michel de Bordeaux leur
avait intimé la défense de prêcher'. Sortis victorieux de cette
épreuve, les Mercédaires gardèrent leur couvent de Bordeaux,
devenu très important et dont la bibliothèque était très consi-
dérable.
On ne sait ce qu'il faut croire d'une étrange histoire racontée
par Figueras (pp. 546-55o), à savoir la tentative infructueuse
d'union entre les Trinitaires et les Pères de la Merci en r<46i.
Devant Jean Cluchunf?), notaire de Toulouse, auraient com-
paru Gaguin et deux autres Trinitaires, qui avaient donné
rendez-vous à des Pères de la Merci pour travailler à la réu-
nion des deux ordres, sous peine de 1,000 livres d'amende à
payer par les défaillants. Les Mercédaires ne se seraient pas
présentés! François Macedo donne ainsi la raison de cette
abstention:. On aurait tiré au sort, en présence de religieux
des deux ordres, le nom de l'ordre nouveau qui serait fondé
tous la dénomination de Trinitaires de la Merci ou Mercé-
daires de la Trinité; le sort serait tombé sept fois de suite1
sur Trinitaires de la Merci, et, malgré cela, les Mercédaires
n'auraient point voulu accepter cette décision !
Les Pères de la Merci ambitionnèrent bientôt le droit de
quêter dans le Nord. Des lettres patentes du 19 avril i547
détournèrent encore ce péril qui menaçait les Trinitaires.
1. Arckioes hi$torique de la Gironde, t. XIII, pp. 96-99.
2. Le 2 octobre i663, le secrétaire de la Congrégation îles Rites, sur la
plainte des Pires de la Merci, défendit de réimprimer les pages i55-i58 du
livre de Macedo, à moins de les conformer à la bulle du i"r mai 1601, sur
la canonisation de saint Raymond de Peanaforl (Anulecta /un* poritijicii,
t. vm, coi. 1140).
a Dy Google
364 l'ordre français des trinitaires.
a Et pour ce qu'il y a aucuns Relligieux de la Sainle-Eulalie
de la Mercede en Cathalogne qui... s'efforcent et entremettent
de nouvel de faire semblables questes en nostre dit royaume,
soubz couleur et tillre de la Rédemption des dits prisonniers,
se disans estre fondés de la dite Rédemption par les rois
d'Aragon, en entreprenant sur les dits supplians et leur dite
fondation... nous mandons et commettons à vous nos baïltiz,
senechaulx et justiciers ou voz lieutenants que vous faictes ou
fairez faire inhibitions et défenses de par nous... aus dits
Relligieux de la Mercede, leurs procureurs, facteurs et entre-
metteurs... que doresnavant ilz ne se entremettent de faire
telles questes en notre dit royaulme '... »
Par contre, le Parlement de Toulouse, soixante ans plus
tard, maintint le syndic des religieux de la Merci en la faculté
de quêter et de recevoir les legs, n'empêchant cependant pas
les Trinitaires de quêter et de recevoir les legs, A condition
d'observer la division de leurs biens en trois parties selon
leur règle3 (12 janvier 1606).
En vain, le 27 février 1604, François Petit avait présenté
une requête au Parlement de Toulouse pour évoquer le procès
au Conseil. Il avait été passé outre. Le 18 avril 1608, cet
arrêt de Toulouse fut cassé au Conseil d'Etat pour ce motif
qu'il n'avait pas été fait droit à la requête de François Petit-
Si l'on se rappelle à quel point était tombée en désuétude
la séparation du tiers des revenus pour le rachat des captifs,
on comprendra que la mercuriale du Parlement de Toulouse
avait paru aux Trinitaires quelque peu menaçante. Le 1 1 sep-
tembre 1610, le Conseil d'Etat rendit un arrêt contradic-
I. Arch. Nal., S Ml.
ï. Bmllon, Dictionnaire, de» arrêt», I. V, p. 644- — Le î8 avril, les Tri-
nitaires avaient en effet requis le Parlement de Toulouse de quêter seul*.
aoy Google
CONFLITS AVEC LES PÈRES DE LA MERCI. 365
toire maintenant aux Trinitaires le droit de quêter partout
en France, d'autant plus qu'en 1609 on leur avait interdit,
comme Français, de quêter en Aragon. Pourtant, les Pères
de la Merci purent continuer à quêter dans les endroits de
France oà ils auraient des couvents (ils n'en avaient point a
Paris), à la condition de racheter de préférence des captifs
français et à ne pas transporter, a divertir, ni mêler » cet
argent avec celui des rachats d'Espagne'.
Marie de Médîcîs régente appela les Pères de la Merci à
Paris1 (i6)3) leur conférant le patronage, puis la propriété de
la chapelle de Braque, en face du vieil hôtel de Clisson; le
2 février i6i4, elle alla visiter ce couvent. Déjà ces religieux
avaient à Paris un collège, légué en i5i5 par Alain d'Al-
bret, rue des Sept-Voies (aujourd'hui rue Valette), collège qui
n'avait eu jusque-là qu'une misérable existence3. Cette seconde
fondation parisienne fortifiait beaucoup leur position. En 1617
les Trinitaires Réformés se voient refuser par leur général la
fondation d'un couvent à Paris qui eût rétabli la situation.
Avec les fautes que les Trinitaires commirent au début du
dix-septième siècle, on ne peut s'étonner de la faveur crois-
sante des Pères de la Merci. En vain Louis Petit opposa l'or-
dre de la Trinité, fondé en France, à celui de la Merci, fondé
en Aragon. Le a4 juillet i636, un arrêt du Conseil chargea
les Mercédaires du rachat des captifs de Salé, en Maroc. Il
s'ensuivit une campagne littéraire où les récits hyperboliques
de Gîl Gonzalez d'Avila4 sur les Trinitaires furent vivement
1. Bibl. Mazariue, recueil 37218, 16" pièce, et factum Ld*1, n« 9, ra,
i3(Bibl. Nat.), passim.
a. Bibl. Nal., ma. lai. 17054, f" z3 : récil de la fondation du couvent de
Paria, par le P. Jean Latomy.
3. Ledehuann, Les Frères de Noire-Dame de la Merci, p. 37.
4. Requête de Le Meunier, elc. Ld43, n° ta.
a Dy Google
366 l'ordre français des trinitaires.
critiqués par leurs adversaires. Enfin, le 6 août i638, par
arrêt du Grand Conseil, les Pères de la Merci furent admis au
partage des quêtes avec les Trinitaires : Paris et ses faubourgs
restèrent indivis1; les provinces furent partagées par la voie
du sort. Les Trinitaires reçurent l'Ile-de-France, le Gâlinais,
l'Orléanais, la Beauce, le Perche, le Maine, l'Anjou, la Picar-
die, la Normandie, la Champagne, le Dauphiné, la Bour-
gogne, le Nivernais, le Lyonnais, le Forez, le Beaujolais, le
Poitou, la Touraine, le Berry, le Bourbonnais, l'Auvergne,
le Limousin, la Marche, le Périgord, l'Agenais1. Le i4 mai
1778, Louis XVI y joignit la Lorraine et les Trois Évêchés,
l'Alsace, la Franche-Comté et la Corse.
Les Trinitaires se plaignirent en vain de ce juste châtiment
de leur négligence dans l'œuvre du rachat. L'arrêt fatal fut
confirmé le 5 août i644 et en juin 16S0. En somme, les
quatre Provinces leur restaient, plus le centre, dans lequel
aucun des deux ordres n'avait de couvent, ce qui développa
l'institution des marguilliers. En Bretagne, en Provence'
et en Languedoc4, ils étaient annihilés par leurs concurrents.
Durant les premières années qui suivirent l'arrêt, l'animo-
silé entre les deux ordres fut extrêmement vive. Les Trini-
taires Réformés et les Pères de la Merci firent presque simul-
tanément une rédemption en r 644 ï les seconds avaient laissé
en otage, pour dettes, le P. Brugière. Le dfvan d'Alger voulut
faire payer au P. Lucien Hérault, Trinilaire, les sommes dues
1. Dans un rachat commun, chacun des deux ordres devait en consé-
quence payer la moitié du prix d'un esclave parisien.
a. Le P. Cauxte, Vie de saint Jean de Matha, ïp éd il-, [>- 38i.
3. Voir liasses de Marseille, pièce 61.
4. Dés 1496, ils avaient renonce à quêter dans le diocèse de Nîmes. Les
autres circonscriptions avaient été partagées avec les Pères de la Merci.
Mknaud, Histoire de la aille de Ntme», 1. IV, pp. 48-49-)
a Dy Google
CONFLITS AVEC LES PÈRES DE LA MERCI. 367
par le P. Brugière. Sur son refus1, il fui jeté en prison el y
mourut le 28 janvier i646. Ses confrères rendirent l'ordre de
la Merci responsable de cette mort. La mésintelligence née de
ces incidents perce dans la Vive foi, écrite par un Mercédaire,
le P. d'Egreville1. Tout ce qui arrive de fâcheux à ce dernier
lui paraît l'œuvre des Trinitaires, attachés à sa perte ; s'il
met longtemps à trouver un bateau à Marseille, si à l'arrivée
en Barbarie on dte à son navire les voiles et le gouvernail,
c'est la faute « d'un adversaire de l'ordre à Alger » ou de
religieux « que la charité chrétienne défend de nommer I » "
Les Pères de la Merci songèrent à profiter des avantages '.
qu'ils avaient reçus en Provence, où ils possédaient déjà un ;
couvent à Toulon. II leur fallait s'établir à Marseille, centre de i
la Rédemption, où les Trinitaires étaient fortement installés •
avec leurs auxiliaires, les Pénitents Blancs. Les Pères de la J
Merci, regrettant ce « séjour indispensable » autrefois quitté,
adressèrent à la municipalité un très habile mémoire, où ils i
rappelèrent leurs services, leur récente rédemption de i644j et *
s'efforcèrent de désarmer toutes les préventions. Que deman- \
dent-ils? « Un petit lieu de refuge pour pouvoir... trafiquer 1
tainctement avec les Turcqs et négotier au proffit des Esclaves J
toutes les sommes qui se recueillent des questes de la moitié
du royaume, a Mais il y a déjà les Trinitaires : « Il n'y a <
point d'inconvénient que les deux ordres de la Rédemption ;
soient établis... dans Marseille, aussi bien que dans plusieurs
autres villes du royaume, comme Paris et Toulouse, où ils
vivent paisibles de temps immémorial ; ils éviterotent ainsi les
cabarets et autres lieux profanes, où ils sont obligés de loger
. La victoires de la charité, Paria, 1646, p. i4>-
-.. La Vit* foi, Bibi. Nat-, Lk* 181.
a Dy Google
368 l'ordre français des trinitaires.
par l'opposition des Pères de la Trinité, ce que leur zèle el
leur charité ne debvroît jamais souffrir pour l'honneur du
caractère et pour ne pas donner lieu eux mesmes à une éter-
nelle ir réconciliât ion. » Comme preuve de « candeur et d'in-
génuité », ils donneront une clef du dépôt aux Pénitents. S'ils
s'entendaient tous les trois, on ne verrait pas des enfants de
Marseille rester longtemps captifs; entouré de surveillants,
chacun mettrait plus de conscience dans l'accomplissement de
son devoir1 (i652).
Ces bonnes dispositions portèrent leurs fruits. Le 10 octo-
bre 1657, les consuls réunissent, dans la salle de la maison
commune, Philippe Maurel, ministre de Marseille, Antoine
Audoire, commandeur de la Merci, Maurice Nègre, sous-
prieur de la chapelle des Pénitents. Il est décidé que les
Pères de la Merci auront un tronc et des bassins, maïs qu'aux
processions des esclaves1, ils ne pourront amener que des Pé-
nitents de la Trinité. Ils sont déchargés de l'obligation, impo-
sée en i/|i8 et en i65s, de racheter annuellement deux Mar-
seillais. Le tronc, réservé tout entier au rachat; fermera
à trois clefs, gardées, une par les consuls, une autre par les
Pères de la Merci, la troisième par les prieurs des Pénitents.
Les religieux de la Merci pourront ériger une confrérie dans
leur église. Le 16 octobre, le Parlement d'Aix homologua
cette transaction3.
Il y eut encore des discussions entre les ordres rivaux,
comme en témoigne un mémoire au sujet du rachat des
1 . Archives communales de Marseille, série GG.
2. De même, le 2 juin 1684, les Déchaussés, représentés par leur provin-
cial Luc de Saint-Jean, se virent imposer de ne quêter que dans leur église
et de 11'avoir de bassins que pour les processions de leurs esclaves rachetés
(Trinitaires de Marseille, reg. 4, p. 70)'
3. md., reg.3, p. 86.
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CONFLITS AVEC LES PERES DE LA MERCI. 36g
esclaves à Tunis conclu le 20 mars 1666. Le P. Audoire,
de l'ordre de la Merci, donne avis qu'un « vicaire général »
des Mathurins apportait un fonds de 5o,ooo livres par le
P. Héron, ministre de « Cerceau » (Sarzeau). « ïl y aura
beaucoup à faire envers les Mathurins, qui sont obligés par
leurs constitutions d'employer le tiers de leurs revenus pour
le rachat des captifs '. 0
En i683, Pierre de l'Assomption, procureur général des
Déchaussés, obtint la suppression d'un folio d'indulgences de
l'ordre de la Merci, parce que celles-ci étaient fausses1 (sup-
posîtitiae).
Le 28 avril 1688, un arrêt du Conseil privé modifia la trans-
action de 1657 relative à Marseille. Les Mercédaîres s'étaient
entendus avec le ministre des Trinitaires, Philippe Maurel,
pour le partage des legs généraux et la faculté de quêter le
samedi assistés des Pénitents bleus.
Les adoucissements de l'arrêt du 6 août i638 en faveur
des Trinitaires ne s'appliquent bien entendu qu'à Marseille3.
Partout ailleurs dans le Midi, ainsi qu'en Bretagne, il fut
interdit aux Trinitaires de quêter. L'arrêt n'avait rien décidé
sur les processions d'esclaves. En 1732, les Trinitaires
de Toulouse ayant obtenu de l'archevêque la permission de
quêter dans la procession des captifs ramenés de Conslanti-
nople, le Parlement leur interdit de faire paraître ces esclaves
en public et de quêter dans tout le ressort4. Le i5 octo-
1. Archives du ministère des affaires étrangères, Afrique, n« 8 (Tunis),
Fm 128-129.
2. Bullaire de 1692, treizième bulle d'Innocent Xf.
3. Par exception, l'assiette générale du diocèse de Nlines accorde 3oo li-
vres aux Trinitaires Réformés le 27 avril 1C4O.
4. pièce 281. Le P. Jebannot n'a pas mentionné cet incident dans sa
Relation. Il ne s'agit ici que des quêtes au moment des processions.
a Dy Google
3^0 l'ordre français des trinitaires.
bre 1736, l'intendant intima pareille défense aux Trinitaires
de Montpellier. Il semble cependant qu'en certaines occa-
sions, comme dans des rédemptions communes, il y avait
une tolérance réciproque.
Sans doute, les religieux logeaient à leurs couvents respec-
tifs, dans une ville où chaque ordre en avait, mais il régnait
entre eux, pendant le voyage même, une véritable fraternité.
Le nombre des rachats faits ainsi en commun (1704-1708-
171a au Maroc, 1760 à Alger, 1765 au Maroc, 1779 et 1785
à Alger) prouve que les deux ordres pouvaient arriver à s'en-
tendre. Le voyage de 1 765, précédé d'un an de discussions
avec les Pères de la Merci de Guyenne pour le paiement du
tiers des frais du voyage, fut une exception. Je n'en veux
pour preuve qu'une très belle lettre écrite de Cadix, en 1708,
par le P. Forton, commandeur de Carcassonne : il donne aux
Trinitaires de Marseille et à leurs Pénitents un éloge mérité;
reconnaissant de bonne grâce qu'ils ont en Provence beau-
coup plus de ressources que les Mercédaires pour le rachat
des captifs, il leur demande d'augmenter leurs charités, le
rachat de chaque esclave ayant été porté par l'empereur de
Maroc Mouley-Ismaël à un prix exorbitant '.
En 1751 seulement, le 37 avril, fut signée la transaction
au sujet des processions. Le P. Gairoard, commissaire au
voyage d'Alger, procureur des Réformés et des Déchaussés,
y eut une grande part et en fut félicité par sa province au
chapitre de Lambesc, le 6 mai 1752'.
Les deux ordres, comprenant que de pareilles contesta-
tions leur étaient respectivement préjudiciables, établissent
1. Pièce 357.
3. Trinitaires de Marseille, registre i3, p. a35.
a Dy Google
CONFLITS AVEC LES PÈRES DE LA MERCI. 3yi
qu'il c'y a que deux routes par lesquelles les esclaves
débarqués se rendent en général à Paris : la Provence et le
Daupfainé, ou le Languedoc et le Poitou. Les religieux, en
accompagnant les esclaves, ne s'écarteront point de la route
ordinaire, quel que soit l'itinéraire suivi. Ils useront des quê-
tes manuelles sans tronc ni marguilliers ; ils n'afficheront
leur départ que dans leur district. Les deux ordres feront
leurs processions ensemble, même si leurs rédemptions sont
seulement contemporaines et non conjointes; ou bien elles
seront séparées dans l'ordre fixé par le supérieur ecclésias-
tique. Si les esclaves rachetés par t'un des deux ordres visi-
tent le couvent de l'autre, les religieux ainsi visités ne pré-
tendront rien aux aumônes qui seront faites à cette occasion.
Les Mercédaires Héraut et Gobin signèrent cette convention
avec le P. Lefebvre, général des Trînitaires.
Quelques religieux de la Merci regrettèrent d'avoir renoncé
au bénéfice des arrêts du Parlement d'Aix, leur permettant de
quêter seuls'. Craignant que l'on ne réservât les charités en
Provence pour les processions des Trinitaires, plus fréquentes
que les leurs, ils chicanèrent sur l'itinéraire court, et dirent
que la transaction ne profitait qu'à leurs rivaux, puisque
eux-mêmes n'envoyaient pas leurs captifs à Paris. Faites-le,
répondirent les Trinitaires. Les Mercédaires voulaient obliger
leurs rivaux, dès l'arrivée en quarantaine à Marseille, à
demander aux commandeurs de cette ville et d'Aix la per-
mission de faire la procession, qui pouvait être refusée !
i. Les Trinitaires d'Aï* ayant annoncé qu'ils quêteraient pour les captifs,
le 27 août 1750, le Parlement d'Aix avait ordonné la lacération de leurs
affiches, et le i4 novembre l'itinéraire le plus court leur avait été prescrit.
Même prescription pour Arles (24 février 1 756). Bîbl. d'Arles, manuscrit 159,
p. 65i.
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373 l'ordre français des tributaires.
D'autre part, les Trinitaires déclaraient ne vouloir pas se sou-
mettre à l'obligation de l'itinéraire direct, pour ne pas frustrer
de leur légitime attente les maisons de l'ordre habituées à
ces processions depuis des siècles.
Une nouvelle transaction, conçue dans un esprit un peu
plus large, fut signée à Paris, le 17 mai 1757, par les PP. Le-
febvre, général de la Trinité, et Mandavy, procureur général
de la Merci. Il n'est plus question des arrêts d'Aix, cause de
discorde entre les contractants. Chaque ordre pourra faire
processions et quêtes, même dans les districts de l'autre
ordre, mais sans visiter les troncs des églises ni faire rendre
compte aux marguilliers ' ; les processions d'une rédemption
commune seront à frais communs. Néanmoins les Pères de
la Merci gardaient la quête ordinaire en Provence ; les
Déchaussés de Faucon furent donc déchargés de la quête pour
les captifs1, mais non de la séparation du tiers de leurs
revenus.
Quelque améliorés que fussent les rapports entre les deux
ordres, il ne fut pas possible, en 1765, de faire porter aux
captifs rachetés en commun un scapulaire avec les deux
écussons3, ni de ranger les Trinitaires et les Pères de la
Merci, après qu'ils se seraient réunis, en provinces portant
simplement le nom de leurs saints les plus célèbres et non
plus des dénominations topographiques. Une conférence fut
convoquée, en 1771, dans le couvent trinitaire de Montpellier,
entre les Trinitaires et tes Pères de la Merci, sous la prési-
1. Archives nationales, S 4281.
2. Archives des Basses-Alpes, registre H 16.
3. Le P. Pichault déclara, en 1766, qu'il ne voulait point adopter ces
écussons auxarmes des deux ordres (Bib). nat., ma. nouv. acq. fr. 6a36,
îina partie, p. 198). Les délivrés portèrent, eu 1785, des rubans rouges, s'ils
étaieot des Malhurins; des rubans bleus, s'ils étaient de la Merci.
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CONFLITS AVEC LES PÈRES DE LA MERCI. 373
dence de l'évêque de Mirepoix. Le couvent de Bordeaux
demandait à s'unir aux Trinilaires, mais ceux de Marseille,
Toulon, Montpellier et Perpignan s'y opposaient. Jaubert et
Puel, Pères de province, désavouent d'avance tout ce qui se
fera, alors que deux autres Mercédaires, Mandavy et Mège,
veulent rejeter cette opposition. L'assemblée dut alors se
séparer, sans avoir rien fait, le i5 novembre 1771 \
Voyant cette obstination, le roi ordonna de supprimer les
couvents de la Merci en Guyenne (29 juillet 1774); l'ordre de
la Trinité dut recevoir les fonds affectés à l'œuvre des
captifs, mais les caisses étaient vides3. La suppression fut
accomplie en 1783.
Jetant un regard en arrière sur ces longs démêlés, Audi-
bert, procureur des Mathurins de Paris, dans un compte
rendu adressé à l'Assemblée nationale en 1790, au sujet de
l'Œuvre des captifs, observait « que la concurrence des deux
ordres pour le même but leur fît ressentir les effets attachés
aux misères humaines ». Tout en déplorant ces stériles polé-
miques, on ne peut regretter que les Trinilaires aient trouvé,
dans cette rivalité, un utile stimulant pour l'œuvre de la
rédemption.
1. Liasse des Trinilaires de Toulouse, 11° 88.
2. Le chapitre provincial de Toulouse, en 1775, décida de oe garder que
six couvents sur quinze (E. Ledermann, oavr. cité, p. Go).
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CHAPITRE VI.
La rédemption et la roi de France.
L'intervention royale devint peu à peu fort importante
dans la rédemption. Les Trinitaires ont besoin de l'autorisa-
tion du roi pour emporter outre-mer l'argent ou les mar-
chandises destinées à servir de présent aux souverains bar-
baresques ou d'appoint à la rançon des esclaves. Quand ils
se rendent en Maroc, ils passent par l'Espagne et doivent
se munir, auprès de l'ambassadeur de France, d'une carte
de franchise; en Espagne, on est encore plus sévère qu'en
France pour la sortie de l'argent. Le roi donne aux religieux
une sauvegarde, qui n'empêche pas les pirates de leur courir
sus (par un heureux hasard cependant, ils purent toujours
échapper à ces agressions). En Espagne, la sauvegarde royale
est portée par un notaire, approuvé par le conseil du roi,
qui tiendra registre de toutes les dépenses, fixera la date du
départ et le port d'embarquement'. C'est un peu le rôle que
nous avons vu remplir par un officieux marchand lyonnais,
en i54o, exemple unique pour les rédemptions de France.
La rédemption étant une œuvre privée, c'est à cette sau-
i. Philippe H adjoint un laïque aux deux religieux qui vont, en i
racheter les Portugais {Pièce i36).
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LA RÉDEMPTION ET LA ROYAUTÉ. 375
regarde que se bornait primitivement l'intervention du roi,
très grand avantage pour les religieux. En effet, si le roi
marquait un désir de voir racheter spécialement certains
captifs, ce fait était de nature à rendre les Barbaresques plus
exigeants quant au prix de la rançon de ces malheureux,
dont le sort se trouvait ainsi compromis. Le P. Hérault
chargé, par une lettre d'Anne d'Autriche, de racheter trois
Capucins, éprouva plus d'embarras que de satisfaction par
suite de cette honorable commission '.
Un prince voulut cependant prendre à la rédemption une
pari plus active ; c'est le roi de Portugal, Alphonse V le Brave.
Contraints et forcés, les Trinitaires se dessaisirent en sa
faveur du droit de la rédemption, pour sa vie seulement, et
moyennant une pension annuelle de 8o,ooo reaies. Alphonse
la paya pendant sept on huit ans, mais ses successeurs se dis-
pensèrent entièrement de l'acquitter. Le 16 mars ï 499 ?
Alexandre VI intervint auprès d'Emmanuel le Fortuné pour
faire payer aux Trinitaires la somme convenue; le roi se
contenta de leur léguer 2,5oo douros. Jean III rendit la
rédemption aux religieux et mourut en i552. Sous la minorité
de Sébastien, Roch du Saint-Esprit, provincial, accepta le
concordat suivant.
Les religieux seront déchargés des tournées de quête ; te
roi établira des collecteurs spéciaux el infligera des amendes
au profit de la rédemption, mais l'exécution du rachat appar-
tiendra aux religieux, avec toutes les aumônes. La reine Cathe-
rine et le pape Pie V ratifièrent en i56i el en i566 cette
transaction, encore observée au début du dix-huitième siècle3.
i. P. Calixte, Corsaire» et Rédempteurs, pp. 3oa-356.
z. Jean de Saint-Félix, Triomphas misericordiae, pp. i38 à i4°. —
Baltaire, p. 26t.
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376 l'ordre français des trinitaires.
Ce n'est pas seulement au départ que le roi intervenait.
Il pouvait exercer une influence sur la marche du voyage,
en autorisant ou en refusant l'échange avec les musulman!)
détenus en France.
L'échange était un moyen efficace d'intéresser les musul-
mans à l'œuvre des rédempteurs; le pape Innocent III, dans
sa lettre au Miramolin, avait très judicieusement, nous l'avons
vu ', fait remarquer l'avantage pour les deux races de cet ar-
ticle de la règle trinitaire. Le roi Jacques d'Aragon permet
aussi aux rédempteurs « d'emmener des captifs sarrasins de
son royaume et de les conduire librement en terre sarra-
De leur côté, les Turcs entraient fort bien dans ces idées,
comme en témoigne encore le P. Dan au dix-septième siècle,
les parents des captifs musulmans étant, pour les Rédemp-
teurs, des auxiliaires tout trouvés. C'est par la certitude de
l'échange avec le petit-fils de sa patronne que le Flamand
Caloen, dont d'Aranda a narré les pittoresques aventures,
triompha des rigueurs de cette vieille Mauresse. Une fois, les
rédempteurs étant venus d'Espagne, avec les Maures destinés
à l'échange, et le dey d'Alger n'ayant point voulu vendre à
un prix raisonnable les officiers espagnols qu'il détenait, les
religieux repartirent sans avoir débarqué les Maures. Il y eut
dans la population algérienne un tel mécontentement que,
l'année suivante, le dey se montra plus traitante. A la même
époque, un envoyé du dey demande aux esclaves du bagne
de Toulon leur nom, leur âge, leur patrie, sans doute dans
un espoir d'échange3 (1760).
1. Baron, p. i47> et chapitre 1 de cette 3me partie.
2. Histoire de Barbarie, p. 5oi.
3. Pièce Î97.
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LA RÉDEMPTION ET LA ROYAUTÉ. 377
Au début du dix-septième siècle, une singulière affaire
d'échange est à signaler. Vers 1620, vïngl-trois Turcs furent
jetés par la tempête sur les côtes de Normandie ; laissés sans
ressources par les habitants, au bout de quelque temps ils
commirent des méfaits qui les tirent appréhender par la maré-
chaussée. Leur chef, condamné à mort par le tribunal de
l'amirauté, dit en espagnol qu'il en appellerait au Parle-
ment de Rouen. Mais « Dieu, de la méchanceté des infidèles,
sait tirer le bien et la délivrance des chrétiens qui le loueront
éternellement' », et des Trinilaires vinrent à Valognes deman-
der qu'on les leur remit en vue d'un échange : leur chef
promit de rendre vingt chrétiens pour lui seul. Cet expédient
fut goûté el les Turcs reçurent leur liberté3.
L'échange devint malheureusement, de la part des Turcs,
un moyen de duper les chrétiens. D'Alger, ils promirent au
P. Hérault, en i645, autant de Français qu'il amènerait de
Turcs; puis, lorsqu'il arriva avec les captifs, ils ne voulurent
plus lui donner qu'un chrétien contre deux ou trois Maures.
Cette proportion fut adoptée en 1 704 par l'empereur de Maroc.
L'échange échouait parfois, en totalité ou en partie, sans
qu'il y eût de la faute des rédempteurs. En 1 644, dix Turcs,
évadés des vaisseaux du roi d'Espagne, furent donnés par le
duc de Grammont, gouverneur de Béarn, au ministre des
Trinitaires d'Orthez, pour qu'il les emmenât à Marseille en
vue d'un échange contre un nombre égal de chrétiens captifs
à Tunis; mais deux se firent baptiser3. De même, en i645,
1. Revue africaine, t. XXIX. pp. 437-442.
3. Le passage d'autres Turcs a Arles, le 12 avril 1637, causa une épou-
vantable catastrophe, par suite de l'écroulement d'un pont sous la foule des
curieux (Le Musée d'Arles, t. I, p. 139).
3. P. Calixte, Corsaire* et Rédempteurs, p. 3i6 (note).
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378 L'ORDRE FRANÇAIS DBS TRIMTAIRES.
un échange de vingt-deux Turcs pour vingt-deux chrétiens ne
put être effectué parce qu'à [Toulon ces Turcs furent trouvés
« chrétiens, ou morts, ou enfuis' ».
Dans la seconde moitié du dix-septième siècle, l'échange
fut le plus laborieux, surtout par la faute des Français.
Charles IX avait donné, en i56a, des lettres patentes pour
faire relâcher quelques Maures des galères1; mais les mar-
chands marseillais faisaient souvent la sourde oreille, ne
voulant pas se priver de ces excellents rameurs. Sous le mi-
nistère de Colbcrt, le gouvernement finit par se ranger à
l'avis des Marseillais. Le célèbre ministre, amusant les Algé-
riens par des réponses dilatoires, approuva ['expédient de ne
renvoyer que des Turcs vieux et invalides. Cette insidieuse
substitution fut une des causes de ces bombardements d'Alger
si funestes aux chrétiens.
Les rédempteurs eurent à souffrir de cette politique. Mal-
gré leurs dénégations, toujours considérés par les souverains
musulmans comme des ambassadeurs officiels, ils étaient ex-
posés à ne se voir rendre les esclaves français que s'ils pro-
mettaient le renvoi des Maures retenus sur les galères, ce qui
n'était pas en leur pouvoir. Après une période de crise aiguë,
quelques échanges réussirent de nouveau. Pour ne citer que
les plus connus, Dusault, envoyé à Alger en 1691, échangea
deux cent cinquante-sept Turcs contre quatre cent cinquante-
deux Français. Il ne restait plus alors aucun de nos compa-
triotes pris pendant la paix3.
1. Reoae africaine, l. XXXV, p. 99.
a. Pièce iM- — Le 16 septembre :644> le duc de Richelieu ordonna de
détacher de la chatue deux Turcs pour les échanger avec deux esclaves fran-
çais détenus à Tunis (Aff. clr., Afrique, no 8, fol. go).
3. Plantet, Correspondance de» dey» d'Alger, I, aoO.
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LA RÉDEMPTION ET LA ROYAUTÉ. ^79
En 1721, treize Turcs avaient été promis par Dusaull1,
contre douze Français; or, sept de ceux qui furent conduits à
Alger étaient invalides et Maures. Si Dusault (mort au mois
de mai 1731) n'avait pas promis les treize Turcs, jamais les
Algériens n'auraient rendu les douze Français arrivés à Alger
sur les galères de Salé, ce qui était une gracieuseté particu-
lière. Aussi, pour apaiser le dey, ordre fut-il donné aux con-
suls de Gibraltar et de Cadix de racheter vingt-sept Turcs et
Maures pris par les Hollandais et vendus aux Espagnols1.
A la suite du voyage du P. de La Faye, Maurepas, ministre
de la marine, fit libérer six Turcs des galères, récemment
achetés à Cadix (16 janvier 1726)3.
En 1737, des Maures ayant été jetés à Collioure par ta tem-
pête, l'amirauté voulut s'en saisir à Marseille, pour les faire
jeter sur les galères ; mais les échevins les renvoyèrent à
Alger *.
De semblables procédés facilitèrent les échanges; en 1755,
sur trois cent quarante-huit captifs, les Trinitaires Déchaus-
sés en eurent cent quatre-vingt-onze par échange 5.
On voit combien il était important pour les rédempteurs
d'avoir d'avance l'agrément royal pour l'échange des Turcs
des galères. L'amirauté , après avoir rendu ceux d'Alger,
n'avait qu'à faire acheter d'autres Turcs à Livourne ou à
Malte6.
1. Dusault était très considéré en Barbarie; le bey de Tripoli lui avai
donné une statue antique de la Padenr, qu'il offrit à Louis XIV pour Ver-
sailles. Revue africaine, l. XXXII, p. 60.
2. Ibid., p. i3i.
3. Ibid., pp. i37-i38.
4. Ibid.,, p. 128.
5. Arbor ckronotogica ordinis S. Trinilatù,p. i3£.
6. Voïci encore quelques exemples d'échange. 1621 : un pirate ee
■doyGoo^Ie
38o l'ordre français des trinitaires.
Quand il n'y avait pas échange, il fallait bien payer la ran-
çon des captifs. Il ne pouvait convenir au roi de prendre
officiellement cette dépense à sa charge, considérant « qu'il
n'était de sa dignité de traiter avec la canaille ou de payer
une somme pour rançon de ses sujets », mais il priait le sou-
verain du pays d'agréer cette somme en présent, « comme
témoignage de son amitié singulière1 ». Ainsi le traité con-
clu à Alger en 1666 par le duc de Beaufort contient une
clause secrète sur le prix des esclaves délivrés ; mais dans le
traité public, ils sont censés avoir été libérés sans rançon.
Parfois, le rachat était mis à la charge des villes. En 1628,
les communautés de Provence trouvant déjà onéreux de payer -
les 300 livres obligatoires par esclave, d'après la liste remise
à Samson Napollon, refusent d'accorder une gratification
à ce marin'. A mesure que le dix-septième siècle s'avance,
nous voyons croître les charges pesant sur les villes, du fait de
leurs enfants esclaves. Un arrêt du Conseil d'État, du b\ jan-
vier 1666, contraignit les communautés à donner 175 écus par
captif, mais sauf remboursement par les parents qui auraient
du bien3.
échangé pour un esclave marseillais de bonne famille détenu à Alger.
(P. Calixte, ouvr. cité, p. 11g). — 1648 : de Cocquicl échange trente-six
Turcs des galères contre deux cents captifs français (Corr. d'Alger,
I, 55). — 1666 : sepl forçais sont échangés au moment de la mission de
Dumoulin (Aff. étr., Afrique, n° 8, fol. 129 v°). — L'échange est plaisam-
ment mentionné dans la célèbre scène du Pédant joui : « Va-t-en leur dire
que, le premier Tare qui me tombera entre les mains, je te leur renooye-
rai pour rien. » — Il existait aussi en Orient. Les Déchaussés de Vienne
se louèrent beaucoup de la conduite des Turcs d'échange qu'ils amenèrent
avec eux en 1700 (Triumphas misericordiœ, p. 80).
1. Mission des Capucins à Maroc. Rome, 1888, p. 63,
3. Pièce des Archives communales de Cassis (i4 mars 1628).
3. Plantbt, Correspondance des beys de Tunis, I, ivm. — Le roi fit
d'ailleurs en secret une aumône de 4°,°°o livres pour les nécessiteux.
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LA RÉDEMPTION ET LA ROYAUTE. 38l
L'influence du roi s'exerça de tout temps, dans le cours de
la rédemption, en limitant le choix des esclaves. La cour de
France interdisait, en principe, le rachat des déserteurs fran-
çais pris sous pavillon étranger, bien moins intéressants que les
chrétiens victimes d'un malheur immérité. C'était d'ailleurs une
idée commune à tous les souverains européens. Cependant,
lorsque l'enquête demandée d'avance au consul de France
n'avait pas été conduite avec assez de sagacité, les déserteurs,
réussissant parfois à cacher leur identité, étaient rachetés à
la faveur de cette méprise ' ; lors du retour des rédempteurs
en 1731 et en 1700, la cour de France ordonna formellement
de ne pas inquiéter ces déserteurs3. Maurepas en avait parlé
à son collègue le comte d'Argenson, qui leur donna des
saufs-conduits pour la durée des processions solennelles mar-
quant le retour des captifs, quitte à obtenir du roi leur grâce
pendant ce temps ou à les faire passer ensuite aux colonies.
Il était toujours interdit aux Trinitaires de racheter les
déserteurs en connaissance de cause : le P. Gâche avait
répondu par un refus à la princesse Louise de France, qui
intercédait pour obtenir le rachat d'un déserteur (14 jan-
™ 1778).
En résumé, à celte époque, la rédemption était la plupart
du temps générale, parce qu'on rachetait un certain nombre
de captifs, à la fois et indistinctement, à part quelques res-
trictions apportées par les prescriptions de la cour de France ;
c'était une œuvre absolument privée, où les religieux inter-
venaient en leur nom et avec leurs propres ressources.
1. Cf. la grâce accordée à Jean-Pierre Congy, déserteur corse, racheté
pu- le P. Gâche (Corr. citée, 3 mars 1780).
9. Pièce 3o4-
a Dy Google
CHAPITRE VII.
Le voyage de rédemption à Alger ou à Tunis.
La règle trinitaire ne fixe pas les conditions du choix des
rédempteurs'. « Ils doivent être, disent les statuts, éminents
sous tous les rapports, d'une forte santé, d'une vertu éprou-
vée, d'une charité inépuisable. » D'ordinaire, ceux qui avaient
été jugés dignes de l'administration d'un couvent pouvaient
seuls prétendre à l'honneur de faire une rédemption ; les sta-
tuls de 1429 n'en excluent pourtant pas les simples frères.
Depuis le quinzième siècle, nous n'y voyons guère employés
d'autres religieux que des ministres, au nombre de trois ou
quatre, surtout et presque exclusivement tirés des provinces
du nord de la France. Ils sont élus par le chapitre général,
tous les trois ans, nous dit François Bouchel; en Espagne,
ils sont choisis par le Défini toire.
En i5o5 figure parmi les rédempteurs un ministre de Cor-
des; en 1723, un ministre de Montpellier; en 1720, un reli-
gieux d'Avignon. D'ailleurs, quand une rédemption avait
pour but spécial le rachat des captifs d'une région, l'envoi
d'un rédempteur de celte région est tout indiqué. Pierre Mer-
1. Il eal seulement ordonné aux rédempteurs de porter la barbe, car en
Barbarie ceux qui ne la portent pas sont regardés comme des gens dis-
solus (Hihl. nal., n. acq. lat. 1788, f° 4 v4)- D'où les barbes vénérables
des rédempteurs qui faisaient un si bel effet a
a Dy Google
LB VOYAGE A ALGER. OU A TUNIS. 383
cier, voulant en i665 racheter (es captifs d'Ostende, pour ins-
pirer confiance aux Flamands, charge de leur rachat le
P. Dachier', ministre de Lens, avec Félix Boucher, religieux
corners du couvent de Douai.
Le lieu du voyage est fixé par le chapitre général ou le
grand-ministre, d'après les lettres que l'on reçoit sur l'état
du pays ou les souffrances des esclaves. La destination ordi-
naire est Alger, Tunis ou le Maroc, bref l'Afrique du Nord.
Comme rédemption exceptionnelle, on peut citer celles de
Hongrie en 1602, de Tripoli en 1700, et de Constantinople
en 1732.
Le départ est précédé d'un certain nombre de formalités,
dont la première était l'obtention du passeport royal. Le nom
du roi de France est si respecté en Barbarie que même les
religieux de la Merci d'Andalousie ne dédaignent pas, en
1715, de lui demander un sauf-conduit1.
Le passeport du roi de France a comme corollaire celui du
dey d'Alger, de l'aga des Janissaires ou de quelque autre.
Des i58i, Djafer, vice-roi d'Alger, écrit aux rédempteurs
que cela ne se passerait plus comme sous son prédécesseur
Hassan, et que les chrétiens pourraient venir librement en
Barbarie, tant pour le négoce que pour la rédemption. En
1645, le P. Lucien Hérault reçut un pareil passeport avec
des promesses d'excellents traitements, mais elles ne furent
guère tenues. Le 19 janvier 174°) 'e dey Mehemmed envoya
aux Trinitaires de la province de Castîlle un passeport solli-
cité par le Père administrateur de l'hôpital d'Espagne3.
■ ■ Archives du royaume de Belgique à Mons. Les captifs rachetés à
Alger, en novembre 1729, sorti aussi tous des Flamands.
1. Hlintet, Correspondance de* beys de Tunis, l. Il, p. 1 54.
3. Plantbt, Correspondance des deys d'Alger, H, 308 n.
aoy Google
004 L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
L'essentiel était d'emporter de l'argent. Le change causait
un grand ennui aux rédempteurs, d'autant que les seules piè-
ces admises étaient les piastres mexicaines ou sévillanes, el
que, vu l'importance de la somme, on trouvait difficilement à
la changer, même à Marseille1.
Les Trinitaires emportent aussi des marchandises. Le
4 août i63o « fut accordé que, pour le rachat des esclaves
français qui se trouveraient au lieu de Salé el terre de sa
juridiction, on payerait à leurs patrons l'argent qu'ils auraient
coûté, avec 4o °/0 de profit, en toile de Rouen à prix raison-
nable1 ». Quant aux présents officiels, on sait que, de tous
temps, on en offrit aux Musulmans. Raynaldi mentionne ceux
que le pape envoya en i344 au soudan de Babylone pour
l'adoucir {ad emulcendum soldanum) et l'amener à traiter
mieux les chrétiens. Les archives de la Chambre de commerce
de Marseille et les lettres des consuls d'Alger mentionnent, à
chaque instant, les présents qu'il faut faire, au dey à l'occasion
de la naissance, de la circoncision, du mariage de ses fils. Dés
qu'un consul d'Angleterre ou de Hollande a fait un riche ca-
deau, il faut que la France en fasse un encore plus considéra-
ble, puisque c'est la richesse des présents qui donne l'in-
fluence et la considération. Les rédempteurs n'étaient pas
exempts de cette cause de préoccupation ; leurs présents
auraient été refusés s'ils n'avaient pas été assez beaux, el la
rédemption se serait trouvée compromise. Aussi voit-on, à la
fin du dix-huitième siècle, les Trinitaires s'entendre d'avance
avec le souverain musulman au sujet du présent qui lui serait
agréable. L'empereur du Maroc réclame aux rédempteurs
. Archives de la Chambre de commerce de Marseille, panim.
. Mixtion de» Capucins à Maroc, p. 1 58.
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LE VOYAGE A ALGER OU A TUNIS. 385
de 1765 de la cochenille, à ce moment hors de prix à Cadix;
ils ont toutes les peines du monde à faire revenir le souverain
sur cette idée. Finalement, les religieux en furent quittes
pour apporter à la piace une certaine quantité de thé ; mais
quand il l'eut reçu, l'empereur déclara qu'il ne valait rien!
Ce n'est pas le souverain seul qu'il faut gagner; il y a,
au-dessous de lui, ses fonctionnaires, surtout les officieux,
comme les Juifs, qui sont souvent les intermédiaires de la
rédemption. L'un d'entre eux intervint très opportunément,
en 1765, pour les religieux qui refusaient de payer une trop
forte commission au vice-roi Mouley-Idris, à Mogador, en
Maroc. Toutes ces dépenses devaient être prévues dans le
budget de la rédemption, sous peine de voir le déficit s'ac-
croître dans des proportions gigantesques; le seul remède,
l'emprunt, auquel les rédempteurs de 1 765 songèrent, est une
source de difficultés pour l'avenir. La prudence devait con-
traindre les religieux à ne pas trop se laisser aller au senti-
ment en rachetant au delà de leurs ressources.
Les rédempteurs, ayant reçu la bénédiction du général,
s'embarquent à Marseille ou à Toulon pour se rendre à
Alger ou à Tunis. Leur traversée n'est pas exempte de dangers ;
car, s'ils vont faire un rachat à Alger, ils ne sont pas pour
cela protégés contre les pirates de Salé ou de Tunis1. Natu-
rellement, Us s'embarquent sur des bateaux très simples, car
il faut être économe du trésor des captifs, à moins que,
comme en 1719, ils n'aient la bonne fortune de se trouver sur
le navire qui porte l'heureux négociateur Dusault.
Arrivés au port de Barbarie, ils font avertir le souverain;
deux barques viennent à leur rencontre, l'une porte le consul
1. P. Dan, Hiitoirt de Barbarie, p. 48g-
ûdv Google
ÔHb L ORDRE .FRANÇAIS DES TRIMTAIRE5.
de France, l'autre le secrétaire du dey'; l'un vient les com-
plimenter et se mettre à leur disposition pendant tout le temps
de leur séjour, l'autre leur demande combien d'argent ils
apportent; ils tâchent toujours de n'en déclarer que la moitié.
On déduit 5 ",/„ de tout l'argent et de la valeur des marchan-
dises. On ôte le gouvernail et les voiles1 du navire; cette for-
malité, dont seuls les Vénitiens1 surent se faire dispenser au
Moyen-âge, s'explique par la crainte des Algériens de voir
un esclave se sauver subrepticement à bord du bateau sans
payer de rançon. Dans le voyage du P. Michelin, en 1666, le
capitaine Pierre Chabal demanda en vain4 qu'on n'enlevât pas
les voiles au navire royal, et les rédempteurs eux-mêmes le
blâmèrent de son insistance.
Des gravures, qui enveloppent les liasses des Mathurins de
Paris, nous montrent les rédempteurs sortant de leur canot;
l'uo porte un petit sac, les captifs se jettent à leurs genoux.
A côté sont représentés, pour inspirer de la compassion aux
chrétiens libres, quelques-uns des supplices parfois infligés aux
malheureux esclaves; un captif est suspendu la tête en bas, un
autre empalé, un troisième tiré par les cheveux par un captif,
sur l'ordre d'un Maure. En fait, la première impression des reli-
gieux n'est pas si sombre. Le canon a été tiré pour l'arrivée
des rédempteurs et, durant vingt-quatre heures, les chaînes5
1. L'Oukil, comme l'appelle H.-D. de Gbammont dans son étude sur la
Rédemption.
2. On les rendait au départ. D'après une légende, saint Jean de Mali»
fut abandonne avec ses captifs sur une nef sans gouvernail ni voiles, comme
les saintes Maries de la Mer, ce qui ne l'empêcha pas d'arriver au port sain
et sauf (P. Calixte, Corsaires et rédempteurs, p. 78}.
3. M as- Latrie, ouor. cité, p. 387.
4. Le Tableau lie piété envers les captifs, p. 105.
5. Le P. Hérault parait avoir exagéré en parlant de chaînes de 100 livra
(Larmes et clameurs des chrétiens, i643, p. i4).
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LE VOYAGE A ALGER OU A TUNIS. 38'/
sont enlevées à tous les captifs (du moins l'anneau que les
esclaves du Bevlic portent à la jambe). Durant le temps de
la rédemption, les religieux donnent aux esclaves de leur
nation une piastre par mois; cette gratification, qui s'ap-
pelle la lune, a pour but de les dispenser du travail el de
leur laisser plus de loisir pour faire des démarches auprès
des rédempteurs.
Les Pères doivent aller présenter leurs civilités au dey; le
consul les y accompagne. Le souverain désire voir racheter
d'abord ses esclaves, en impose cinq, qu'il prend toujours
parmi les plus inutiles et vend très cher; dans ce nombre, il
en glisse parfois qui n'appartiennent ni à la naiion ni a la
religion des rédempteurs; ceux-ci sont obligés d'accepter
quand même ces cinq esclaves, sans quoi la rédemption serait
compromise.
Cette visite officielle une fois faite, les Pères demandent
quels sont les captifs les plus anciens et les plus méritants et
recherchent ceux pour lesquels ils ont un fonds spécial. Cette
enquête, déjà préparée dans les divers diocèses de France, est
fort difficile à cause du secret qu'il faut garder et de la néces-
sité de se servir des intermédiaires ; ceux-ci font parfois rache-
ter d'abord les captifs les plus fortunés ou ceux qui leur ont
donné quelque argent. Les religieux sont dans celte situation
embarrassée, par suite de leur ignorance de la langue arabe ;
ce n'était donc pas sans quelque fondement qu'un anonyme
du seizième siècle, écrivant des « Articles » pour la rédemp-
tion des captifs, proposait que les religieux fussent toujours
accompagnés de personnes connaissant « la langue et manière
de trafiquer » du pays '.
i. Bibliothèque nationale, manuscrit Français 17284, F"» a6-3o. Je dois
celle indication, avec bien d'autres, à mon excellent confrère A. Vidicr.
■doyGoo^Ie
388 l'ordre français des trinitairbs.
Tous les esclaves cherchaient naturellement à se faire
racheter les premiers. L'un contrefit le furieux avec tant
d'art, menaçant son patron de le tuer, que celui-ci prit peur
et s'en défit pour une somme peu élevée. Parfois, le patron
vient menacer le rédempteur de toutes sortes de maux, s'il ne
rachète pas son esclave. La fourberie des captifs met les reli-
gieux dans l'embarras. Ils apportent, raconte le P. Héron
qui alla à Alger en 1639, des fausses lettres de leurs parents,
affirmant que ceux-ci ont confié des fonds aux rédempteurs,
et ils prétendent ainsi être rachetés. Les religieux, sachant
bien n'être jamais allés en ces pays, ont de la peine à mon-
trer aux patrons, qui veulent se faire donner l'argent soi-
disant confié par la famille, la fausseté de ces prétentions
et courent grand risque d'être maltraités par ceux dont la
fraude a échoué.
En général, les Trinitaires ne rachètent que leurs compa-
triotes catholiques. Quand il y a des captifs « de la religion »,
les protestants leur confient parfois des fonds pour leurs
coreligionnaires, ou ils s'occupent eux-mêmes de ce rachat.
Ce n'est que dans le cas où il n'y aurait pas assez de natio-
naux qu'ils pouvaient délivrer des étrangers, à moins d'avoir
reçu pour ceux-ci des fonds spéciaux1.
Le roi de France prétendait qu'on devait remettre en liberté
même les étrangers pris sous pavillon français1. D'autre part,
on ne pouvait accorder la même faveur aux Français pris sous
un pavillon ennemi des Barbaresques.
1. En 1703, le conseil de Hambourg envoie 3oo marks aux Triuiiaïres.
B* Ascii, Die Uanxeslâdte and die Barbareaken.
2. Le Danemark se plaignit, au dix-huitième siècle, à la ville de Ham-
bourg, qu'elle ne rachetât point les Danois pris sous pavillon hambour-
geois. La célèbre ville hanséatique déclara qu'elle ne faisait point de diffé-
rence entre ses matelots.
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LE VOYAGE * ALGER OU A TUNIS. 0OO,
Les religieux eurent pitié d'une pauvre famille de Sardai-
gnefiyao), de Grecs et du père d'un comédien italien. Dans
la liste des esclaves ramenés de Constantinople en i j3 t , un
est de Saint-Gall '.
En principe, les subventions locales ne devaient être em-
ployées que pour les captifs locaux, avec faculté de s'en
servir pour les esclaves français en général, si la somme dis-
ponible n'était point épuisée. Le partage des quêtes entre
les Trinitaires et les Pères de la Merci amena nos religieux à
racheter des gens du Nord plutôt que des gens du Midi.
En 1708, le P. Forton, Mercédaire, priait, avec raison, les
Trîntlaires de contribuer au rachat des Provençaux autres
que les Marseillais, les villes de Martîgues, de La Ciotal, de
Toulon, ne fournissant pas des fonds suffisants pour le rachat
de tous leurs compatriotes1. Les Marseillais étaient fort
nombreux; mais, comme nous l'avons vu, le Bureau de Ré-
demption s'occupait souvent de leur rachat particulier. La
rédemption avait donc un caractère local assez prononcé.
Les captifs rachetés sont de tout âge et de tout sexe. Dans
un dénombrement de i58o, figurent deux prêtres, deux Fran-
ciscains, un Dominicain, une Clarisse, vingt-deux enfants,
vingt-quatre femmes3. D'après des listes contenues dans un
manuscrit, les Pères de la Merci, par courtoisie, rachetèrent
plus d'un Trinitaire4, à charge de revanche. On retirait même
de Barbarie des statues, des images de saints, des ornements
sacrés tombés aux mains des musulmans5.
1. Voyage da P. Jehannot, p. 33g.
a. Pièce 257.
3. Bernardin de Saint-Antoine, Epitome, F° 86.
4- Manuscrit 7700 de la Bibliothèque du Vatican.
5. Arbor chronologica, p. i35. — A la page 174 du Triumphas miseri-
cordiai: se trouve la reproduction d'une image du Christ rachetée en 168s
et placée dans le couvent de Madrid.
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3gO LORDRE FRANÇAIS DES TRIHITAIRES.
Quant aux prix de la rédemption des captifs, il est bien dif-
ficile d'en donner une idée exacte. En 1 5 4 r , rapporte H. de
Grammont, on eût pu échanger un chrétien contre un oignon I
Ce prix augmenta rapidement, sans doute plus vite que la
valeur de l'argent ne décroissait- Les cotisations imposées par
Louis XIV, en 1666, étaient de 175 écus, somme presque
équivalente aux 600 livres que fournissaient les prieurs de
la rédemption de Marseille. En i685, ceux-ci décidèrent de
faire un « augment de charité » et de porter cette quotité à
800 livres1. Le prix variait d'ailleurs selon le rang présumé
de l'esclave et aussi selon le pava où il était détenu. Ainsi, au
Maroc, les esclaves coûtaient deux à trois fois plus cher qu'à
Alger.
Le dey faisait trois catégories, selon les professions que
les esclaves pouvaient exercer : minstrances, gens de main-
d'œuvre (forgerons, tonneliers, charpentiers), caravaniers,
qui portaient les fardeaux, et passebarres, les moins esti-
més de tous, qui charriaient des pierres à la mer pour cons-
truire le môle1.
En 1737, le dey exigeait des Mercédaires 1,000 piastres3
pour un captif ordinaire, 5, 000 pour un officier et 100,000
pour chacun des deux chevaliers de Malte, Saldecagne et
d'Aregger. Ce dernier chiffre s'explique par l'hostilité per-
sistante entre Maltais et Barbaresques. Plutôt que de subir
it de hausse continua pendant tout le dix-huitième siècle.
M. Baasch, qui a étudie la caisse des esclaves à Hambourg, montre que la
contribution pour le rachat de chaque esclave, d'abord de 3oo marks, monta
à 5oo, 600, 700 même.
2, Mémoires de la Congrégation de la Mixtion, t. III, pp. 36-17. Ces
dénominations venaient de l'espagnol.
3. En 1720, la piastre sévillane valait 6 livres 10 sols; en 1765, elle est
comptée pour 5.
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LE VOYAGE A ALGER OU A TUNIS. ,1f}I
ces exigences, les religieux se retirèrent. L'année suivante, ils
eurent des officiers pour 8bo et niême 600 piastres sévîllanes
par tête; des deux chevaliers, l'un revint à 22,000 piastres,
l-'autre à 10,000'. Les comptes de rachats particuliers d'escla-
ves liégeois dont les Trinîtaires sont chargés vers 1780 foiit
ressortir leur prix moyen à 3,ooo livres. '■ '
Dana les fortes rançons, la famille devait intervenir pour
la plus grande part, mais il est impossible de savoir la con-
tribution des religieux pour chaque rachat. Le docteur Gus-
tave Lambert3 mentionne 100 livres remises par Honoré Mège
pour le rachat d'un de ses parents, ou même 1 55 et 175 pias-
tres que des captifs s'engagent à payer, une fois rentrés en
France, mais que les religieux ne purent pas toujours tou-
cher. I! est donc permis de dire que la contribution- dés
familles était facultative, et que la charité, tant du roi que
des religieux, libérait en totalité les pauvres captifs.
Au prix net s'ajoutaient des droits innombrables, dont
1'énumération tiendrait une page; le principal était celui des
portes fixé à 10 °/03. Au traité si avantageux conclu par 'le
P. Hérault, le ier mars i643, figurent i5 piastres à verser
au -dey, l\ au secrétaire d'État, 7 au capitaine du port, 17 au
gardien du bagne.
A mesure que les Trinitaires rachetaient les esclaves, ils les
Taisaient pourvoir de leur carte de franchise et recueillir dans
quelque maison hospitalière, la plupart du temps celle du
- 1. Le rachat de M"« de Bourck, de son oncle 'et de son" domestique coûta
75,ooo livres.
». L'Œaore de la rédemption des captifs à Toulon, pp. 69, 73, 79.
î. L'empereur de Maroc en avait positivement dispensé les Trinitaires
en 1716, mais un ministre prévaricateur ne voulut pas en prévenir le vice-
roi de Mcquinez, et les religieux, contre leur attente, se virent contraints
par celui-ci de le payer.
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3o2 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRJNITAtRES.
consul; en 1720, leur rançon fut payée dans l'hôtel du pléni-
potentiaire Dusault. La négociation finie, les libérés étaient
passés en revue par le dey ; c'est à ce moment que les ré-
dempteurs ont le plus à redouter les insultes de la populace.
Le navire est bien inspecté pour que l'on soit sûr qu'aucun
esclave ne s'y est caché en contrebande. Après cette inspec-
tion, le gouvernail et les voiles sont rendus, et le bateau
procuré par le consul peut partir'.
En i645, raconte le Mercédaire d'Egreville, dans sa Vive
Foi, des esclaves s'étaient glissés dans le vaisseau en par-
tance; de peur d'être poursuivi par les Algériens, et malgré
toutes les supplications de ces malheureux, l'équipage les
débarqua. Un esclave de Tunis trouva le moyen de se sauver,
en 1730, en se plongeant jusqu'au cou dans un tonneau
d'eau. On ne le signala au P. Bernard que quand le navire
fut bien loin de la terre.
Ne reste-t-il plus d'esclaves de notre pays lors du départ
des religieux? Certains rédempteurs l'ont prétendu. Le P. de
La Faye affirme qu'en 1725, il ne reste plus à Alger que
deux a catholiques français que leurs patrons veulent garder
parce qu'ils leur sont utiles, et qui d'ailleurs ne sont pas
malheureux. En admettant que cette affirmation fût vraie
pour ce moment précis et lors des restitutions imposées
par les traités, la course allait rapidement fournir des escla-
ves en plus grand nombre qu'on n'en avait racheté, et tout
le travail devait être à recommencer. Les rédemptions fran-
çaises étant d'ailleurs moins fréquentes que celles opérées
1. Ed 1720, le consul Delane somma les rédempteurs partant pour Mar-
seille de continuer leur voyage sur un pinque de construction hollandaise
qu'il avait acheté pour eux. Revue africaine, XV, 36o.
3. Voyage de ija3-ij»5, p. 357.
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LE VOYAGE A ALGER OU A TUNIS. 3û.3
par les Espagnols, il pouvait rester relativement plus de
Français que d'Espagnols en captivité.
Le voyage de retour était parfois accidenté. A deux repri-
ses, une tempête ramena à Alger les rédempteurs de 1730.
Au passage des îles Baléares, en 1659, lors du retour du
P. Héron, on menaça de tirer le canon contre leur vaisseau,
mais les Trinitaires de Palma, plus généreux que le gouver-
neur, apportèrent des provisions à leurs confrères; en 1725,
à Port-Mahon, on leur refusa la permission de prendre de
l'eau. Après une traversée plus ou moins longue, les rédemp-
teurs arrivaient au port de Marseille. Les Pères de la
Merci ' débarquaient plutôt à Toulon, où ils avaient un cou-
vent.
Gomme Alger était presque constamment en proie à la
peste, les esclaves rachetés devaient faire la quarantaine.
Cependant, le ministre de Marseille était prévenu et la popu-
lation s'apprêtait à faire fête au pieux cortège.
1. En 1661, ils débarquèrent à Barcelone et durent venir à pied en
France, vivant de la charité publique (Dr Gustàvs 1
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CHAPITRE VIII.
Les processions de captifs.
Dès que la quarantaine était terminée, les processions de
captifs commençaient. C'était une fête éminemment populaire;
la dernière, qui eut lieu en 1785, laissa un très grand sou-
venir : quarante ans après, Bérenger la décrivait encore dans
ses Soirées provençales1. Ces processions avaient un double
but : l'édification et l'utilité. C'était un beau spectacle, pour
les populations, que de voir les captifs délivrés, accompagnés
de leurs libérateurs, dont la charité était ainsi peinte au vif :
quel meilleur moyen eût-on pu trouver pour engager les chré-
tiens à se montrer généreux pour les captifs, bénéficiaires
des quêtes faites pendant les processions, et à fournir de
nouvelles ressources aux rédempteurs I
La procession, en usage au moins depuis le quinzième siè-
cle, au témoignage de Gaguin, visitait de préférence les cou-
vents de l'ordre. De -Marseille1, elle gagnait, en général,
Aix, Arles, Tarascon, Avignon, Lyon, Troyes, d'où elle se
rendait à Paris, soit par Fontainebleau, soit par Châlons,
Cerfroid et Meaux. Le voyage n'était pas toujours terminé
1. Lettre i8« du I«r volume, pp. 3o6-3oç, (Paris, 1819).
a. En 1666, les Pères de la Merci avaient voulu empêcher les Trinilaîres
de faire une procession à Toulon (Gazette du 12 novembre; Le* continua-
teur* de Loret, tome II, col. 470)-
a Dy Google
LES PROCESSIONS DE CAPTIFS. 3()5
par la capitale, car on allait souvent montrer les captifs
libérés aux villes de Flandre ' et de Normandie, dont quel-
ques-uns élaient originaires.
Il y avait aussi un itinéraire allongé, traversant le Langue-
doc et le Poitou, que le Père Hérault avait suivi en i643; dans
la première de ces provinces, les Tri ni (aires possédaient un
certain nombre de couvents. Lors de la rédemption commune
de 1785, les Trinitaires prirent l'itinéraire direct, et les Pères
de la Merci passèrent par Toulouse et Bordeaux.
Les processions existaient aussi hors de France. Celle de
i559 à Lisbonne est ainsi relatée par Jean Nicot, ambassa-
deur de France en Portugal. « Arrivèrent environ 200 captifz
qui ont esté achetez à Algie par la Miséricorde de ceste
ville...; chacun d'eulx portait au bout d'un baston ung petit
pain bis en extrémité de la grosseur d'un orange, dont les
trois estoient ce qui leur estoit distribué par chacun jour pour
vivre3 » (21 sept. i55q).
La procession des Pères de la Merci rapportée dans le
Diable boiteux de Lesage est sombre et triste, comme le génie
espagnol ; un trait surtout est bien observé : le rédempteur,
« sur un cheval caparaçonné de noir, portait sur sa figure la
joie profonde d'avoir ramené tant de chrétiens dans leur
patrie ».
Il semble qu'on ait parfois exagéré la mise en scène. Lau-
gier de Tassv, un peu sceptique à l'endroit des malheurs des
esclaves, prétend qu'à ces processions ils ont des chaînes
qu'ils n'ont jamais portées dans leur captivité et qu'on leur
1. Le P. Ignace- a cilé dans ses Mémoires plusieurs processions de
captifs qui eurent lïeu à Àrras et à Douai.
2. Bibl. nat. , nouvelles acquisitions françaises, 6638, fa i63 (commu-
nication de M. de La Roncière).
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396 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRIBUTAIRES.
fait à dessein pousser la barbe et les cheveux pour les rendre
plus horribles.
L'assistance à la procession était obligatoire, tout au moins
moralement, pour chaque esclave. Certains contrats, passés
devant notaire pour une rédemption, spécifient que l'esclave
une fois racheté assistera à la procession ', Parmi ces captifs,
ce furent parfois les mieux nés qui se refusèrent à respecter
cet engagement d'honneur. Devant la résistance du chevalier
Louis de Castellane d'Esparron, en 1717, les Trinitaires et
les Pères de la Merci qui avaient versé ensemble 23,000 livres
pour son rachat, après sommation faite par huissier se rési-
gnèrent à laisser de côté ce fier personnage, qui avait trouvé
fort bon qu'on le rachetât, mais ne se souciait pas de s'ex-
poser aux regards curieux du peuple *.
Les religieux tenaient à montrer tous leurs captifs ensem-
ble, pour faire voir qu'ils avaient bien dépensé tout l'argent
qui leur avait été confié. Mais, en 1731, le P. Jehannot dut
envoyer de Constantinople ses esclaves par petits groupes;
ceux-ci furent laissés libres dès leur arrivée à Marseille, mais
invités à se trouver à la procession lors du retour de leur
rédempteur 3.
Les habitants prenaient une grande part à la réception des
captifs +. Si le couvent n'est pas assez vaste, les personnes les
plus distinguées de la ville se disputent l'honneur de les loger.
1 . Pièce aoo.
3. D' Gustave Lambert, ouvt. cité, pp. 8a-83.
3. Pièce 380.
4. Les Trinitaires ne se louent pas moins des Français qu'ils rencontrent
à l'étranger. En 1735, un négociant languedocien, Berlye, établi à Gibral-
tar, voyant les rédempteurs embarrassés de loger leurs captifs, vu l'insufE-
sance des auberges, fit vider un de ses magasins pour leur donner de la
place. Le lendemain, d'ailleurs, le gouverneur anglais vint les inviter à loger
au château, mais il était trop tard ( Voyage de ija5, p. 3aa).
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LES PROCESSIONS DE CAPTIFS. 3q7
Une pieuse dame, à Châlons, en 1732, en prend douze chez
elle, en l'honneur des douze apôtres.
Les captifs trouvaient parfois ce voyage un peu long, et non
à tort; celui de 1732, dirigé par le P. Jehannot, dura du
20 octobre au i5 janvier, par suite de nombreux détours.
La procession avait été faite & Tarascon où il y avait un cou-
vent de l'ordre; les habitants de Beaucaire, qui n'est séparé
de Tarascon que par un pont, demandèrent à voir la proces-
sion, n'en ayant jamais vu. Celle d'Avignon avait excité un
tel enthousiasme que des habitants d'Orange la firent recom-
mencer dans leur ville. Les captifs récriminaient contre le
froid et murmuraient contre leur sauveur lui-même, ce qui
fit dire au P. Jehannot qu'il songeait aux plaintes des Israé-
lites dans le désert, et que s'il avait racheté les captifs, ce
n'était pas pour s'attirer leur reconnaissance 1 Dans le petit
village de Cintré, entre Vesoul et Langres, les habitants
épouvantés, prenant les captifs pour des brigands, se barri-
cadèrent, et ce ne fut qu'après avoir beaucoup parlementé
que le P. Jehannot parvint à les loger. De là, ils descendirent
la vallée de la Marne. A Joinville, le maire avait fait nettoyer
d'avance les rues où ils devaient passer ; le corps de ville les
combla de libéralités, et le maire leur donna une charrette
pour porter les infirmes jusqu'à Saint-Dizier. A Vitry, « le
peuple est affable, poli et de bon commerce et les tribunaux
sont remplis par des gens de mérite et d'érudition m. Les
échevins de Châlons-sur-Marne avaient fait sonner les cloches
dès qu'on aperçut le cortège; on fit aux captifs une distri-
bution de souliers. Après Reims, Soissons et Cerfroid, ils
arrivèrent à Meaux '. Les manuscrits de Claude Rochard
1. Voyage du P. Jehannot, pp. 365 à 385.
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i()B L ORDRE FRANÇAIS DES TRINITAIRES.
donnent beaucoup de détails sur les processions de captifs
qui eurent lieu dans cette ville, sur la grande affluence
du peuple. In durée extrême de la cérémonie qui dépassa
huit heures et comporta des stations à dix-huit églises ou
couvents. Tout le monde d'ailleurs faisait preuve de dévoue-
ment : les fusiliers se contentèrent d'un maigre repas1.
Naturellement, les captifs, interrogés par tous, disent qu'il
reste encore plusieurs milliers de leurs compatriotes à rache-
ter; une telle déclaration entrait parfaitement dans les vues
des rédempteurs, dont le but était de faire croire qu'il exis-
tait encore "en Barbarie un très grand nombre de captifs,
dont les générosités de tous les chrétiens pouvaient seules
briser les fers. Captifs et rédempteurs étaient salués par des
poètes locaux, comme Jacques de La Fosse à Troyes (f Heu-
reux paranymphe de 1667), enfin à Paris par Charles Pilhou,
profès d'Arras (i64a) (Triumphus Jraternae pietatis), et en
1785 par un motet. C'est à Paris que l'accueil fut de tous
temps le plus enthousiaste, « En 1466, raconte Gaguin dans
une lettre, il y eut à noire entrée une telle joie, une telle
gaieté, un tel concert d'acclamations a toutes les rues, à tous
les carrefours, que, je puis l'affirmer, aucun roi ne fut jamais
reçu comme nous1. »
Des stations avaient lieu aux couvents en bonnes relations
avec les Mathurins. L'abbaye de Saint-Victor reçut, en 16^2
comme en i^oi, la visite des captifs. Louis Petit avait
1 . Rochurd continue ainsi : u Le lendemain , un religieux conduisit
vingt-deux des soixante-trois captifs au couvent des religieuses de Noéfort,
pour contenter la curiosité ordinaire des religieuses, qui désiraient avec
ardeur voir ceux qui avaient ainsi soutenu l'honneur du christianisme, en
préférant l'esclavage aux honneurs qui leur avaient été offerts en quittant
leur religion et avaient souffert les tourments et travaux a
pour Dieu seul. »
2. Db Vaissiêhe, De Robtrli Gaguini vita et scriptis, p.
a Dy Google
LES PROCESSIONS DE CAPTIFS. 3gg
demandé au prieur « d'accommoder quelque petit lieu dans
leur basse-cour pour retirer iceux captifs avec leur père
rédempteur, en attendant que les Malhurins allassent proces-
sîonnellement les recevoir ». Les religieux de Saint-Victor
leur avaient donné du pain et du vin pour « se repaître ' ».
Au retour des captifs rachetés à Alger par le P. Dan, qui
fut peut-être l'heureux initiateur de cette fête (iG35), on leur
donna pour escorte des enfants , vêtus de rochets de fine
toile, avec une branche de laurier en main et une couronne
en tête, qui enlaçaient les captifs des liens les plus gracieux ;
l'un d'eux portait un guidon de taffetas blanc où étaient
peints deux anges. Depuis, les jeunes enfants figurèrent tou-
jours à la procession des captifs, sous le nom d'anges1.
Cette mode se communiqua bientôt à la province; Troyes
la connut dès 16603. Lorsque Subligny décrit une procession
de 1666, sa prose rimée en devient presque poétique :
Ils [les captifs] n'avaient lors, au lieu des chaînes
Qui faisaient leurs honteuses peines,
Que de migoards liens dorés
Desquels ils n'étaient que parés
Et que tenaient de petits anges,
Dignes d'amour et de louanges
Pour leur grâce et pour leur beauté,
Et loua enfants de qualité.
« La gentillesse de leurs habits était à admirer, mais aussi
bien à plaindre, à cause de la salleté des rues ordinaires dans
Paris », dit le chroniqueur de iôqa.
Les programmes de ces processions furent imprimés en
t. Bibl. Mazarine, recueil 37218, 17' pièce.
1. Corsaires et Rédempteurs, pp. 375-1176.
3. BouTiOT, Histoire de Troye», IV, 46*489.
aoy Google
4<x> l'ordre français des trinitaires.
grand nombre au dix-huitième siècle1. La cérémonie se com-
posait essentiellement de stations dans les églises (la première
était en général dans l'abbaye de Saint-Antoine) avec ser-
mons et quêtes ' pour permettre aux libérés de revenir chez
eux. Dans un rachat commun, les Mathurins et les Mercé-
daires ont chacun leur jour. A la fin, un « ange » harangue le
général au nom des captifs, et celui-ci sert lui-même au ré-
fectoire les plus anciens d'entre eux3.
Les rédempteurs présentent parfois leurs captifs au roi. Le
P. Lucien Hérault rappelle à Anne d'Autriche qu'il les lui a
amenés dans la galerie du Louvre, le 20 septembre i643, et
que le jeune roi les a longuement regardés, comme pour se
rappeler qu'il devait un jour venger les injures faites à ses
sujets4. Un compte rendu était dressé au sujet du prix du
rachat. Enfin, chacun des captifs recevait du général un
certificat de rédemption, valable pour six mois, et de l'argent
pour ses frais de route. Après ces mois ou ces années d'ab-
sence, les rédempteurs n'avaient plus qu'à prendre un repos
bien gagné, avant de repartir pour de nouveaux voyages5.
1 . Un recueil factice de ces programmes existe à la Bibliothèque natio-
nale, Ld«, no 3.
Jagn a tallo damofulte
(Sublion y, Les continuateur» de Loret, l. II, col. 49°-)
3. Le tableau de piété, p. i4ï (i3 novembre 1666).
4. Larmes et clameurs des chrétiens, Paris, 1643, p. 5.
5. Autres exemples de procession. Montpellier : « Un enfant velu en
Turc, muni du turban et du sceptre, escorté d'une jeune fille costumée en
sullane » {l'abbé Azaïs, d'après Germain, L'œuvre de la rédemption des
captifs à Montpellier). — Douai : « Venait ensuite une galère équipée,
voguant sur le dos de plus d'un Neptune d'emprunt. Elle était chargée d'es-
claves chrétiens que conduisait un Jésuite habillé en Mathurin a (lors de
l'entrée de Louis XIV, a3 juillet 1667 ; Tailliah, ouor. cité, t. 111, p. 7, et
Les continuateurs de Loret, t. II, col. 901).
■doyGoo^Ie
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CHAPITRE IX.
Les plus célèbres rédemptions.
Le voyage pris pour type au chapitre vu est le plus simple
et le plus rapide qui puisse se rencontrer. Les rédempteurs
de i54o ne stipulent avec leur guide qu'un séjour de trois
mois en Barbarie; ceux de 1667, Michelin, Basire et Le Beau,
ne restent à Alger que du 1 2 mai au 1 1 septembre. Ce voyage
ne fut pas toujours aussi court. Sans parler des incidents
qui retinrent deux ans à Toulon les PP. Basire et Escoffier,
avant leur départ, et des démêlés du P. Philémon de la
Motte avec les prieurs de la rédemption de Marseille, il
pouvait survenir en Afrique des difficultés graves. Sans doute,
il n'arrivait guère que le rédempteur fut obligé, comme le
P. Jehannot à Constanlinople, en 1 y3 1 , d'attendre le retour
des galères sur lesquelles ramaient les captifs, mais bien d'au-
tres causes paralysaient le rachat, surtout le manque de res-
sources.
Diverses causes pouvaient, d'ailleurs, amener les rédemp-
teurs à s'arrêter en plus d'une ville, soit qu'au premier point
touché la rédemption fut empêchée, soit, au contraire, qu'il
y eût assez de ressources pour y faire participer plus de
captifs. Cela serait une justification suffisante de la pluralité
des rédempteurs, qui agissaient chacun d'une manière indé-
pendante. Ainsi, en 1719, les captifs rachetés à Alger furent
ramenés par les PP. Comelin et Philémon de Motte, sans
a Dy Google
402 L'ORDRE FRANÇAIS DBS TRINITAIRES.
qu'on attendit le P. Bernard, qui s'était rendu à Tunis. En
1725, très peu de captifs purent être retirés du Maroc; ils
furent laissés entre les mains du P. Le Roy, qui, de Cadix,
les conduisit en France par le Havre. Voulant dépenser le
reste de leur argent, les PP. de La Faye et Darcisas parti-
rent pour Marseille, afin de repasser de là en Barbarie. Après
avoir couru un grand danger qu'ils ne spécifient point, sans
doute la rencontre d'un vaisseau corsaire, ils abordèrent au
port de Bouc et mandèrent au ministre de Marseille qu'il eût
à faire annoncer par affiche leur prochain départ, avec la
permission de l'évèque, et à chercher quelque embarcation se
rendant à Alger1.
Quelque compliquées qu'aient été ces dernières rédemp-
tions, sans qu'il y ait eu faute de la part des musulmans,
elles peuvent être considérées comme normales jusqu'à un
certain point. Au contraire, quelques-unes, qui vont être
énumérées, offrent un certain intérêt, soit par leurs circons-
tances, soit par le lieu où elles se passèrent.
Le voyage de i58o, opéré par les Trinitaires espagnols,
est le premier sur lequel nous soyons bien renseignés, grâce
à un témoin oculaire, Diego de Haedo, qui eu donne, dans
ses Dialogues des martyrs, un récit très vivant. On était à
l'époque de la plus grande tension des rapports entre chré-
tiens et musulmans, neuf ans après Lépante, trois ans après la
révolte des Maures, deux ans après la bataille d'Alcazarquivir,
où périt dom Sébastien de Portugal. C'était le moment où la
chrétienté espérait que Philippe II allait mettre Alger sous sa
domination; le monarque espagnol préféra envahir le Portu-
gal et Alger respira. Jean Gil fut le rédempteur qu'il fallait
1. Pièce 373.
a Dy Google
LES PLUS CÉLÈBRES RÉDEMPTIONS. 4t)3-
dans une pareille situation ; rarement Trinitaire déploya un
plus stoîque courage et, à l'occasion, une plus rare abnéga-
tion. Parmi les nombreux traits de générosité qui lui sont
attribués, Haedo rappelle celui-ci. II avait été insulté par
un Arabe, qui fut pris et condamné à recevoir des coups de
bâton; mais le rédempteur se mit entre lui cl les exécu-
teurs, leur disant de le frapper plutôt lui-même ! Le P. Gil
conquit l'admiration des musulmans et ces difficultés qu'il
avait éprouvées ne l'empêchèrent pas de revenir, quelques
années plus tard, pour une autre rédemption.
En 1609, trois Trinitaires de Castîlle, Aquila, Palacios et
Monroy, avaient mené à bonne fin le rachat, de cent trente-
six captifs, lorsque la nouvelle de la conversion au christia-
nisme ' d'une jeune musulmane nommée Fatime, qui avait été
conduite à Gênes, exaspéra les Algériens. En guise de repré-
sailles, ils jetèrent les rédempteurs dans un cachot, où les
deux premiers moururent bientôt; le P. de Monroy ne fut
délivré qu'à la condition de ne jamais tenter de revenir en
Espagne*. Il occupa ses loisirs forcés, d'une manière utile,
en fondant un hôpital à Alger pour les captifs.
Vingt-cinq ans après la mort du P. de Monroy, un Français
éprouva le même sort, le P. Lucien Hérault. C'était un Trini-
taire Réformé, né à Saint-Paul, près de Beauvais, el profès
de Montmorency, dont les lettres ont servi au P. Denis Cas-
1, De semblables incidents avaient une répercussion fâcheuse sur les
rédemptions. Fabian Garcia, chirurgien des hôpitaux d'Alger, écrit du lazaret
de Livoarne, le 3o mars 1682, qu'il a été chassé par le dey, à cause de la
conversion d'un jeune homme d'Oran, et que l'administra leur et un clerc
ont été condamnés à êlre brûlés vifs. Le 21 septembre suivant, Pierre
Mercier fit prier pour eux dans toutes les provinces de l'ordre. Une pareille
était rarement exécutée (Bibl. de Marseille,
>. 38o).
. Le P. Caijxte, Corsaire* et Rédempteurs, p. >4i.
a Dy Google
4o4 l'ordre français des trinitaires.
sel pour composer le petit volume intitulé : Victoires de la
charité. On lui avait conseille, à Marseille, de s'habiller en
marchand' ou en matelot, ou bien encore de traiter avec des
négociants qui rendraient les esclaves à cette ville, moyen-
nant une certaine rémunération. « Ce conseil était bon, dit-il,
pour des hommes timides, sans foi et sans charité. » Le
P. Hérault prouva bien qu'il n'était pas de ceux-là.
Arrivé à Alger le 3o janvier i643, il ramena une première
fois des captifs à Paris, le 20 septembre suivant, après avoir
laissé en otage son confrère, le P. Boniface. Anne d'Autriche
ordonna une quête en sa faveur, et il revint a Alger en
mars i645. Après avoir « dégagé » son compagnon, il se vit
exposé à une difficulté imprévue : les créanciers du P. Bru-
gière, de l'ordre de la Merci, qui, lui aussi, était en otage,
s'avisèrent de réclamer au P. Hérault les 12,000 écos dus par
le Mercédaire et le divan le condamna à payer. Malgré ses
protestations, le P. Hérault fut jeté en prison ; le a5 novem-
bre i645, il était extrêmement malade et sans cesse en dan-
ger d'être brûlé par les musulmans1. Les captifs furent reven-
dus pour payer ce qu'il ne devait pas, et lui-même mourut
le 28 janvier 1646, laissant 3 écus pour tout héritage. Ce
fut alors un revirement complet : les chrétiens esclaves eurent
trois jours de repos afin de pouvoir prier pour lui; des Turcs
préposés à la garde de son corps furent eux-mêmes émus de
ce 'spectacle 3. Plusieurs milliers de chrétiens (fait inouï) sui-
virent ses obsèques solennelles et quelques-uns de ses fami-
1. Ce procédé n'était pas très sur. Un Père de la Merci, s'éumt rendu i
Alger sous un déguisement pour racheter à plus bas prix, fui puni d'une
amende de 800 écus (Mémoire» de la Congrégation de la Mission, t- I,
p. aoS).
3. Revue africaine, t. XXXV, p. 107.
3. Victoire* de la charité, p. 181 .
a dv Google
MAHÉMET-TOUSIRIS, CAPITAINE DE SALE.
(Cuil. attentera, Ob 10 a, fol. 69.)
wuzedt* Google
a o» Google
LES PLUS CÉLÈBRES RÉDEMPTIONS. U,o5
liera se réunirent devant Constans, chancelier du consulat de
France, pour attester les mérites de leur bienfaiteur. Cette
déclaration des captifs marque un peu trop d'hostilité contre
le P. Brugière, qui resta plusieurs années encore à Alger,
quoique, le i5 février 16^7, une quête eût été ordonnée en sa
faveur dans tous les diocèses de France1.
Cet incident émouvant est le dernier de ce genre qui se soit
produit à Alger ; les rédemptions suivantes * ne donnèrent
pas lieu à de semblables difficultés. Une dernière rédemption
à Alger est à noter, à cause de la personnalité de son auteur,
Grégoire de La Forge, alors vicaire général de la Congréga-
tion réformée (1690). Le P. de La Faye., se rendant dans celte
même ville dix ans après, s'excuse, au début de son récit3,
de ne pas insister sur Alger, par ce motif que le général de
son ordre, auquel il s'adresse, se souvient fort bien encore
de son voyage.
Le passage à Tripoli était une nouveauté et ce n'est pas la
seule preuve du désir de changement qu'on peut remarquer
au dix-huitième siècle chez les rédempteurs. Cette tendance
était fort louable en un sens, car les chrétiens ne souffraient
pas seulement à Alger et à Tunis. Le P. de La Faye, qui
a un véritable talent d'écrivain, présente en quelques pages
des tableaux achevés : description très soignée de Tripoli et
de ses antiquités, du jardin d'un vénérable Turc, qui ressemble
t. Dr Gl.'STAVE LàHBBUT, OIIIT. Cité, p. 77.
2. Les rédempteurs sont, en i&6i : Pierre Michelin, ministre de Silvelle ;
Guillaume Basire, de Chfllons ; Antoine Dachier, de Lena; Victor Le Beau,
de Heaux. — Avec les quatre rédempteurs de iG85 figure le frère convers
Jean Félix, de Douai.
3. État de* royaumes de Barbarie, Tripoli/, Tunis et Alger. Rouen,
1708. Ce récit est accompagne de la Tradition de TÉalite pour le ra-
chat de* captif*.
a Dy Google
4o6 l'ordre français des :
à un vieillard de Virgile, et narration amusante « des luttes
courtoises » 0(1 le vainqueur est désigné d'avance. N'ayant
jamais vu de Trinitaires, les T ripolilains les prirent pour des
chevaliers de Malte; cette erreur, qui eût pu leur porter
préjudice, fut dissipée; le consul, François de La Lande, les
présenta à Méhémet, dey et pacha, déclarant qu'ils c'étaient
arrivés que par hasard, ce qui évita les présents d'usage. Le
dey était d'ailleurs un excellent homme ; il donnait le nom de
mère à une femme de Marseille qui avait montré de la charité
pour lui alors qu'il était captif dans cette ville; il lui envoyait,
de temps en temps, des présents el lui écrivait qu'il serait
parfaitement heureux si elle venait passer ses jours auprès
de lui. Les esclaves n'étaient pas trop malheureux, étant
pour la plupart occupés à entretenir les magnifiques maisons
de campagne des Tripolitains et peu nombreux, car les traités
étaient plus respectés à Tripoli qu'à Tunis ou à Alger. Est-ce
faiblesse ou probité? se demande Laugier de Tassy, l'his-
torien des États barbaresques; le doute est permis.
Si, même après ce récit, nous ne savons point avec préci-
sion pour quel motif le P. de La Faye aborda à Tripoli, au
moins nous connaissons la raison du voyage de Constantino-
ple qu'entreprit le P. Jehannot. Dès 1730, un Jésuite, le
P. Caschot, avait écrit au général des Trinitaires qu'il y avait
dans cette ville beaucoup d'esclaves français très malheureux,
dont personne ne s'occupait1, le priant de faire la rédemp-
tion alternativement à Constantinople el en Barbarie. Le con-
seil ne fut suivi qu'en 1 730, après une tentative de voyage au
Maroc. Peut-être pensait-on que tous les esclaves appartenant
au grand seigneur, il serait très difficile de les racheter.
1 . Les Trinitaires Déchaussés d'Autriche venaient de temps en ucap*
opérer à Constnnlinople des rédemptions au profit de leurs compatriotes.
a Dy Google
LES PLUS CÉLÈBRES RÉDEMPTIONS. 4<>7
Le P. Jehannot, seul rédempteur, partit déguisé, sous le
nom de Duplessis, le capitaine Romity étant l'unique per-
sonne qui connût son identité; quant à ses effets et à son
argent, ils Furent considérés comme envoyés à notre ambassa-
deur, M. de Villeneuve, pour plus grande sûreté. Grâce à
l'excellent diplomate, le P. Jehannot s'aboucha avec un offi-
cier qui, devenu ensuite grand-vizir, lui fit envoyer secrète-
ment, deux par deux, les esclaves retirés des bagnes. Ils
étaient aussitôt cachés dans le palais de l'ambassadeur ' et te
prudent rédempteur les renvoya en France le plus vite possible.
Resté longtemps à Constantinople pour attendre le retour des
galères sur lesquelles ramaient les chrétiens, il en racheta
encore un certain nombre.
Mais le plus important lieu de rédemption était alors l'em-
pire de Maroc, pays où ces pieux voyages offraient le plus
de difficultés.
i. Les ambassadeurs de Constantinople s'étaient toujours beaucoup occu-
pés des esclaves. Une instruction donnée à M. de Cé*y vers i633 porte
même que « procurer » l'évasion de ceux-ci est une des choses les plus
recommandables qu'ils puissent faire en leur charge.
a Dy Google
CHAPITRE X.
La rédemption au Maroc.
Il est fort étonnant que nos religieux français ne nous aient
guère renseignés sur ce pays au dix-septième siècle. Ce sont
les Pères de la Merci qu'un arrêt du Conseil d'État de i636
avait chargés du rachat des captifs de Salé, et c'est à ces
religieux qu'avait été délivré, au mois de juin 1673, un pas-
seport pour cette même ville. Cependant, les Trinitaires
Anroux et Héron allèrent, en i654, A Salé et « y dressèrent
une manière d'hôpital ». Tout ce que l'on a pu écrire d'af-
freux sur le sort des esclaves se vérifie au Maroc et confirme
bien cette loi très simple, que l'esclavage chrétien croissait en
horreur à mesure que l'on avançait de l'est à l'ouest. Au
Maroc, l'empereur Mouley-Ismaël était demeuré célèbre par
sa cruauté, autant que par son avidité. Le rachat des esclaves
coûtait trois fois plus cher qu'en Barbarie, à cette époque,
au dire d'un Mercédaire, le P. Forton, qui était l'un des
compagnons du P. Busnot, Trinitaire réformé de Rouen ' et
historien du souverain marocain. Les chrétiens étaient parti-
culièrement méprisés au Maroc; aucune avanie ne leur est
épargnée, écrit encore l'abbé RaynaP à la fin du dix-huitième
[. Le grand tableau de Léger sur le Rachat des captif», qui fui louç-
lemps à l'église de Saint-Léger du Bourg-Denis, près Rouen, est inspire Ar
a. Pièce 347. — On peut voir ce qu'en dit Estelle, qui était consul de
France » Salé en 1092; pièce 243.
a Dy Google
LA RÉDEMPTION EN MAROC. 4°9
siècle. L'empereur, surveillant lui-même ses esclaves, les
employait à faire des constructions pour les démolir ensuite,
afin de les occuper et de les empêcher de songer à l'évasion.
Si les travailleurs l'ont mécontenté par leur négligence, il les
tue de sa propre main ; il fait d'ailleurs de même pour ses
sujets, qui estimaient que la mort donnée par leur souverain
les conduisait tout droit au paradis de Mahomet; ceux qui
étaient las de la vie venaient (au dire des rédempteurs) se
faire décapiter par l'empereur.
Une difficulté particulière se présente au Maroc. Dans les
pays qui ont été examinés jusqu'à présent, la plus grande
partie des captifs réside au bord de la mer; la transporlation
A la campagne ou dans les montagnes n'existe qu'exception-
nellement. Au contraire, en Maroc, le séjour sur le bord de
la mer est l'exception et les captifs sont bien loin dans l'in-
térieur des terres. Le chemin de Fez est barré par les vice-
rois de Tetuan et d'Alcassave, qu'il faut d'abord fléchir au
moyen de présents, et qui sont parfois mal soumis à l'empe-
reur, au point de refuser d'exécuter ses ordres1. C'est en
Maroc que des rédempteurs espagnols burent, en i64i, un
poison lent dont ils moururent en Espagne ; on avait espéré
qu'ils succomberaient encore en Afrique el qu'ainsi les cap-
tifs par eux délivrés seraient repris sans bourse délier'.
A une situation exceptionnelle, il fallait des remèdes excep-
tionnels. Il était ordonné, en principe, aux rédempteurs, de
faire eux-mêmes la rédemption. L'animosité particulière des
i. En '7z5, DesUusaan, Tri ni taire, de Montpellier, avait été retenu a
Tetuan par un pacha, malgré le passeport du roi de Maroc, sous prétexte
d'une dette contractée par Honoré Mure « se disant » consul de France
(Chambre de commerce de Marseille, AA 27).
2. P. Cauxtb, Corsaires et Rédempteurs, p. »/n.
a Dy Google
4lO L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINtTAIRES.
Marocains rendant cette tâche difficile, ils étaient autorisés A
se servir d'intermédiaires laïques, appelés en espagnol alfa-
qaecos ou rescatadores, qui couraient moins de dangers que
des religieux. L'un des plus connus fut, au seizième siècle,
Diego de Torrès, le célèbre auteur de la Chronique des chéri/s.
Là où il n'y avait pas de consul de France, il fallait se
servir d'un négociant, à peu près toléré au Maroc, à cause
des nécessités du commerce local. Ce fut le rdle que remplit
Pillet lors des rédemptions de 1704, 1708 et 171a. En pareil
cas, les religieux attendaient dans une ville espagnole, Cadix
ou même Cerna', l'aboutissement des négociations. Ces pré-
liminaires duraient parfois un ou deux ans, mais les rédemp-
teurs auraient eu mauvaise grâce à s'en plaindre, puisque ces
précautions n'étaient prises qu'en vue de leur propre sécurité.
Parfois une expédition militaire venait à la traverse de la
rédemption, sans que les religieux paraissent avoir eu trop à
en souffrir.
Le voyage de 1765 à Mogador emprunte une partie de son
intérêt à l'attitude de la cour de France vis-à-vis de ces reli-
gieux. Les défiances gouvernementales dataient de plus loin,
car des instructions données en 17Ï1 à un capitaine de vais-
seau lui enjoignent de tenir les rédempteurs à l'écart de sa
négociation.
Pendant plus de deux ans, Claude Forest, ministre de
Mortagne, tint le journal1. Ses compagnons sont deux Trint-
taires, Chrysostome Mure, Marner, ministre de Vianden (venu
spécialement pour le rachat des Allemands), et Christophe
1 . La vie était dure à Ccutn . Pendant le siège de cette ville, qui don
neuf ans, les Trioitaires Déchaussés y servirent comme soldais (Triam-
phut misertcordiae, p. 43).
a. Bibliothèque nationale, nouv, acquis, franc., B»36,
a Dy Google
LA RÉDEMPTION EN MAROC. /( 1 1
Pays1, Religieux de la Merci. Ils s'étaient mis en route sans
avoir, je ne dirai pas l'argent nécessaire pour racheter tous
les captifs (ils en trouvèrent quatre fois plus qu'ils ne s'y
attendaient I mats même sans avoir reçu la quote-part des
Religieux de la Merci. La prolongation de l'attente à Cadix
leur était imposée par ce retard, autant que par les ordres
de la cour, avec laquelle ils ne s'étaient évidemment pas
entendus avant le départ. Une négociation diplomatique mar-
chait, en effet, de pair avec la rédemption.
L'empereur de Maroc avait envoyé, en 1762, un certain
Rey, pour traiter avec la France de la paix et du rachat des
esclaves. Ce négociateur, que les rédempteurs nous dépei-
gnent comme un chevalier d'industrie, était resté de longs
mois à Marseille, malade et sans argent; enfin, subventionné
par la Chambre du commerce, il était venu à Versailles et
avait reçu de la cour, bien mal informée dès réelles disposi-
tions de l'empereur, des propositions inacceptables, ce qui ne
l'empêcha pas d'écrire faussement à son maître que tout allait
bien. Ces propositions françaises consistaient à demander :
1 ° la diminution de plus des deux tiers des droits de douane ;
3° la remise gratuite des esclaves ou, tout au moins, moyen-
nant 3 ou 4°° 'ivres pour chacun (un dixième de ce que
l'empereur demandait, au tarif de la précédente rédemption
portugaise) ; 3" la fondation d'un comptoir au Maroc. Le
souverain reçut ces propositions avec colère , mais, pour
prouver son désir de la paix, il chargea le négociant Salva,
correspondant des Trinitaires, d'entamer de nouvelles négo-
it latin 17054 de la Bibliothèque nationale contient (p. 107)
un chaleureux éloge de ce religieux, qui avait quête pour les captifs avec un
très grand zèle et un louable désintéressement, en abandonnant ses droits
d'auteur à propos de s
a Dy Google
&I3 l'ordre français des tributaires.
dations sur une base raisonnable. Voilà nos religieux con-
sternés; si Salva leur amène aussitôt ies esclaves, avec quoi
vont-ils les payer?
De plus, la cour de France n'avail point voulu profiter des
bonnes dispositions de l'Espagne (on était au temps du pacte
de famille) pour demander, en faveur des rédempteurs, la
sortie en franchise de la somme totale que ceux-ci portaient
sur eux. II était d'usage, pendant la rédemption, de donner
mensuellement une piastre en aumône aux captifs. Les Trinî-
taires essayèrent bien de retirer cette largesse aux esclaves du
Midi, que les Pères de la Merci étaient spécialement tenus
de secourir comme ressortissant à leurs districts de quête,
maïs il n'en résulta qu'une économie insignifiante.
Les Pères de la Merci de Guyenne ne voulaient toujours
pas payer leur quote-part, quoique le P. Pays, commandeur
de Paris, les en pressât. Alors ils annoncèrent, avec grand
fracas, un emprunt de 4<J,ooo livres qu'on ne vit jamais
réalisé. Les Trinilaires de Paris ne se pressaient cependant
pas de dénoncer la coupable abstention des Pères de la Merci.
L'un d'eux, le P. Toustain, finit par présenter un mémoire
afin de dessiller les yeux du duc de Praslin, ministre de la
marine, au sujet de l'impossibilité de réaliser des économies
sur te rachat. Renoncer à la rédemption eût été déplorable,
ne faire que des rachats particuliers eût été injuste, il fallait
donc recourir à un emprunt sur les biens des deux ordres.
Telles sont les tristes pensées que le P. Forest roule dans son
esprit pendant six mois.
Je ne dis rien des soupçons qu'ils élèvent les uns contre les
autres, de leur mécontentement trop prompt contre Salva ' ;
i. Il s'était entremis pour eux avec dévouement, et avait conseillé au roi
a Dy Google
AOHMET SOUSSIN, MUFTI DE L'AMBASSADE.
(CoU. OolgnWros. Ob 10 <i, f «4.)
(igUizeciDv G00gle
a o» Google
LA RÉDEMPTION EN MAROC. 4l3
après avoir craint qu'il ne réussît trop tôt, ils redoutent
maintenant qu'il ne fasse rien ! La cour de France doit par-
tager avec les Pères de la Merci la responsabilité du déses-
poir qui étreignit parfois nos malheureux rédempteurs.
Voyant qu'avec 3oo,ooo livres on ne pourra racheter que
la moitié ou le tiers des captifs, le P. Forest fait donc deman-
der à l'empereur de Maroc de n'en racheter qu'à proportion de
ces ressources actuelles, ce qui était évidemment la meilleure
solution. Que ne fait-il pas pour engager le souverain à se
relâcher de son prix de 700 piastres (3,5oo livres)? Un strata-
gème avait réussi au P. Bernard, en 1720, à Tunis; feignant
de trouver les esclaves trop chers, il avait fait des préparatifs
de départ, et ainsi le prix avait été diminué des a/5. Le
P. Forest pensait écrire aux captifs qu'en présence des exi-
gences marocaines, il allait partir, espérant que leurs plaintes
rendraient le souverain plus traitable, mais un négociant de
Cadix déconseilla ce stratagème. Les rédempteurs apprennent
enfin que la négociation limitée de Salva a réussi et que les
esclaves leur seront remis à Mogador.
Pendant ce temps, l'escadre française de Du Chaffaut bom-
barde Larrache, où elle essuie un sanglant échec ' par suite
de l'imprudence de M. de Beauregard. Quelle n'est pas la
terreur des rédempteurs à la pensée d'être retenus prisonniers,
car ce port de Mogador, de fondation récente, étant peu pro-
fond, ils craignent qu'une fois entrés ils ne puissent en sortir.
Au moins , après avoir en vain demandé d'aller à Salé
(juin 1765), nos religieux se promettent bien de ne pas des-
cendre à terre : le vice-roi Mouley-Idris a beau leur offrir
de France de compléter la somme, dans le cas où le roi de Maroc voudrait
le rachat total, que les Rédempteurs n'étaient point en état de Taire.
1. Ministère des affaires étrangères, Maroc, 3, !" 68.
a Dy Google
4 « 4 l'ordre français des tributaires.
le divertissement des fantasias, ils ne désirent pas les voir
de près, et, ne les apercevant que de leur navire, les déclarent
peu intéressantes. Des négociants chrétiens viennent à bord,
Salva, son associé Rilliet et un certain Chullz, de la factorerie
danoise. Quoique touchant au port, les rédempteurs ne sont
pas an bout de leurs peines. Ils voulaient que Mouley-Idris
ne prit pas une trop forte commission ; or le naïf Chultz
laisse celui-ci s'attribuer 5oo piastres pour treize esclaves des
Pays-Bas. Les rédempteurs refusent de payer celte commis-
sion; pendant plusieurs jours, ils voient les esclaves immo-
biles au bord du rivage; tout à coup une barque accoste avec
plusieurs esclaves. Un brave juif, Sombel, avait écrit à un
de ses coreligionnaires qui approchait le souverain de Maroc,
au sujet de l'avanie éprouvée par les rédempteurs; l'empereur
manda alors à Mouley-Idris de laisser partir les religieux.
Bref, les rédempteurs eurent leurs -]3 esclaves, dont 20 pour
l'ordre de la Merci, et 8 pour le Bureau de Rédemption de
Marseille. Mouley-Idris envoie même en cadeau ao moutons,
200 porcs et du couscoussou. Salva reçoit 10,000 livres de
commission' pour ses fidèles services; les religieux et lui se
quittent en s'emhrassant. Les rédempteurs, partis de Moga-
dor le 3 septembre 1765, sortent, le 3i octobre, du lazaret
de Marseille après dix-huit jours de quarantaine.
Il importait de raconter en détail ce voyage inédit, parce
que plusieurs de ses incidents eurent des conséquences fâcheu-
ses. Le capitaine Pellegrin, marseillais, auquel avait été pré-
féré le capitaine Dupais, normand, moins ancien en captivité,
1. En réalité, i3t8if> livres pour le total des esclaves. l.es Pères regar-
daient le prorata payé pour huit Marseillais comme uoe avance qui leur
serait remboursée. Or Salva demanda au Bureau de Rédemption une com-
mission particulière qui fui ta.\éc a 2 1/2 p. 100.
a Dy Google
LA RÉDEMPTION EN MAROC. /( I 5
avait écrit au ministre de la marine pour se plaindre de n'avoir
pas été racheté; le P. Pichault, récemment élu général des
Trinitaires, accusa les rédempteurs d'avoir abusé de sa con-
fiance. Très ému, le P. Forest s'excusa sur son absence, vers
le milieu d'avril 1760, lorsque la substitution d'un équipage
normand à celui de Marseille avait été décidée, malgré les
durées respectives de leur captivité, mais en raison du fait
que la Normandie était réservée aux quêtes trinitaires et que
l'équipage de Dupuis était peu nombreux.
L'avenir devait apporter au rédempteur ' quelques consola-
tions dans ses ennuis. 11 fut député de Normandie au chapitre
de 1768 et ministre de Fontainebleau en 1786.
Le P. Forest voulut tirer une morale de ses aventures.
Pour éviter la commission du négociant chrétien, qui s'ajou-
tait aux présents à faire pour absorber une partie des fonds.
il déclare qu'il faut faire ses affaires soi-même ; mais il avait
vu à quel point Salva lui avait été indispensable; le recon-
naissant, il effaça finalement les paroles que la mauvaise
humeur lui avait d'abord dictées contre l'habile et dispen-
dieux négociateur.
Un autre incident du voyage eut une portée plus grave :
les religieux avaient été abandonnés à leur malheureux sort
par la cour qui, renonçant à comprendre te rachat des cap-
tifs dans la négociation diplomatique, laissa les rédempteurs
s'en tirer comme ils pourraient. Les religieux avaient sou-
1. On voit dans ses registres de dépenses de 1766 :
Dépensé en voyage d'Espagne ing livres.
Pour du vin de Pacarel (de Xérès) 74 —
Pour 10 livres de chocolat a5 —
Pour des peaux de maroquin el des babouches achetées eu
Barbarie 65 —
(Inventaire de» archives de l'Orne, H 3i83).
a Dy Google
4i6 l'ordre français des trinitaires.
tenu que leurs aumônes étaient locales et qu'ils devaient
racheter surtout les captifs des provinces où ils recevaient
des aumônes particulières. La cour de France n'admit pas
cette théorie; à la fin de 1765, une déclaration royale décida
que les aumônes recueillies en France serviraient pour le
rachat des captifs français indistinctement, thèse plus vrai-
ment nationale que celle des rédempteurs ; mais ceux-ci
n'étaient-ils pas dans le vrai en comptant de préférence sur
les aumônes locales et à but déterminé? Après ayoir mis un
tel poids dans la balance, il ne restait plus à la royauté qu'à
prendre la haute main sur la rédemption et à faire des reli-
gieux tes simples exécuteurs de ses volontés.
a Dy Google
ESCLAVE CHRÉTIEN AU MAROC.
(Coll. Qulfnlira, Ob 10 a, f tl.)
a Dy Google
a o» Google
CHAPITRE XI.
La rédemption diplomatique, *
La rédemption générale avait subi une certaine éclipse de-
puis te début du dix-huitième siècle. Un double mouvement
pouvait être constaté : les ressources baissaient et le prix des
esclaves augmentait; la belle oeuvre des rédempteurs dégéné-
rait en un grand nombre de rachats particuliers, où la part
de leur charité n'était plus prépondérante.
En 1719, le P. Philémon de la Moite ne s'était pas montré
partisan de celte évolution. Étant, à Marseille, engagé dans
un conflit avec le Bureau de Rédemption, il avait composé un
mémoire pour établir la supériorité des rédemptions généra-
les sur les rachats particuliers. Outre l'effet d'édification pro-
duit sur le peuple par une procession nombreuse, il relevait
justement ce fait qu'il ne fallait pas avoir trop de confiance
dans les négociants ', qui n'ont pas le loisir d'être charitables,
et, tout au moins, n'apportent pas au rachat de l'esclave la
promptitude désirable '.
Mais, lorsque le rédempteur, allant plus loin, déclarait qu'il
était difficile d'obtenir à bon marché un esclave particulier,
on eût pu lui objecter que beaucoup de rachats individuels
furent payés au dix-huitième siècle par les Trinitaires3, grâce
1 . On peut cîtcr les démêlés du P. Aloes avec un marchand nomme Car
bon eau, qui n'exécuta point sa commission cl à qui fut fait un procès,
2. Pièce a68.
3. Les Trinitaires durent en faire, dès le dix-septième siècle, sur la
demande de particuliers. Pièce 219.
27
a Dy Google
4*8 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRINITA1RES-'
à des précautions habiles, à un prix bien moindre que celui
auquel on eut pu s'attendre. Dans ce cas, les Trinitaires
s'adressaient au député du commerce de la ville de Marseille;
celui-ci priait les directeurs de la Chambre du commerce
d'Afrigue de fournir les fonds au Consul de France, qui traite
lui-même de ces rachats. Ainsi s'exprime le P. Gâche, dans
une lettre du 26 mars 1780.
Un captif liégeois, Jean-Joseph d'Allemagne, coûta 3,733 li-
vres io sous, dont r,3oo avaient été promis par (a confrérie
de Maëstricht et la famille, le reste devant être payé par nos
religieux; les directeurs de la Compagnie d'Afrique firent
l'avance des frais de quarantaine, de séjour à Marseille et de
retour à Liège. Au passage du captif à Paris, Gâche lui remit
3o livres pour sa route et 4 pour s'acheter une paire de sou-
liers, demandant à son correspondant liégeois, Bours,
ex-provincial du tiers-ordre de Saint-François, de lui faire
savoir quelle sensation aura faite la présence du captif
racheté ' .
Les consuls de France étaient de grands rédempteurs. Un
rachat des plus émouvants fut conclu par Raimondis, à Tri-
poli, en faveur de deux captifs réfugiés dans la maison con-
sulaire qui s'étaient enveloppés dans un drapeau français. Le
8 avril 1778, un consul de Rhodes racheta (rois Turcs à Malte
pour 2,100 livres3.
Les consuls étaient les correspondants naturels des ré-
dempteurs3; on s'adresse à tous ceux de Barbarie, le 9 fé-
1. Lettres des 25 septembre, 22 octobre, 4 et 10 novembre 1778 : autres
Liégeois rachetés (septembre 1767, mai 1774, avril 1779).
2. Teissieh, Archives anciennes de la Chambre de commerce de Mai*
seille, pp. 108, i38, i.'ta.
3. La Caisse Je religion de Bruxelles s'adresse aux agents consulaires
autrichiens pour avoir la liste des captifs.
a Dy Google
LA RÉDEMPTION DIPLOMATIQUE. AlO,
vrier 1779, pour savoir si Joseph Ressort était captif en
Maroc, à Alger ou à Tunis. Nous avons déjà mentionné qu'au
cours de la rédemption ils étaient pour nos religieux des
auxiliaires précieux; tous les rédempteurs venus à Alger
dans les vingt premières années du dis-huitième siècle ne
tarissent pas d'éloges sur le compte du consul Durand.
A l'époque où nous sommes parvenus, le rôle des consuls
de France ne va que grandir. La cour, mécontente du der-
nier rachat opéré en 1765 par les Trinitaires au Maroc, était
disposée à désigner elle-même les captifs qui seraient rachetés.
Les deux dernières rédemptions furent donc purement natio-
nales et royales. Louis XVI avait promis aux Corses, récem-
ment annexés à la France, de retirer d'Alger ceux de leurs
compatriotes qui y étaient esclaves. Cette rédemption eut
lieu en 1779 ; les PP. Gâche et Dorvaux, provincial de Cham-
pagne, en furent les chefs, avec deux Mercédaires : le vicaire
de la congrégation de Paris et le provincial de Guyenne.
Les religieux avaient donc encore été acteurs ; seuls, les
captifs leur avaient été imposés d'office.
Il semble d'ailleurs qu'à cette époque la piraterie barbares-
que était en grande décroissance. Au Maroc, elle parait avoir
presque Complètement disparu aux environs de 1770. La
clientèle des bagnes d'Alger était alors spécialement composée
de tristes personnages qui eussent bien mérité le bagne en
France. Les déserteurs français, venus en Espagne, embar-
qués de là sur Cran, évadés d'Oran vers Alger, étaient un
perpétuel danger pour tous les Français libres d'Alger. L'un
d'eux, nommé Picard, avait même tenté d'assassiner le vicaire
apostolique, le P. Cosson, de la Mission, qui ne survécut que
par miracle. Après avoir repoussé, en 1779, un projet de
rachat général des déserteurs proposé par le consul Vallière,
a Dy Google
4so l'ordre français des trinitaires.
parce que la somme était trop élevée, Louis XVI se décida a
cette mesure, en 1785, et chargea de l'exécution le consul de
France à Alger, M. de Kercy. Les religieux ne furent pas du
voyage, par mesure d'économie ; ils ne firent que contribuer
au paiement pour la plus forte part1. Le Bureau de Ré-
demption de Marseille fournit i3o,ooo livres.
Le général de l'ordre de la Trinité 240,000 —
Le vicaire général de la Merci de Paris.. . . 84,000 —
Le vicaire général de la Merci de Toulouse . 1 1 9,094 —
Total 5y3,og4 livres.
Ce dernier fut, comme toujours, en retard, non cependant
sans quelque motif, à cause de la suppression de neuf de ses
couvents sur quinze. Devant celle situation, la Chambre de
commerce avança 4o,ooo livres, et l'Œuvre de la Rédemption
80,000, qui durent lui être remboursées en huit années, cha-
cun des deux ordres en payant la moitié*.
Au mois de juin 1785, M. de Charoulière, lieutenant de
vaisseau, partit de Toulon sur la frégate la Minerve. La
négociation avait été conclue d'avance et M. de Kercy lui
remit les trois cent quinze captifs. Le 8 juillet suivant, ils
étaient en vue de Marseille; leur âge variait de dix-huit i
quatre-vingts ans ; leur temps d'esclavage de deux a trente-
cinq. Les députés des ordres rédempteurs étaient Gaspard
Perrin, ministre de Marseille; François Camusat, ministre
de Lisieux; Cloue] Chevillard, vicaire général de la congré-
gation de la Merci de Paris, et Joseph Aubanel, cornman*
1. Il faut remarquer que le roi ne céda point à l'invite qui lui était adres-
sée depuis 1res longtemps de prendre dans ses coffres.
2. Archives de la Chambre de commerce de Marieille, AA106, BB îio.
a Dy Google
LA RÉDEMPTION DIPLOMATIQUE. fol
deur de Marseille1. Le ro août seulement, les captifs débar-
quèrent, l'un d'entre eux étant décédé au cours de la qua-
rantaine; le 17, eurent lieu les processions et ceux qui
n'étaient pas de Marseille, au nombre de deux cents, parti-
rent pour Parts. Leur passage causa une vive sensation,
comme si l'on se fût douté qu'il avait lieu pour la dernière
fois. A Arles, la quête produisit i,55o livres1; l'accueil fut
chaleureux, à Paris notamment, « tant il est vrai que l'homme
est naturellement bon, et que la sensibilité de son cœur ne
paraît jamais mieux que dans ces grands spectacles 3 ».
L'abbé Raynal est choqué de cette admiration que la foule
prodigua à ces déserteurs, dont chacun eût mérité d'être
condamné à mort*. Il convient de remarquer que l'on applau-
dissait surtout la charité des ordres rédempteurs8.'
La liquidation financière de cette rédemption fut laborieuse.
Le 28 septembre 1785, Théodore Niel, provincial de la Merci
en Guyenne, écrit que les généraux des deux ordres se con-
certent en vue d'un emprunt de i4o,ooo livres, destiné à
1. Dana la Reoae nfricaine, t. XII, p. 81, M. BERanucfiEn relève les fan-
taisies de l'auteur du récit intitulé ; Lettres d'un des captifs qui viennent
d'être rachetés.
a. L'abbé Tri chaud, Histoire de l'église d'Arles, l. IV, p. ïj5,
3. Tableau historique de tontes les rédemptions, etc. Bibl. nat.,
Ld«, no 5.
4. Pièce 345. — Voir sur l'un de ces captifs : Veucun, Cii captif nor-
mand racheté par les Trinitaires en ij85. Bcrnay, t888.
5. Voici quelques échantillons des dépenses fuites à Paris: « Reçu de
M. Brune!, procureur général des captifs, 3o5 livres pour 61 paires de sou-
liers pour les captifs. A Paris, 28 ocl. 1785. Noël. — Pour avoir peint
i5o bannières pour les Messieurs de la Trinité, cy douze douzaines et demi
à L. 14 '" douzaine, L. 175; i5 sept. 1785, Sarrasin. Reçu 423 livres
[o sols pour l'excédent des frais de différentes musiques; Paris, ïq déc. 1 78S,
Repiault. — Mémoire de la fermière des chaises de l'abbaye de Saint-
Antoine pour avoir fourni 4oo chaises le \!\ oct. 178Ô : 20 livres » (Archi-
ves nationales, S 4278, »° 10).
a Dy Google
433 l'ordre français des trinitaires.
rembourser les caisses auxquelles on avait eu recours. La
suppression de l'ordre de la Merci en Guyenne ne facilitait
pas ce'règlement : le 26 décembre 1785 survint un ordre pro-
hibitif de la cour au sujet de l'admission des sujets mercédaires
à la vèture. Le P. Niel envoya 12,932 livres à Marseille,
espérant solder les 6,000 livres restantes dans le courant de
l'année (22 mars 1786). Quant aux Trinitaires, ils rembour-
sèrent péniblement les annuités de la Chambre de com-
merce, et à la Révolution, ils n'étaient pas encore quittes.
Telle fut l'évolution logique d'une œuvre qui eut sa gran-
deur, et dont le fil conducteur doit être la mainmise de plus
en plus grande opérée par l'autorité royale. D'abord œuvre
privée, religieuse et accomplie principalement à l'aide de
ressources* locales, la rédemption était devenue laïque, royale
et vraiment nationale. Si le pouvoir royal s'était avisé plus
tôt de racheter aux frais de l'État ses propres sujets, il se fût
bien vite aperçu qu'il pourrait réaliser une économie considé-
rable en mettant fin, une bonne fois, à la piraterie. Au lieu
de paver les « tristes rançons » et de tourner dans un cercle
vicieux, car l'argent des rédempteurs débarrassait Alger de
son tçop plein d'esclaves et permettait de faire de nouvelles
captures, le gouvernement français eût été amené à faire
réussir, un siècle ou deux plus loi, l'expédition de i83o. Sans
doute, les religieux ne souhaitaient pas de voir leur zèle rendu
inutile, mais ils eussent dû s'incliner.
Le rachat des captifs n'était pas la seule occupation des
Trinitaires. L'assistance aux malheureux , qui gémissaient
en attendant le secours des rédempteurs ou qui ne devaient
jamais voir le jour de la liberté, était un devoir tout aussi
pressant. L'histoire de leurs hôpitaux algériens nous fera voir
comment ils l'ont rempli.
a Dy Google
CHAPITRE XII.
Les hôpitaux trinitaires d'Alger et de Tunis.
Il faut attendre jusqu'à la fin du seizième siècle pour avoir
des documents précis sur le séjour des Trinitaires à Alger
dans l'intervalle des rédemptions. Il y a lieu de croire que,
antérieurement à cette époque, les musulmans ne permirent
pas aux rédempteurs de séjourner A Alger avec continuité.
Toutefois, la longue durée de certaines négociations permet-
tait aux religieux, même de passage, d'acquérir une réelle
autorité. Pendant son séjour, Jean Gil était l'arbitre des chré-
tiens. « Dans cette ville d'Alger, lui écrit Cervantes, il n'y a
pas d'antre homme chargé d'administrer la justice entre les
chrétiens que Votre Paternité ' . » Le rédempteur était aussi
délégué pontifical, en attendant la fondation du vicariat apos-
tolique.
Le premier consul de France fut un Trinitaire de Marseille,
le P. Bionneau, qui, en avril i586, « avait fraîchement écrit
les indignités et emprisonnements qui luy ont esté faicts, à
sa personne même, par Assar Bassa rays et autres officiers
à Alger1. » Vias, consul après le P. Bionneau, était un
laïque, mais cela ne prouve pas que les Trinitaires se soient
découragés. Quoiqu'ils n'eussent pas encore d'hôpital, ils des-
servaient régulièrement les chapelles des bagnes, au nombre
i. Micbïl Chasles, Cervantes, p. 118.
■>■ CuAnniiRE, Négociation» de ta France dans le. Levant, IV, 499.
aoy Google
4a4 l'ordre français des trinitaires.
de cinq, toutes pourvues d'une confrérie : le consul de France
était marguillier de la première, le consul de Venise remplis-
sait le même office pour la seconde. Au mois de février i5g5,
selon un texte cité par Antonio Silvestre, l'excellent auteur
de la Fundacion kistorica de los hospitales..., nos religieux
firent gagner à plusieurs centaines de captifs les indulgences
du jubilé. Peu après, Laurent Figueroa y Cordova, domi-
nicain, évéque de Siguenza, renia, le 5 juillet i5g5, deux
Trinitaires pour administrer les sacrements aux fidèles en
Barbarie. Il laissait au couvent de Madrid 5,ooo maravedis
de rente sur les gabelles de Cordoue, 3oo ducats devant être
sur cette somme prélevés pour l'entretien de ces deux reli-
gieux. Tous les ans, on rendra compte de l'emploi du legs
devant un administrateur nommé par le roi d'Espagne et le
vicaire de l'archevêque de Tolède. Le pape confirma cette libé-
ralité le 3i août i5g6 (Guerra donne la date du 29 juillet
1597). Jean Sanchez, de la province de Castille, et Jean de
Palacios habitèrent cinq ans à Alger ', selon les intentions de
Laurent de Figueroa.
Les religieux résidant eu Afrique recevaient certains pri-
vilèges, énumérés dans une bulle du 8 février 1608 : ils
peuvent entendre les confessions1, donner aux captifs les
biens sans maître (cela rappelle les mostrencos espagnols),
pourvu qu'une partie soit consacrée au rachat des captifs,
bénir les ornements ecclésiastiques, permettre aux prêtres
captifs l'usage de l'autel portatif, communiquer aux captifs
1. Figuerab, Chrtmicon, p. 3(17. Si Alçer tombait au pouvoir des chré-
tiens, les religieux devaient aller dans une nuire ville d'Afrique encore au
pouvoir des musulmans. L'analyse de la bulle esl dans Guerra.
2. Le TrinmpliM misrriçartliae. contient, aux pagjs g&-[ [5, un très
e relatifs aux captifs.
a Dy Google
LES HÔPITAUX d' ALGER ET DE TUNIS. 4^5
l'indulgence plénière, sans qu'ils aient besoin de se confesser à
un des Trinitaires résidents. Ces indulgences étaient renouve-
lées tous les dix ans.
Au même moment, un carme déchaussé d'Espagne, Hie-
ronimo Gracian de la Madré de Dios, publiait à Rome
(1597) un ingénieux opuscule pour faire ressortir l'avantage
qu'il y aurait, pour les rédempteurs, à s'établir à Ta-
barka, sous la protection de la famille Lomeilîni de Gênes,
de manière à pouvoir avertir les chrétiens des courses qui se
tramaient contre eux1. Il fut lui-même choisi en 1600 par
Clément VIII comme visiteur des captifs; ces derniers éprou-
vaient assez de maux pour que les religieux de plusieurs
ordres pussent facilement trouver l'emploi de leur zèle.
Neuf ans après, trois Trinitaires espagnols, retenus, une
fois leur rédemption opérée, comme il a été dit plus haut,
construisirent l'hôpital d'Espagne. Antonio Silvestre, doué
d'un véritable esprit critique, a fort bien réfuté deux opi-
nions sur la fondation de cet hôpital, l'une qui l'attribue à
un Trinitaire d'Aragon, Sébastien Duport (i546), l'autre à
un évèque qui aurait préféré dépenser au profit des captifs
l'argent envoyé en vue de son propre rachat. Cet hôpital,
à ses débuts, n'eut que six lits. Bernard de Monroy ra-
conte modestement cette fondation, dans une lettre du
20 juin 1612 (reproduite par le P. Calixte dans ses Cor-
saires et Rédempteurs, pp. 243-a5i), Il y parle aussi d'une
procession qu'il reçut la permission de faire avec ses escla-
ves pour demander de la pluie ; elle tomba, mais les Turcs ne
1. Bibliothèque Mazarine, recueil 25on, f° 67 (recopié dans le manus-
crit 1217 de la Bibliothèque de Marseille, pp. 109-137). Il reproduit la
légende du rédempteur laissant son bâton en gage pour 8 ou 10,000 écus et
la rapporte A Simon de Contreras, Trinitaire portugais.
a Dy Google
426 L'ORDRE FRANÇAIS DBS TRINITAIRES.
s'en montrèrent pas reconnaissants envers les chrétiens. Ber-
nard de Monroy, resté seul survivant des trois Trinitaires
castillans, mourut à son tour le 3o août 1632, à l'âge de
soixante ans1.
Un administrateur avait commis des dilapidations, lorsque
en 1664, Pedro Garrido, qui prit l'habit de frère convers
sous te nom de Pierre de la Conception, répara de ses de-
niers cet hôpital , ainsi que les chapelles des bagnes3. Mal-
heureusement, un excès de zèle du pieux fondateur com-
promit cette belle œuvre. Le vendredi 17 juin 1667, avant
emporté une image de Notre-Dame, il entra dans une mos-
quée, oubliant que le Saint-Siège défend de provoquer les
musulmans aux disputes religieuses, et se mit à prêcher contre
Mahomet. On retrouva le sermon qu'il laissa traîner dans
l'assemblée; il fut arrêté et brûlé vif deux jours après3, le
19 juin 1667, dans le cimetière des juifs. Ses cendres furent
jetées à la mer; néanmoins, au péril de leur vie, des chré-
tiens « péchèrent* » ses os, et le consul de France Dubour-
dieu, auquel le divan fit dire qu'on n'avait brûlé le martyr
que pour avoir mal parlé de Mahomet, fit envoyer ses reliques
à Madrid5.
Pour reconstituer les ressources de l'hôpital, on alla quêter
partout. Le 22 juin 1672, un religieux, Don Cristoval Fran-
cisco de Castillo, était autorisé à recueillir des aumônes à
Puebia de los Angeles (Mexique) pendant trois ans6, au profil
des hôpitaux abandonnés depuis cinq ans. II y avait, en effet,
1. Voyage d'Alger et de Tant* ('720). pp- 76-81.
3. Mémoires de ta Congrégation de la Mission, t. Il, p. ï86.
3. Les Turcs, le croyant fou, lui avaient donné le temps de m rétracter.
4. Bibl. Mazarine, manuscrit 3912, p. 157.
5. Le tableau de piété entiers les captifs. Chalons, 1668, p. 179.
6. Revue africaine'i. VIII, p. i43.
a dv Google
LBS HÔPITAUX d'aLGER ET DE TUNIS. 427
dans les bagnes des hôpitaux secondaires , dont les chapelles
étaient dédiées à sainte Catherine et à saint Roch1. On s'ac-
corde à dire que le service religieux y était libre, à pari les
exactions commises par quelques gardiens.
L'hôpital principal fondé par Bernard de Monroy dans le
Tabernat-et-Beylik garda le nom d'hôpital d'Espagne, parce
qu'il était administré par des Trinitaires de la province
de Castille, au nombre de trois, dont l'un portait le titre de
Père administrateur. Au couvent de Madrid résidait un admi-
nistrateur général; Antonio Silveslre porta ce titre. Par
jalousie contre le vicaire apostolique et contre le consul fran-
çais, le Père administrateur réclama parfois la protection du
consul anglais, comme n'étant pas gênante1. L'hôpital com-
prenait alors seize à vingt lits.
La Reoue africaine a publié, d'après la Fandacîon hîsio-
rica, la charte de fondation ou plutôt le règlement du budget
de l'hôpital trinitaire d'Alger en if>a3; cet acte ne faisait
sans doute que consacrer des coutumes existantes. Le dey
Hadji Chaban Kodja arrêta avec Joseph Queralt, professeur
en l'Université de Barcelone, administrateur de l'hôpital, les
clauses suivantes :
i° Quatre pataqoes seront données par tout matelot de
barque chrétienne, quatre pesos3 seront versés par tout vais-
seau, au profit de l'hôpital ; si ce vaisseau est d'une nation
en paix avec Alger, la contribution sera de trois pesos ;
■i" Chaque chrétien libre donnera deux réaux d'aspre, cha-
que chrétien racheté deux réaux d'argent;
1. Il y avait deux autres hôpitaux dans le bagne du pacha, ce qui com-
plète le nombre de cinq, et même des lits au consulat de France (Gn\M-
most, L'Eselaoage, pp. ï3-a5).
a. Plaktkt, Corre»pondantx... d'Alger,!, t^o^ (n.).
3. Peto est un. mot espagnol synonyme de piastre.
a Dy Google
4a8 l'ordre français des trinitaires.
3° Six outres de vin exemptes de droits d'octroi seront re-
mises annuellement à l'hôpital au prix de 6 pesos (elles
étaient revendues 36 pesos!);
4i Le divan sera seul juge des confias éclatant dans le
personnel de l'hôpital ; le consul français même ne pourra s'y
entremettre (Berbrugger remarque ici que le Père adminis-
trateur, rédacteur du traité, décline le protectorat français en
principe, quitte à l'invoquer en certains cas);
5° Le Père administrateur ne pourra être poursuivi pour
les dettes du vicaire apostolique (clause de toute justice, mais
la réciproque eût dû être vraie);
6° L'argent et les vêtements nécessaires à l'hôpital entre-
ront francs de tout droit ;
7° Les religieux pourront se rendre librement en Espagne;
8° Chaque bagne donnera un chrétien pour le service de
l'hôpital, sans que dorénavant l'administrateur ait à payer au
patron une lune (c'est-à-dire une indemnité mensuelle)1.
Cette fondation devait se développer jusqu'à compter, en
1730, quatre-vingts lits et 3,ooo piastres de rente. L'hôpital
d'Espagne avait chirurgien, apothicaire, infirmier, dépensier
et domestiques esclaves; ces derniers étaient privilégiés, car
ils devaient être rachetés les premiers lors de toute rédemp-
tion. Deux Trinitaires servaient de chapelains. Les autres
chapelles des bagnes avaient chacune un hôpital, aussi dirigé
par les Trinitaires ; mais des prêtres captifs, dont il y avait
toujours une grande quantité à Alger, donnaient aux esclaves
les secours spirituels. Quant au cimetière, il aurait été l'œu-
vre d'un capucin espagnol ayant consacré au service de ses
frères l'argent venu pour son propre rachat.
1. Revue africaine, t. VIII, pp. i33-i44-
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LES HÔPITAUX D'ALGER ET DE TUNIS. 4*9
« L'hôpital, écrit en 1720 le P. Philémon de la Motte1, est
encore trop petit pour les malades, qu'on y soigne avec une
attention qui touche jusqu'aux Turcs mêmes. » L'intelligent
rédempteur se montra curieux d'en connaître les règlements,
parmi lesquels il releva ceux-ci : on n'y recevait point d'es-
clave sans le consentement de son patron; les femmes n'y
étaient point admises, maïs le chirurgien et l'apothicaire leur
rendaient visite chez elles ou chez leurs patrons. Des remèdes
étaient donnés également aux Turcs; seulement, il était re-
commandé au chirurgien de s'adjoindre en ce cas un mara-
bout, car, si le malade mourait, la présence du musulman
déchargeait le chrétien de toute responsabilité. Pour les juifs,
dit Antonio Silvestre, on ne fait pas tant de façons.
L'hôpital était ouvert aux chrétiens de toute religion.
D'abord , nous dit son historien , au chapitre xxvn de la
Fundacion, les musulmans ne font aucune distinction entre
les chrétiens au point de vue de leur religion. Ensuite, en
soignant le corps des hérétiques, on a souvent occasion de
guérir- leur âme ; pendant un espace de sept ans, deux cents
hérétiques se seraient convertis, dont un Anglais, cousin de
Cromwell. — Un corsaire anglais rencontra une barque sur
laquelle se trouvait le Père administrateur, avec beaucoup
de provisions pour l'hôpital, et allait les piller quand deux
matelots anglais, qui avaient été soignés à l'hôpital, recon-
nurent le Père administrateur et empêchèrent leur capitaine
de donner suite à son projet; « peut-être qu'il en avait coûté
100 réaux pour les soigner tous deux, dit Silvestre, et grâce à
cette petite dépense, on évita de perdre 6,000 pesos. » Aucun
bateau algérien n'aurait fait de tort à la barque de l'hôpital.
1. Voyage d'Alger et de Tunis, pp. 8a, ia&-i3o.
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430 L'ORDRE FRANÇAIS DES TRIttlTAlRES.
Les armes du Roi Catholique étaient gravées sur le portail
de l'hôpital, quoique celui-ci n'eût donné aucuns revenus
pour son entretien. Des grands d'Espagne s'en constituèrent
les bienfaiteurs; l'un d'eux envoyait de Barcelone des lan-
cettes pour saigner et autres instruments de chirurgie. Grâce
à ce rattachement à la couronne d'Espagne, l'hôpital fui
indemne des persécutions qui fondirent sur les chrétiens,
surtout français, en i683 et en 1688, lors des bombardements
dirigés contre Alger. Ce n'est pas à dire que l'administrateur
n'ait été menacé parfois d'être brillé vif à l'occasion de l'éva-
sion de quelque esclave, mais cela rentrait pour ainsi dire
dans la vie quotidienne d'Alger.
Montmasson, vicaire apostolique, avant d'être mis à la bou-
che d'un canon, avait déposé son argent entre les mains du
P. Antoine d'Espinosa, administrateur de l'hôpital. Jacques
Le Clerc, lazariste, s'étant adressé, du fond de sa prison, au
Père administrateur, celui-ci envoya un Majorquin qui promit
au gardien-chef 220 piastres pour le faire évader : on lui fit
couper les cheveux et changer d'habit, et pendant quinze jours
il reçut du Père « toutes les caresses et amitiés possibles ».
L'administrateur cacha encore huit ou dix capitaines chré-
tiens dans son jardin, pendant tout le temps que l'armée du
maréchal d'Eslrées resta en rade. L'infirmerie de l'hôpital
avait été peu endommagée; il y reçut quelques religieux es-
claves, les chapelles des bagnes ayant été détruites par les
bombes françaises.
Tels sont les services que rendit à des Français, en temps
de crise, le Père administrateur de l'hôpital d'Espagne. Il était
nécessaire de faire ressortir cette infinie charité des Trini-
taires, dont un grand nombre succombèrent lors des épidé-
mies de peste, continuelles à Alger, avant de constater quel-
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LES HOPITAUX d'aLGBR FÎT DE TUNIS. 43 1
ques regrettables défaillances, auxquelles l'esprit de corps ou
la rivalité entre ordres religieux amena parfois les Pères de
l'hôpital- Les Mémoires de la Congrégation de la Mission,
plus explicites, mais plus partiaux que la Correspondance
des consuls, nous permettent de retracer succinlement quel-
ques-unes de ces fautes.
Au temps de Jean le Vacher, les TrinUaires de l'hôpital
commirent une'grave indélicatesse en donnant une patente
nette à des rédempteurs espagnols; plusieurs esclaves, dé-
barqués à Carthagène, moururen/ de la peste et en infec-
tèrent cette ville. La nouvelle étant parvenue au roi d'Es-
pagne, le rédempteur, plutôt que de dénoncer son confrère,
accusa le vicaire apostolique Le Vacher '.
Après les deux bombardements français, la peste de 1690,
où périrent six Trinitaires, au témoignage de Grégoire de
La Forge, et le rachat intégrai des Français par Dusault,
une grave affaire fut amenée par la mauvaise foi du Trini-
taire Gianola, parti le 23 juin 1602, avec sept cent cinquante-
trois esclaves, et laissant 4,5oo